Vincent BALNAT, Christophe GÉRARD (dir.), Les études de néologie au XXIe siècle. Un état de la recherche européenne

di | 14 Febbraio 2024

Vincent BALNAT, Christophe GÉRARD (dir.), Les études de néologie au XXIe siècle. Un état de la recherche européenne, Neologica n° 15, 2021, 271 p.

Ce numéro comporte une vaste partie thématique consacrée à un état de l’art sur les études de néologie en Europe à l’heure actuelle. Dans leur texte de présentation (p. 17-23), Vincent Balnat et Christophe Gérard constatent un essor remarquable de la recherche sur la néologie en Europe, qui s’accompagne cependant d’une série de questionnements concernant tout d’abord la délimitation de l’objet d’étude, mais aussi le foisonnement d’approches et modèles et la fonctionnalité de la terminologie de la néologie.

La partie thématique s’ouvre par un article de Maria Teresa Cabré (« Une théorie multidimensionnelle des néologismes », p. 25-41) illustrant sa conception « multivariée » de la néologie. Selon cette approche, il s’agit de rendre compte des dimensions multiples du néologisme, ce dernier ne sachant se limiter à un phénomène purement linguistique. Une approche holistique se rend alors nécessaire, qui intègre à plein titre les aspects psychologique et socio-culturel dans l’étude des néologismes.

Maria Teresa Cabré, Ona Domènech-Bagaria et Ivan Solivellas (« La classification des néologismes. Révision critique et proposition d’une typologie multivariée et fonctionnelle », p. 43-62) font le point sur les propositions les plus connues concernant la classification des néologismes dans les langues romanes. Les auteurs plaident pour l’approche de Cabré (2006), qui privilégie la perspective du locuteur et adopte une catégorisation systématique, complète et univoque. Dans la deuxième partie de l’article, cette approche est comparée à celle de Sablayrolles du point de vue des procédés néologiques impliqués.

L’article de Humbley et Jean-François Sablayrolles (« Terminologie de la néologie. Quelques concepts et termes problématiques », p. 63-96) part du constat que le métalangage spécialisé de la néologie et à la fois abondant et lacunaire. L’objectif primaire de cette contribution est d’examiner certains de ces termes, en en reconstruisant l’origine, l’évolution et les emplois chez différents auteurs. Les termes sont présentés selon les regroupements suivants : les conditions d’apparition des néologismes, les phases de la néologie, les aspects morphosémantiques, les accourcissements divers et la terminologie de l’emprunt et de ses équivalents, dans une perspective comparative entre les langues.

L’étude de Cécile Poix (« Études francophones de néologie. Complexité terminologique », p. 97-115) recense certaines difficultés terminologiques de la néologie, en passant en revue quelques termes liés à la nouveauté lexicale, à la description des mots nouveaux, à la perception et à la dictionnarisation des lexies. Poix met en évidence la polysémie des termes et leurs relations de quasi-synonymie, en plaidant pour une clarification du métalangage en usage dans la communauté des chercheurs.

Océane Foubert (« Institutionalisation, conventionalisation and the social nature of neologisms, p. 117-132) souligne la nature sociale des néologismes par un examen critique des notions d’institutionnalisation et de conventionnalisation, en s’appuyant notamment sur les modèles de Fischer (1998) et de Schmid (2016). Les facteurs mis en évidence par la littérature se divisent en deux catégories : ceux liés au locuteur (tel le statut social et le réseau) et ceux liés au contexte (comme la topicalité ou le besoin social).

La contribution de Christophe Gérard (« Approches discursives de l’innovation lexicale. État des desiderata », p. 133-149) s’ouvre par un aperçu des recherches consacrées aux dimensions textuelles et discursive de la créativité lexicale, avant de s’arrêter sur les notions de domaine (à distinguer de celle de « thème ») et de genre, qui doivent être pris en compte d’un point de vue théorique et méthodologique. En effet, « les genres conditionnent autant la production des innovations lexicales que leur diffusion » (p. 137). Par ailleurs, la notion de « style discursif » ou « collectif » peut apporter un éclairage précieux à l’étude de la néologie en discours.

L’article de Sören Stumpf (« Occasional word formations in written and spoken German », p. 151-169) est consacré au thème des occasionnalismes en allemand écrit et oral. Après avoir distingué les formations de mots usuelles, les néologismes et les formations de mots à caractère occasionnel, l’auteur présente une étude sur corpus basée sur une large palette de typologies textuelles, orales et écrites, avec un degré de formalité très variable. Les résultats montrent que les occasionnalismes ne sont pas plus nombreux dans les textes écrits que dans les documents oraux, contrairement à ce que l’on pourrait supposer.

Dans sa contribution (« Les études de néologie en Italie. Modèles, évolutions et perspectives », p. 171-188), Maria Teresa Zanola reconstruit la recherche sur la néologie en Italie, en se concentrant tout d’abord sur l’influence de Bruno Migliorini (1896-1975), qui a ouvert la voie à l’approche discursive et textuelle, au-delà du purisme qui caractérisait les siècles précédents. Dans la deuxième partie du XXe, la lexicologie et la lexicographie italiennes font la part belle à la néologie, surtout en ce qui concerne les datations et les emprunts. Cet intérêt se développe ultérieurement à partir des années 1990, avec des banques de données telles que l’Osservatorio neologico della lingua italiana et, plus tard, par de nombreuses études dans une visée comparative et terminologique.

Hilke Elsen (« German neologisms. What’s going on, what’s going wrong », p. 189-207) propose un point de vue critique sur la situation et le développement des études en néologie en Allemagne. Si la recherche en lexicographie est bien avancée technologiquement, on peut regretter un certain manque de réflexion théorique et méthodologique en la matière. Par exemple, l’auteure remarque dans les banques de données de l’IDS (Leibniz-Institut de Deutschen Sprache, Mannheim) une surreprésentation de la variété journalistique qui entraîne des distorsions considérables, notamment en ce qui concerne un prétendu « déluge d’anglicismes » (Anglizismenflut).

La partie Varia comprend deux articles : Pierluigi Ligas (« Neuveté, ou de l’exhumation d’un néologisme rétivien mort-né », p. 211-225) analyse l’émergence et la diffusion de la lexie neuveté, que l’on doit à Rétif de la Bretonne (1734-1806) et qui figure dans la Néologie de Louis-Sébastien Mercier (1801) avec un sens proche de celui de nouveauté. Rarement attesté au XIXe et XXe siècle, neuveté semble retrouver aujourd’hui une certaine circulation sur la Toile, notamment dans les blogs et les forums. Pour finir, Pierre Ragot (« La notion de néologisme appliquée au grec ancien à travers l’exemple de ἁγήλατος (« purificateur ») (Lyc. 436) », p. 227-244) démontre la pertinence de la notion de néologisme pour le grec ancien. L’auteur mène une étude de cas sur le terme ἁγήλατος, forgé par Lycophron au IIIe siècle av. J.-C., en se penchant sur la série dérivationnelle dans laquelle s’insère le lexème, sur son contexte d’emploi, ainsi que sur la tradition littéraire de l’Antiquité grecque.

[Giovanni TALLARICO]