Sylvie Garnier & Pauline Haas (éds.), Synonymie verbale et constructions verbales concurrentes, « Cahiers de lexicologie », n° 121(2), 2022, Paris, Classiques Garnier, 290 pp.
Ce numéro des Cahiers de lexicologie, dirigé par Sylvie GARNIER et Pauloine HAAS, réunit huit contributions consacrées à la synonymie verbale. Dans ce contexte spécifique, on examine la synonymie entre les lexèmes verbaux, à la fois entre eux et avec les constructions verbales concurrentes ou seulement entre ces dernières. Dans l’introduction intitulée « Synonymie verbale et constructions verbales concurrentes. Présentation » (13-36), les directrices du numéro dressent un état des lieux de la synonymie ainsi que des études portant sur ce sujet. Après avoir fourni un bref aperçu historique de la synonymie, les auteures approfondissent la notion d’« équivalence/identité de sens », généralement utilisée pour définir la relation synonymique. Enfin, dans la partie finale de leur introduction, Garnier et Haas cherchent à expliquer de quelle manière la relation synonymique soulève des questions particulières lorsqu’elle est appliquée à la catégorie grammaticale des verbes.
Dans son article « Deux manières d’exprimer le célibat en espagnol ? » (pp. 37-60), Christian VALDEZ compare deux constructions verbales attributives, ser soltero et estar soltero exprimant l’état civil en espagnol. L’analyse est menée sur une base de données constituée à partir du Corpus del español del Siglo XXI de la Real Academia Española. Le travail sur corpus a permis à l’auteur d’évaluer en contexte le degré de recouvrement sémantique entre les deux constructions verbales, en utilisant une analyse quantitative et qualitative. L’auteur se propose de démontrer que les emplois de ser soltero et estar soltero ne sont pas sémantiquement équivalents. La première construction, ser soltero, contribue à une « opération de catégorisation », tandis que la deuxième construction, estar soltero, contribue à une «opération d’ancrage spatio-temporel ».
Axelle VATRICAN, dans son article « La structure événementielle de deux synonymes en français, savoir et connaître : état ou événement ? » (pp. 61-86), propose une analyse approfondie de deux verbes, savoir et connaître, souvent considérés comme synonymes. L’auteure avance l’hypothèse que ces deux verbes possèdent une structure aspectuelle complexe, composée de deux sous-événements. Le second sous-événement, correspondant à un état (« posséder une connaissance »), est identique pour les deux verbes. En revanche, ces sont les premiers sous-événements qui diffèrent car ils renvoient à un processus dynamique (« apprendre » ou « faire l’expérience » de quelque chose). Après une analyse des différents compléments des deux verbes (notamment les syntagmes nominaux, les infinitifs et les prépositions), l’auteure formule l’hypothèse que c’est la valeur sémantique des compléments qui active l’un des deux sous-événements des verbes. Par exemple, dans la construction verbe + SN, pour un SN donné, les deux verbes ne sont jamais synonymes.
Dans son article « Similarités et différences entre trois verbes quasi-synonymes : arriver, parvenir et atteindre » (pp. 87-117), Laure SARDA met en parallèle trois verbes, arriver, parvenir et atteindre, qui « partagent au moins un sens spatial de déplacement » (p. 88) et peuvent être considérés comme quasi-synonymes. Pour son analyse, l’auteure s’appuie sur l’exploitation du corpus Frantext, couvrant la période de 1930 à 2000. Après avoir présenté un panorama des relations entre les trois verbes et un inventaire de leurs sens, Sarda explore la structure sémantique des trois lexèmes en tant que verbes de déplacement. Elle nous expose ensuite les résultats de son analyse menée sur Frantext. En particulier, concernant les verbes arriver et parvenir (l’étude de atteindre étant encore en cours), elle formule quatre hypothèses sur l’expression ou non du site final et la typologie de celui-ci. Ces hypothèses lui permettent de déterminer les conditions dans lesquelles la synonymie opère entre ces verbes.
Myriam BOUVERET, dans son article « Étude de la quasi-synonymie des verbes et constructions de casser, briser, rompre d’après un corpus de presse en français contemporain » (pp. 119-146), propose une analyse approfondie des trois verbes quasi-synonymes casser, briser, rompre et de leurs constructions verbales, en s’appuyant sur un corpus de presse extrait d’Europresse couvrant la période de 2020 à 2022. L’étude de Bouveret, s’inscrivant dans le cadre de la Grammaire Cognitive des Constructions, fournit une description détaillée des emplois, notamment abstraits, des trois verbes et des différentes constructions syntaxiques correspondantes. De plus, en recourant au modèle des frames, l’auteure a pu mener une analyse plus fine des constructions abstraites et métaphoriques majoritairement présentes dans le corpus. Elle démontre ainsi que, pour le frame de la destruction de quelque chose d’établi, de codé, de non-dit, les verbes sont attestés dans certaines collocations verbales, comme dans casser/briser le code, mais pas dans d’autres, comme *rompre le code.
Dans son article « Enseignement du lexique et synonymie verbale : étude contrastive de deux couples de verbes » (pp. 147-174), Catherine FUCHS propose une étude de la synonymie selon une perspective didactique. En particulier, elle analyse deux couples de verbes, « respectivement faiblement et fortement synonymes » (p. 147), à savoir éliminer (qqch)/supprimer (qqch) et mettre fin à (qqch)/mettre un terme à (qqch). Elle examine le sémantisme des verbes, les catégories des noms et l’interaction entre verbe et nom (la facette sémantique) au sein de chaque construction verbale. À travers son étude, l’auteure se propose de démontrer que non seulement la synonymie verbale peut être décrite en tenant compte de l’interaction entre le sémantisme des verbes et les types de noms, mais qu’il est également possible de déterminer un certain degré de synonymie verbale et donc de distance sémantique entre les constructions verbales contenant ces verbes. En dernière instance, Fuchs élargit son analyse à un contexte plus large dans lequel les constructions verbo-nominales sont placées, permettant ainsi de neutraliser ou d’amplifier les différences sémantiques entre les verbes.
Dans leur article intitulé « Les effets sémantiques de l’alternance objet/oblique en français » (pp. 175-200), Richard HUYGHE et Gilles CORMINBOEUF analysent les verbes français employés dans des constructions à objet direct et dans des constructions à argument oblique. Il s’agit en effet de constructions qui sont en concurrence pour un même verbe (toucher X/toucher à X, traiter X/traiter de X, accoucher X/accoucher de X, etc.). Afin qu’il y ait une relation d’alternance objet/oblique (AOO) entre deux constructions, plusieurs conditions doivent être remplies. Dans la première partie de leur article (pp. 177-182), les auteurs examinent deux conditions spécifiques : l’identité verbale entre V1 et V2 et le statut syntaxique du groupe prépositionnel accompagnant chaque verbe. Dans la seconde partie de l’article (pp. 182-188), Huyghe et Corminboeuf recensent des cas de différenciation sémantique entre les constructions verbales sujettes à l’AOO. Enfin, dans la troisième partie (pp. 189-196), les auteurs présentent des cas d’équivalence sémantique entre les deux types de constructions et s’interrogent sur les raisons de ces constructions alternatives dans la langue. Cependant, les deux auteurs révèlent qu’il existe des cas de synonymie absolue entre les deux types de constructions.
Alicja KACPRZAK, dans son article « Entre identité et proximité sémantique : le cas de l’emprunt verbal » (pp. 201-227), propose de comparer des paires de verbes composées d’un verbe français et d’un verbe emprunté à l’anglais. Dans la plupart des cas, les emprunts verbaux relèvent majoritairement du domaine de la technologie informatique. Dans la première partie de son article, l’auteure présente des exemples d’identité sémantique entre les verbes formant un couple synonymique (pp. 210-213). Dans la deuxième partie, Kacprzak examine des cas de proximité sémantique entre les couples synonymiques (pp. 213-218). Enfin, elle présente quelques exemples de verbes empruntés à l’anglais qui ont développé de nouvelles acceptions et sont devenus polysémiques en français (pp. 218-223).
L’étude d’Emmanuelle GUERIN, intitulée « Synonymie et approche de la variation » (pp. 229-249), s’inscrit dans le cadre de la sociolinguistique et propose une analyse des verbes tirés du corpus Multicultural Paris French (MPF), constitué de transcriptions de conversations de locuteurs franciliens. Les verbes choisis sont des verbes non standard employés dans les pratiques langagières des « jeunes de quartier/banlieue/cité » (p. 235). Ces verbes relèvent particulièrement de trois types d’activités : les relations sexuelles, l’ingestion de boissons et l’action de fumer. Dans les trois cas, l’analyse du corpus révèle une plus grande variété de verbes associés à chacune de ces activités par rapport à la langue standard, qui n’admet qu’un seul orthonyme (faire l’amour, boire, fumer). En rejetant le principe de co-variation pour les cas analysés, l’auteur soutient qu’il s’agit de néologismes sémantiques, destinés à enrichir la langue française au même titre que d’autres mots issus des pratiques langagières de « locuteurs plus légitimes » (p. 246).
[Cosimo De Giovanni]