Vincent BALNAT, Christophe GÉRARD (dir.), Néologie et environnement, Neologica n° 16, 2022, 282 p.
Ce numéro est entièrement consacré à l’étude de la néologie environnementale. Dans leur texte introductif (« La néologie environnementale et la notion de domaine », p. 17-25), Vincent Balnat et Christophe Gérard présentent l’intérêt de la thématique du point de vue lexicologique, notamment en ce qui concerne la description des modes de formation et de diffusion des innovations lexicales liées à l’environnement, et du point de vue discursif : l’environnement est-il un « domaine » à proprement parler ou plutôt « une sorte de prisme thématique » au carrefour d’une pluralité de discours ?
Dans l’article inaugural (« La notion de domaine en question. À propos de l’environnement », p. 27-59), Valérie Delavigne interroge la pertinence de l’adéquation de la notion de domaine pour rendre compte de la complexité des discours sur l’environnement. De manière plus générale, les domaines, qu’elle définit comme ensembles de pratiques discursives, se caractérisent par une hétérogénéité externe (ils sont traversés par une pluralité de disciplines) et interne (pluralité des points de vue à l’intérieur de chaque domaine). Comme l’illustre très clairement l’étude des questions environnementales, il s’agit de passer « d’une vision centrée sur le terme à une perspective qui prend en compte les discours et les textes (écrits et oraux) via les enjeux sociolectaux, les normes discursives et les objets de discours » (p. 41).
Pauline Bureau (« Changement climatique, changement linguistique ? Extraction semi-automatique et analyse des néologismes issus du domaine du changement climatique », p. 62-83) propose une méthodologie innovante pour l’extraction des néologismes liés au changement climatique d’origine anthropique. Cette approche, fondée sur une approche semi-automatisée (extraction d’unités terminologiques et de candidats néologismes, suivie d’un processus de validation manuelle sur la base d’un corpus d’exclusion), permet l’identification de 40 dénominations néologiques, qui s’inscrivent dans une relation d’interface avec un autre domaine spécialisé, avec la langue courante et avec des variantes synonymiques ou des hyponymes d’unités appartenant au domaine du changement climatique.
Dans le cadre du projet franco-italien Galilée (2020-2022), Jana Altmanova, Emmanuel Cartier, Jimmy Luzzi, Sarah Pinto et Sergio Piscopo (« Innovations lexicales dans le domaine de l’environnement et de la biodiversité. Le cas de bio en français et en italien », p. 85-110) mènent une étude outillée des néologismes français et italiens appartenant au domaine du climat et de la biodiversité. Les auteur.e.s ont constitué un vaste corpus comparable et spécialisé, qui leur a permis d’identifier un certain nombre de formants relevant du domaine en question (agri/o-, bio-, climato-, éco-eco, etc.). Ils se concentrent sur le formant bio-, son évolution formelle et sémantique ainsi que les nombreux néologismes auxquels il a donné lieu, en prêtant une attention particulière aux procédés néologiques à l’œuvre (dont la composition) et aux emplois autonomes de bio (troncation de biologique).
Georgette Dal et Fiammetta Namer (« Éco– lave plus vert, et il lave toute la famille », p. 111-128) analysent de manière approfondie un vaste groupe de lexèmes issus du patron de formation [éco-X] : si, du point de vue sémantique, on constate un certain flou dans les séquences créées, qui demandent à être interprétées en contexte, on relève du point de vue morphologique une quasi-absence de contraintes (catégorielles, phonologiques, morphologiques ou sémantiques), ce qui favorise la création de familles dérivationnelles. Par ailleurs, éco-,souvent associé à des mots comme mobilité, village, industrie et tourisme, entre en concurrence avec toute une série de dénominations concurrentes (par ex. mobilité écologique, industrie durable, tourisme vert, etc.).
Dans son article, Yvonne Kiegel-Keicher (« Bio– et éco-. Procédés de création lexicale dans la terminologie environnementale officielle française », p. 129-149) se penche sur les entrées de la base FranceTerme qui relèvent du domaine de l’environnement, notamment celles comportant les confixes bio- et éco-. La grande majorité des unités lexicales sont des confixés hybrides qui, en général, présentent un lien évident avec l’anglicisme qu’ils remplacent : il en résulte des calques par traduction (comme bioénergie pour bioenergy) et par transposition (biosourcé pour biobased), qui divergent de la structure déterminé-déterminant, habituelle en français.
Aline Francoeur (« Entre climato-alarmistes et climato-dénégateurs. Une saga néologique de notre temps », p. 151-171) se concentre sur le foisonnement néologique qui caractérise les dénominations de deux camps adverses : d’un côté, ceux qui soulignent l’urgence de la lutte contre le changement climatique, de l’autre, le groupement hétéroclite des « climatosceptiques ». À partir d’un échantillon de 313 néologismes, elle dégage trois sous-ensembles : les noms désignant des « doctrines », leurs partisans et les adjectifs en lien avec ces doctrines. Francoeur étudie les lexies de base (dont l’emprunt adapté dénialiste), la productivité de certains formants, la fréquence d’emploi des néologismes (la majorité d’entre eux ne figurant que dans un petit nombre de documents) et leur durée d’utilisation (apparition, disparition et cohabitation).
Dans sa contribution, Erica Lippert (« Stratégies argumentatives et néologismes dans la communication de Greenpeace. Écocide et climaticide sur Instagram », p. 173-202) explore les stratégies communicatives de l’ONG Greenpeace sur les réseaux sociaux en se concentrant sur deux néologismes, écocide et climaticide, dont elle examine la présence dans un corpus de 450 publications (2014-2021). Grâce à une approche argumentative axée sur la dimension performative du discours, Lippert montre que les deux termes ont une visée « pathémique », participant « à une rhétorique de l’indignation, de le peur et de la douleur » (p. 197) et engageant la responsabilité de l’action humaine.
Silvia Domenica Zollo (« Les néologismes de Glenn Albrecht face au changement écologique. Entre créativité lexicale et bouleversement émotionnel », p. 203-221) explore les innombrables créations lexicales dans la traduction française de l’ouvrage de Glenn Albrecht Earth Émotions. New words for a new world (2019). Il s’agit d’une néologie « complexe qui remet en cause les frontières entre néologie dénominative et néologie littéraire ou connotative » (p. 208). Parmi les procédés de création, elle relève des compositions savantes (écoagnosie) ou hybrides (tierratrauma), mais aussi des mots suffixés, accompagnés de marqueurs typographiques ou de gloses. Les néologismes sont aussi créés par analogie ou par « rafales » (p. 215), donnant lieu à des séries d’occasionnalismes (ex. endémophilie, soliphilie, etc.).
Manuela Yapomo et Gaël Lejeune (« Les innovations lexicales dans le domaine des énergies renouvelables. Exploitation du contraste de corpus comme moyen de repérage », p. 223-245) proposent une méthode d’extraction semi-automatique des néologismes, reposant sur la comparaison d’un petit corpus de textes de référence sur le thème des énergies renouvelables (2005-2014) et d’un corpus générique de presse française (L’Est Républicain, de 1999 à 2010) ; par la suite, ils ont recours à la base de textes Europresse afin de « retracer l’émergence et la diffusions des innovations terminologiques relevées » (p. 231). L’étude se focalise sur trois types d’innovations : polylexicale (éolien maritime), sémantique (énergie verte) et syntaxique (comme dans la substantivation l’éolien).
[Giovanni TALLARICO]