Frassi, Paolo (dir.), Phraséologie et terminologie

di | 18 Febbraio 2024

Frassi, Paolo (dir.), Phraséologie et terminologie, De Gruyter, Berlin/Boston, 2023, pp. 329.

Cet ouvrage, publié sous la direction de Paolo Frassi, s’inscrit dans le cadre du projet d’envergure Les Humanités Numériques appliquées aux langues et aux littératures étrangères (2018-2022) du Département de Langues et Littératures Étrangères de l’Université de Vérone. Dans son introduction, Frassi signale le manque d’une méthode partagée chez les terminologues et les terminographes pour la description et le classement, selon des critères syntactico-sémantiques, des unités phraséologiques en langue de spécialité. En réponse à cette lacune, le volume, rassemblant quatorze études dans le domaine de la phraséologie et de la terminologie, s’intéresse, sous différentes perspectives, à la question des propriétés syntactico-sémantiques des unités multilexémiques de type phrasème, voire les locutions et les collocations (pp. 1-6).

L’ouvrage s’ouvre avec une contribution de Valérie Delavigne (Terme, phraséologie, discours – une approche socioterminologique, pp. 7-25) qui se focalise sur les discours spécialisés et sur l’usage, au sein de ces derniers, de terminologies propres à des pratiques sociales et à des communautés données, en adoptant une approche socioterminologique. S’appuyant sur les études de Legallois, Tutin et Mejri, Delavigne définit la phraséologie comme « un domaine qui traite les séquences lexicales perçues comme préconstruites » (p. 11) et constate que les fluctuations terminologiques, qui se sont produites au cours des siècles, sont essentiellement dues à des indéterminations d’objet entre termes, à des réassignations de sens ou à des créations néologiques. En essayant de comprendre comment les usagers s’approprient des connaissances, l’objectif du travail de Delavigne est celui de proposer une typologie des « objets phraséologiques » repérés en corpus (ex. termes complexes, collocations, formules et routines discursives) pour distinguer ceux relevant de la terminologie et ceux associés à d’autres types d’expressions.  

De son côté, Maria Francesca Bonadonna (Phraséologie et enseignement du français commercial – un parcours historique à travers les méthodologies de FLE, pp. 27-45) examine le statut de la phraséologie dans l’enseignement du français commercial, en se penchant sur l’évolution historique de la didactique du français dans ce domaine. Elle se focalise sur la présence des phrasèmes, voire locutions et collocations, dans les manuels, en mettant en évidence l’évolution des méthodes d’enseignements : l’excursus dressé par Bonadonna montre bien le passage de méthodes plus triviales, basées sur l’utilisation de listes de mots et de glossaires, à des méthodes plus innovantes, visant à mieux maîtriser la compétence communicative. Bonadonna remarque également l’apport essentiel de la lexicographie pédagogique (« Dictionnaire d’Apprentissage du français des affaires ») au XXème siècle et des ressources informatisées, telles que les réseaux lexicaux et corpus numériques, au XXIème siècle pour l’enseignement de la phraséologie. Pour le français commercial en particulier, l’enseignement de la composante métalinguistique résulte central, bien que cette dernière demeure peu développée dans les manuels traditionnels de FLE, à cause de sa nature chronophage.        

Avec la contribution de Maria Teresa Zanola (La formation des phrasèmes terminologiques entre diachronie et variation, pp. 47-58) on reste toujours dans le domaine de la phraséologie afin de cerner de plus près l’importance de la terminologie et des realia terminologiques dans la compréhension des savoirs et des pratiques d’une langue et d’une société. En effet, comme le dit l’auteure, « la terminologie favorise l’accès à la connaissance des domaines, permet la précision conceptuelle et contribue à la clarté dans la dénomination des objets » (p. 48). S’appuyant sur les fonctions lexicales de Mel’čuk (1997) et sur son approche de description des phrasèmes, Zanola se propose de démontrer le rôle central de la terminologie en tant que discipline transversale, en offrant des exemples propres du domaine scientifique monétaire et des mathématiques (ex. « vérité mathématique », « employer bien ses quatre deniers »). L’étude menée par Zanola met en lumière une grande variété lexicale et variation synonymique caractérisant le langage scientifique des mathématiques tout au long des siècles.

Delphine-Anne Rousseau (Phrasèmes terminologiques et collocations technolectales, pp. 59-81) se penche, quant à elle, sur la terminologie musicale ancienne en abordant, en particulier, les unités polylexicales en langue de spécialité. L’objectif principal de l’analyse est celui de formuler des hypothèses et des propositions pour distinguer « les syntagmes-termes des collocations propres à une langue de spécialité » (p. 73). À ce but, Rousseau reconnaît l’importance du contexte pour discrétiser entre ce qui relève du terme complexe et ce qui relève de la collocation. En même temps, elle introduit la notion de « collocation technolectale » pour se référer à des collocations spécifiques à un technolecte, c’est-à-dire à un vocabulaire technique propre d’une discipline. En revanche, Rousseau parle de « phrasème terminologique » indiquant avec cette notion « un terme complexe renvoyant à un concept précis au sein d’un domaine » (p. 75). En conclusion, pour compléter le cadre de cette étude, Rousseau définit aussi la notion de « phraséologismes » comme « des tournures de phrases […] qui confèrent leur caractère idiomatique aux textes produits par les spécialistes » et qui s’avèrent nécessaire pour la « pleine appropriation d’un technolecte » (p. 77).    

Tout en restant dans le domaine de la phraséologie, de son côté, Alain Polguère (Les modificateurs redondants et leur rôle en terminologie, pp. 83-104) réfléchit sur le rôle des syntagmes nominaux phraséologiques en terminologie de spécialité. En particulier, il se focalise sur ce qu’il appelle « modificateur redondant » (fonction lexicale Redun, dans le cadre de la Lexicologie Explicative et Combinatoire) qui a pour fonction principale celle de désambigüiser l’emploi en question et « marquer l’acception [parfois polysémique] du vocable nominal impliqué » (p. 84). Dans cette étude, la notion de redondance en terminologie est traitée en tant que faute de style, faux pléonasmes et bons pléonasmes (redondances phraséologisées) : ici, Polguère remet en question la perception négative des pléonasmes, soulignant que l’usage courant de ces expressions répond à des besoins communicatifs spécifiques. En conclusion, Polguère se pose le problème de la modélisation lexicographique des syntagmes collocationnels redondants dans le cadre des Systèmes Lexicaux (« vastes réseaux lexicaux dont l’ossature est principalement tissée par les relations de fonctions lexicales » (p. 97)) et il considère que la singularisation pourrait se révéler parfois cruciale lorsqu’ils présentent des éléments formellement similaires au vocabulaire de la langue générale (ex. liaison, liaison chimique). 

En lisant le texte de Jingrao Li et Agnès Tutin (Quels traitements pour la phraséologie scientifique transdisciplinaire dans une perspective d’aide à la rédaction ?, pp. 105-129), on a l’impression que les auteures s’adressent à un public composé en même temps de spécialistes et d’apprenants-chercheurs en formation. En effet, s’occupant de phraséologie scientifique transdisciplinaire, elles proposent une réflexion sur l’organisation d’une base de données (LST-SHS), servant d’instrument d’aide à la rédaction pour les étudiants-chercheurs en sciences humaines. Les auteures discutent des différentes approches d’accès à la base de données, notamment onomasiologique, sémasiologique, et par traduction, en soulignant l’importance de la simplification du métalangage et de l’intégration des aspects notionnels liés à la démarche scientifique. D’après elles, cela permettrait aux apprenants de maîtriser le lexique de la science, en ayant conscience des fonctions discursives et rhétoriques en œuvre dans un texte (ex. introduire le sujet, indiquer l’organisation du texte…), et de mieux comprendre le fonctionnement de la démarche scientifique, qui peut se dérouler selon différentes approches (ex. qualitative, quantitative, empirique, descriptive…).

L’article proposé par Daniela Liliana Dincā et Chiara Preite (Présence et traitement des collocations verbales dans les vocabulaires juridiques français, pp. 131-149) s’intéresse au vocabulaire juridique et à sa représentation dans trois ouvrages lexicographiques, voire le Vocabulaire du juriste débutant (Lerat, 2017), le Dictionnaire phraséologique plurilingue du droit (Lerat, 2017) et le Dictionnaire des coocurrences (Beauchesne, 2001). Les auteures soulignent la nécessité croissante de considérer les unités phraséologiques, dans leur dimension lexicographique surtout à des fins de traduction. Méthodologiquement parlant, l’étude méta-lexicographique en question est bâtie autour des classes d’objet <procédure> et <acte juridique>, pour lesquelles ont été identifié respectivement les termes « action », « poursuite », « procès », « recours » et « plainte », « réclamation », « requête », « réquisitoire ». Somme toute, l’analyse comparative des trois ressources lexicographiques met en évidence l’importance cruciale des collocations verbales dans la langue juridique, en vue de mieux connaître le lexique propre du domaine, conçu comme « un véritable réseau, un système articulé de liaisons et de rapports syntagmatiques et paradigmatiques dont il faut rendre compte » (p. 147).

L’étude présentée par Michela Tonti (Le phraséoterme à la confluence de la langue naturelle, de la langue de spécialité et des néoformations, pp. 151-187) se propose de jeter les bases pour une étude empirique de la phraséologie dans le domaine de la comptabilité, considérant trois branches principales de cette discipline, comme la comptabilité financière, la comptabilité de gestion et la gestion financière. Méthodologiquement parlant, l’analyse se base sur la constitution d’un corpus, constitué de 245 documents (revues scientifiques, guides opérationnelles…) couvrant la période 1999-2016, à partir de la base de données ProQuest. Ensuite, l’étude prévoit l’utilisation de TermoStat pour l’analyse comparative : l’objectif principal est l’identification de collocations néologiques, permettant de comparer les résultats avec un corpus de référence de la langue générale, issu du quotidien français Le Monde. En s’appuyant sur plusieurs ressources terminologiques telles que IATE, Franceterme, Belterme, TERMDAT, GDT et TERMIUM Plus et en analysant des exemples comme « travail de priorisation » ou « manager de terrain », l’auteure arrive à montrer le rôle crucial du collocatif dans sa fonction de spécificateur et à constater « le potentiel terminogène de l’adjectif » (p. 184).

Ping-Hsueh Chen et Rui Yan (Les constructions Verbe causatif+Nom dans les textes institutionnels, pp. 189-214), comme l’indique le titre de leur article, visent à comparer, par le biais d’un corpus institutionnel et politique (textes de l’ONU), les combinaisons Verbe causatif+Nom du français avec des structures linguistiques ayant le même sens en chinois. La sélection des verbes causatifs a été faite à partir des travaux précédents sur le thème de la causalité, en fixant un seuil de fréquence à 1000 occurrences. Ainsi faisant 33 verbes causatifs français ont été identifiés et classés en fonction de leur dimension sémantique (ex. verbes neutres, verbes aspectuels et verbes d’intensité forte/faible). En outre, la polarité (positive/négative) des arguments des verbes causatifs est un autre élément à considérer dans l’analyse pour mieux rendre compte de leur fonctionnement et de leur signification en contexte : la tendance générale est celle d’aller vers une connotation plutôt positive dans les combinaisons Verbe causatif+nom, comme le montrent les exemples « provoquer une chaîne de réactions pacifiques », « instaurer la stabilité », « éliminer la pauvreté et le dénuement ». Cela est probablement dû à la nature des textes qui composent le corpus de référence de cette étude: issus de l’ONU, ceux-ci ont comme objectif primaire celui de maintenir la paix et de garantir la sécurité internationale.

Éric André Poirier (Dispositif empirique semi-automatique de découverte des expressions multilexémiques et des patrons phraséologiques à partir d’un corpus parallèle de traduction spécialisée, pp. 215-237), pour sa part, décrit et discute les résultats de l’application d’un dispositif empirique pour extraire et découvrir des expressions multilexémiques (EM) et des patrons phraséologiques, typique du domaine juridique. En effet, ce travail a été conduit à partir du corpus parallèle LégisQuébec, comportant des textes législatifs traduits du français en anglais. Au total, le corpus d’analyse compte 1030 fiches, 515 lois traduites, composant un ensemble de 13,5 millions de mots. Méthodologiquement parlant, il est possible de diviser le travail en trois étapes : suite à la création du corpus parallèle et de l’alignement des textes, l’auteur a mené une analyse qualitative des paires des segments des corpus à l’aide de scripts en langage Python, en mettant en évidence les décalages de traduction entre le français et l’anglais. La troisième et dernière étape a consisté, de son côté, dans une autre analyse qualitative, visant à annoter les décalages lexémiques préalablement mentionnés pour essayer de détecter des phénomènes linguistiques liés aux expressions multilexémiques et des propriétés associées aux patrons phraséologiques.

L’étude proposée par Silvia Calvi, Patrick Drouin et Paolo Frassi (Acquisition (semi-)automatique des collocations terminologiques, pp. 239-258), en revanche, concerne, comme le suggère le titre, la question de l’extraction automatique et semi-automatique des collocations terminologiques, en se focalisant en particulier sur la langue du commerce international. L’étude présentée dans cet ouvrage suit, sous un point de vue théorique, le cadre de la LEC (Lexicologie Explicative et Combinatoire) (Mel’čuk, 1997) qui prévoit le recours au système des fonctions lexicales. L’étude pilote repose sur un sous-corpus extrait du corpus commercial DIACOM-fr, composé de 37 textes, relevant du domaine spécifique du droit et du commerce international. Pour ce qui est de l’extraction automatique des collocations, les auteurs se sont servis de trois logiciels tels que AntConc, TermoStat et SketchEngine et les résultats ont été filtrés manuellement pour éliminer les combinaisons non pertinentes, gardant exclusivement les collocations ayant les patrons Nom + Adjectif (ex. publicité trompeuse), Nom + Préposition + Nom (ex. part de marché) et celles à collocatif verbal (ex. conclure un contrat). Ce passage a permis l’identification de 68 collocations nominales et 24 collocations à collocatif verbal.

La contribution de Federica Vezzani (Vers une méthodologie pour l’extraction et la classification automatiques des collocations terminologiques verbales en langue médicale, pp. 259-277), présente un autre travail méthodologique sur l’extraction automatique et la classification des « collocations terminologiques verbales » (Costa, Silva, 2004), qui se concentre sur le domaine médical, ayant un haut niveau de spécialisation. L’enquête que Vezzani propose se compose de plusieurs phases qui vont de la collecte des textes médicaux, la tokenisation et la lemmatisation jusqu’à l’isolement de la base nominale et l’extraction des candidats collocatifs verbaux. Les textes composant le corpus proviennent du Manuel MSD et les termes médicaux, constituant la base des collocations terminologiques, ont été extraits à partir du thesaurus MeSH (Medical Subject Headings). L’annotation manuelle des verbes se base sur la notion de compositionnalité du sens de la collocation en examen. Une phase ultérieure est représentée par la « formulation de la vérité-terrain » pour l’étiquetage des données sur lesquelles s’appuieront l’entraînement et la validation du système. 

Comme le suggère le titre (Traits définitoires et configurations actantielles dans la fiche terminologique DIACOM-fr, pp. 279-304), l’étude menée par Nicoletta Armentano est consacrée aux traits définitoires et aux configurations actantielles présentes dans la fiche terminologique élaborée au sein du projet DIACOM. Armentano souligne que la rédaction des définitions est une tâche complexe, nécessitant des choix sur plusieurs plans, notamment le domaine, le définisseur initial, la structure et l’inclusion d’éléments pour éviter des ambiguïtés. En ce qui concerne les définitions de la fiche terminologique de DIACOM-fr, elles sont plutôt de type analytique, permettant ainsi « une automatisation du processus rédactionnel » (p. 288). Pour ce qui est, en revanche, de la structure actantielle, elle est basée sur le modèle de la LEC et prend en compte les actants sémantiques et leurs liens avec le terme, attribuant ainsi une structure logique à la définition. Méthodologiquement parlant, les sources qui ont été utilisées pour remplir les champs de la fiche terminologique, entre autres, sont le GDT (Grand Dictionnaire Terminologique) et la base de données Termium Plus. À cela Armentano ajoute aussi que la rédaction des définitions des termes complexes a été fait en utilisant comme modèle la formulation adoptée pour le terme simple. Cette démarche a permis, notamment, de montrer un réel transfert des propriétés du terme simple aux termes complexes qui composent son entourage.

En conclusion de ce volume, qui a offert un panorama exhaustif des dernières recherches en phraséologie et terminologie, Claudia Cagninelli (Du Développement durable à la transition écologique dans les tweets – des phraséotermes concurrents du domaine écologique ?, pp. 305-329) se consacre aux usages sur Twitter de deux phraséotermes du domaine écologique, c’est-à-dire transition écologique (TE) et développement durable (DD). L’auteure se propose d’analyser les profils lexico-discursifs de ces deux phraséotermes en deux phases : la première phase explore les thèmes fréquemment abordés en association avec ces deux termes, alors que la deuxième phase se focalise sur les implications pragmatiques de TE et de DD, en s’appuyant sur des analyses discursives et linguistiques. De cette étude, il ressort que les discours sur Twitter privilégient souvent la TE par rapport au DD et que les deux termes sont associés à des enjeux pragmatiques différents : l’usage de TE révèle une planification proactive pour éviter la détérioration ultérieure de la planète, tandis que le DD est présenté comme un objectif à atteindre, reliant les deux termes dans une stratégie nationale de transition écologique.

[Francesco FARESIN]