Emmanuelle PRAK-DERRINGTN, Dominique DIAS (éds.), Politiquement incorrect 

di | 19 Ottobre 2023

Emmanuelle Prak-Derrington, Dominique Dias (éds.), Politiquement incorrect,  in « Le Discours et la Langue », Revue de linguistique française et d’analyse du discours, Tome 13.2 ([2021] 2022), pp. 152.  

Comme le suggère le titre, ce numéro s’intéresse au « politiquement incorrect », notamment à ses définitions et à ses manifestations en discours, analysées au fil de diverses études. D. Dias, M.-L. Durand & E. Prak-Derrington avaient déjà illustré les caractéristiques du politiquement correct en 2021, et s’intéressent ici à son antonyme, le politiquement incorrect. Cette formule se réfère au « politique », qui ne concerne pas que le pouvoir et le gouvernement, mais aussi la structure humaine et sociale (p. 9). Son antonyme, « politiquement correct », est un calque de l’anglais américain « political correctness », traduit par nombre de langues, qui a été défini dans ce volume comme une « éventuelle restriction de la liberté de parole au nom du respect des minorités » (p. 11). La paire politiquement correct/politiquement incorrect intéresse les chercheurs pour son pouvoir polémique et pour son lien avec le langage ; en effet, la compréhension de ce couple antinomique est liée à la dimension référentielle et métalinguistique du langage (p. 12), et sert surtout à désigner des pratiques langagières. Le terme « politiquement correct » atteste la croyance en la performativité de la langue, et son antonyme « politiquement incorrect » présuppose l’existence d’une dénomination directe et défend la liberté d’expression (p. 13).   

Le numéro, très hétérogène, s’organise en 3 sections : dans la première, nous retrouvons les définitions de « politiquement incorrect », surtout utilisé dans le domaine idéologique, culturel et artistique, dans la deuxième il y a une analyse du lien entre féminisme et incorrection et dans la troisième une étude du lien entre la liberté de ton et la neutralité scientifique des normes académiques. Notamment, nous y retrouvons une plaidoirie de l’insulte comme patrimoine de l’humanité et comme besoin. La conclusion est constituée par un ensemble d’aphorismes de François Vaucluse sur trois thématiques : reconfiné, identités, climatique (p. 15-16).  

Dans la première section, consacrée aux définitions, le politiquement correct est défini comme une forme d’interventionnisme langagier et le politiquement incorrect comme un corollaire de son antonyme. Comme le remarque D. Dias, ces termes sont très utilisés dans les médias et sont caractérisés par un contenu sémantique vague (p. 21). En allemand, pour se référer à un usage raisonné de la langue on parle aussi de sprachkritik, réflexion métalinguistique ayant des vertus morales (p. 22). D. Dias propose ensuite nombre d’études et recherches sur le sujet, dont des polémiques métalangagières sur Twitter, afin de montrer qu’en discours le sens attribué au politiquement correct est de : norme, atténuation, mensonge, censure, idéologie (le trait le plus marqué), protection. Ce dernier est le trait le moins présent, et il constitue une défense des principes du politiquement correct (pp. 26-29). On arrive à la conclusion que le politiquement correct et le politiquement incorrect réalisent bien les quatre propriétés de la formule définie par A. Krieg-Planque : ont un caractère figé, s’inscrivent dans une dimension discursive, fonctionnent comme référent social et comportent un aspect polémique parce qu’elles sont toujours remises en cause (p. 36).  

Ensuite, pour effectuer une analyse de la vision du politiquement incorrect, on adopte une double approche : une interprétation à partir d’un corpus savant qui conceptualise la notion de politiquement incorrect, la définition discursive de « politiquement incorrect » sur la base des corpus scientifique et médiatique et son appréciation par les acteurs médiatiques. En général, on remarque que la valeur du politiquement incorrect est lié à la liberté d’expression, vérité, honnêteté et donc au franc-parler. Pour une analyse de l’aspect politique, il y a une étude des discours de Hillary Clinton, qui a donné l’impression de craindre d’être politiquement incorrecte, et de l’ethos de Donald Trump (p. 39-60). Ce dernier affirme qu’un grand problème de sa nation est qu’elle est politiquement correcte (p. 44) et il se définit comme politiquement incorrect car il ne dit que la vérité (p. 47) ; le politiquement incorrect est ici également associé à l’action et à l’esprit d’entrepreneuriat. Ensuite, l’analyse se concentre sur les discours Trump-Clinton, où les manifestations de politiquement incorrect sont souvent liées aux injures de corruption. Cependant, Trump utilise de nouveau l’expression « politiquement incorrect » avec un sens positif pour son ethos, celui de « vérité » (p. 57), se déclarant comme le défenseur de la politique ; cette expression est aussi utilisée de façon métadiscursive.   

E. Prak-Derrington traite ensuite du politiquement incorrect de l’humour noir, en affirmant que « s’il est un domaine où le politiquement correct n’a plus cours, c’est bien celui de l’humour », car « l’humour se soustrait à l’impératif de politesse et de correction qui régit la communication en société » (p. 63). L’humour noir cherche à résister à la censure, et la chercheure se demande jusqu’à quel point l’humour peut-il être incorrect. Cette partie est divisée en trois sections : dans la première, on décrit l’humour noir comme une fusion entre humour et ironie ; dans la deuxième il y a la présentation d’un continuum du politiquement incorrect humoristique, du politiquement neutre au politiquement très incorrect, où l’humour prototypique peut être politiquement incorrect, mais l’humour noir est politiquement très incorrect. L’humour noir s’occupe de parler des sujets tabous et les tabous peuvent susciter une réception négative ; même le blasphème est, selon l’autrice, mieux accepté que l’humour noir (p. 74).  

Dans la troisième partie, l’autrice introduit l’étiquette « second degré » pour subsumer les formes qui se trouvent entre humour et ironie, en le décrivant comme un « dédoublement énonciatif ». Celui de « second degré » n’est pas un concept spécialisé, mais une expression empruntée au français courant pour indiquer quelque chose qui présente deux niveaux d’interprétation, et l’humour est le second. L’autrice souligne que la réception dépend du récepteur et de la quantité d’interprétation, ce qui fait partie du domaine sociologique ; du point de vue de la langue on parle de l’existence de deux niveaux sémantiques. De plus, la présence du second niveau alimente la naissance de mécanismes comme les jeux de mots. L’autrice affirme : « l’ambiguïté du second degré excède la sémantique, c’est une duplicité pragmatique qui porte sur la présentation de soi du locuteur ou de la locutrice » (p. 80).   

La recherche suivante, sous la direction de F. Provenzano e L. Zinzius est intitulée « Fémininement Incorrect » et enquête sur un corpus issu du magazine Causeur, presse généraliste d’actualité et d’opinion. L’analyse est centrée sur des manifestations d’antiféminisme dans le magazine ; par exemple, lors de la défense d’une hypothèse de la nature terroriste du féminisme contemporain. En effet, Causer associe le féminisme au politiquement correct en tant que « police de la pensée » (p. 93). De plus, le féminisme se prend des libertés que le magazine condamne (expression, prostitution, etc.), au point qu’on arrive à accuser le féminisme avec des expressions ironiques et mordantes, le décrivant comme une secte (p. 95) qui fait du terrorisme religieux, une comparaison qui se base sur l’obéissance aveugle des fidèles. Ensuite, l’anti-politiquement correct devient politiquement incorrect sous prétexte de la proposition de Causer d’un contre-modèle de politiquement correct considéré positif. Son ethos défend des valeurs de camaraderie blagueuse et complice, même dans l’insulte (p. 99). On en déduit que l’incorrection de Causer est politique car elle catégorise toute forme de correction comme négative, disqualifiant par défaut tout ce qui est considéré comme trop conforme aux attentes, et parce qu’elle s’attribue le monopole de l’incorrection (p. 100).   

L’analyse successive s’interroge sur le politiquement incorrect d’Hysteria, une corporation universitaire autrichienne féministe et provocatrice, qui se déclare ouvertement politiquement incorrecte. Dans cette section, O. Schneider-Mizony a travaillé sur le contre discours féministe, en analysant les happenings et les textes des membres de Hysteria. La corporation dénonce la violence masculine, prétendument à l’origine de l’hystérie féminine, et la création de cette confrérie serait une rébellion face à l’exclusion des femmes des confréries masculines qui empêchent leur émancipation. Dans ces discours on parle de mort du patriarcat en utilisant des termes appartenant au champ sémantique de la mort, dont « cortège funèbre pour le patriarcat » (p. 113) et les discours produits ont le but de déconstruire les stéréotypes homme-femme. Le politiquement incorrect des actrices d’Hysteria pourrait être, selon l’autrice, le reflet d’une quête de reconnaissance, d’un ressentiment, ou d’un désir de notoriété.   

Dans la section Académiquement Incorrect on parle du rôle de l’insulte dans la langue : la langue sert à communiquer, et l’insulte communique les sentiments. L’insulte est ici décrite comme un acte pur, sans besoin de matériaux particuliers, qui est aussi un instrument de pouvoir (p. 127). On la définit comme un patrimoine immatériel de l’humanité, mais qui doit se défendre du politiquement correct.   

Après les aphorismes, nous retrouvons une analyse de l’expression « Marchons Enfants !», un contremouvement qui voudrait la suppression de la PMA (procréation médicalement assistée) pour tous. Dans ces discours, à travers ce système idéologique de valeurs, il y a le maintien d’une hiérarchisation entre les types de familles, par le biais d’un discours de radicalité qui porte avec soi une vision de l’hétérosexualité comme norme sociale. Les discours anti-PMA se concentrent principalement sur le prétendu « égoïsme des femmes lesbiennes » qui souhaitent avoir un enfant, sous prétexte que « les enfants ont besoin d’une mère pour la douceur et d’un père pour la force » (p. 146). Cette nécessité entraine la défense de la « famille traditionnelle », et ce refus de l’homosexualité n’admet ni réponse ni négociation.  

Pour conclure, ce numéro donne un aperçu précis de ce que c’est le politiquement incorrect et du phénomène dans la société contemporaine, d’un point de vue à la fois politique et socioculturel. De plus, le volume offre une perspective stimulante et controversée sur un sujet de plus en plus présent dans notre société contemporaine, en fournissant des analyses ponctuelles de ses manifestations dans des canaux différents, dont la presse, la politique et les associations.  

[Rachele SCHIERA]