Dominique MAINGUENEAU, L’ethos en analyse du discours

di | 18 Febbraio 2024

Dominique MAINGUENEAU, L’ethos en analyse du discours, Louvain-la-Neuve, Éditions Académia, collection « Au cœur des textes », n. 41, 2022, pp. 184.

L’ethos en analyse du discours est un ouvrage de référence sur l’« ethos » qui permet de mieux éclairer ce concept à partir des travaux et des publications de Dominique MAINGUENEAU, parus depuis les années 1980 dans le cadre des sciences du langage. C’est plus en détail dans le champ de l’analyse du discours de tradition française, dont cet auteur est l’un des principaux représentants – courant pragmatico-énonciatif –, que l’ethos est traité et c’est également sous cette dénomination graphique, « ethos », qu’il est indiqué dans le cadre de ses recherches. Ce volume vise ainsi à faire connaître les multiples facettes dont l’ethos fait l’objet dès les dernières décennies du 20e siècle, distinguant sa conception traditionnelle issue de la rhétorique aristotélicienne de celle qui relève de l’analyse du discours. C’est ce qui est souligné dans l’Avant-propos (pp. 5-7), où l’« ethos » est défini comme « potentiel », comme « notion » et comme « concept ». Or, l’ethos comme concept est lié aux différents champs de recherche qui peuvent l’intégrer, parmi lesquels celui – privilégié – de l’analyse du discours, qui le conçoit comme discipline intégrant énoncés et lieux d’énonciation via des dispositifs de communication. L’idée de consacrer un volume monothématique à la question de l’ethos ressort également de la volonté de l’auteur de contribuer à combler un vide, en raison des diverses manifestions qui intéressent l’ethos dans des énonciations relevant de champs de recherche et d’application différents. Les six chapitres de L’ethos en analyse du discours visent donc à présenter la perspective de l’auteur à l’égard de l’ethos en analyse du discours à partir des corpus variés qu’il a exploités au cours de ses recherches. Hormis le chapitre premier, chaque chapitre se compose de deux sections qui traitent d’ethos liés à des situations d’énonciation différentes, relevant de la sphère tant publique que privée.

Le chapitre premier, Problèmes d’ethos (pp. 9-34), ne vise pas à définir l’ethos mais à le problématiser par rapport à son utilisation dans le langage de la part de sujets-locuteurs et de destinataires dont les intérêts sont souvent divergents, par rapport auxquels chaque personne prenant la parole cherche à orienter l’interprétation des signes qui seront reçus par les destinataires. Après avoir introduit la manière dont l’ethos est conçu dans la tradition rhétorique et dans sa conceptualisation pragmatique par Ducrot (1984), à savoir en tant qu’effet du discours, l’auteur propose les distinctions suivantes : ethos « dit » vs « montré » ; ethos « discursif » vs « prédiscursif » ou « préalable » (Amossy 2021) ; ethos « intrinsèque ». Le but est d’appréhender l’ethos par rapport à un cadre générique et à un individu engagé dans une activité de production de signes. Il émerge que l’ethos intervient sur toutes les composantes de la « scène d’énonciation ». Les « problèmes d’ethos » qui font l’objet de ce chapitre sont au nombre de quatre. Le premier est celui de « l’incorporation », le processus par lequel le sujet-récepteur est engagé dans l’ethos à partir de l’énonciation qu’il reçoit par un « garant », par rapport à laquelle il construit une représentation basée sur des stéréotypes valorisants ou dévalorisants. MAINGUENEAU se sert d’exemples, même iconographiques, tirés de la publicité, de la politique, surtout médiatisée par la presse, pour mettre en évidence la manière dont l’ethos est évalué et les difficultés que son interprétation peut poser, ce qui représente un autre « problème d’ethos ». Plus en détail, il s’agit des cas, très récurrents, où l’ethos n’est pas étudié à partir de corpus et de genres de discours normés. Les exemples utilisés concernent des annonces sur les sites de rencontre mais aussi des interactions orales – y compris celles au quotidien, lorsque les sujets-locuteurs et interlocuteurs ne sont pas assignés à des rôles –, à l’exception de celles qui relèvent tant de genres très normés que de genres de discours où l’interaction orale est conflictuelle. Il en est ainsi du débat politique télévisé, où l’ethos est « flottant » et s’oppose, bien que dans un continuum, à un ethos « compact ». Ce dernier, qui fait l’objet des exemples exploités par MAINGUENEAU dans cet ouvrage, consiste à voir une convergence entre ethos « montré », ethos « dit » et contenu de l’énoncé. Le troisième ordre de problèmes aborde, à partir d’exemples surtout littéraires, l’ethos « intertextuel », l’ethos « collectif » et l’ethos « multilocutoire ». Or, si l’ethos « collectif » permet au sujet-locuteur en tant que membre typique d’un groupe de montrer qu’il appartient à la communauté par laquelle il veut être reconnu, l’ethos « multilocutoire », qui est montré à partir de deux tableaux de David, ressort d’un ensemble d’individus qui produisent la même énonciation, par ailleurs établie au préalable. En revanche, l’exemple de deux courts textes affichés sur un mur présentant deux personnes permet d’aboutir au problème des énoncés où « personne ne parle », autrement dit l’« effacement d’ethos ». Les enjeux discursifs qui sont liés à cette dernière notion amènent MAINGUENEAU à se référer plutôt à un ethos « décorporé », la « décorporation » relevant de genres de discours contraints, dont la science, le droit ou l’administration, à partir de « scènes génériques » imposant des « scénographies » avec un effacement énonciatif. Au-delà de ces cas normés, l’auteur signale également ceux pour lesquels : a. aucune prescription n’est imposée, b. les attentes des destinataires diffèrent de l’énonciation qui est présentée, c. les sujets-locuteurs sont contraints par un genre de discours à hésiter entre ethos « décorporé » et « ethos montré ». L’ensemble de ces aspects, qui sont repris et argumentés au fil des chapitres, montre ainsi la multiplicité et la diversité de l’ethos.

Dans la première partie du chapitre II, Montrer qui on est (pp. 35-56), à l’appui d’exemples de genres liés tant à l’espace public qu’à la vie privée, MAINGUENEAU souligne que les sujets-locuteurs sont toujours soumis à des contraintes qui leur sont imposées par la situation de communication, ce qui affecte leur manière de se montrer. L’annonce rédigée pour un site de rencontres est le genre évoqué pour y réfléchir. Celle-ci permet de montrer que, en dépit des dispositifs des sites de rencontre incitant à rédiger des annonces où il y a convergence entre ethos « dit » et ethos « montré », il n’est pas rare d’avoir affaire à des cas de rupture entre eux, voire à des cas marginaux d’« exténuation » de l’ethos « dit » à l’avantage du seul ethos « montré. ». Ces derniers cas engendrent des problèmes en termes d’interprétation de l’ethos, qui est source de perplexité et peut être soumis à une sorte d’altération selon l’interprétation qui lui est attribuée. Pour ce qui est, en revanche, des cas de convergence entre ethos « dit » et « montré », MAINGUENEAU analyse les annonces où un travail sur la langue est sciemment effectué, affectant un style qui est le résultat de l’ethos « montré ». Cependant, même dans de tels cas, l’interprétation des destinataires reste en partie inconnue. La question du style est mieux approfondie dans la seconde partie de ce chapitre, qui est consacrée à la « vie littéraire » (p. 47) et donc à la figure de l’écrivain. La comparaison entre les sujets-auteurs de manifestes littéraires et ceux qui rédigent des annonces sur les sites de rencontre souligne que, malgré des convergences affectant les deux sujets et leurs productions, seul le manifeste en tant qu’œuvre littéraire ressort de l’ordre verbal. Il est pourvu d’une justification à sa publication en raison d’un événement énonciatif, ainsi que de caractéristiques formelles et pragmatiques qui le caractérisent. Ses sujets-énonciateurs montrent une convergence entre ethos « dit » et ethos « montré » dans la « scène générique », tandis que dans la « scénographie » il est possible d’avoir trait à une convergence ou à une rupture entre les deux ethos. L’exemple du Manifeste du Futurisme d’avant-garde de Marinetti est présenté pour signaler qu’une convergence qui fait suite à une rupture est même possible, puisque le sujet-énonciateur s’expose en exposant une doctrine. Cet exemple est suivi d’un autre manifeste d’avant-garde, le Manifesto antropofago de 1928, où l’ethos « montré » recèle l’exposé de la doctrine et où on a donc affaire à une « exténuation » de l’ethos « dit ». Ces remarques permettent donc de souligner que les deux genres de l’annonce et du manifeste littéraire présentent, au-delà de leurs différences, des points communs : dans les deux cas, les sujets-locuteurs doivent gérer la relation entre ethos « dit » et ethos « montré » et on présuppose un « soi » tant offert au regard d’autrui que produit de l’énonciation par laquelle il est présenté.

Dans la première partie du chapitre III, Faire adhérer (pp. 57-84), l’auteur définit d’abord l’expression « faire adhérer » : lorsqu’elle est liée à une idéologie, elle se réfère à un discours qui assigne une identité à des individus, donnant sens à leur existence. L’analyse à conduire doit donc s’intéresser à la manière dont l’ethos intervient dans des textes appartenant à divers genres relevant d’un même positionnement : c’est la tâche qui incombe à l’analyste du discours. Les domaines politique et publicitaire sont caractérisés par la visée de « faire adhérer » rapportée à une idéologie, qui est examinée à partir de l’emploi des deux adjectifs « doux » et « clair » dans le cadre, respectivement, du courant de l’humanisme dévot issu de la Contre-Réforme catholique et de l’opposition entre la doctrine de l’École laïque et obligatoire de la République et le mouvement monarchiste de l’Action française. À partir de l’Introduction à la vie dévote de François de Sales, adressée aux fidèles, MAINGUENEAU étudie les occurrences de doux et de ses dérivés et associés pour montrer que sa polysémie, par laquelle il est à l’intersection des axes sémantiques de ce positionnement religieux, lui permet de condenser les oppositions sémantiques fondamentales qui caractérisent ce positionnement. Le sujet-énonciateur peut ainsi susciter l’adhésion via cet ethos « doux », activant l’incorporation des destinataires à l’humanisme dévot. Pour ce qui est de clair, tant dans le discours scolaire républicain que dans le discours de l’Action française, ce sont la scène d’énonciation et la langue qui sont en cause, étant donné que la clarté revient dans les deux champs scolaire et politique à la langue, mais par rapport à des réseaux sémantiques opposés et à des visions du monde antagonistes. Selon l’école républicaine, la clarté de la langue est fondée sur un discours issu des Lumières, contre l’obscurité, pour lequel le schème du « Progrès » et celui de la centralité scolaire témoignent du rôle de l’institution scolaire dans un discours scolaire républicain et, via les manuels scolaires, suscitent l’incorporation des enfants. Même le discours de l’Action française s’appuie sur la Raison et sur le combat contre l’obscurité, mais au nom d’une entreprise de « restauration nationale » et d’une réinscription dans une filiation gréco-latine empreinte de la lumière de la Méditerranée. Le renvoi est ainsi à un univers de clarté classique et humaniste, et à l’écriture néo-classique enracinée dans une langue claire, à une restauration de l’Ordre et à ses règles. D’où l’incorporation de ses destinataires, ce qui est un trait commun à tous les positionnements examinés. Dans la seconde partie du chapitre, l’auteur s’appuie sur l’ethos de l’« entrepreneurial spirit » relevant des sujets agissant dans le cadre de la « nouvelle économie », notamment les start-ups, à partir des angles du discours prescriptif et des représentations médiatiques de l’ethos « entrepreneurial ». Il résulte, à partir des exemples examinés, que cet ethos relève du corps du sujet-énonciateur et de la langue anglaise, et qu’il est incarné dans des personnages-icônes qui ont atteint une conversion professionnelle exemplaire de l’ancienne à la nouvelle économie, mais qui doivent aussi faire face à un anti-ethos, d’où le sujet-entrepreneur doit sortir par son caractère. C’est toujours via le discours prescriptif et la représentation médiatique que sont présentés la corporalité et le monde éthique de l’« entrepreneurial spirit », incarnés par la publicité d’une école de business et de management via un corps masculin de surfeur. Au bout de cette analyse, il émerge qu’il y a convergence entre l’ethos discursif de l’énonciation, l’ethos « dit » et l’ethos « vu », dans un monde en mouvement avec des opportunités qui sont saisies par les sujets disposant de la « vision » adéquate, qui y investissent aussi leurs corps.

Ce sont des ethos « médiateurs » dans l’espace public qui font l’objet du chapitre IV, consacré aux Ethos polyphoniques (pp. 85-115). La première section aborde l’ethos des sujets-locuteurs politiques, lesquels, pour être légitimes, doivent montrer de parler au nom d’une collectivité par rapport à laquelle ils se présentent comme porte-paroles. Les exemples cités, à savoir un discours de Robespierre plaidant en faveur de l’abolition de la peine de mort et la profession de foi de José Bové lors de l’élection présidentielle de 2007, sont examinés et comparés par MAINGUENEAU en vue de souligner que le premier discours affiche un ethos montré « républicain » lié à un ethos vertueux issu de mises en scène associées à l’Antiquité, tandis que le second texte, où l’ethos « dit » est essentiel, affiche un ethos « de porte-parole » inspiré, porté par un groupe qui va au-delà des catégories établies pour s’ouvrir également aux femmes – d’où un éthos « féministe » par l’emploi de l’écriture inclusive. C’est le renvoi à la Révolution de 1789, tout comme à l’Antiquité par Robespierre, qui permet de parler également d’un ethos « maître », caractérisé par l’appui sur des massifs historiques incontournables. La mise en scène du corps de José Bové dans sa profession de foi et dans les photos qui l’accompagnent est l’occasion pour étudier également la politisation de la tenue vestimentaire. À partir de l’analyse de deux autres professions de foi, il émerge que surtout auprès des personnes candidates issues de mouvements politiques plus radicaux ou de partis qui sont l’expression d’un secteur de la société, la manière de s’habiller est le résultat d’un ethos « montré » mu par des revendications. La seconde partie du chapitre aborde l’ethos « prédiscursif » de sujets-locuteurs qui interviennent dans l’espace public en tant que porte-paroles de personnes « qui méritent la compassion » (p. 103), autrement dit des sujets-médiateurs compatissants. Pour l’examiner, MAINGUENEAU se sert de divers textes pourvus d’une valeur esthétique présentant le registre de l’ethos « compassionnel » : la présentation de soi que donne le groupe musical « Les Sans Voix » contre toute oppression ; la chanson des « Enfoirés » sponsorisant une cantine gratuite à Paris ; une vidéo-témoignage de personnes ayant subi des violences sexuelles. Ces textes donnent voix et corps aux « Sans Voix » à partir d’un « superethos » relevant de personnalités de la « sphère haute ». Cet ethos est ensuite opposé à celui des sujets-administratifs, à savoir ceux qui sont en charge des personnes souffrantes et qui présentent un ethos « décorporé », puisque c’est l’institution à laquelle ces sujets sont rattachés qui est responsable de l’énonciation. Les exemples cités à cet égard concernent la célèbre « Rafle du Vél’ d’Hiv » à Paris, notamment la situation de blocage d’empathie des agents exécutant les ordres contenus dans deux circulaires, et une vidéo de 2007 de l’armée américaine à Bagdad concernant le massacre de personnes civiles. Donc, si dans la médiation compatissante la singularité du médiateur porte-voix est absorbée dans une humanité partagée et elle se légitime par l’extra-ordinaire, l’ethos « administratif » ignore tant l’individu que l’humanité puisque ses sujets-locuteurs et ses destinataires ne remplissent que des places définies par l’institution concernée.

Le chapitre V porte sur les Ethos enchâssés (pp. 117-144), autrement dit les cas d’enchâssement d’un ethos dans un autre, que MAINGUENEAU étudie à partir de la littérature – le théâtre de Molière et des romans du XIXe siècle. Dans le théâtre, qui est le lieu privilégié de l’ethos « enchâssé », les ethos « montrés » des personnages dépendent de l’ethos d’un sujet-auteur, archiénonciateur, qui parle via sa pièce et dont l’ethos est le résultat de son œuvre. La relation entre les ethos des personnages et du sujet-archiénonciateur n’est pas stable, puisque la plupart des dramaturges font parler leurs personnages en vertu de leurs caractéristiques sociales, mais il arrive également que ces deux ethos interfèrent avec celui du sujet-metteur en scène, surtout depuis la fin du XIXe siècle. Le choix de s’appuyer sur des comédies, notamment le Misanthrope et L’École des femmes de Molière, permet à MAINGUENEAU de montrer que l’ethos des personnages va vers celui de leur archiénonciateur. Les personnages des deux pièces sont le résultat tant de la référence à une catégorie sociale ou psychologique que de la mise en jeu de la part de leur auteur, d’où une tension entre des positions encadrées dans des stéréotypes sociaux. L’énonciation théâtrale fait émerger les points de vue des personnages et met à l’arrière-plan l’ethos du sujet-archiénonciateur. Or, l’ethos de sujet-archiénonciateur vs celui des personnages, et l’ethos du sujet-narrateur vs celui de ses personnages diffèrent surtout en raison de la présence, dans le second cas, d’échanges au style direct. L’appui sur trois extraits de romans – Emma de Jane Austen, L’Assommoir de Zola et L’Ensorcelée de Barbey d’Aurevilly – permet de comparer l’ethos des personnages avec celui de leur sujet-narrateur. Dans le premier roman, la narratrice occupe une position d’arbitre par rapport aux nombreux dialogues au style tant direct qu’indirect libre : l’ethos des personnages féminins est en contraste avec celui de la narratrice. Son ethos est légitimé de manière oblique via des normes langagières et comportementales, par rapport auquel le lectorat montre un ethos d’adhésion aux modèles de comportement issus de l’éthique conversationnelle des personnages. Le deuxième extrait présente en revanche l’opposition entre sujet-narrateur et personnages, issus du monde ouvrier parisien, en raison d’une fracture sociolinguistique : l’énonciation enchâssante vise ainsi à faire découvrir au lectorat un monde qu’il ne connaît pas en recourant au style indirect libre et en mettant en relief l’ethos discursif populaire. Il en résulte un ethos d’archinarrateur de Zola, notamment un ethos de romancier naturaliste qui fait parler le peuple. Enfin, dans le troisième extrait, c’est l’ethos discursif du paysan qui doit émerger à partir d’un narrateur intermédiaire qui partage tant le monde du romancier et de son lectorat que celui de ses personnages paysans normands. L’ethos des personnages est distinct de celui du romancier en raison du caractère, contrairement à l’extrait de L’Assommoir, où le détachement est lié à la corporalité des personnages. L’analyse de ces trois extraits permet d’attribuer à leurs sujets-auteurs l’ethos de médiateurs pour Zola et Barley, celui de régulatrice pour Jane Austen.

Enfin, le chapitre VI, La part des choses (pp. 147-170), porte sur le sujet-locuteur à l’oral ; il concerne notamment la manière dont la « scène d’énonciation » conditionne tant la scène de parole que l’ethos par rapport à l’« agencement », c’est-à-dire l’organisation de l’espace de la communication. Les agencements examinés relèvent de la télévision : s’il s’agit d’émissions télévisées, ils sont produits par des sujets-agenceurs bien identifiés et experts, mais il existe également des agencements routinisés qui sont l’effet de la « scène générique ». Leur distinction n’est cependant pas tranchée, comme en témoignent les exemples présentés, relevant de l’ethos de F. Hollande lors du débat d’entre deux tours en 2012 et de son discours après les attentats islamistes de 2015. L’agencement montre un éthos de sujet-surlocuteur dans le premier cas et un lien avec une « scène rhétorique » dans le second. Toujours en vue d’éclairer l’« agencement », l’auteur s’intéresse également aux conditions permettant à la parole d’être audible et au sujet-locuteur d’être visible. C’est pourquoi il souligne les évolutions des techniques de communication audiovisuelles, multipliant les situations d’enchâssement des agencements par rapport au passé – tel est le cas des sermons religieux et de l’éloquence politique à la radio et à la télévision. Puisque les agencements peuvent également relever d’imprimés, un ethos « éditorial » peut être activé par le nom d’un sujet-éditeur. MAINGUENEAU présente ainsi des exemples de publications philosophiques rédigées par le même auteur, Michel Serres : son ethos est, dans le premier cas, « universitaire », de spécialiste, en tant qu’adjuvant du lectorat, dans le second, de penseur singulier qui expose une doctrine personnelle. Ces divergences apparaissent également au niveau éditorial : le premier ouvrage est publié par une édition spécialiste de publications académiques, l’autre par une édition qui s’intéresse à des avant-gardistes. En tout cas, dans les deux ouvrages il émerge un ethos éditorial et un ethos auctorial en harmonie, mais cela n’est pas toujours le cas. En effet, pour le troisième exemple, portant sur un livre de Pierre Guyonat, la maison d’édition a dû légitimer par une collection un texte problématique en termes linguistiques et graphiques. Enfin, dans les activités discursives ritualisées, qui font l’objet de la dernière section du chapitre et du volume, l’agencement fait partie intégrante de la scène générique, comme il est montré à partir des rituels religieux et de la réforme liturgique du concile Vatican II, comportant des implications en termes d’ethos et des contraintes pour le corps du sujet-locuteur. Le nouvel agencement issu du concile engendre des réagencements de l’espace liturgique. De même, le passage du latin au français transforme le sujet-locuteur de catholique à croyant, ce qui est également témoigné par l’agencement des textes latins, dont le Confiteor latin, là où le texte français montre un recentrement sur la relation entre Dieu et les fidèles. Il en va de même pour le confessionnal et pour l’agencement ritualisé de la confession, autrefois scandé par des étapes à respecter et par une énonciation résultant du rôle assigné aux sujets-participants. L’agencement de la confession n’est désormais plus prescrit par la « scène générique » et c’est autour de l’échange entre deux sujets-interlocuteurs que le sacrement a lieu, de manière symétrique et sans agencement fixe, comme les exemples examinés par MAINGUENEAU en témoignent. Les dernières remarques de l’auteur comparent la proximité désormais liée à la pratique religieuse et celle qui est liée à des pratiques profanes, notamment la séance d’analyse dans le cadre de la psychanalyse, évoquant ainsi la relation étroite entre agencement et ethos.

Dans la Conclusion (pp. 171-174) générale, MAINGUENEAU souligne les pouvoirs et les limites de l’ethos. Il rappelle ainsi qu’il est lié au monde contemporain et à des emprunts de l’angloaméricain tels que « look », « style/lifestyle », « branding », ce qui prouve que sa diffusion est allée au-delà des vocabulaires spécialisés. Pour autant, cette diffusion peut se révéler également une limite lorsque ce n’est plus l’approche discursive de l’ethos qui est prise en compte mais une approche par laquelle l’ethos glisse vers la sociologie. De même, l’auteur constate que si l’appareil méthodologique des analystes du discours a augmenté et l’analyse de l’ethos concerne désormais l’ensemble des manifestations du discours, il est essentiel de s’interroger sur la rentabilité heuristique de l’étude de l’ethos. Si celle-ci est pour la plupart orientée vers des corpus littéraires ou politiques en raison de la volonté d’analyser la singularité d’un sujet-locuteur qui doit se positionner dans un champ établi avec sa propre scénographie, l’auteur prône une analyse de l’ethos qui sorte aussi de ces corpus privilégiés pour aborder d’autres genres de discours. Cependant, au-delà de l’intérêt envers un genre de discours en particulier, l’auteur rappelle que l’ethos ne peut pas être étudié isolément car il relève de l’étude de l’énonciation. De surcroît, il ne peut pas être appréhendé comme un élément bien identifié et stable.

Ce volume montre ainsi, dans une perspective d’analyse du discours, que l’ethos porte sur la manifestation de la parole et que son étude de la part de l’analyste du discours doit tenir compte des nombreuses facettes de ce phénomène. En témoignent les nombreux exemples examinés par l’auteur, tant textuels que multimodaux, relevant des annonces sur les sites de rencontre, des prières, de la propagande politique, de la publicité commerciale, des conseils en management, des romans, des pièces. Les réflexions présentées au long de cet ouvrage permettent à Dominique MAINGUENEAU de confirmer que l’ethos joue un rôle essentiel dans le cadre de l’analyse du discours mais également qu’il s’avère être un concept incontournable dans le monde contemporain.

[Alida M. SILLETTI]