Fabrice BARTHÉLÉMY, Le champ du Français Langue Étrangère. Modèle économique, politique et éducatif

di | 26 Febbraio 2024

Fabrice BARTHÉLÉMY, Le champ du Français Langue Étrangère. Modèle économique, politique et éducatif, Paris, L’Harmattan, « Didactique des langues et des littératures », 2022, 230 pp.           

L’étude livrée par Fabrice Barthélémy se donne pour objectif de décrire le champ – au sens bourdieusien du terme – de la promotion-diffusion du français comme langue étrangère au prisme des dimensions économiques, politiques et sociologiques.

Le volume s’ouvre par un chapitre intitulé « Contextualisation » (pp. 17-28), dans lequel l’A. montre comment l’enseignement du français comme langue étrangère, réservé jusqu’au début du XXe siècle à des élites désireuses de se cultiver, se charge de nouvelles fins pratiques voire utilitaristes avec l’apparition de la méthodologie directe d’abord (1901-1902), puis avec la décolonisation et le nouvel ordre géopolitique international (après 1945). Un tableau chronologique en fin de chapitre résume de manière efficace les événements saillants ayant mené au développement de courants, méthodologies et principes.

Dans le chapitre suivant (« Politiques linguistiques », pp. 29-52) est analysée la dimension multimodale des politiques linguistiques, caractérisées par des tensions entre pôles différents et dont la promotion-diffusion de la langue nationale comme langue étrangère ne constitue qu’un volet. Le cadre opératoire de l’analyse proposée par Barthélémy tire ses outils conceptuels des modèles descriptifs élaborés respectivement par D. Coste (1990), R. Galisson (1990), N. Minerva et M. Reinfried (2012), ainsi que sur « les entrées interprétatives sociologiques proposées […] dès 1987 […] par Louis Porcher » (p. 43). 

Le FLE est ainsi défini en tant que « champ » car marqué par des enjeux communs à tous les acteurs qui en font partie, auxquels s’ajoutent d’autres enjeux, plus spécifiques (« Champ et acteurs du FLE », pp. 53-70). La configuration de ce champ n’est cependant pas donnée une fois pour toutes, mais dépend des rapports entretenus avec d’autres champs connexes – économie, culture, politique, pour ne citer que quelques exemples – qui évoluent à leur tour. À l’intérieur du champ, pris dans sa globalité, sont identifiés six sous-champs distincts : les instances de légitimation, les instances administratives, les instances de recherche et de formation, les instances de diffusion linguistique et culturelle, les instances éditoriales et les instances médiatiques. En fonction des capitaux (économique, culturel, social, symbolique, langagier) dont ils disposent, les acteurs œuvrant dans ce champ – que ce soit dans sa sphère principale ou dans une sphère particulière – occupent des positions différentes.

Toutes les instances citées participent du processus d’institutionnalisation du champ du FLE, relativement récent, qui fait l’objet du long chapitre suivant (« Institutionnalisation du champ du FLE », pp. 71-144). L’A. retrace les étapes de ce processus, commencé par la fondation de l’Alliance française (1886) et de la Mission laïque (1902), puis d’organismes fondamentaux tels que le Crédif (1958) ou le Belc (1959). Les politiques linguistiques mises en œuvre par les diverses institutions françaises dans les décennies suivant la décolonisation créent des conditions propices au développement de travaux scientifiques en didactique du FLE, qui se situent surtout dans le cadre de la linguistique appliquée. La naissance d’associations et de revues spécialisées ainsi que le développement d’un riche marché éditorial contribuent également à sa légitimation et à sa diffusion. La création de maquettes FLE dans les universités au début des années 1980 marquera un tournant décisif dans l’institutionnalisation de la discipline, portée par la volonté de s’émanciper vis-à-vis de la linguistique. Dans les mêmes années (1983-1985), font leur apparition les certifications du Delf et du Dalf, dont l’attractivité pour les étrangers est indéniable, en raison de leur utilité dans le marché des langues. À cela s’ajoutent aussi les instances médiatiques représentées par Radio France International et par TV5 Monde.

Barthélémy passe ensuite à questionner la formation des enseignants qui, même si dans la position de « dominés » à l’intérieur du champ, sont parmi les principaux promoteurs du français comme langue étrangère (« Enseignants et apprenants », pp. 145-181). En particulier, l’A. prône une attention particulière aux contextes d’enseignement qui implique ainsi une formation à l’éthique de la responsabilité, à la gestion de l’espace et du temps, à la gestion de la relation avec les apprenants, sans négliger la formation à l’évaluation, à l’interculturel, à la distance intergénérationnelle, aux politiques linguistiques, à la comparaison et au numérique. Un autre volet du chapitre est consacré aux publics cibles susceptibles de redynamiser le FLE sur le marché des langues, à savoir les très jeunes enfants, les seniors et les entreprises.

Le dernier chapitre se penche sur la description des différents contextes dans lesquels les enseignants de FLE peuvent exercer, que ce soit en France ou à l’étranger (« Lieux et contextes d’exercice », pp. 183-222). Sont d’abord passés en revue les différents statuts de l’expatriation, marqués de plus en plus par une précarisation des contrats. Cette dernière semble aussi affecter le marché du FLE en France, caractérisé par d’autres contextes d’exercice, comme l’accueil et l’insertion des publics migrants, les structures d’accueil des élèves allophones, les entreprises privées de formation, sans oublier les évolutions du métier liées au développement de l’enseignement en distanciel.

Au fil des pages on peut saisir l’inquiétude de l’A. envers les restrictions budgétaires étatiques touchant la promotion du FLE ainsi que sa contrariété envers les tentatives de délégitimation scientifique de la discipline, notamment au sein des universités.

[Rosa CETRO]