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De la partition au roman: métamorphose d’une sonate baroque

Anna LAPETINA


Abstract

In Nancy Huston’s writings there are a lot of references to music – they are either simple quotations referring to musical works or textual reworkings of specific sound forms. Particularly, the novel Instruments des ténèbres (Instruments of Darkness) offers an interesting opportunity to analyze the domain of interdisciplinary research into the relationship between literature and music. The author uses a musical baroque proceeding called scordatura to create a text in which the alternation of two sections produce a peculiar polyphony. As a matter of fact, Nadia’s journal and Barbe’s story alternate and cross their thematic and symbolic content like the violin strings in a baroque scordatura, making the novel a perfect example of the transposition of a music form into a literary text.

Nombreuses sont les références musicales dans les romans de Nancy Huston: de la simple citation à l’élaboration textuelle d’une forme sonore, la musique participe d’une manière significative de son écriture. Dans un tel contexte narratif, la forme particulière d’Instruments des ténèbres nous propose l’approche la plus intéressante à la question des rapports entre musique et littérature, en particulier en ce qui concerne la transformation de l’élément proprement sonore dans le passage au domaine de l’écriture.

Instruments des ténèbres se compose de deux sections, le Carnet Scordatura, journal intime de Nadia, écrivain américain contemporain, et la Sonate de la Résurrection, titre du roman qu’elle compose en élaborant l’histoire de Barbe, une jeune fille française qui a vécu au XVIIe siècle. La polyphonie embryonnaire qui résulte de leur alternance est renforcée par le dialogue tout à fait particulier de Nadia avec son daimôn pendant le double exercice d’écriture.1

La référence musicale s’avère explicite à partir des titres utilisés, étant donné le rappel à l’onzième des Rosenkranzsonaten (Sonates sur les mystères du Rosaire) pour violon du compositeur Heinrich I.F. von Biber (1644-1704), la Sonata die Auferstehung (de la Résurrection), et à la technique particulière prévue pour son exécution, la scordatura. Biber naît en Bohême, travaille en Moravie jusqu’en 1670, s’établit enfin à Salzbourg; il est donc profondément influencé par la spiritualité jésuite répandue à l’époque en Europe centrale, dont les traces les plus évidentes se retrouvent dans le cycle des Rosenkranzsonaten. Le rosaire était en effet un des moyens de conversion préféré par les jésuites, qui en favorisaient la pratique à travers la diffusion des livrets illustrés et des rencontres dévotionnelles organisées par les confréries, qui comprenaient la dramatisation de cette prière accompagnée par la musique. Biber compose donc des sonates dans le but d’illustrer les mystères du rosaire, en élaborant la sensibilité de son temps par l’entremise d’une technique, la scordatura, qui nous permet de définir comme baroque son œuvre musicale. Avant de décrire ce procédé spécifique, il est donc tout d’abord nécessaire d’expliquer les caractéristiques principales de la musique baroque.

Philippe Beaussant, partisan du respect philologique du répertoire, nous offre la définition suivante:

Le Baroque apparaît lorsque la musique cesse de transcrire ce qu’on pourrait appeler le repos de l’âme dans l’harmonie, lorsqu’elle cesse même de vouloir le susciter par le moyen des sons, pour tenter au contraire de traduire le tourment, l’émoi, l’insatisfaction, l’agitation de l’âme, par des mouvements harmoniques et mélodiques tourmentés, brisés, désagrégés. [...] La beauté n’est plus la seule visée de la musique: c’est l’émotion (BEAUSSANT 2004: 111).2

Le compositeur baroque formule donc mélodie et harmonie de son œuvre selon une rhétorique du contraste dramatique qui se traduit en un jeu d’opposition des formes, des timbres, des mouvements dialogiques. Loin de l’idéal de perfection linéaire de la Renaissance, le baroque musical se construit donc sur l’ambiguïté. En ce sens-là, la Sonate XI de Biber, composée dans le but d’illustrer le moment glorieux de la Résurrection du Christ, requiert néanmoins une étrange disposition des cordes du violon (la scordatura) qui semble démentir la clarté de la mélodie qui résulte de son exécution:

- La scordatura la plus inouïe, la plus inhumaine de l’histoire du violon, me dit Stella, c’est celle qu’a utilisé Heinrich Ignaz Franz von Biber dans sa Sonate de la Résurrection. Voilà ce que le violoniste doit faire...
Elle me fit la démonstration, croisant et nouant ses propres doigts boudinés.
- L’accord normal des quatre cordes, c’est: sol,, la, mi, n’est-ce pas? Bon. Alors dans un premier temps, tu prends les deux cordes médianes et tu les croises derrière le chevalet, ensuite tu les croises encore sur le chevillier, et enfin tu abaisses la corde de la d’un ton à sol. Le résultat de cet ajustement c’est que les première et troisième cordes se trouvent côte à côte et accordées à l’octave (), tandis que les deuxième et quatrième cordes sont également côte à côte et accordées à l’octave (sol)! [...] Ainsi, poursuivit Stella, la musique étant notée comme si le violon était accordé normalement, le son qui sort de l’instrument n’a rien à voir avec ce qui est écrit sur la partition (HUSTON 2000: 29-30).

L’incohérence apparente qui s’établit entre la scordatura et le contenu thématique de l’œuvre s’explique toutefois dans le contexte de la symbolique chrétienne: la scordatura produit en effet un croisement des cordes qui correspond à la lettre X, symbole de la croix, et, selon l’alphabet numérique, transcription du chiffre 22, qui se répète, par exemple, sous la forme de quantité des notes, dans les sonates qui concernent la passion du Christ. L’intention descriptive de Biber est pourtant claire, puisqu’en se servant d’une position étrangement croisée des cordes, il affirme le renversement de la mort en croix, représenté par la mélodie glorieuse en sol majeur de cette sonate, dont la tonalité s’oppose au sol mineur de la précédente (la Sonate de la Crucifixion); cet élément allégorique est même souligné par le renforcement des sonorités qui découle des doubles octaves et par la réitération mélodique initiale (circulatio), qui se fait traduction musicale de l’image du Christ vainqueur sur la mort représenté comme un soleil lumineux.

En écrivant Instruments des ténèbres, Nancy Huston utilise par analogie3 le principe de la scordatura dans une double acception: il s’agit en effet d’un terme qui caractérise aussi bien la narratrice Nadia, selon des raisons biographiques du personnage que nous expliquerons par la suite, que le croisement des “cordes” du texte représentées par les deux sections; un croisement métaphorique qui se réalise lorsque certains passages du Carnet Scordatura touchent les événements racontés dans la Sonate de la Résurrection. À cela, il faut ajouter le renversement conceptuel de la signification religieuse propre à la sonate baroque dont l’auteur se sert pour construire son discours féministe.4

A partir des titres, qui indiquent lumières et ombres du texte, les sections qui composent Instruments des ténèbres semblent orienter la lecture d’expériences féminines éloignées dans le temps et dans l’espace, même opposées, mais qui se révèleront finalement complémentaires en confirmant aussi bien leur échange symbolique de position, à la manière des cordes du violon de Biber, que la symbiose d’écriture et de vie qui est au cœur de l’œuvre de Nancy Huston.

Si on examine de près le style du Carnet et de la Sonate, on en déduit des différences significatives, puisque le premier se caractérise par une prose sèche et résolue, l’autre se compose d’une syntaxe descriptive et détendue, riche d’un sentiment de pietas, une syntaxe par conséquent liquide, qui correspond au contenu qu’elle décrit: le lien entre la femme et la nature représenté par la maternité et symbolisé par l’image du liquide amniotique.

Le caractère baroque qui découle des éléments en opposition ne se borne pas aux différences stylistiques entre les sections, mais concerne aussi la série des personnages et le cadre narratif du roman. Les personnages semblent former un système en “écho”, puisque la narration met en scène des couples similaires qui correspondent d’une section à l’autre mais dont chaque élément contraste avec un autre à l’intérieur de la même section. Ainsi, les mères de Nadia (Elisa) et de Barbe (Marthe) incarnent l’idée du sacrifice féminin dans un univers phallocrate et s’opposent aux figures maternelles représentées par Stella (dans le Carnet) et Hélène (dans la Sonate), qui sont au contraire des exemples parfaits de l’émancipation de la femme; à cela on ajoute les jumeaux mâles des protagonistes, l’un perdu pendant sa venue au monde, l’autre providentiel pour le salut de sa sœur Barbe, et enfin les nombreux avortements de Nadia opposés à la seule tentative d’infanticide de Barbe. Ce jeu de dédoublement et d’opposition touche aussi les niveaux thématique et symbolique du roman, en confirmant l’appropriation textuelle de l’effet de dédoublement produit dans la sonate musicale par la scordatura. Nous assistons à un véritable renversement conceptuel dans le passage d’une section à l’autre: si en effet le daimôn interlocuteur de Nadia se présente fortement personnifié, d’une manière presque humaine, dans la Sonate de la Résurrection il devient un simple élément folkloriste du XVIIe siècle; parallèlement, le thème de la sorcellerie est revêtu d’une signification différente selon les époques, plus concrète en conséquence des croyances superstitieuses décrites dans la Sonates, de type métaphorique parce que référé au discours féministe contemporain dans le Carnet. Au fond, il nous semble que cette série de dédoublement trouve son origine dans la dichotomie âme/corps (HUSTON 2004) sur laquelle l’auteur s’interroge dans l’ensemble de son œuvre, c’est-à-dire le rapport entre la dimension organique et la dimension spirituelle, qui pour les femmes artistes peut signifier la difficile conciliation entre «la création du corps» et «une création de l’esprit» (HUSTON 1995: 69). Dans le roman elle devient la tragédie intime de Nadia et l’origine d’une double écriture spéculaire: «L’instrument désaccordé, c’est moi» (HUSTON 2000: 29).

- [...] Tu connais le piano de Hölderlin?
Je ne connaissais pas. Il semble que la princesse de Hombourg ait offert à Hölderlin un piano à queue et que le poète fou, s’emparant de grands ciseaux, en a coupé les cordes... mais pas toutes. Ensuite, s’asseyant au clavier, il s’est mis à improviser, sans jamais savoir quelles notes allaient retentir et lesquelles demeurer silencieuses.
- Ce piano, dit Stella, était l’image de son âme (Ibid.: 57).

Nadia aussi définit son âme «aux cordes tendues...» (Ibid.: 29). Elle établit donc une équivalence par analogie entre son for intérieur et un instrument de musique: cor-corde, une correspondance étymologique confirmée dans le passage cité. La scordatura référée au personnage a donc plutôt le sens de discordance, comme l’explique le texte,5 en soulignant la non-coïncidence formelle typiquement baroque qui en découle et qui, dans le roman, correspond au rapport polyphonique entre le Carnet et la Sonate. Cette discordance intime de Nadia prend d’abord la forme d’une attraction vers tout ce qui est double; son discours renverse en outre la connotation négative de la figure démoniaque, tandis qu’il en affirme implicitement l’appropriation de la part du milieu féministe, qui revendique un espace pour la sexualité féminine libre de la notion abusée de “pureté”:

Dieu est lumière: pure, impitoyable, aveuglante [...] le diable est double, oxymoron, mariage des contraires. Fourchu et fourbe. Moi aussi j’ai besoin du dédoublement, de la duplicité. Pas de vision sans division. [...] J’ai le cœur et le cerveau fendus, comme les sabots du malin (Ibid.: 26).

Au fur et à mesure que l’écriture de la Sonate de la Résurrection avance, la raison profonde de la scordatura de Nadia s’éclaircit et la tragédie du personnage se concrétise comme une forme de négation consciente de la dimension procréative féminine, qu’elle avait remplacée par la création artistique (le livre devient l’objet d’un enfantement intellectuel et le domaine métaphorique de la maternité soutient l’équivalence entre écriture et filiation). Son interlocuteur mâle désincarné, le daimôn, semble alors plutôt symboliser le lieu de cette négation déjà annoncée par le choix d’annuler la voyelle pronominale anglaise de son prénom: autrement dit, Nadia obéit à une voix masculine intérieure visant à effacer les traces maternelles de sa féminité.6 Elle se réinvente Nada en refusant un aspect qui concerne le corporel sexuellement défini, ou sa subjectivité. La mortification de son corps «d’une stérilité militante» (Ibid.: 13), soumis à la chaîne des avortements choisis, signifie le renoncement à la force procréatrice; les raisons cachées de cette obéissance aveugle aux lois du désincarné se trouvent en fait au fond de l’histoire de sa mère Elisa, une histoire de sacrifice féminin que Nadia ne veut pas perpétrer. Scordare signifie aussi oublier. Que doit-elle oublier, la petite fille blessée?

Etant l’aînée et, par-dessus le marché si j’ose dire, une fille, c’est moi qui dus assister au carnage dans la chambre parentale, fausse couche après fausse couche car mon père ne cessait de la mettre catholiquement en cloque et qu’elle s’abstenait par soumission au pape, Pie XII à l’époque, de prendre des mesures pour l’éviter, de sorte que, plus d’une fois l’an, les draps s’emplissaient de sang et aussi de ces caillots noirs veloutés et tremblotants qui avaient une vague ressemblance avec de la chair humaine. [...] C’est terminé, maintenant, fini, fini, il n’y a plus rien à craindre. Je suis désormais une femme sans crainte (Ibid.: 32-33).

Le traumatisme provoqué par ces événements obscurs7 aux yeux de la petite fille, contrainte à y assister à cause de son sexe, marquera à jamais son identité féminine adulte; par le refus d’une sorte d’héritage maternel donc (Nadia veut s’affranchir des grossesses subies pour choisir de se dédier complètement à sa vocation artistique, au contraire d’Elisa, violoniste brillante obligée par son mari à renoncer à sa carrière), le contenu musical de la scordatura s’enrichit d’une signification ultérieure. Le thème de l’oubli lié à sa vie s’impose pour Nadia pendant la rédaction de l’accouchement de Barbe, au moment où un autre refoulé significatif commence à envahir ses pensées: le fantôme de son premier enfant avorté, qui revient en forme de personnage féérique, Tom Pouce, emblématique d’une représentation du fœtus refusé. Cette expérience douloureuse, étrangement encouragée par Elisa,8 déchaîne pour la protagoniste un véritable renversement de son existence qui est à l’origine de son écriture scordata et baroque:

[le] mot avortement, [...] signifie, à l’origine: obliger à se coucher ce qui se levait. De ab+orri. Pousser l’Orient vers Occident, l’Est vers l’Ouest, faire basculer les êtres par-dessus le bord du monde, dans l’autre monde... Occire. Mettre à mort (Ibid.: 266).

Par effet de distorsion anamorphique, qui appartient encore une fois au fond baroque du roman, à la narration de cette partie du Carnet correspond la description de l’accouchement dans la Sonate; la scène contredit son titre, Le Miracle, parce qu’elle se conclut par la mort de l’enfant, et beaucoup plus renverse l’ordre symbolique de la sonate musicale, dédiée, nous le rappelons, à la Vierge Marie. La narration de la naissance du fils de Barbe la nuit de Noël, dans une étable, tandis que de loin résonnent les Vêpres de la Vierge, est avant tout la description d’une expérience trop humaine, qui se passe parmi les cris, la douleur, le sang, la sueur. La négation du contenu religieux de la sonate devient en même temps la trace du croisement entre les deux sections du roman: né comme un nouveau messie, le petit Barnabé retourne cependant dans le chaos informe de la terre; parallèlement, le fils jamais né de Nadia s’impose désormais, évoqué par le regret, telle une présence dans la vie de sa mère, en réclamant une existence qui n’est plus qu’une possibilité niée. Deux expériences éloignées dans le temps et dans l’espace se font donc proches grâce aux fantasmes d’un enfant manqué et d’un enfant perdu après sa venue au monde. Le croisement des cordes du roman s’accomplit au moment où Nadia accueille le regret qui découle de son refus de la dimension maternelle et lentement se réconcilie avec le potentiel féminin, tandis que Barbe s’affranchit des obligations féminines préétablies selon l’époque, ensevelies avec son fils.

La portée symbolique de la sonate de Biber et de la scordatura se révèle par conséquent fondamentale pour un roman composé de passages et de croisements du journal intime de Nadia à l’histoire ancienne de Barbe. Ces deux sections sont alors les cordes tendues qui en forment la scordatura et qui échangent leurs contenus symboliques respectifs: Barbe échappe à la condamnation pour sorcellerie grâce au sacrifice du jumeau Barnabé et devient finalement une femme libre; Nadia s’affranchit de l’imposante présence masculine du daimôn et accepte la richesse de la force vitale du féminin. Comme une transmutation alchimique, ce mouvement reflète le renversement féministe décrit dans le roman que le dispositif musical de la Sonate de Biber rend possible: c’est aux femmes instruments des ténèbres qu’appartient l’exécution.

Bibliographie

F. ARROYAS, La lecture musico-littéraire, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2001.
P. BEAUSSANT, Vous avez dit baroque?, Arles, Actes Sud-Babel, 2004.
N. HUSTON, Âmes et corps. Textes choisis 1981-2003, Arles/Montréal, Actes Sud/Leméac, 2004.
N. HUSTON, Désirs et réalités. Textes choisis 1978-1994, Arles/Montréal, Actes Sud/Leméac, 1995.
N. HUSTON, Instruments des ténèbres, Arles, Actes Sud-Babel, 2000 [1996].




Notes

↑ 1 Dans la première édition, la rédaction du texte en anglais et en français en succession (langues des protagonistes) contribuait à cette polyphonie simple par le moyen du rythme linguistique.

↑ 2 C’est en effet à cette époque-là que dans l’œuvre Musurgia universalis sive ars magna consoni et dissoni (1650) le père jésuite Athanasius Kircher formule die Affektenlehre, la théorie selon laquelle il existe une correspondance directe entre la musique et les variations dans l’émotion qu’elle est capable de susciter.

↑ 3 Conçue comme «le lieu intermédiaire de la ressemblance», l’analogie supporte la description du contexte musical dans une œuvre littéraire «dans le sens où un rapport de ressemblance est établi entre des éléments provenant de domaines hétérogènes» (ARROYAS 2001: 82 et 62-63).

↑ 4 Une définition justifiée aussi par la récurrence du thème du double différencié (deux couples de jumeaux, deux mères ; les oppositions masculin/féminin, esprit/corps, écriture comme gestation/filiation manquée), qui devient le dispositif d’un discours phallocentrique successivement transformé en discours féministe.

↑ 5 «- Au sens propre, me dit-elle, scordatura veut dire discordance. Quand les Italiens mettent un s au début d’un mot, eh bien le mot est foutu, ma chérie. Beaucoup de compositeurs de la période baroque s’amusaient à tripoter l’accord des violes et des violons, montant d’un ton par-ci, baissant par-là, pour permettre au musicien de jouer des intervalles inhabituels. Tu vois ? Mais parfois les intervalles n'étaient pas seulement inhabituels, ils étaient insensés. Dès que Stella me dit cela, je me reconnus» (HUSTON 2000: 29).

↑ 6 Elles ne sont pas, bien sûr, limitées à l’expérience de la filiation ; au sens large il s’agit d’un aspect plus profondément lié à l’être féminin, que Nadia refuse en niant la nature: «[...] la nature, je m’en fous éperduement, [...] le miracle de la vie ne me touche pas, la vie qui bourgeonne, évolue, explose et change, les boutons de fleur qui enflent et éclosent, ces choses me laissent froide» (HUSTON 2000: 11).

↑ 7 Ce n’est pas par hasard que nous employons cette définition pour décrire les avortements d’Elisa auxquelles Nadia doit assister: comme l’indique le titre, le roman joue sur le domaine sémantique des ténèbres en relation avec la filiation des femmes dans ses trois aspects représentés par les expériences de Nadia, Elisa, Barbe ; d’où la proximité du démoniaque avec le féminin.

↑ 8 «- Tu en es où ? demanda-t-elle et, à nouveau, je fus prise au dépourvu par les larmes. - Trois mois, bien sonnés. J’ai essayé... Je n’arrivais pas à finir ma phrase. - De te faire avorter ? Nouveau choc. Personne n’avait encore prononcé le mot: et penser que c’était Elisa la pieuse, la soumise, la sacrifiée qui l’avait prononcé! [...] - Oui, Mère. Les bras croisés sur le ventre proéminent, je me mordis la lèvre inférieure en retenant un sanglot. Tout d’un coup j’avais quatre ans. [...] Je n’oublierai jamais ce qu’elle fit ensuite. Tendant les bras au-dessus de la table violette, détachant mes mains de mon ventre et les appuyant contre ses joues, elle me regarda avec gravité au fond des yeux et me dit: - Nadia, ne t’inquiète pas. Je t’aiderai» (HUSTON 2000: 265-266).

Pour citer cet article :

Anna LAPETINA, De la partition au roman: métamorphose d’une sonate baroque, Ricerche Dottorali in Francesistica, Publifarum, n. 16, pubblicato il 18/12/2011, consultato il 27/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=221

 

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