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La représentation du « Same Sex Marriage » – enjeux cognitifs et métaphoriques

François LABATUT



Résumé

Cet article s'intéresse au rôle des métaphores dans la définition, la représentation, et la conceptualisation du mariage au sein du débat parlementaire concernant l'adoption du Same Sex Marriage Bill (projet de loi sur le mariage pour tous) en 2013 au Royaume-Uni. Par une approche à la fois quantitative et qualitative, la métaphore est envisagée non plus comme une structure cognitive rigide et figée, mais comme une expression linguistique dynamique et flexible qui émerge du discours. En se focalisant sur deux métaphores conceptuelles particulières, à savoir MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY et MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD, j'y propose une analyse du phénomène dans ses dimensions multiples en interrogeant les interfaces cognitive, pragmatique, communicative, rhétorique et évaluative, notamment au travers du cadrage discursif et de la reproduction des stéréotypes négatifs.

Abstract

This article aims at showing the role of metaphoric expressions in the definition, representation, and conceptualization of the institution of marriage during the Same Sex Marriage Bill debate, which took place in the United-Kingdom in 2013. By combining quantitative and qualitative analyses, my goal was to show why conceptual metaphors must not be seen as fixed and already established cognitive structures but rather as dynamic expressions which evolve as discourse unfolds. This article focuses on two specific metaphorical patterns, i.e. MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY and MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD. By taking into account both their pragmatic and rhetorical dimensions, I tried to show how these two metaphors helped to shape specific discourse framing and served the reproduction of negative stereotypes.

Introduction1

Dans les débats parlementaires qui ont fait suite, au Royaume-Uni, à la proposition du projet de loi intitulé same sex marriage bill, qui autorise les couples de même sexe à se marier, la définition, la place et le rôle du mariage dans la société britannique ont été directement interrogés, et ce principalement au moyen d’expressions métaphoriques à la fois denses et complexes.

Une analyse détaillée des métaphores en présence dans ces débats permettra d’en souligner les enjeux conceptuels et argumentatifs.

Pour ce faire, après avoir dans un premier temps défini plus en détail la notion de métaphore empruntée à la théorie cognitiviste des métaphores conceptuelles (voir LAKOFF et JOHNSON, 1981) et explicité la méthodologie choisie, qui se veut à la fois qualitative et quantitative, par l’utilisation d’outils statistiques empruntés à la linguistique de corpus, ainsi que le matériel discursif collecté pour cette analyse, je propose la prise en considération de deux occurrences métaphoriques particulières, à savoir MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY et MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD. Ces deux réalisations permettront notamment d’interroger le continuum présent entre une utilisation qui peut être soit inconsciente, soit délibérée, du matériel métaphorique disponible dans ce débat parlementaire à forte dimension polémique et sociale.

Cadre théorique

Dans ce travail, la métaphore est appréhendée dans le cadre théorique de la linguistique cognitive qui souligne, entre autres, la multi-dimensionnalité du phénomène. Cette prise en compte des dimensions cognitive, pragmatique et rhétorique de la métaphore se révèle particulièrement pertinente pour l’analyse des métaphores dans le discours politique et plus précisément dans le débat parlementaire.

En linguistique cognitive, la métaphore dite « conceptuelle » (conceptual metaphor) est présentée comme un phénomène avant tout cognitif. En effet, comme l’ont souligné Lakoff et Jonhson (1981), la métaphore n’est plus à appréhender comme un habillage superficiel, un effet cosmétique et stylistique ; la métaphore est en fait indispensable à la représentation, à la compréhension et à l’élaboration de domaines conceptuels abstraits et complexes, comme la notion de mariage en ce qui me concerne.

De plus, parce que la métaphore n’est accessible qu’au moyen de l’expression linguistique qui la matérialise, il convient d’en souligner la nature pragmatique (CAMERON et MASLEN, 2010) : l’expression métaphorique évolue et s’adapte au fur et à mesure du déroulement du discours et du positionnement des participants. Cette dimension sera particulièrement utile lors de l’analyse de la métaphore conceptuelle MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD et des phénomènes à la fois de distribution en groupement (metaphor cluster) et d’extension métaphorique (metaphor shifting) qui lui sont associés.

Enfin, la prise en considération des deux schémas métaphoriques MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY et MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD permettra de proposer une distinction entre métaphore conventionnelle (conventional metaphor), c’est-à-dire une métaphore largement diffusée, utilisée et commune à l’ensemble d’une communauté, et métaphore nouvelle (novel metaphor), issue d’un processus de création linguistique dans une optique stratégique et dans notre cas persuasive (STEEN, 2010). Ce dernier type de métaphore est par ailleurs à rapprocher de la troisième dimension de la métaphore prise en compte dans ce travail : la dimension rhétorique. En effet, lorsqu’appliquée au discours politique, un genre à la fois épidictique et délibératif, la métaphore apparaît comme un puissant outil rhétorique dans la présentation et le cadrage de phénomènes et conflits sociétaux complexes et abstraits. (CHARTERIS-BLACK, 2004, 2005, 2013)

Après avoir dégagé les trois principales dimensions de la métaphore telle qu’elle est abordée dans ce travail, il s’agit à présent d’expliquer la méthodologie d’analyse utilisée.

Présentation du corpus d’étude

Le corpus d’étude est composé de l’ensemble des ressources textuelles disponibles sur le site Internet du parlement britannique2, relatif aux débats sur l’adoption du projet de loi same sex marriage.

Deux sources principales ont ainsi pu être recueillies : la totalité des transcriptions officielles des débats qui se sont déroulés du 12 février 2013 au 12 mars 2014 , et l’ensemble des associated memoranda, qui correspondent à des témoignages écrits diffusés lors du débat dans l’enceinte parlementaire.

Suite au nettoyage, à l’uniformisation et au changement de format (.txt) des données afin de les rendre analysables par le logiciel Wmatrix, trois sous-corpus ont été élaborés : un premier, qui regroupe l’ensemble des transcriptions des débats parlementaires (appelé maintenant Corpus-Debate ; +250 000 mots), et deux autres, composés des associated memoranda, selon qu’ils étaient en faveur (appelé maintenant Memo-PRO ; +60 000 mots) ou contre (appelé maintenant Memo-ANTI ; +90 000 mots) le projet de loi.

Présentation de la méthodologie d’analyse

L’approche adoptée s’inspire des travaux développés par L’Hôte (2014) dans son analyse du discours politique du New Labour entre 1994 et 2007, résumés dans le tableau ci-dessous :

Labatut fig. 1

Décomposition du versant analytique quantitatif

Le logiciel Wmatrix3 est utilisé dans le traitement des corpus et des calculs statistiques4. Trois calculs de phénomènes linguistiques disponibles dans Wmatrix sont ainsi pris en compte dans ce travail : les collocations, les mots clés5 et les concepts sémantiques6. Ces derniers sont particulièrement utiles dans l’analyse des métaphores car ils permettent un point de départ non plus lexical mais sémantique. En effet, les concepts sémantiques attribués par le logiciel correspondent en grande partie à la fois au domaine source et au domaine cible des métaphores présentes dans les corpus. Cette approche permet d’avoir accès à un plus grand nombre de phénomènes métaphoriques jusqu’alors non envisageables car non accessibles (Koller 2008).

Dans le cadre des calculs statistiques de comparaison, le Corpus-Debate a été confronté avec le BNC Sampler CG Institutional, corpus de référence intégré à Wmatrix. De cette comparaison ressort un total de 187 mots clés. En confrontant le Memo-PRO et le Memo-ANTI entre eux, afin de faire ressortir plus clairement les préférences lexicales et sémantiques des deux discours antagonistes en présence, 70 et 29 mots clés ont été respectivement identifiés. La quantité totale pour l’ensemble des trois corpus s’élève donc à la valeur exhaustive de 286 mots clés. Concernant les différents concepts sémantiques, Wmatrix a été en mesure de déterminer 70 concepts sémantiques statistiquement significatifs dans le Corpus-Debate, 22 dans le Memo-PRO et enfin 22 concepts sémantiques dans le Memo-ANTI. Au total, 114 concepts sémantiques ont ainsi pu être définis dans les trois corpus.

L’identification de l’ensemble des principaux schémas collocationnels disponibles dans les trois corpus contenant le lexème marriage a ensuite été effectuée, en utilisant de nouveau le rapport de vraisemblance. Pour ce faire, il a été pris en considération à la fois l’ensemble des mots clés précédemment relevés, mais aussi l’ensemble des termes disponibles dans chacun des concepts sémantiques déterminés. Enfin, chaque phénomène a été importé dans des tableaux Excel pour classification et annotations complémentaires et n’ont été retenus que les résultats en relations étroites et/ou faisant référence à la notion de mariage.

Décomposition du versant analytique qualitatif

L’ensemble des listes de concordances disponibles pour chacun des mots clés, lexèmes appartenant à un concept sémantique particulier, et chaque lexème prenant part à un schéma collocationnel en rapport avec marriage, ont ensuite été manuellement analysés afin de limiter au maximum les erreurs possibles d’étiquetage et les phénomènes d’ambiguïté sémantique et syntaxique. Après avoir analysé l’ensemble des tables de concordances, en procédant à un élargissement systématique du contexte immédiat, i.e. extended context7, j'ai procédé à divers codages supplémentaires permettant l’analyse plus précise des segments retenus dans nos tableaux Excel.

La Procédure d’Identification des Métaphores (MIP) proposée par le groupe Pragglejaz (2007), résumée dans le tableau suivant, a été appliquée afin de déterminer si une expression était métaphorique ou non :

  1. Read the entire text–discourse8 to establish a general understanding of the meaning.
  2. Determine the lexical units in the text–discourse.
  3. (a) For each lexical unit in the text, establish its meaning in context, that is, how it applies to an entity, relation, or attribute in the situation evoked by the text (contextual meaning). Take into account what comes before and after the lexical unit.
    (b) For each lexical unit, determine if it has a more basic contemporary meaning in other contexts than the one in the given context. For our purposes, basic meanings tend to be more concrete [what they evoke is easier to imagine, see, hear, feel, smell, and taste]; related to bodily action; more precise (as opposed to vague); historically older; basic meanings are not necessarily the most frequent meanings of the lexical unit.
    (c) If the lexical unit has a more basic current–contemporary meaning in other contexts than the given context, decide whether the contextual meaning contrasts with the basic meaning but can be understood in comparison with it.
  4. If yes, mark the lexical unit as metaphorical. (PRAGGLEJAZ 2007 : 3)

Cette méthode permet en particulier de traiter efficacement les problèmes d’identification des domaines sources ; en effet, « [f]or metaphorical expressions that do not constitute metaphorical patterns, it is often difficult to determine which precise target-domain we are in fact dealing with» (Stefanowitsch and Gries 2007, 66).

Après avoir décrit le cadre théorique dans lequel s’inscrit ce travail, le corpus d’étude et la méthodologie utilisée, il est temps de passer à l’analyse de deux expressions métaphoriques particulièrement présentes dans les corpus, à savoir la métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY et la métaphore MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD, qui permettent de rendre mieux compte de la définition, du rôle et de la place qu’occupe le mariage au sein de la société britannique.

Etude de cas numéro 1 : MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY

Les analyses statistiques sur les concepts sémantiques en relation avec la représentation du mariage présents dans les trois corpus donnent les résultats significatifs répertoriés dans le Tableau 1. L’étude détaillée et l’annotation des lignes de concordances de ces concepts sémantiques ont permis de déterminer la métaphore conceptuelle MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY, objet d’analyse de cette première étude de cas.

Labatut fig 2

Tableau 1 - Concepts Sémantiques - Métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY9

Comme on le remarque dans ce tableau, c’est seulement dans le Memo-ANTI que le concept sémantique « H1 – Architectures, houses and buildings » n’offre pas de résultats significatifs en termes de fréquence. Or, comme le montre le tableau 2, c’est dans ce même corpus qu’est répertorié le plus grand nombre de phénomènes collocationnels significatifs en rapport direct avec la métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY10 :

labatut fig 3

Tableau 2 – Collocations - Métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY (Memo-ANTI)

L’exemple (1) illustre le fonctionnement discursif de cette métaphore. Son auteur, le Révérend Frank White, est opposé au projet de loi :

(1) The intention of Parliament cannot be to destabilise the most basic building block on which flourishing societies are founded nor can it be to create the possibility of humans moving into an evolutionary cul-de-sac. The deeper consequences of the legislation that the Committee are examining, I submit, need to be more fully examined (…) The proposed legislation being scrutinised by the Committee is regressive and will compromise the foundational institution of British society. (Rt. Revd. Frank White – Memo-ANTI)

Dans cet extrait, l’institution du mariage est considérée comme « the foundational institution of British society », et plus précisément « the most basic building block on which flourishing societies are founded ». Le mariage est ainsi localisé à la base de la société, au niveau de ses fondations. Il joue le rôle d’un prérequis nécessaire à la construction de la société, représentée comme un bâtiment dont la structure n’est que, par ailleurs, très peu précisée. Le domaine source de la construction et des bâtiments est utilisé afin de se représenter le mariage ; comme l’indiquent les collocations présentes dans le Tableau 2, ce dernier est considéré comme un building+block (LL=36.99) ou une stable+foundation (LL=27.63) de la société britannique. Par ailleurs, les principales collocations du lexème society sont bedrock (LL=113.56) et block (LL=51.40). Cette représentation métaphorique du mariage, en sa qualité de pierre fondatrice, conçoit donc la société comme un bâtiment, d’où la métaphore sous-jacente SOCIETY IS A BUILDING. La métaphore de la société comme bâtiment (Lakoff and Johnson 2003; Kövecses 2010) a très souvent une connotation positive. Comme l’indique Charteris-Black, « [m]etaphors from this source domain carry a strong positive connotation because they express aspiration towards desired social goals » (2004, 70). Le mariage renforce et améliore non seulement les liens qui unissent le couple engagé, mais également ceux qui lient la société tout entière, comme illustré dans l’exemple (1), « destabilise the most basic building block on which flourishing12 societies are founded. »

Ainsi, la métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY implique une seconde métaphore : SOCIETY IS A BUILDING. Il s’agit maintenant de s’intéresser à la structure même de ce bâtiment, à l’agencement de ses différentes parties et à son orientation, verticale ou horizontale.

Après avoir revisité la métaphore SOCIETY IS A BUILDING, Grady (1997) montre au moyen de nombreux exemples que cette métaphore doit être précisée. Il propose une distinction entre métaphore composée (compound metaphor), telle que SOCIETY IS A BUILDING, et métaphore primaire (primary metaphor), au nombre de deux dans notre corpus : ORGANIZATION IS PHYSICAL STRUCTURE et PERSISTING IS REMAINING ERECT. La verticalité contenue dans l’adjectif erect implique par ailleurs la métaphore directionnelle décomposable en GOOD IS UP et par conséquent son contraire, BAD IS DOWN.

D’après Charteris-Black, « [t]he isomorphic relation between knowledge of buildings and valued social goals entails that whatever is to endure in an upright position must have a stable basis to prevent it from falling. We have noticed that building involves the increase of a surface in a vertical direction » (2004, 98). Comme le montrent les exemples (2) et (3), le projet de loi vise à étendre le mariage en l’ouvrant aux couples de même sexe :

(2) In my own church we are now in the curious position of considering that for our legal protection we should no longer marry any couple in our church, and leave this in the hands of the civil authorities alone. Thus the outcome of the Bill would be to undermine, rather than promote and encourage marriage as the foundational and God-given building block of our society. Again, is this what the Government wants to achieve? (Ralph Manning – Memo-ANTI)

(3) The reply I received from the GEO (following my letter to the Prime Minister) stated: " Opening up marriage to all couples will strengthen the vital institution of marriage, and help ensure that it remains an essential building block of society". A stone building block (marriage) cannot have its constitution altered (by radically redefining it) – it will crumble, and the edifice above (society) will disintegrate. Thus the argument is fundamentally flawed. (John Etherton – Memo-ANTI)

Cependant, l’extension mentionnée n’est pas représentée métaphoriquement en termes de verticalité mais plutôt en termes de renforcement. Le mariage étant situé à la base de la société, il s’agit avant tout d’une extension des fondations ; dans une telle configuration, une extension verticale semblerait difficilement envisageable.

Tout d’abord, l’on remarque de nouveau l’utilisation de la métaphore MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY ; le mariage est présenté soit comme « the foundational and God-given building block of our society », soit comme « a stone building block ». Ainsi, le Memo-PRO et le Memo-ANTI considèrent tous deux l’institution comme essentielle (« vital ») pour la société. En revanche, la représentation métaphorique des conséquences qu’engendrerait l’adoption du projet de loi, aussi bien au niveau des fondations, le mariage, qu’au niveau de l’ensemble de l’édifice, la société britannique, diffère grandement entre les deux corpus.

Les associations lexicales privilégiées dans le cadre du Memo-PRO tendent à souligner un effet positif du projet de loi sur l’institution même du mariage : son renforcement. En effet, ce dernier apparaît comme un moyen d’en consolider les fondations, les renforcer, tout en les adaptant aux changements sociaux qui se produisent au niveau supérieur, dans la société. La société britannique n’est pas considérée comme une structure rigide et figée, mais comme une construction malléable et modifiable. Les phénomènes collocationnels récurrents dans ce discours, contrairement à ceux développés dans le Memo-ANTI, semblent conforter cette préférence analytique, comme l’indiquent les associations lexicales préférentielles telles que strenghten+marriage (LL=37.17), endorse+marriage (LL=23.04) et promote+marriage (LL=24.30).

Concernant le Memo-ANTI, l’adoption du projet de loi aurait des conséquences négatives vis-à-vis du mariage, comme l’indiquent divers phénomènes collocationnels significatifs tels que undermine+marriage (LL=24.65), weaken+marriage (LL=37.60) et breakdown+society (LL=21.78). L’utilisation des métaphores renforce cependant l’intensité argumentative, comme le montre le passage suivant déjà cité dans l’exemple (3) : « [a] stone building block (marriage) cannot have its constitution altered13 (by radically redefining it) – it will crumble, and the edifice above (society) will disintegrate. » Le projet de loi aurait des conséquences beaucoup plus profondes. Il n’ébranlerait pas, il n’affaiblirait ni ne dégraderait la société en surface : il altérerait la substance interne des fondations. Cela entraînerait non pas un renforcement de la structure, mais un effondrement de l’ensemble : la base de la société ainsi altérée causerait l’effritement de cette dernière14.

Dans cette partie, l’utilisation et les implications argumentatives de la métaphore conventionnelle MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY ont été étudiées. Il s’agit maintenant de prendre en considération la deuxième représentation métaphorique du mariage, à savoir la métaphore MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD.

Etude de cas numéro 2 : MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD

Cette métaphore apparaît pour la première fois dans le Corpus-Debate, à son commencement. Elle est introduite par Maria Miller, ministre de la Culture, des Médias et des Sports, chargée de porter ce projet de loi devant les divers comités, comme montré dans l’exemple (4) :

(4) Over and above that, we believe that the Bill is all about extending marriage. That is what we believe is the gold standard and the thing to which people aspire. That is why we want to ensure that we focus the Bill on that particular issue. (Maria Miller, Secretary of State for Culture, Media and Sport – Debate)

La métaphore MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD n’est disponible que dans le Corpus-Debate, ce qui suggère que contrairement à la métaphore conventionnelle MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY, présente dans les trois corpus, cette métaphore est plutôt nouvelle (novel metaphor), c’est-à-dire qui « has not previously been taken up and used in a language community, thereby heightening awareness of its semantic tension » (Charteris-Black 1004, 21).

Le tableau 3 regroupe l’ensemble des collocations significatives qui incluent le lexème standard dans le Corpus-Debate :

labatut fig 4

Tableau 3 – Collocations – Lexèmes ‘standard’ (Corpus-Debate)

Il apparaît que standard est associé de façon significative dans le Corpus-Debate avec trois adjectifs qui font référence à des métaux : gold (LL=226.69), silver (LL=46.25) et platinum (LL=44.02). L’exemple (5) illustre ces associations lexicales en contexte :

(5) I do not believe that the Minister who has retired on this clause wanted to adopt this language, but we have the gold standard of marriage—[ Interruption. ] The hon. Member for Rhondda refers to platinum, and I will come to that in a moment. First, we have the gold standard of marriage that the Secretary of State wants everyone to be able to apply for. There is the silver standard of civil partnerships, and it has been said that there is a platinum standard that should be looked at in other ways. The reality is that there is a danger of a hierarchy. I am not suggesting that there should be, but it is being put in place by the state. Where do unmarried couples fit into that? Are they the bronze standard? (Mr Burrowes - Corpus-Debate)

Dans cet exemple, un groupement métaphorique (metaphorcluster), dont l’élément central est la métaphore source MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD, est présent. Les collocations gold standard, silver standard, platinum standard et enfin bronze standard sont utilisées métaphoriquement : les relations interpersonnelles sont abordées via le domaine source des métaux, et plus précisément de leur valeur économique qui en permet la hiérarchisation les uns par rapport aux autres. Il est possible de déduire la métaphore sous-jacente SOCIAL NORM IS ECONOMIC NORM. Les relations amoureuses sont représentées en termes économiques, comme le confirme l’utilisation du verbe to apply for afin de faire référence à la possibilité future des couples de même sexe de se marier (we have the gold standard of marriage that the Secretary of State wants everyone to be able to apply for). Dans cette configuration métaphorique, il s’observe une représentation différente de la société. On ne la représente plus sous la forme d’un bâtiment, au moyen de la métaphore SOCIETY IS A BUILDING, mais plutôt sous la forme d’un marché, d’une place boursière. J’en propose la schématisation suivante : SOCIETY IS A STOCK EXCHANGE. Cette configuration permet par ailleurs d’expliquer l’utilisation de l’expression gold standard qui est, dans son acception première, un phénomène financier. Comme le signale l’Oxford English Dictionary, l’étalon-or renvoie au « system, abandoned in the Depression of the 1930s, by which the value of a currency was defined in terms of gold, for which the currency could be exchanged. »15
Le mariage est ainsi représenté, dans une société envisagée comme un système monétaire, comme l’instance régulatrice, l’unité de compte à partir de laquelle sont évaluées, classées et considérées les autres relations sociales possibles.

J’émets l’hypothèse à ce sujet qu’en puisant dans le domaine des métaux, et plus particulièrement en choisissant l’image de l’or, Maria Miller a souhaité faire référence à la symbolique sous-jacente de ce métal, en sa qualité de « lumière civilisatrice » (Gardin and Klein 2011, 458). Le mariage apparaît ainsi comme la plus grande institution civilisatrice, l’union par excellence, au sommet de la hiérarchie symbolique des métaux, et donc par transfert de la hiérarchie entre les diverses formes de relations possibles entre deux individus.

De plus, bon nombre d’individus considèrent l’accumulation des richesses comme l’aspiration première vers laquelle tout un chacun devrait se tourner. Dans cette configuration, à partir du moment où l’or est à la fois considéré comme le métal le plus précieux et ce vers quoi chaque individu devrait aspirer, transférer ces deux mappings au mariage justifie, dans le cadre d’une société égalitaire et démocratique, son extension au plus de personnes possibles, et donc aux couples de même sexe.

Ceci explique la présence du groupement métaphorique composé des collocations telles que silver standard et bronze standard. La particularité de cet ensemble métaphorique réside cependant dans le fait qu’il n’est pas réductible à un simple phénomène d’accumulation, de répétition métaphorique. L’exemple (5) illustre un phénomène d’extension, qui se caractérise par la présence de plusieurs expressions métaphoriques qui appartiennent à un concept sémantique commun, dans ce cas celui des métaux (Cameron 2010, 25). La métaphore CIVIL PARTNERSHIP IS THE SILVER STANDARD et la présupposée UNMARRIED COUPLES ARE THE BRONZE STANDARD ont été développées à partir et en rapport direct avec la métaphore MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD.

Cependant, si ces métaphores ont été créées – c’est pour cette raison que leur usage est considéré comme délibéré – c’est avant tout dans le but de critiquer et de remettre en cause la métaphore MARRIAGE IS THE GOLD STANDARD, comme le montre l’exemple (6):

(6) The language about a gold standard, bronze standard and so on is not exactly offensive, but it is wholly inappropriate. People live their lives in many different ways, and we should not judge between one and another.(Chris Bryant - Corpus-Debate)

L’analogie entre l’étalon d’or et le mariage est assimilée par Chris Bryant à une certaine agressivité (offensive) et totalement inappropriée (wholly inappropriate). La nature même des relations humaines, de par leur diversité, en rend la hiérarchisation déplacée et dangereuse (judgement). Maria Miller semble ne pas avoir anticipé la dimension hiérarchique intrinsèque à tous les métaux, qui se distinguent les uns des autres selon leur rareté, mais aussi selon la valeur que la société leur a attribuée.

Conclusion

Dans ce travail, j’ai cherché à opposer l’émergence et la présence de deux métaphores conceptuelles essentielles dans la définition, la représentation et la conceptualisation du rôle et de la fonction sociale du mariage dans la société britannique dans le débat parlementaire same sex marriage bill. Bien évidemment, bon nombre d’autres schémas métaphoriques sont présents et développés dans le débat. La focalisation sur ces deux instances métaphoriques a été privilégiée notamment parce qu’elle permet de s’interroger sur une utilisation délibérée ou non des expressions métaphoriques en en montrant les divers enjeux discursif et argumentatif. Il a ainsi été possible de souligner les enjeux et fonctionnements de deux métaphores, MARRIAGE IS THE FOUNDATION OF SOCIETY et MARRIAGE IS THE GOLD-STANDARD, qui interrogent directement les relations intrinsèques entre créativité linguistique et implication argumentative de l’usage métaphorique dans le discours politique à visée persuasive.

Bibliographie

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STEEN, Gerard J., Aletta G. DORST, J. Berenike HERRMANN, and Anna A. KAAL, A Method for Linguistic Metaphor Identification: From Mip to Mipvu. Amsterdam; Philadelphia: John Benjamins Pub. Co., 2010.


Notes

↑ 1 Je tiens à remercier tout particulièrement Mme Agnès Celle, Professeur des Universités, et Mme Emilie L’Hôte, Maître de Conférences, pour leur aide et nombreux conseils dans la rédaction de cet article, ainsi que les relecteurs anonymes pour la qualité et la pertinence de leurs remarques.

↑ 2 Site disponible à l’adresse suivante : http://www.parliament.uk/business/publications/hansard/

↑ 3 Wmatrix est accessible à partir de l’adresse suivante : http://ucrel.lancs.ac.uk/wmatrix/

↑ 4 Le rapport de vraisemblance a été choisi dans l’ensemble des tests statistiques effectués. Seuls les résultats supérieurs ou égaux à la valeur 15.13 ont été pris en considération dans nos analyses. Pour plus d’informations sur le rapport de vraisemblance, se référer au lien suivant : http://ucrel.lancs.ac.uk/llwizard.html

↑ 5 Comme l’indique L’Hôte, l’analyse en termes de mots clés consiste à comparer « the frequency of a given linguistic element in a primary corpus with the frequency of the same element in a reference/secondary corpus to determine whether the difference between the two is significant or not » (L’Hôte 2014, 40).

↑ 6 Plus d’information sur le terme « concept sémantique » au lien suivant : http://ucrel.lancs.ac.uk/usas/

↑ 7 J'ai étendu le contexte afin de prendre en compte les 500 termes qui précédaient, ainsi que les 500 termes qui suivaient le lexème analysé.

↑ 8 « entire text-discourse »est ici compris comme synonyme de « extended context »

↑ 9 La colonne du tableau intitulée « corpus » indique le corpus étudié et d’où les résultats statistiques sont extraits. La colonne « UCREL » indique le sigle qui fait référence au concept sémantique dont la nomination est explicitée intégralement dans la colonne « Intitulé ». Ainsi, le sigle « H3 » renvoie au concept sémantique « Areas around near houses » précédemment déterminé par Wmatrix au moyen de l’UCREL Semantic Analysis System (USAS). Enfin, la colonne « LL » indique le rapport de vraisemblance obtenu pour chaque concept sémantique considéré. Par manque de place, il n’a été retenu que les phénomènes de surreprésentation lexicale.

↑ 10 L’ensemble de ces collocations a été obtenu après avoir répertorié, analysé et cherché les collocations significatives de l’ensemble des lexèmes disponibles dans les concepts sémantiques présents dans le tableau 1.

↑ 11 Certains schémas collocationnels retenus peuvent à première vue ne pas faire directement référence au mariage, comme par exemple strengthen+institution (LL=30.16). L’étude contextualisée des lexèmes permet cependant de lever de telles ambiguïtés ; en effet, il apparaît dans le cas de strengthen+institution que le terme institution, ambigu hors de tout contexte, et associé de façon répétée au lexème marriage, dans le cadre de la collocation marriage+institution (LL=251.86), dans des structures nominales telles que the institution of marriage.

↑ 12 On remarque dans cet exemple la présence d’une deuxième métaphore, celle-ci végétale, par l’utilisation du verbe to flourish, qui renforce l’influence positive du mariage sur la société dans son ensemble.

↑ 13 Notons ici une représentation métaphorique originale de la métalangue. La substance interne fait référence, je suppose, à la définition même du mariage.

↑ 14 Cette référence à l’effritement progressif de la société illustre l’utilisation de l’argument fallacieux dit « de la pente savonneuse », très présent dans le débat, mais que le manque de place ne permet pas de développer dans cet article.

↑ 15 Définition disponible au lien suivant : http://www.oxforddictionaries.com/definition/english/gold-standard?q=gold+standard

Pour citer cet article :

François LABATUT, La représentation du « Same Sex Marriage » – enjeux cognitifs et métaphoriques, Les avatars de la métaphore, Publifarum, n. 23, pubblicato il 15/10/2015, consultato il 26/04/2024, url: http://www.farum.it/publifarum/ezine_articles.php?id=318

 

Dipartimento di Lingue e Culture Moderne - Università di Genova
Open Access Journal - ISSN électronique 1824-7482

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