Salah MEJRI, Luis MENESES-LERIN, Brigitte BUFFARD-MORET, La phraséologie française en questions

di | 16 Febbraio 2023

Salah MEJRI, Luis MENESES-LERIN, Brigitte BUFFARD-MORET, La phraséologie française en questions, Hermann, Paris, 2020, 462 pp.

Cet ouvrage rassemble des contributions en français sur la phraséologie française et d’autres langues, dont une partie est issue de la deuxième rencontre sur la phraséologie française organisée par l’Université d’Artois. 28 contributions sont rassemblées en trois axes thématiques, qui correspondent à autant de parties de l’ouvrage.

La première partie est consacrée aux Aspects théoriques et descriptifs.

S. Berbinski (« A peu près »– Une locution à peu près comme les autres, pp. 15-33) envisage le figement dans un sens élargi et adopte la dénomination Items Discursifs Figés (IDF). Dans cette étude, l’A. s’occupe de la locution à peu près : après avoir retracé sa naissance dans les sources lexicographiques, un corpus de 450 extraits littéraires et médiatiques est utilisé pour vérifier que cet IDF possède les caractéristiques de non compositionnalité, restriction de sélection, blocage transformationnel, non substitution synonymique, opacité sémantique. A peu près s’avère une locution bloquée du point de vue syntaxique, indécomposable, partiellement opaque et analysable dénotativement.

L’étude de K. Bogacki (Les cliques dans les recherches sur l’isomorphisme des phraséologismes et/ou des mots simples appartenant à deux langues ?, pp. 35-45) prend en compte les spécificités et les points communs des phraséologismes et des lexèmes simples : les unités phraséologiques sont des signes dont le signifiant est divisible et le signifié indivisible. S’appuyant sur des exemples français et polonais, il expose la variété formelle des phraséologismes et propose d’employer, pour le côté sémantique, une notion empruntée aux mathématiques et utilisée par l’équipe du Dictionnaire Electronique des Synonymes (DES) : il s’agit des cliques ou ensembles maximaux de mots synonymes entre eux. L’A. expose les inconvénients rencontrés dans la pratique lexicographique lors de l’emploi de la méthode des cliques, dûs entre autres à la présence des aspects verbaux en polonais, au passage de la 1re à la 3ème personne ou du présent de l’indicatif à un autre temps ou mode, qui peuvent engendrer des problèmes d’acceptabilité.

C. Díaz Rodríguez (Révision taxonomique des unités phraséologiques lexicales, pp. 47-58 ) propose une révision de la classification des unités phraséologiques fondée sur la construction du sens phraséologique, qu’il considère comme le « seul garant suffisant et nécessaire de la nature phraséologique de toute combinaison ». En premier lieu, l’idiomaticité, la non compositionnalité et la conventionnalisation, l’enrichissement du point de vue sémantico-pragmatique sont posés comme caractéristiques essentielles du sens phraséologique. Ensuite, trois dichotomies sont proposées, qui permettent de classifier les unités phraséologiques : les UP locutionnelles, dans lesquelles les composantes sont réinterprétées comme un ensemble (fleur bleue), s’opposent aux UP collocationnelles, dont le sens est additif (chocolat blanc); les UP à fonction qualifiante, qui n’identifient pas une classe dénotative stable (bête noire), s’opposent aux UP  à fonction classifiante, qui font référence à une classe dénotative stable (or noir) ; enfin, les UP syntagmatiques (bateau à vapeur) s’opposent aux UP supra-syntagmatiques (Quand les poules auront des dents).

H. Ammar (Les modalisateurs dans les collocations complexes, pp. 59- 71) étudie les manifestations de la modalisation dans les collocations complexes (CC), définies comme des « structures binaires qui combinent deux unités lexicales appropriées, dont l’une est monolexicale et l’autre polylexicale ». L’A. présente les caractéristiques définitoires des CC, c’est-à-dire la binarité (elles se composent d’une base monolexicale et d’un collocatif polylexical, ex. bête / comme un panier), l’attraction mutuelle (la base sélectionne le collocatif), la sélection lexicale (si on parle d’une quantité minime de liquides, on dit un nuage de lait mais une gorgée de café). Ensuite, elle analyse les types de modalisateurs collocationnels : externes, comme devoir dans nous devons dénoncer à pleine voix ; internes, comme à crever dans il faisait une chaleur à crever ; doubles, comme dans belle (modalité appréciative) à faire pleurer (modalité intensive). Enfin, elle étudie les configurations possibles de la hiérarchie prédicative des énoncés qui contiennent les CC.

D. Lajmi (L’enchaînement polylexical : une nouvelle création phraséologique ?, pp.73-87) s’intéresse aux « blocs phraséologiques » formés par la combinaison de séquences polylexicales sur l’axe syntagmatique, comme [être en butte à] [une litanie de reproches]. Après la définition du phénomène de l’enchaînement polylexical et la présentation de ses typologies (e.l. de locutions, collocationnel, terminologique, proverbial) et configurations syntaxiques (ex. verbe support complexe + déterminant complexe : On [fait l’objet de] [tas de] pressions), l’A. explore la possibilité que l’enchaînement polylexical soit une nouvelle création phraséologique, en vérifiant d’abord les mécanismes formels, sémantiques et syntaxiques de phraséologisation, puis les étapes du parcours de phraséologisation : le moulage, la stabilisation, l’intégration dans les ressources lexicales du locuteur, la lexicalisation.

S. Palma (Stéréotypes lexicaux, locutions et autres blablas, pp. 89-99) se demande si on peut considérer les locutions comme des outils linguistiques qui véhiculent des contenus stéréotypiques rattachés aux mots qui les composent. L’hypothèse de départ a déjà été vérifiée par l’auteur pour les proverbes doxaux (Tel père, tel fils) et paradoxaux (Tout ce qui brille n’est pas or) ainsi que pour les locutions à polarité, telles être aux anges (locution à polarité positive) et dormir de la nuit (locution à polarité négative, c.à.d. qu’elle ne s’emploie qu’à la forme négative). Le corpus de cette étude est constitué par les locutions et proverbes contenant les mots bouche, langue, parler en français et leurs équivalents en espagnol :  les contenus stéréotypiques validés par ces locutions sont répartis selon le sens attribué au mot bouche : siège de la parole (motus et bouche cousue), ou siège du goût (mettre l’eau à la bouche).

A. Radulescu (Le verbe roumain a trage [tirer] – quels types d’unités phraséologiques ?, pp. 101-115) étudie les unités phraséologiques du roumain contenant le verbe a trage [tirer], dans un but aussi bien descriptif que didactique. Son corpus de 100 unités est tiré de sources lexicographiques monolingues et bilingues français-roumain. L’A. classe les unités phraséologiques du corpus sur la base de critères formels (a trage + Nom, + Prép. etc.), syntactico-sémantiques (opacité et degré de figement) et pragmatiques. Il en résulte trois catégories d’unités : les locutions verbales, dans lesquelles le verbe a trage est vide de sens et se comporte comme un verbe support (a trage un trombon, traduction littérale tirer un trombone, équivalent mener par le bout du nez); les collocations, dans lesquelles le a trage est employé dans son sens propre (a trage mâța de coagă, traduction littérale tirer le chat par la queue, équivalent tirer le diable par la queue); les parémies, structures binaires à valeur sentencieuse comme Capul face, capul trage (traduction littérale La tête fait, la tête tire – équivalent : Qui fait la faute la boit).

S’inscrivant dans la théorie de la troisième articulation du langage (Mejri 2018), I. Mizouri (La discontinuité polylexicale : espace d’enchaînement discursif ?, pp.117-140) présente une étude sur les enchaînements polylexicaux discontinus. L’unité de la triple articulation du langage est l’unité lexicale, qui peut avoir différentes configurations avec un ou plusieurs constituants lexicaux (du morphème à l’énoncé complet) et un constituant grammatical (encapsulateur). Les unités lexicales polylexicales peuvent être continues ou discontinues :  dans le cas de l’enchaînement discontinu, qui intéresse l’A. dans ce texte, un espace lexical et discursif se crée, appelé « empan lexical ». L’A. présente de nombreux exemples d’empans de différentes tailles (intraphrastique, interphrastique et discursif), tirés de textes littéraires.

Les contributions insérées dans la deuxième section, Usages pragmatiques et appliqués, sont au nombre de douze et présentent des points de vue aussi variés que ceux de la pragmatique, de la métalexicographie, des études sur la phraséologie en diachronie et sur le défigement.

Dans sa contribution, A. Zrigue (Les proverbes : un type particulier de pragmatèmes, pp.143-156) avance l’hypothèse que la dénomination pragmatème, qui selon Mel’čuk et Polguère indique des syntagmes non libres conditionnés pragmatiquement, peut être utilisée pour désigner les proverbes. En fondant ses observations sur un corpus de 5000 parémies, l’A. montre que les caractéristiques des pragmatèmes se retrouvent dans les proverbes, comme l’emploi conditionné par la situation d’énonciation et la structure sémantique binaire, comportant un sens linguistique compositionnel transparent et un sens pragmatique opaque et isolable. Parmi les proverbes, l’A. distingue les proverbes pragmatèmes-clichés compositionnels comme Premier venu, premier servi, des proverbes pragmatèmes-locutionnels non compositionnels, comme Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Enfin, elle présente une typologie des contraintes pragmatiques qui pèsent sur les proverbes sur l’axe diachronique, diastratique, diaconnotatif.

X. Blanco (La quantification non numérique appliquée au nom en ancien français, pp. 157-178) étudie les collocations à base nominale dans Le Val des Amants infidèles, un texte du début du 13e siècle. Il s’intéresse à la quantification non numérique, qui permet d’exprimer des oppositions telles que ‘beaucoup’-‘peu’ (catégorie de l’Intensité), ‘plus’-‘moins’, ‘tout’-‘non tout’, ‘élément’-‘ensemble’. La catégorie la plus représentée dans le texte est celle de l’Intensité, avec des collocations comme anemi morteil (‘ennemi mortel’), grant plenté (‘grande quantité’), plourer mout durement (‘fondre en larmes’). Deux autres catégories sont présentes dans le corpus, mais moins représentées : la Mesurativité, qui concerne la taille d’une Entité (ex. grandismes fossés  – ‘immenses fossés profonds’) et la Collectivité qui spécifie un élément d’un ensemble  ou un ensemble d’éléments (ex. grant plenté de cols durs et pesants – ‘une avalanche de coups durs et pesants’).

Le travail de G. Dotoli (La phrase littéraire dans le dictionnaire : une autoréférence signifiante, pp.179-196) est un plaidoyer pour la présence d’exemples littéraires dans le dictionnaire monolingue. S’appuyant sur un vaste nombre d’études métalexicographiques et sur le paratexte lexicographique des principaux dictionnaires français, et prenant source dans les études fondatrices de la métalexicographie en France (Quemada, Rey, Rey-Debove), l’A. aborde de nombreuses questions liées à la rubrique lexicographique qu’il dénomme phrase littéraire ou citation-phrase (exemple cité dans la terminologie de Jean Pruvost) : sa fonction de légitimation du dictionnaire, son caractère autonyme, les critères de choix du corpus littéraire, les problèmes de découpage de la citation, de mise en relief typographique, de renvoi bibliographique. La phrase littéraire est pour l’A. un « signe total » (ayant entre autres un rôle d’exemplum et argumentum) et une « microstructure fondamentale du dictionnaire ».

Dans son article, (Et avec ça ma petite dame ? Les multiples usages de petit dans la phraséologie française, pp. 196-211) J. Goes explore d’abord les emplois de l’adjectif petit en fonction des classes de substantifs qu’il qualifie, qui sont traditionnellement tripartites : minimisant ; hypocoristique ou axiologique ; diminutif et lié à l’enfance d’un être animé. L’omniprésence de petit, au-delà de ces analyses traditionnelles, pousse l’A. à se demander s’il y a un emploi de petit relevant de la phraséologie, à l’intérieur de collocations ou d’autres séquences figées. Il se concentre alors sur l’emploi minimisant de petit, fréquent avec kilo et dans l’hôtellerie-restauration (petit café, petit dessert), puis sur l’emploi axiologique, hypocoristique (Et la petite dame, qu’est-ce qu’elle veut ?) ou péjoratif (C’est du petit football ce qu’on a vu).

Dans leur étude, L.Gonon, V. Goossens et I. Novakova (Les phraséologismes spécifiques à deux sous-genres de la paralittérature : le roman policier et le roman sentimental, pp. 213-226) cherchent à établir si les phénomènes phraséologiques peuvent servir pour identifier deux sous-genres de la paralittérature, le roman policier (POL) et le roman sentimental (SENT). A l’aide du Lexicoscope, un outil d’interrogation des corpus et suivant une approche corpus driven, les A. étudient les variations paradigmatiques et syntagmatiques et les fonctions discursives (FD) de motifs textuels récurrents : allumer une cigarette dans POL, froncer les sourcils dans SENT, regarder (SENT) et consulter (POL) sa montre.

L. Hosni (Figement et cohérence textuelle : de la cohérence interne à la cohérence externe, pp. 227-239) s’intéresse au rôle de la Séquence Figée dans la cohérence textuelle. Les principes de congruence et de fixité à l’œuvre dans les SF sont pris en compte au début du travail pour une mise au point terminologique. Ensuite, l’A. propose une analyse des relations lexicales possibles entre une SF et un autre type d’unité lexicale : anaphore (par exemple entre la SF et le pronom ça), répétition d’un des composants de la SF (prudence est mère de sûreté – prudence), équivalence sémantique (prendre la poudre d’escampette – fuir), relation avec une unité lexicale morphologiquement associée (noyer le poisson – noyade). Les SF contribuent à la cohérence du texte quand elles entrent dans une relation lexicale avec un autre élément du texte ou avec l’un de ses éléments : les deux éléments de la relation sont congruents du point de vue syntaxique ou sémantique ou morphologique. Enfin, l’A. explore les différents types de relations entre une SF et une forme défigée correspondante.

M. Kauffer (La pragmatique est-elle soluble dans la phraséologie ?, pp. 241-257) présente une série d’arguments en faveur de l’intégration de la dimension pragmatique dans la phraséologie. Premièrement, il existe des phraséologismes pragmatiques, tels les formules conversationnelles qui ont des fonctions au niveau de l’organisation du discours (ex. à mon avis, bref), et les pragmatèmes, qui sont pragmatiquement liés à la situation dans laquelle ils sont énoncés (ex. à table !) .En guise de deuxième argument, l’A. présente le fonctionnement d’une autre catégorie de phraséologismes pragmatiques, les actes de langage stéréotypés (ALS, ex. La belle affaire !) qui ont un statut d’énoncé, un sens non-compositionnel et une fonction pragmatique dans la communication (approuver, refuser, menacer, banaliser, exprimer l’étonnement ou la colère). L’A. n’oublie pas d’énoncer les contre-arguments respectifs de chaque argument, les difficultés de classification et de signaler les définitions qui méritent d’être retravaillées.

T. Ben Amor (Comment interpréter le sens des énoncés défigés ?, pp. 260-275) présente une étude sur l’interprétation des énoncés défigés (ED) basée sur un corpus d’exemples réels tirées des Brèves du comptoir (J.M. Gourio 2007, 2013) et des perles du Baccalauréat et du Brevet d’Etudes du premier cycle, deux ressources qui ont en commun une double prise en charge énonciative : l’acte non intentionnel du locuteur initial est suivi de l’acte intentionnel du locuteur rapporteur qui établit le statut de brève ou de perle. L’A. montre que le défigement appartient à plusieurs systèmes sémiotiques dans le domaine artistique et scientifique, et non seulement au système linguistique. Au-delà de la dimension linguistique, l’interprétation d’un ED suppose également des opérations cognitives et mobilise des compétences mnésiques, des opérations mentales qui établissent l’analogie et la discrimination entre Séquence Figée et ED, et une opération de synthèse. L’A. propose une typologie des ED selon leur recevabilité (bien formés, agrammaticaux, asémantiques, non vériconditionnels transgressant la dimension référentielle, posant un problème d’acceptabilité, incongrus) et montre les différents parcours interprétatifs des ED, selon que la SF de départ se prête à une double interprétation analytique (littérale) et synthétique, ou à la seule interprétation synthétique.

Y. Yakubovich (Collocations dans la poésie : de la norme linguistique à son dépassement, pp. 278-292) s’intéresse au rôle des collocations dans le langage poétique, qui se caractérise par la transgression de la norme linguistique, l’originalité et l’ambiguïté. L’A. s’appuie sur les outils méthodologiques développés au sein de la théorie Sens-Texte (fonction lexicale, phrasème) pour analyser les collocations à l’intérieur d’un corpus multilingue romano-slave. Dans un premier temps, elle analyse les emplois conformes à la norme, dans des textes qui, dans un but précis de l’auteur, n’ont pas recours aux irrégularités lexicales et syntaxiques. Ensuite, elle aborde les combinaisons irrégulières de type collocationnel : celles basées sur la rupture de la restriction sémantique, comme l’association du sujet foc au verbe picorer, normalement employé pour les oiseaux ; la fabrication individuelle d’une nouvelle collocation, comme la douleur s’évanouit ; le défigement d’une collocation, comme pleurer à grosses planches (de pleurer à gros sanglots).

L. Zhu (Défigement et moule locutionnel, pp. 293-307) s’interroge sur le continuum entre la combinatoire libre et les séquences figées (SF) et s’intéresse en particulier aux Séquences Défigées (SD) : ces séquences sont reconnaissables par rapport à la séquence figée d’origine et calculables : afin de les interpréter correctement, l’interprétant est obligé de calculer la somme des sèmes des composantes en relation au contexte. Selon l’A., il existe des moules lexicaux avec des degrés de fixité variable : les séquences adverbiales comme à tombeau ouvert sont plus fixes que les séquences verbales comme avoir un appétit d’oiseau, qui admet plusieurs formes du verbe avoir. Concernant les SD, l’A. distingue entre le défigement par modification formelle (secousses sismiques – couscous sismiques), qui peut avoir pour résultat une SD grammaticale (Luc prend le bouc par les cornes) ou agrammaticale  (Luc prend le taureau par soudainement les cornes) et le défigement par modification con(n)textuelle lorsqu’une SF est utilisée en dehors de son contexte habituel et avec un autre schéma d’arguments. Enfin, il aborde les séquences comportant une signification culturelle, comme avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Cette section se clôt avec le travail de J.-P. Colson (La phraséologie, discipline linguistique autonome ou intégrée ? Arguments constructivistes et fondés sur les corpus, pp. 310-321), qui envisage l’interaction entre la linguistique cognitive, en particulier la grammaire de construction, et la phraséologie. Si la construction est « une association conventionnelle et apprise de forme et de sens », alors les points de convergence avec la phraséologie sont nombreux et toutes les constructions peuvent être considérées comme idiomatiques, car elles comportent une association imprévisible de forme et de sens. L’A. expose en outre l’apport de la phraséologie computationnelle et en particulier l’application web IdiomSearch, qui permet d’extraire d’un corpus les unités phraséologiques les plus fréquentes, en utilisant une méthode qui prend en compte la distance moyenne entre les éléments qui composent une unité phraséologique ou score cpr (corpus proximity ratio).

La troisième et dernière partie, Didactique et enseignement des langues, est consacrée à la phraséodidactique et comprend sept contributions.

A. Arroyo-Ortega (Les constructions fondamentales : à la limite entre le figement et la combinatoire libre, pp.325-335) réfléchit sur le rapport entre le mot phonologique et l’unité syntaxique, sémantique et pragmatique, dans le but de parvenir à une définition de « construction fondamentale ». Ce concept, dont les propriétés évoquées par l’A. sont tirées des travaux du Français Fondamental, des courants formalistes et de la grammaire des constructions, s’enrichit, lorsqu’il s’agit de phraséologie, de deux propriétés : le degré de figement et l’unité prosodique. L’A. fournit plusieurs exemples de ces énoncés-constructions phonologiques fondamentales, comme on se croirait…, ne me demandez surtout pas… , qu’il définit comme des moules dit ou entendus par des énonciateurs, qui forment une unité syntaxique, sémantique et prosodique, sont caractérisés par un certain degré de figement et se situent à la frontière entre le figement et la combinatoire libre.

A.H. Burrows et R. Cetro (Peut-on tester la composante phraséologique dans un test de positionnement ?, pp.337-354) constatent que l’essor des études en phraséodidactique ne se réflète pas dans la documentation institutionnelle, qui ne cite que des références datées, adopte une terminologie imprécise et n’utilise que des ouvrages lexicographiques comme sources des inventaires. En outre, l’enseignement de la phraséologie repose encore souvent sur l’intuition des enseignants et ne se réalise que pour un public avancé. Dans leur contribution, elles s’interrogent sur la manière de tester la compétence phraséologique d’apprenants allophones dans un test de positionnement. Le test, élaboré à la demande de plusieurs établissements supérieurs et développé par le Pôle d’Elaboration des Ressources Linguistiques (PERL), porte sur trois champs de compétences, à savoir la compréhension orale, la compréhension écrite et les composantes de la compétence linguistique. La compétence phraséologique, imbriquée dans les c. sociolinguistique, lexicale et morphosyntaxique, est testée dès les niveaux A1 et A2 à travers, par exemple, des QCM portant sur les noms composés des électroménagers ou les locutions conjonctives et prépositionnelles.

Le contexte dans lequel se situe la recherche de D. Dinca (De la linguistique à la didactique : les cas des collocations verbales dans le discours juridique, pp. 355-379) est celui du Master de traduction et terminologie juridiques de l’Université de Craiova en Roumanie. L’A. constate que, malgré les ressemblances existant entre les systèmes de droit français et roumain, il est difficile de traduire les collocations verbales (CV), formées par un verbe de langue générale et un substantif de langue de spécialité. Après une réflexion autour des appellations des collocations et de leurs caractéristiques (caractère binaire, dissymétrie des composants de la collocation, transparence, fixité syntaxique, arbitraire), l’A. distingue entre collocations lexicales et collocations conceptuelles ou terminologiques ou phraséotermes, ces derniers étant formés généralement d’un substantif comme mot-clé et d’un collocatif qui le détermine et crée des sous-catégories notionnelles, ex. compte bancaire, c.courant etc. Elle propose une méthodologie didactique pour les CV en langue juridique qui utilise les corpus parallèles de traduction (démarche contrastive) et fournit aux apprenants les stratégies nécessaires pour le décodage.

Y.I. Hernández Muñoz (Les constructions françaises fondamentales : quelle place dans l’univers phraséologique ?, pp.381-391) expose les premières étapes de son questionnement autour d’énoncés oraux ou relevant de l’écrit oralisé qui présentent un degré de fréquence et des contraintes sémantiques, syntaxiques et pragmatiques. La réflexion de l’A. prend comme point de départ le Français Fondamental et Les constructions fondamentales de Pierre le Goffic et Nicole Mac Bride, mais elle s’éloigne de leur vision structuraliste et considère comme construction fondamentale un énoncé complet du point de vue intonatif, syntaxique, sémantique, pragmatique, rattaché à une situation d’énonciation et présentant un degré de fréquence important dans les corpus médiatiques (publicités, réseaux sociaux), comme on a changé de et ce serait dommage de. Ces constructions peuvent être fermées, si elles sont immuables comme quel âge as-tu ?, ou bien ouvertes, si elles présentent une certaine flexibilité sur l’axe paradigmatique et la possibilité d’ajouts sur l’axe syntagmatique, comme les constructions qui suivent le mot dièse # : par exemple, #toutsaufMacron a pu devenir tout sauf ça, tout sauf ce film etc.

N. Khodabocus et A. Masset-Martin (Les unités phraséologiques en classe de FLE / FOU, pp. 393-404) s’interrogent sur les raisons de l’enseignement des collocations en classe de FLE (Français Langue Etrangère) / FOU (Français sur Objectif Universitaire) et sur l’existence de collocations spécifiques au domaine littéraire. Les A. situent d’abord les collocations dans le domaine phraséologique, parmi les Unités Phraséologiques avec lesquelles les collocations partagent les traits de la contrainte et du figement syntaxique, sémantique, lexical et pragmatique : les collocations sont définies comme des combinaisons de mots qui apparaissent souvent ensemble, qui relèvent de la compétence des locuteurs natifs et qui sont semi-figées et compositionnelles. Ensuite, les A. abordent les problèmes liés à la traduction des collocations : premièrement la traduction littérale est impossible et les équivalents imprédictibles ; deuxièmement, les apprenants ne savent pas où chercher dans le dictionnaire (à la base ou au collocatif). Dans la dernière partie de leur contribution, les A. constatent que les outils pédagogiques négligent l’enseignement des collocations, puis proposent des pistes pédagogiques variées (allant du repérage, au réemploi, à la recherche lexicographique) qui prennent appui sur la notion plus générale de blocs de mots.

M. Krylyschin (L’étude des locutions phraséologiques en classe de langue : de la grammaire à l’écriture, pp. 405-418) remarque l’intérêt de l’apprentissage des locutions et expressions phraséologiques non seulement du point de vue communicationnel et interculturel, mais aussi du point de vue de leur organisation syntaxique. Elle préconise l’acquisition d’un savoir linguistique et non plus métalinguistique sur la langue française et la mise en œuvre d’activités de manipulation des locutions phraséologiques sur l’axe syntagmatique et paradigmatique, de manière à tester leur degré de figement. Il existe en effet deux types d’écriture, tous les deux nécessaires : é. syntactique ou syntagmatique ; é. paradigmatique, dé-cotextualisée et consistant en listes et tableaux. L’A. propose enfin une démarche didactique de conscientisation à partir d’exemples tirés d’un livre d’or.

Dans sa contribution, A. Lectez (Application de la démarche interculturelle à la phraséologie, pp. 419-432) adopte une position clairement phraséophile et favorable à l’enseignement de la phraséologie en langue étrangère. L’A. s’appuie sur les travaux de Munoz concernant la recherche d’équivalents parémiologiques, qui doit être fondée avant tout sur le critère conceptuel et puis sur le critère formel, et les applique à la phraséologie chinoise. Après une présentation des différentes typologies de parémies chinoises ou shuyu (chengyu – locutions proverbiales, yanyu -proverbes, suyu  – dictons, xiehoyu – expressions en suspens), l’A. présente une séquence pédagogique sur le proverbe A quelque chose malheur est bon, dans laquelle il applique la démarche interculturelle de Mangiante en quatre étapes : phase contrastive, phase d’intercompréhension culturelle, phase d’empathie, phase de reconstruction des représentations.

Le volume se termine avec trois Comptes rendus d’ouvrages récents sur la phraséologie (pp. 443-454) par Imen Mizouri.

[Michela Murano]