Sheila VIEIRA DE CAMARGO GRILLO, Sandrine REBOUL-TOURÉ, Maria GLUSHKOVA (éds), Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques

di | 17 Febbraio 2023

Sheila VIEIRA DE CAMARGO GRILLO, Sandrine REBOUL-TOURÉ, Maria GLUSHKOVA (éds), Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques. Études contrastives vol. 16, Bruxelles, Peter Lang, 2021, pp. 352.

Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques rassemble des études portant sur des langues et des approches différentes. Comme Sheila VIEIRA DE CAMARGO GRILLO, Sandrine REBOUL-TOURE, Maria GLUSHKOVA et Flávia Silvia MACHADO le remarquent dans leur introduction (Introduction : comparaison, invariance et altérité, pp. 13-32), la diversité des langues et des approches est le point de force de ce volume, organisé autour d’aspects partagés par les linguistes ayant participé à cette publication. Ces aspects concernent l’exploration de corpus appartenant à des langues différentes et à leur comparaison interlinguistique à partir d’invariants qui relèvent d’un genre de discours et qui permettent d’identifier tant des régularités que des dissemblances interlinguistiques. La richesse de ce volume est en outre témoignée par les cadres théoriques d’analyse exploités, qui se rapportent à l’analyse du discours française, aux travaux issus du courant dialogique de Bakhtine et à la « linguoculturologie » russe. Il s’agit de cadres théoriques qui reflètent les origines françaises, brésiliennes et russes des groupes de recherche (parmi lesquels, on rappelle, entre autres, le CEDISCOR) et donc une perspective internationale. Les réflexions des auteures se concentrent sur la naissance et sur le développement de la perspective comparativo-contrastive à partir des trois approches susmentionnées et de leurs interférences réciproques, qui peuvent être reliées aux deux notions clés du volume : d’une part, la culture et son rapport avec la langue et le discours ; de l’autre, le genre de discours, autrement dit l’invariant de la comparaison.

Les douze contributions de cet ouvrage sont articulées autour de quatre sections dont le dénominateur commun est la combinaison entre l’analyse du discours et la comparaison, par rapport à des communautés linguistiques différentes.

La première partie, Analyse du discours comparative/ contrastive : éléments pour un cadre théorique (pp. 32-87), se compose de trois contributions.

Patricia VON MÜNCHOW (L’analyse du discours contrastive, un voyage au cœur du discours, pp. 34-53) rappelle la naissance et le développement du courant de l’analyse du discours contrastive (ADC), créé par l’auteure elle-même au début des années 2000 sous le nom de « linguistique de discours comparative ». Cette discipline, au carrefour entre l’analyse du discours française (ADF), la linguistique textuelle et les approches contrastives, se développe grâce également à l’apport d’autres linguistes qui l’ont adoptée et mise à jour. Si elle s’est dès le début appuyée sur l’analyse de corpus contrastifs, ses évolutions plus récentes concernent le domaine de l’éducation, ainsi que la prise en compte d’une interface cognitive et de l’hétérogénéité des discours vis-à-vis d’une homogénéisation initiale de ceux-ci. En particulier, l’ADC repose sur les manifestations d’un même genre discursif dans au moins deux communautés différentes pour comparer des opérations discursives qui résultent des marques linguistiques utilisées par les sujets qui les énoncent. C’est par le biais d’un corpus de manuels scolaires d’histoire, dont quatre français et sept allemands, en usage entre 2012 et 2014, que l’auteure souligne la nécessité de prendre en compte les traits d’homogénéité et d’hétérogénéité du corpus examiné et, plus en général, de l’ADC. Sur l’exemple d’extraits portant sur la présentation de la Première Guerre mondiale dans les deux manuels, créés et utilisés par deux communautés dont l’engagement dans la Grande Guerre a été différent, des hétérogénéités intratextuelles importantes et manifestes émergent de l’analyse du corpus en termes de relation « agresseur-agressé » pour la France, « Européens-Africains » pour l’Allemagne. Pour autant, ce sont également des cultures discursives basées sur le « peu-dit » et sur le « non-dit », à côté du « dit », que l’auteure présente pour souligner la manière dont des cultures discursives peuvent apparaître et s’évoluer.

La deuxième contribution, rédigée par Sheila VIEIRA DE CAMARGO GRILLO (Fondements théorico-méthodologiques pour les analyses comparatives/ contrastives des discours : les documents officiels de l’éducation de base au Brésil et en Russie, pp. 55-85), s’intéresse aux concepts de culture, d’idéologie, de signe idéologique, d’emphase évaluative, et aux relations que ceux-ci entretiennent avec le discours et la langue pour effectuer une analyse comparative entre deux documents officiels d’éducation fondamentale au Brésil et en Russie : la Base Nationale Commune Curriculaire (BNCC) brésilienne et « Sur l’approbation du modèle éducatif du gouvernement fédéral à l’Éducation Fondamentale générale », à savoir la base commune permettant de rapprocher les deux cultures discursives éducatives brésilienne et russe. Pour tester l’hypothèse d’après laquelle les matérialisations en énoncés et en signes idéologiques des représentations sociales acquerraient une certaine stabilité dans les genres, VIEIRA DE CAMARGO GRILLO propose une analyse comparative des deux documents brésilien et russe précités, relativement à la section sur la langue au premier degré, d’où il émerge que ces produits idéologiques sont le résultat de conditions socio-historiques données. Si les énoncés des deux documents font référence à des examens d’évaluation orientant les conceptions de l’enseignement des langues, dans le document brésilien la conception du langage des documents officiels est plus interactive que dans le document russe, qui privilégie une conception de la langue comme moyen de compréhension de la vision du monde étroitement liée à la culture. Un examen plus détaillé concerne les composants curriculaires de la langue dans les deux documents : il s’ensuit une distinction plus ou moins marquée entre la langue et la littérature et par rapport aux « emphases évaluatives », qui montreraient un attachement plus fort à l’identité et à la culture nationales, et comme construction formelle et sémantique en Russie. Cette analyse montre par ailleurs que des conditions socio-historiques de formation ethnographiques et politiques importantes apparaissent dans les documents des deux pays – les inégalités socio-économiques au Brésil vs la multiplicité ethnique, linguistique, culturelle et administrative de la Russie. Dans ses conclusions, l’auteure remarque que les deux documents officiels examinés sont révélateurs de modes de perception du processus éducatif dans les sphères académiques et éducatives des deux pays, sous-tendant des valeurs, croyances et significations des deux cultures discursives qui se reflètent sur les sujets qui participent à la réalisation des documents officiels en matière d’enseignement.

Dans la troisième contribution, Comparer des genres de discours en français et en japonais : questionnements théoriques et méthodologiques (pp. 86-113), Chantal CLAUDEL examine les outils théoriques et méthodologiques visant à bien conduire une analyse comparative sur les genres au sein de communautés linguistiques éloignées. L’étude de cas présentée relève du traitement des deux genres de l’interview dans la presse écrite et du courrier électronique à titre personnel au sein des communautés française et japonaise. Pour ce faire, la notion de genre de discours est rapportée à son objet d’étude, dont sont mis en évidence les principes d’identité et de différence et donc son instabilité, dans le cadre du Cercle de Bakhtine et en tant que tertium comparationis. L’objectif est de comprendre si des productions provenant de sphères éloignées permettent de dégager une portée transculturelle des deux genres de discours examinés. La linguistique de l’énonciation dans la sphère francophone est l’approche théorique qui sous-tend l’analyse de l’interview de presse sous les angles sociologique et socio-psychologique, à partir de laquelle l’auteure relève qu’une hétérogénéité des formes de subjectivité fait l’objet des deux systèmes. En revanche, ce sont les théories de la politesse issues des mondes anglo-saxons qui sous-tendent l’analyse des formules et des rituels dans les courriers électroniques et qui permettent de comparer des comportements socialement orientés. Une analyse multi-niveau de la politesse dans les courriels à partir de leurs séquences d’ouverture et de clôture, avec les actes de langages et les marquages linguistiques de politesse et de civilité correspondants dans les deux langues, complète cette étude sur les visions asiatique et occidentale de la politesse, à partir de laquelle émerge la nécessité d’accéder aux données à analyser par une démarche comparative en vue d’un traitement identique des unités qui les composent.

La deuxième section, L’articulation langue et culture (pp. 88-167) se compose de deux contributions. Dans la première, L’analyse du discours contrastive et les discours professionnels (pp. 117-136), Geneviève TREGUER-FELTEN propose une analyse de corpus parallèles à partir de documents publiés dans le domaine professionnel par des entreprises qui ont recours à l’anglais lingua franca à côté de « leur » langue ; d’où des versions « bi-textes » traduites en anglais pour convaincre leurs publics. Une démarche traductive « cibliste » est à l’origine de ces versions via des transpositions culturelles qui s’imposent par le fait de vouloir reproduire pour le public visé l’effet voulu par le texte source. L’approche théorico-méthodologique transdisciplinaire adoptée s’inscrit dans l’abduction et dans l’ADF à visée ethnographique pour identifier les univers de travail représentés et les différences qui découlent de l’observation des différences constatées au niveau managérial. Sur l’exemple du « micro-genre » professionnel des chartes éthiques rédigées et diffusées par un groupe industriel français en version bilingue français-anglais (angloaméricain) adressées à ses personnels disséminés dans le monde entier, et de leurs documents préparatoires de travail, le va-et-vient entre ces deux types de documents souligne, selon l’auteure, des approches culturelles qui résultent de deux mondes différents en présence, dont les dissemblances se reflètent sur les langues-cultures des sujets qui s’en servent. A partir des désignations dans les deux types de documents et des verbes utilisés, il émerge que la Direction du groupe oscille entre l’intention de contraindre et celles de chercher à convaincre. Enfin, l’analyse des deux univers professionnels anglais états-unien et français permet à TREGUER-FELTEN de relever qu’il est impossible de s’abstraire du contexte linguistico-culturel en dépit de la volonté de produire des documents « identiques » servant les mêmes intérêts managériaux. D’où l’importance, par le biais de l’ADC, de montrer des formulations représentatives d’une vision du monde qui est parfois inconnue aux sujets locuteurs natifs qui s’en servent.

C’est la comparaison linguistico-culturelle dans le cadre de l’école de linguistique russe qui est en revanche abordée par Darya Alekseevna SHCHUKINA (Linguoculturologie : la comparaison entre les langages et les cultures, pp. 137-167), qui présente une étude à la croisée entre disciplines différentes – la communication, la linguistique, la culturologie et la psychologie – réunies dans la discipline de la « linguoculturologie », dont l’auteure, qui est l’une des représentantes, souligne l’engouement en Russie dans les études universitaires. Après avoir rappelé les origines de cette discipline, fondées sur les travaux de Wilhelm von Humboldt et sur les apports de l’ethnolinguistique, de la sociolinguistique, de l’ethnopsychologie, et ses objets d’étude distincts, qui varient selon les langues-cultures concernées, elle compare la « carte linguistique du monde » en tant qu’information sur le monde extérieur et intérieur qui est fixée établie à la langue, composée de mots et de formes linguistiques différentes, avec la « carte conceptuelle du monde », basée sur l’interprétation du monde. Cette partie notionnelle est suivie d’exemples de discours commémoratifs au sujet de la fondation des villes de Saint-Pétersbourg et de Riga. L’auteure relève que ces deux villes présentent des aspects communs en termes de fortifications, de localisation excentrique, de présence de la mer, de présence de mythes eschatologiques, de passé de villes capitales, mais elle se distinguent dans la manière dont, lors d’une commémoration historique, les médias reflètent les diverses manières de représenter une vision du monde. En particulier, sur l’exemple des nominations non officielles de Saint-Pétersbourg tendant à fusionner le toponyme et l’anthroponyme dans un discours familier, les conclusions de l’auteure montrent que chaque société présente une communication spécifique, par rapport à laquelle l’approche linguoculturologique dans le processus d’analyse linguistique permet de révéler l’influence mutuelle de la langue et de la culture.

La troisième section, qui a pour titre Comparaison et genres de discours : la transmission des connaissances (pp. 168-291), s’ouvre par la contribution de Sandrine REBOUL-TOURÉ autour des blogs de vulgarisation scientifique dans des langues et cultures différentes – le français de France et le portugais brésilien – pour comparer des catégories utiles à l’analyse du discours dans le cadre de l’ADC (Comparaison et catégories pour l’analyse du discours – L’exemple des blogs de vulgarisation scientifique, pp. 169-199). Son objectif est d’identifier une possible « communauté ethnolinguistique » autour des blogs, caractérisés par un discours hétérogène et en mouvement qui est traversé par de nombreux sujets énonciateurs. Elle définit la vulgarisation scientifique dans le contexte français en la comparant avec la « divulgation scientifique » au Brésil – qui fait l’objet de la contribution de Flávia Silvia MACHADO (voir infra) –, dont la dénomination et l’objet d’analyse portent tant sur les sciences dures que sur les sciences humaines. C’est dans les nouveaux espaces discursifs qui sont offerts par l’Internet que le discours de vulgarisation scientifique tire profit de nouveaux « objets discursifs » pour créer de nouvelles catégories d’analyse au niveau comparatif. Les catégories linguistico-discursives examinées portent sur les reformulations et sur les outils offerts par les blogs en termes de délinéarisation du texte et d’hétérogénéités énonciatives ; d’où la proposition de l’auteure de parler d’« hyperdiscursivité » pour rassembler tous les discours reliés à un discours source par différentes marques technologiques autour d’un discours « feuilleté ». Ces remarques lui permettent de mieux aborder les communautés qui participent à la vulgarisation scientifique : celles-ci s’évoluent par rapport au discours de vulgarisation scientifique traditionnel car le mélange entre « figures » qui diffusent la science fait en sorte que cette diffusion ne soit plus effectuée de manière hiérarchique mais horizontale, même en vertu de la « médiation scientifique » réalisée par la presse quotidienne. Les conclusions de REBOUL-TOURÉ préconisent l’apparition d’un nouveau genre de discours, à savoir le blog de vulgarisation scientifique, dont elle souligne les caractéristiques linguistico-discursives et la comparaison interlinguistique par rapport à des communautés différentes.

La contribution de Flávia Silvia MACHADO, qui s’intéresse aux Aspects de la divulgation scientifique dans les blogs brésiliens (pp. 200-220), se relie à la recherche de Sandrine Reboul-Touré via les blogs en la rapportant au contexte brésilien, notamment trois blogs qui sont examinés à partir des mêmes catégories d’analyse utilisées par Reboul-Touré. MACHADO présente d’abord l’histoire de la « divulgation scientifique » au Brésil et les raisons pour lesquelles cette dénomination est préférée à celle de « vulgarisation scientifique », pour ensuite en donner une définition qui s’inspire du dialogisme de Bakhtine et d’une convergence entre la sphère scientifique et d’autres sphères. Ce sont les sphères idéologiques qui sous-tendent les blogs de divulgation scientifique brésiliens et qui composent les énoncés de ces blogs, animés par des sujets énonciateurs différents, qui sont examinés par l’auteure, qui constate que ces blogs sont caractérisés par les mêmes phénomènes discursifs identifiés par Reboul-Touré. Pour cerner les spécificités des énoncés de son corpus, MACHADO s’intéresse aux rapports dialogiques hypertextuels, aux réponses générées par les commentaires et aux outils de partage, et à la présence de voix diverses dans les reformulations. Ces catégories d’analyse d’ordre extralinguistique et leur analyse dans les trois blogs examinés lui permettent de souligner que la dimension technodiscursive des blogs est montrée par les rapports dialogiques hypertextuels, qui sont favorisés par les liens électroniques ; par l’utilisation des outils de partage et de commentaire aux publications dans les réponses publiées ; par la « bivocalité » de la reformulation entre voix de la science et voix intérieure du sujet animateur du blog.

La troisième contribution de cette section, qui examine également la vulgarisation scientifique dans le cadre de l’ADC et de la perspective dialogique bakhtinienne, a pour titre Traces de didacticité dans la vulgarisation scientifique : une analyse dialogique comparative du discours de Ciência Hoje et de La Recherche (pp. 221-246). À l’appui de la notion de « didacticité » de Reboul-Touré, de Mortureux et de Moirand (2009), et de celle de « discours de transmission de connaissances » (Beacco et Moirand), Urbano CAVALCANTE FILHO compare les communautés portugaise brésilienne et française pour identifier les traces de « didacticité » qui émergent des discours de vulgarisation scientifique au sein de discours non didactiques, matérialisés dans les énoncés des revues Ciência Hoje et La Recherche. Après avoir présenté les critères de collecte du corpus, constitué par des articles de couverture, l’auteur identifie les indices de didacticité d’un point de vue situationnel, fonctionnel et formel à partir des opérations langagières de la définition, de la nomination, de l’exemplification, de l’explication, de la « question au lecteur » et de la « voix du spécialiste ». Au bout de son analyse, il émerge que si ces opérations confèrent au texte de vulgarisation scientifique plus d’intelligibilité, elles n’en font pas un texte didactique scolaire. Pour autant, les journalistes et les scientifiques peuvent réaliser des configurations différentes de la didacticité de ces textes.

C’est encore l’actualité médiatique française et brésilienne qui fait l’objet de la contribution Philosophie Magazine et Filosofia Ciência & Vida : un support pédagogique et un outil d’interprétation de l’actualité médiatique (pp. 247-268). En continuité avec ses recherches doctorales, Daniela NIENKÖTTER SARDÁ s’intéresse à la vulgarisation de la philosophie au sein des magazines de vulgarisation français et brésilien Philosophie Magazine et Filosofia Ciência & Vida. Après avoir présenté son corpus et le cadre théorico-méthodologique adopté, elle se penche sur la comparaison entre le genre « article ou dossier de couverture » des deux magazines choisis pour examiner le rôle de la philosophie comme clé pour interpréter l’actualité médiatique et le type de public auquel ces deux magazines devraient s’adresser. En détail, ce sont les modules énonciatif – la notion de « rapport de dialogue » du Cercle de Bakhtine – et sémantique qui sont pris en compte pour l’analyse des thèmes de couverture des deux magazines. L’analyse conduite montre qu’ils représentent un support pédagogique qui a tiré profit d’une didacticité inscrite dans un outil visant un public dépourvu de magazines ad hoc ainsi que d’un ancrage sur l’actualité. Le magazine français a connu une évolution des thèmes et son attention s’est focalisée sur un public d’élèves de baccalauréat, tandis que le magazine brésilien est plutôt tourné vers le personnel enseignant et ses thèmes ont toujours mélangé la philosophie et l’actualité médiatique. Cela est justifié, comme l’auteure le souligne dans ses conclusions, par le fait que le magazine français se présente comme apolitique et indépendant alors que le magazine brésilien est créé pour répondre à des événements de la politique brésilienne et à une exigence qui relève de l’introduction, récente et obligatoire, de l’enseignement de la philosophie et de la sociologie dans les lycées nationaux, d’où le rôle du magazine brésilien de support pour le personnel enseignant.

La cinquième et dernière contribution de cette section aborde une comparaison discursive de conversations médiatiques entre journalistes et universitaires au Brésil et en Russie au sujet de la pénurie d’eau (Une analyse comparative des conversations médiatiques avec des scientifiques : le manque d’eau au Brésil et en Russie, pp. 269-291). Maria GLUSHKOVA souligne notamment l’importance du dialogue entre la science – l’écologie, la météorologie et la santé publique – et la société au niveau conversationnel à partir du canal et du type de public auquel l’émission est adressée. Cette étude est fondée sur une base théorique qui s’inscrit dans l’ADC et dans les travaux de l’équipe de recherche du CEDISCOR et du groupe de recherche Diálogo d’inspiration bakhtinienne de l’Université de São Paulo. Après avoir rappelé les principes qui sous-tendent l’analyse contrastive des discours et la portée interdisciplinaire d’une telle démarche, l’auteure souligne l’importance d’identifier des critères rigoureux d’analyse des corpus en termes de comparabilité des données et donc de tertium comparationis – celui-ci est représenté par le sous-genre « discussion/ conversation médiatique avec des scientifiques » – et par une analyse discursive, pour combiner les deux approches dans une comparaison discursive interculturelle. Relativement au corpus, concernant une émission radiophonique russe et une émission télévisée brésilienne, sont pris en compte le statut des sujets participants, les thèmes abordés, le dialogue entre le sujet animateur et les personnes invitées, qui relèvent de politiques et de scientifiques, et leur relation avec le public. Au bout de cette analyse, il émerge que le problème du manque d’eau est appréhendé de manière distincte dans les deux sociétés : si dans le corpus russe les scientifiques soulignent la problématique à aborder par le biais de la politique à l’égard de la société, dans le corpus brésilien c’est la société qui s’adresse à la science pour trouver les causes de la pénurie d’eau, qui doit les lui expliquer. L’attachement de la problématique à la sphère politique en Russie est également témoigné par la présence d’une terminologie plus technique, ce qui confirme que chaque communauté discursive présente ses propres spécificités.

La quatrième section de cet ouvrage a pour titre De la comparaison : ouverture théorique (pp. 292-348) et se compose des deux dernières contributions.

Dans la première, Des exigences théoriques de la comparaison aux contingences d’un corpus particulier : « immigrationniste » dans un discours politique à vocation polémique (pp. 293-327), rédigée par Sophie MOIRAND, l’attention est focalisée sur les dires « représentés » de la société dans la presse quotidienne française lors de la campagne présidentielle de 2017 – cette recherche tire son origine d’un travail conduit par l’auteure en 1992 sur les limites théoriques d’une comparaison basée sur l’identification de régularités et de variabilités au sein de l’analyse du discours en France. Son but est de présenter l’évolution d’une analyse du discours lexicale vers des démarches de sémantique discursive à partir du discours politico-médiatique sur les migrants au sein de la politique française, en vue de comparer les différents dires rapportés ou représentés par la presse nationale dans l’« instant discursif » du dixième jour précédant le premier tour de la présidentielle de 2017. Les réflexions présentées s’appuient sur les mots dérivés par les suffixes « -isme/-iste » dans le contexte migratoire. MOIRAND s’intéresse, dans le cadre de la sémantique discursive, au discours identitaire à partir de la notion de « petit corpus » en tant qu’outil permettant d’identifier des traces identitaires pour l’appliquer au corpus médiatique de son étude. L’analyse conduite montre que des comparaisons issues d’une même langue-culture à partir de petits corpus portant sur la « crise des migrants » dans la presse permettent de confirmer certains usages et d’en mettre à jour d’autres, ainsi que de travailler sur des mots associés qui sont utilisés par la presse et réappropriés par la politique. Ainsi, l’analyse de « migrant », « identité », « nation » et des mots associés au sein des déclarations des quatre principaux politiques ayant candidaté permet à MOIRAND de comparer des propos énoncés dans une même langue/ culture à un même moment de l’actualité à partir de positions sociopolitiques différentes. C’est une « bataille de mots », d’associations et d’oppositions à valeur polémique ou hyperbolique qui émerge des discours de ces politiques tels qu’ils sont représentés par la presse, où il est pour autant possible de retrouver également la voix populaire « ordinaire » à côté des sphères politiques et médiatiques autour du thème de l’immigration. Cette analyse montre également que les discours de Marine Le Pen présentent le recours aux suffixes « -isme/ -iste », notamment par rapport au couple « immigrationniste/ immigrationnisme », que MOIRAND identifie dans d’autres occurrences repérées dans le web pour témoigner du chemin de ces mots et des trajectoires sémantiques qu’ils empruntent dans des sphères d’activité langagière diverses et dans des langues/ cultures différentes. À l’appui des notions d’« ethos discursif » et de « ethos pré-discursif », les conclusions de MOIRAND soulignent que les dires représentés par les médias permettent de construire des représentations des paroles des politiques ayant candidaté à la présidentielle de 2017 en vue de contribuer à construire ou à redessiner leur ethos pré-discursif lors des campagnes électorales nationales et européennes.

Dans la seconde contribution, qui clôt le volume, Florimond RAKOTONOELINA propose une comparaison entre campagnes d’information et d’éducation institutionnelles sur le web à partir de leurs logiques pragmatiques et énonciatives, dans le cadre des discours ordinaires, en vue de comprendre les enjeux sociaux relevant de ce type de communication (Comparer pour comprendre la communication institutionnelle : analyses discursives des logiques communicationnelles des campagnes d’information et d’éducation, pp. 328-348). À partir d’un cadre théorique combinant l’approche énonciative anglo-saxonne et l’approche énonciative indicielle, les réflexions de l’auteur sont appliquées à une analyse comparative de sites web aux contenus et aux genres discursifs hétérogènes. Les discours à visée informative et éducative qui font l’objet de son analyse dans le cadre de la communication institutionnelle en ligne sont soumis à une analyse comparative qui tient compte de données hétérogènes pour examiner les dispositifs communicationnels que les instances gouvernementales ou associatives proposent à la citoyenneté pour chercher à résoudre des questions qui intéressent la société – l’interruption volontaire de grossesse ; la lutte contre le terrorisme ; la prévention des violences contre les femmes : la prévention contre l’alcoolisme – dans le contexte français. La comparaison entre les logiques pragmatiques et énonciatives par domaines et par publics montre que, bien si la langue-culture concernée soit la même, la démarche comparative y apparaît avec des invariants différents. Au bout de son analyse comparative, menée dans une perspective globale, RAKOTONOELINA souligne que la visée pragmatique générale qui émerge, dans le cadre de la communication, est celle d’informer et d’éduquer la population.

Au-delà de la diversité des approches présentées, des corpus d’analyse choisis et des langues-cultures concernées, ce qui émerge de la lecture d’Analyse du discours et comparaison : enjeux théoriques et méthodologiques, c’est une analyse du discours comparée qui se justifie et qui s’enrichit par l’apport des disciplines et des genres de discours mobilisés. Tout cela montre qu’une relation très étroite lie la comparaison et la diversité, ce qui constitue le point de force de ce volume aux dimensions discursives multiples et multiformes.

[Alida M. SILLETTI]