Simona POLLICINO, Irene ZANOT (éds.), Parole che non c’erano. La lingua e le lingue nel contesto della pandemia

di | 14 Febbraio 2023

Simona POLLICINO, Irene ZANOT (éds.), Parole che non c’erano. La lingua e le lingue nel contesto della pandemia, Roma TrE-Press, 2021, 238 pp.

Durant la pandémie de SARS-CoV2 (Covid-19), notamment pendant les quatre premiers mois de l’année 2020, de nombreux faits lexicaux remarquables ont vu le jour : des néologismes, des acronymes, mais aussi un nouvel usage de mots préexistants ainsi qu’une pléthore d’emprunts à l’anglais (en particulier en italien) se sont très vite diffusés, dans la sphère publique comme dans la sphère privée. Ce lexique a rapidement fait l’objet d’études en France, comme en témoignent les débats concernant le genre de l’article défini devant précéder le terme Covid-19, et côté italien, où les journées d’études et les publications sur la question ont été nombreuses. En particulier, dans la capitale s’est tenu un colloque (en distanciel) les 18 et 19 mars 2021, réunissant des chercheurs des Universités de Rome 3 et de Macerata et dont cet ouvrage est le fruit.

Comment le Covid-19 a-t-il « contaminé » le langage ?Les contributions, axées autour de trois thématiques comme le signalent les autrices dans leur présentation, s’interrogent sur les mots qui mettent en forme notre réalité pandémique dans une approche principalement plurilingue.  Et c’est tout l’intérêt de l’ouvrage que de présenter des études de cas empruntés à divers terrains discursifs (littéraires, médiatiques -presse papier et en ligne-, scientifiques, réseaux sociaux) et portant sur diverses langues. L’ouvrage cherche ainsi, au-delà de la seule identification et analyse des termes liés à la pandémie, de « transformer une crise sanitaire en une occasion de réflexion scientifique », comme l’affirme Giorgio de Marchis dans sa présentation au titre énigmatique de prime abord : « Chi non si vaccina non è chic » (pp. 11-13).

Dans cet objectif, l’article d’Aurelio Principato intitulé « Variazioni sul diCOvid » (pp. 15-23), constitue un cadre d’interprétation de tout l’ouvrage, en présentant l’évolution du contexte pandémique et de ses mots. Sa contribution préfigure ainsi le contenu de l’ensemble de l’ouvrage, qui explore les procédés lexicaux employés en diverses langues. L’auteur observe deux phénomènes lexicaux essentiels : la diffusion de termes scientifiques-médicaux et la néologie sémantique (maschera, protocollo) que l’on doit aussi selon lui, pour la plupart, à la présence massive de virologues à la télévision.   

Dans « Odo parole più nuove che parlano droplets e foglie lontane. L’itangliano della pandemia » (pp. 25-38), Gianluca Frenguelli traite des anglicismes institutionnels apparus en Italie, en particulier droplet et smart working qu’il analyse plus finement. Il en profite pour revenir sur l’anglomanie lexicale de l’italien, ses « provincialismes », les questions de « l’angloitaliano » ou encore de l’appauvrissement de la langue italienne, depuis la célèbre intervention de Gian Luigi Beccaria à qui le titre fait un clin d’œil. En conclusion, il souligne pertinemment combien tous les nombreux emprunts ont contribué au manque de clarté et de transparence de la part des institutions italiennes durant cette période.

Irene Zanot aborde « La linguistica giuridica nell’état d’urgence sanitaire » (pp. 39-51), c’est-à-dire l’évolution sémantique des « mots-symboles » français que sont confinement, distanciation sociale et port du masque. En particulier, elle les analyse dans les textes législatifs et réglementaires parus dans le Journal Officiel autour de mars 2020 en réfléchissant à leur « charge juridique », c’est-à-dire à leur « contenu intellectuel ».

Dans « Recommencer, redémarrer, renaître : quando un prefisso veicola un messaggio di speranza, ovvero il linguaggio pubblicitario nel contesto della pandemia » (pp. 53-66), Simona Pollicino s’intéresse aux messages publicitaires diffusés à la télé en Italie et en France pendant la première période de la pandémie.  L’autrice suit le passage de l’emploi de métaphores guerrières à celles de la reprise, notamment les verbes. Elle analyse en particulier les valeurs sémantiques et pragmatiques du préfixe -re en français et -ri en italien, ainsi que quelques néologismes qui se révèlent au fond, de part et d’autre des Alpes, plutôt banals et répétitifs.

La contribution de Valentina Tarquini, « La bulle sotto il cielo di Boule & Bill: neologismi emotivi nei media belgi » (pp.67-81), qui s’attache au mot bulle dans tous ses sens, donne des éléments de lecture et d’analyse pour saisir la manière dont la pandémie a modifié le français dans les médias belges.

L’article suivant, de Francesca Chiusaroli et Maria Laura Pierucci, s’intéresse à l’italien parlé par les jeunes dans les réseaux sociaux. Intitulée « La lingua degli studenti universitari in tempi di pandemia: una ricognizione degli usi nella comunicazione via social network » (pp. 83-94), leur étude observe de près les posts sur Facebook des étudiants de l’Université Rome 3, avant et durant le premier confinement (mars-mai 2020). Elles en étudient la typologie textuelle, le style et les formes (emprunts, émoticons et autres marques du « paralangage »).

La contribution en anglais de Gill Philip, « Changing times, changing contexts, changing meanings: language as a reflection of society » (pp. 95 -108) suit l’évolution de la fréquence d’emploi du mot vaccine et de ses coocurrences durant quatre périodes, correspondant chacune à une étape dans la progression de la pandémie. Il montre comment le mot a été peu à peu redéfini, au fil des programmes, pour être à la fin employé comme nom dénombrable signifiant dose de vaccin.

Lucilla Lopriore, « L’invasività della pandemia nella lingua inglese : pensieri e parole » (pp. 109-126) propose une réflexion entre linguistique et sociologie sur les mots anglais de la pandémie, à partir des recherches menées par deux dictionnaires anglais majeurs : l’Oxford English Dictionary et le Merriam Webster Dictionary. Elle conclut sur la langue employée par les jeunes, l’effet sur les adolescents particulièrement touchés par la crise sanitaire.

Qu’en est-il de l’espagnol ? Existe-t-il un « Nuevo Lenguaje Covídico » ayant des traits spécifiques ? C’est la question que se pose Monica Palmerini dans son étude intitulée « Esplorando la coronalengua : riflessioni sul lessico spagnolo della pandemia » (pp. 127-152). A côté de l’influence de l’anglais et d’autres phénomènes cross-linguistic observés, elle analyse plus précisément ce qu’elle nomme les « Coronacomposti » comme un phénomène, voire un clivage, dans l’évolution de la langue espagnole.

Ensuite, Cristina Farroni, dans « L’era del vaccino anti-Covid tra bufale e Aluhüte. Analisi comparativa del lessico italiano e tedesco tramite l’utilizzo di corpora » (pp. 153-168), se penche sur le lexique employé par l’opinion publique dans des articles de presse publiés de janvier 2020 à février 2021 en Italie et en Allemagne : celui des pro-vaccins (« pro vax » ou « sostenitori delle vaccinazioni » en italien, « Impfwilligen » ou « Impfbereit », c’est-à-dire « disponibili alla vaccinazione » en allemand), et le lexique des « anti-vaccins », entre « complottistes » et «  négationnistes ». Elle note combien l’allemand n’a guère emprunté à l’anglais, mais a préféré un procédé typique des langues germaniques, à savoir la composition, sémantiquement plus précise, contrairement à l’italien qui n’a eu recours qu’à la dérivation adjectivale (vaccinale) et à la juxtaposition.

Quant à Gian Luigi De Rosa, il traite du Brésil, l’un des pays les plus touchés par la pandémie. Dans « La banalizzazione della pandemia nella comunicazione politico istituzionale di Bolsonaro » (pp. 169-182), l’auteur analyse d’abord la langue employée par la communication institutionnelle de Bolsonaro ; ensuite, il analyse les « techniques communicatives » tendues vers la banalisation (personne n’a oublié Bolsonaro qualifiant la pandémie de « simple grippette »), la désinformation, enfin la pratique négationniste du président d’extrême droite, au travers de déclarations officielles.

Giuseppina Larocca, « Parole che c’erano : Ol’ga Sedakova e la risemantizzazione della parola nelle cronache durante la pandemia » (pp. 183-194) s’intéresse à une poétesse et grande traductrice russe, Ol’ga Sedakova (1949-), précisément à un récit écrit les premiers jours de la pandémie, lorsqu’elle se trouvait à Rome, « L’étrange sérieux du présent » (je traduis) publié en ligne en russe en mars 2020, à son retour à Moscou.

C’est aussi sur les publications en ligne que se penche Véronic Algeri. Dans « Journal de confinement di Wajdi Mouawad : per una paratopia del lockdown » (pp. 195-210), l’autrice se propose d’interroger les stratégies rhétoriques d’un genre littéraire particulier : les carnets de bord et journaux intimes en ligne. S’appuyant sur les théories de Dominique Maingueneau, elle examine en particulier l’identité énonciative dans le Journal du confinement de Wajdi Mouawad, homme de théâtre parisien d’origine libanaise, publié en ligne du 16 mars au 20 avril 2020. 

Enfin, le volume se clôt sur trois interviews, toutes trois vouées à prolonger les réflexions : l’une à Marco Bernardini (pp. 211-236), qui nous parle du sens de ses œuvres depuis la pandémie ; l’autre à Chiara Pasetti, qui expose son projet artistique intitulé « Visioni del lockdown », la dernière avec les jeunes jumeaux Enrico et Edoardo Borghesio, qui racontent leur participation au projet de l’artiste Chiara Pasetti. Et on ne peut que remarquer combien la pandémie subie a, aussi, vu fleurir des perceptions et sentiments inédits sur notre société contemporaine…

[Françoise RIGAT]