Florence LEFEUVRE (éds.), Les mots résomptifs en discours

di | 8 Febbraio 2023

Volume 12, nr. 1, 2022, Florence LEFEUVRE (éds.), Les mots résomptifs en discours, Studii de lingvistică, n° 12(1), 2022, https://studiidelingvistica.uoradea.ro/arhiva-ro-12-1-2022.html

Sous la coordination de Florence Lefeuvre (Université Sorbonne Nouvelle), la revue Studii de Lingvistică consacre le numéro 12 à l’analyse des mots résomptifs en discours, une étude articulée autour des axes suivants : le statut morphosyntaxique des pronoms anaphoriques, connecteurs ou subordonnants (quoi, après quoi, ce en quoi, suite à cela), les valeurs discursives des séquencescomme tout ça, j’y pense, Ce problème montre que … et Le problème, c’est de + inf / complétive ou bien la pragmaticalisation des prédicats averbaux qui, dans certains cas, deviennent des marqueurs discursifs à valeur énonciative (l’adjectif grave et les marqueurs ah oui ou ah ouais).

Le volume s’ouvre avec deux articles qui traitent de l’importance des indices référentiels dans le fonctionnement discursif des pronoms anaphoriques après quoi.

Dans « Récupération d’une source, connexion et dépendance. À propos de la résomptivité de PREPquoi et de quelques configurations similaires», Michel Pierrard a analysé le fonctionnement de l’anaphore résomptive représentée par le schéma [PRÉDICATION 1 séquence intermédiaire PRÉDICATION 2] dans trois cas de figure : dans la séquence en PREPcela, cela représente la non-identification de la classification du référent de l’entité identifiée, l’interprétation connective étant le résultat d’un effet discursif; dans la séquence cePREPquoi, ce déclenche l’anaphore résomptive par le positionnement dans une fonction de type associé d’une entité prédicationnelle instaurée en objet de discours non catégorisé ; finalement, dans la séquence PREPquoi, quoi acquiert la fonction d’une anaphore résomptive vers la première prédication avec l’identification de l’objet du discours par la deuxième prédication, la prédominance de la préposition favorisant l’interprétation de la séquence comme une sorte de connecteur adverbial attribuant un rôle connectif non subordonnant à la séquence.

À partir d’un corpus d’ouvrages littéraires de 2 000 à 2 020 (d’après la base Frantext), Zhao Liping (« Le pronom quoi en emploi anaphorique résomptif») a constaté que le pronom quoi peut renvoyer à une ou à plusieurs situations qui prennent la forme d’unités prédicatives ou d’énoncés délimités par des indices typographiques (ponctuation), morphosyntaxiques (marqueurs du discours, temps verbal) ou contextuels. En effet, les signes de ponctuation deviennent un indice pour délimiter l’antécédent : lorsque le groupe après quoi est précédé d’une virgule, d’un point-virgule ou d’un point, l’antécédent sera situé dans la proposition ou la phrase immédiatement avant après quoi. Si la séparation est établie par un point, l’antécédent pourra être plus éloigné et, enfin, quand le point et l’alinéa se trouvent devant la phrase précédant après quoi, ils peuvent bloquer la recherche d’un antécédent éloigné. En ce qui concerne l’inventaire des indices morphosyntaxiques, celui-ci est formé des marqueurs du cadre temporel ou spatial du discours (le temps verbal et la conjonction mais). En fin de compte, s’ajoutent à ce dispositif les indices contextuels, la connaissance du monde et la sémantique lexicale.

Suivent trois contributions qui examinent d’autres catégories syntaxiques à rôle résomptif dans le discours : tout ça, j’y pense, ce. Dans« Étude de la séquence tout ça: l’anaphore résomptive en question», Zoé Maillard explique le rapprochement de la séquence analysée des anaphores résomptives par le  fonctionnement de ça, forme neutre indifférente au nombre et au genre du référé, et de l’adjectif indéfini tout qui renvoie à  une totalité. La conclusion tirée par l’auteure est que la séquence tout ça est une structure qui permet de renvoyer non seulement à un élément précis du discours, mais aussi à un contexte plus large : si le démonstratif seul peut servir à faire référence à ce qui est en dehors du discours (« à savoir l’implicite »), la présence de l’adjectif défini tout oriente naturellement vers l’anaphore résomptive.

Dans « J’y pense : étude du résomptif y », Florence Lefeuvre se propose d’analyser l’emploi résomptif du pronom adverbial y dans l’unité prédicative j’y pense renvoyant à l’un des cas suivants : « un énoncé plus ou moins long » (Maillard 1974), « une proposition ou un ensemble de propositions qui peut être relativement long et non pas à une simple entité référentielle » (Guillot 2007), ou à une « unité prédicative» (Lefeuvre 2007 et 2016). La thèse défendue par Lefeuvre est que, dans le cas de l’oral représenté et de l’oral spontané, le pronom adverbial  y est « un localisant » qui se rapproche sémantiquement des pronoms de l’indifférencié (ce, cela, ça, quoi notamment), pouvant se combiner avec un humain, un non animé ou une unité prédicative. Une autre hypothèse qui s’en dégage est que j’y pense s’est spécialisé comme une unité phraséologique, avec des valeurs discursives variées qui renvoient aux « routines  discursives »: une valeur temporelle (quand j’y pense, maintenant que j’y pense, pendant que j’y pense), un changement de thématique (mais) j’y pense), un rôle organisationnel, dévolu à la présentation d’un nouvel objet de discours (emploi cataphorique). À la fin de son analyse, Lefeuvre ouvre une nouvelle piste de travail concernant l’analyse diachronique des emplois figés de j’y pense.

L’article « Les noms sous-spécifiés anaphoriques résomptifs vs leur équivalent prototypique dans les constructions spécificationnelles attributives : comparaison dans un corpus diversifié en genres » d’Anaïs Vajnovszki analyse la construction anaphorique résomptive avec démonstratif en initiale pour examiner le lien entre les noms sous-spécifiés et l’anaphore résomptive. Plus précisément, cette contribution traite des noms sous-spécifiés (Nss), considérés comme des mots abstraits, dont les caractéristiques sont la présence d’une relative incomplétude informationnelle, notamment dans la construction résomptive avec démonstratif en initiale (Ce problème montre que […]), et dans les constructions attributives qui anticipent le contenu sous la forme d’une réification (Le problème, c’est de + inf / complétive). En fait, cette étude met en exergue les caractéristiques des deux types de constructions : si les constructions anaphoriques résomptives se contentent de renvoyer à une séquence antérieure, les constructions attributives opèrent la catégorisation d’un contenu propositionnel, ce qui permet à l’auteure d’expliquer la faible présence du pluriel.

Les articles d’Irina Ghidali et de H. Vu Thi présentent les cas où les prédicats averbaux (grave, ah oui, ah ouais) deviennent, dans certains cas, des marqueurs discursifs. Dans « Grave : de l’adjectif à l’unité résomptive », Irina Ghidali dresse un panorama des emplois de l’adjectif qualificatif grave dans la langue parlée, afin de mettre en évidence le fonctionnement résomptif de cet adjectif suite à un processus de pragmaticalisation. Partant de la description de grave en tant qu’adjectif standard, non standard et adverbial, l’auteure souligne les caractéristiques syntaxiques et sémantiques qui distinguent les deux classes (l’adverbe n’accepte ni les marques de flexion ni les degrés de comparaison), et qui le rapprochent d’un adverbe non prédicatif, similaire à très. En tant que marqueur discursif résomptif, grave présente une diversité de valeurs énonciatives intrinsèquement liées à l’interlocution, l’auteure mettant au premier plan la valeur affective visant à renforcer l’acte d’acceptation et l’adhésion du locuteur.

Le deuxième article, « Les marqueurs résomptifs. Étude de cas : ah oui / ah ouais », a pour objectif de montrer que les expressions ah oui / ah ouais perdent, dans la majorité de leurs usages, la valeur prédicative pour devenir des marqueurs discursifs avec des valeurs sémantiques différentes. De plus, Hieu Vu Thi souligne aussi leur caractère interchangeable, car le même locuteur peut dire indifféremment tantôt oui, tantôt ouais, tant dans un même tour de parole que d’un tour de parole à l’autre. Syntaxiquement, ils sont distincts : ah oui joue le rôle de prédicat, tandis que ah ouais est un marqueur discursif pouvant ouvrir ou clôturer une unité prédicative. Et sémantiquement, selon le contexte, les termes ah oui / ah ouais peuvent avoir des valeurs sémantiques différentes : l’assentiment, la confirmation, l’étonnement, l’admiration, l’ajout d’information.

Dans la section Varia, l’article de Roxana Voicu (« Satire et transgression dans l’Eloge de la folie   d’Erasme. La construction argumentative du sens de fou et de sage») porte sur la construction discursive du sens de fou et de sage dans l’Eloge de la folie (Moriae Encomium ou Stultitiae Laus) d’Erasme et sur le rapport d’antonymie à travers le rôle de la doxa dans la construction du sens. Valorisant la théorie de l’argumentation d’Anscombre et Ducrot (1983) et la théorie des blocs sémantiques de Carel (2011), l’auteure mène une analyse argumentative par l’étude des enchaînements discursifs, réunissant dans un rapport d’opposition la folie et la sagesse dans le but de montrer que ce renversement des valeurs de la doxa conduirait au paradoxe. En plus, l’argument que le paradoxe ne trouve pas sa place au niveau logico-sémantique est le fait que la folie est illustrée par un être humain livré à ses instincts, à toutes les pulsions.

En conclusion, il est évident que les contributions de ce volume mettent en évidence de nouveaux aspects discursifs des pronoms, connecteurs ou subordonnants qui sont censés ouvrir de nouvelles pistes d’analyse dans le domaine de l’anaphore résomptive, tels que l’analyse diachronique et discursive des éléments reliés au niveau séquentiel ou bien la pragmaticalisation en fonction de leurs valeurs discursives.

[Daniela Dincă]