Dorina IRIMIA, Du langage judiciaire à la traduction

di | 30 Ottobre 2022

Dorina IRIMIA, Du langage judiciaire à la traduction. Manuel d’initiation en droit et en traduction des actes judiciaires, Éditions Sydney Laurent, 2020, 201 pp.

Ce Manuel d’initiation en droit et en traduction des actes judiciaires, rédigé par Dorina IRIMIA, ancienne avocate, aujourd’hui formatrice en droit et expert-traductrice et interprète au tribunal, est conçu pour l’enseignement de la traduction de la pratique judiciaire – puisque la traduction en droit est devenue incontournable et ne peut plus être ignorée – partant de l’analyse du processus de production et de rédaction des actes judiciaires émanant des tribunaux (et de ses différents rédacteurs : juge, ministère public, avocat, huissier, greffier), comme le dit son titre principal : Du langage judiciaire à la traduction. Il s’agit donc d’un guide utile à la fois pour appréhender les techniques de la traduction, expertise de plus en plus requise suite à l’élargissement des échanges économiques et à la circulation des personnes dans l’espace européen, et pour familiariser avec le vocabulaire spécifique des actes judiciaires, ainsi qu’avec deux différents systèmes de droit : c’est le droit avec son langage spécifique, en effet, qui pose des problèmes au traducteur lequel doit en trouver des correspondants terminologiques mais aussi conceptuels. Bien que l’auteure s’occupe essentiellement de traduction français-roumain, l’approche présentée demeure tout à fait applicable à d’autres paires traductives impliquant le français.

Dans la première partie de son manuel, IRIMIA définit la traduction judiciaire des actes rédigés par une juridiction – actes techniques, clairs, précis, exacts et non ambigus, qui requièrent une obligation de prudence de la part du traducteur ainsi que des recherches approfondies – et suggère la nécessité de traduire selon les habitudes de rédaction des actes du système cible, tout en demeurant fidèle au texte à traduire. Le premier chapitre (Conseils de traduction des actes judiciaires, pp. 35-54) offre des conseils sur la démarche à suive par le traducteur. Ce dernier doit d’abord analyser le texte à traduire (par exemple, il doit reconnaitre la chronologie des faits, les verbes de la narration, le type de procédure et d’acte, etc.) et travailler ensuite par étapes (lecture attentive, compréhension de la procédure et des faits ainsi que du cas d’espèce, recensement des termes juridiques, attention au style, etc.). Il va de soi que le traducteur doit également essayer de se construire une connaissance de base des deux systèmes juridiques pris en considération (il convient de connaitre les différents types de juges, les voies de recours d’une décision de justice, les décisions en première instance et en appel). À cause de la polysémie interne, qui fait qu’un terme peut être retrouvé dans plusieurs procédures parfois dans une acception différente, les termes à traduire et leurs équivalents doivent etre examinés dans le contexte de l’acte. Ce dernier est à son tour plongé dans les spécificités de son système de droit, selon la langue prise en considération.

Le deuxième chapitre (Se situer dans le contexte de la procédure, pp. 55-103) est consacré aux contextes de la procédure civile, pénale, fiscale et administrative. Bien qu’elles présentent des notions communes, chacune se caractérise surtout par des différences spécifiques qui font varier non seulement le style mais aussi, parfois, le sens des termes. Il est aussi recommandé au traducteur de savoir distinguer entre certains termes qui ont une valeur générique (par exemple, instance et juridiction) et d’autres plus précis, selon la procédure (par exemple, l’assigné, le défaillant, le demandeur, le requérant, l’appelant, l’intimé, le plaignant, etc. qui renvoient tous aux parties au procès), aussi bien que d’éviter de s’exprimer avec un langage commun (par exemple, il convient d’utiliser imputer à, au lieu d’attribuer la responsabilité à), tout en faisant attention à ne pas sortir les termes de leur contexte procédural. Enfin, il convient de faire attention à la performativité du langage judiciaire, notamment à l’expression de l’obligation et de la nécessité.

Le troisième chapitre (Autres difficultés, pp. 104-128) concentre l’attention sur d’autres pièges que le traducteur avisé devra éviter (rapprochements phonétiques, polysémie interne, etc.) ou d’autres difficultés qu’il devra essayer de rendre de manière équivalente dans la langue-culture cible (tournures impersonnelles, technicismes et expressions spécifiques aux actes judiciaires – attendu (que), il saurait… dès lors, de surcroit, ledit et sa déclinaison –, nous de majesté – ordonnons que le dossier… – et euphémismes – dire, indiquer, fixer, etc. au sens d’ordonner).

Dans la deuxième partie, IRIMIA illustre le style officiel, voire sacramentel, et le formalisme du langage des actes judiciaires, rempli de clichés, de formules, d’expressions spécifiques et figées qui, d’une part, sont justifiés par l’exigence d’assurer à l’acte l’autorité nécessaire mais, d’autre part, risquent de n’être compris que par les spécialistes. Dans le premier chapitre (Techniques de traduction, pp. 131-137), l’auteure suggère une série de stratégies qu’il est possible d’activer afin d’améliorer le travail du traducteur. Tout d’abord ce dernier doit être organisé soigneusement et la première étape de la démarche consiste à régler les maladresses du texte source, sans recourir à des notes en bas de page, vécues comme une défaite, sauf en cas d’incohérence grave. Il est également préférable de ne pas enrichir le texte et dire plus que le document source ; les phrases doivent être courtes, l’écriture dense, il faut faire économie de mots pour obtenir un texte de même longueur. Si une phrase est trop longue, il vaut mieux de la couper par un point-virgule ou de recourir à d’autres stratégies : abonder en verbes, éviter les périphrases, les répétitions et les redondances.

Après avoir recommandé, à côté des phrases courtes, d’éviter les doubles négations et d’embellir le texte au détriment de la concision, de privilégier un vocabulaire simple, clair et précis et des expressions neutres, le deuxième chapitre (Style de la traduction, pp. 138-147) s’occupe en particulier de deux stratégies, à savoir la paraphrase – à utiliser lorsque les termes sont véritablement propres à un système juridique et, par-là, intraduisibles (par exemple, juge d’instruction, mise en examen, témoin assisté, etc.) – et la mise en relief – qui peut être réalisée par les présentatifs en tête de phrase ou bien en plaçant en début de phrase l’élément que l’on désire faire ressortir.

Le troisième chapitre déplace l’attention vers les règles de la grammaire et de la syntaxe de la langue de traduction (Grammaire et syntaxe, pp. 147-167). Certaines particularités sont pourtant propres du langage judiciaire, comme l’emploi fréquent du verbe à la place d’un substantif, les constructions verbales qui réclament une préposition (par exemple, astreindre à, comparaitre devant, débattre de, recevoir dans, etc.), et certains connecteurs logiques et indicateurs de liaison entre les paragraphes (dès lors, or, au demeurant, sous prétexte que, de sorte que, à l’effet de, etc.). Le quatrième et dernier chapitre se concentre sur la présentation des aspects typographiques des actes traduits (Techniques d’une rédaction propre, pp. 168-191), parce que le fait de produire une traduction correcte du point de vue linguistique n’est pas suffisant. Il s’avère donc nécessaire de faire attention non seulement à d’autres règles – telles l’emploi des majuscules (par exemple, pour certaines fonctions de justice), d’une orthographe correcte, des abréviations codées aussi bien que le choix avisé des caractères gras et italique, des guillemets, etc., – mais aussi à une présentation qui respecte celle d’origine pour permettre au lecteur de se retrouver, en termes de subdivision en paragraphes, nombre de lignes et de mots, police de l’écriture, etc.

De ce manuel, il apparait clairement que la traduction des actes judiciaires est une tâche complexe, découlant de la complexité du droit lui-même, et exige la maitrise du langage technique des spécialistes du droit.

[Chiara PREITE]