Benjamin FAGARD, Gabrielle LE TALLEC (coord.), Entre masculin et féminin. Français et langues romanes

di | 30 Ottobre 2022

Benjamin Fagard, Gabrielle Le Tallec (coord.), Entre masculin et féminin. Français et langues romanes, Paris, PSN, 2021, pp. 286.

Cet ouvrage propose une réflexion scientifique sur la place de la femme dans la langue, sur les formes les plus modernes et expérimentales d’écriture inclusive ainsi que sur les progrès accomplis durant ces trente dernières années pour ce qui concerne la visibilité des femmes dans la langue. Le volume se compose de trois axes distincts : la féminisation des noms de métier, la standardisation et les politiques linguistiques, la gestion des discriminations.

La première section s’ouvre par la contribution d’Anne Dister et de Marie-Louise Moreau, « Madame l’Administrateur, c’est presque fini. La dénomination des candidates lors des élections : étude diachronique » (pages 31-54). Les auteures analysent la manière dont les candidates se sont présentées en France et en Belgique au cours de la campagne électorale de 2019. Elles organisent un regard rétrospectif sur l’évolution de la pratique de la féminisation des titres entre 1989 et 2004 et puis de 2019. L’article de Machteld Meulleman (« L’emploi de noms masculins, féminins et épicènes pour désigner les professionnelles de foot dans la presse sportive. Convergences et divergences entre l’espagnol, le français, l’italien et le portugais », pages 55-72) déplace le focus sur le monde du sport. Elle attire l’attention sur la permanence de termes masculins pour nommer des joueuses professionnelles.   En adoptant un point de vue strictement lié à l’usage de certains suffixes, Michela Tonti (« Pour une petite fabrique de noms de métiers au féminin (et au masculin) à partir de noms de marque circulant dans les blogs », pages 73-102) exploite des grands corpus dans le but d’éclairer la formation des noms de marque. La dernière contribution de cette section, signée par Éliane Viennot (« Le temps de la « grand’ cour des dames » : une première démasculinisation du français ? », pages 103-116) concerne le temps de la « grand cour des dames » des XVe et XVIe siècles.  Au cours de cette période on assiste à une première vague de féminisation ou « démasculinisation » de la langue, suivie, sans trop attendre, d’une vague de « déféminisation ».

La deuxième section creuse la question de la standardisation et des politiques linguistiques dont la réflexion de Daniel Elmiger inaugure l’étude (« Les guides de langue non sexiste / inclusive dans les langues romanes : un genre textuel évolutif », pages 119-136). L’auteur s’appuie sur un corpus très étendu de plusieurs centaines de « guides de rédaction » dans nombreuses langues (romanes et germaniques) dans le but de dessiner la « prototypisation » véhiculée à l’intérieur de ces documents.  Hélène de Nayves et Marie-Ève Arbour déplace la question de la standardisation sur « La féminisation linguistique au Québec et ses défis actuels » (pages 137-150). Les auteures mettent l’accent sur les prérogatives de l’Office québécois de la langue française ainsi que sur la multitude   d’alternatives et d’options offertes aux locuteurs et locutrices.  L’avant-dernière étude inclue dans cette section est proposée par Cecilia Robustelli (« I riflessi sulla lingua italiana del «fenomeno linguistico più spettacolare» degli ultimi cinquant’anni: ‘Il cambiamento della lingua sotto l’influenza delle donne », pages 151-168) qui photographie les étapes historiques de la  féminisation en italien. Cecilia Robustelli met en valeur les travaux de Alma Sabatini (dissymétrie grammaticales et sémantiques), présentés à la fois en tant que novateurs et fondateurs pour s’arrêter sur des volumes et des guides qui ont représenté, tout au long de l’histoire récente italienne, les changements linguistiques dus à l’influence des femmes. L’attention pour l’aspect chronologique intéresse également la dernière contribution proposée par Benjamin Moron-Puech Anne Saris† et Léa Bouvattier qui concerne les « Regards comparatistes sur les normes d’inclusivité du langage édictées en France et au Québec » (pages 169-206). Elles remémorent les normes de langage instaurées de manière progressive en France et au Québec grâce à une étude comparatiste axée sur la nature coercitive des normes, les étapes étatiques de chaque pays et la réponse de la société civile française et québécoise.   

« Mesurer les discriminations » incarne le troisième axe du présent volume : Anne Le Draoulec et Marie-Paule Péry-Woodley présentent « Tout est déjà dans mademoiselle… » (pages 209-220) dans l’effort de détailler les idées reçues les plus obstinées dans le débat sur le genre en langue et, en particulier, après la suppression de Mademoiselle dans les documents administratifs. De son côté, Alpheratz  (« Le genre neutre en français, expression d’enjeux du xxie siècle », pages 221-246) expose les traits saillants de sa grammaire inclusive à travers des options spécifiques notamment la possibilité de mobiliser des termes réellement neutres. En revenant à la langue italienne, Giuliana Giusti e Emma Zanoli (« Tra lingua e cultura: i partitivi dei nomi di ruolo in italiano », pages 247-264) expérimentent les travaux que Westveer, Sleeman et Aboh (2021) ont appliqué à la langue française ( dernière contribution du présent volume) au sein de la langue italienne. Les discordances en genre dans certaines constructions partitives augmentent la distance entre la langue française et la langue italienne. L’expérience signée par Thom Westveer, Petra Sleeman et Enoch O. Aboh «( La lutte des genres : l’accord de genre dans les phrases partitives superlatives en français », pages 265-284) conclut cet ouvrage, dont la finalité est de démontrer que l’accord sémantique est utilisé pour la majorité des noms communs soumis au test mais selon des degrés variables.

L’ouvrage véhicule donc des questionnements qui postulent la possibilité de changer la langue pour mieux prendre en compte les femmes et des moyens expérimentaux pour opérer ces changements. Le thème de la féminisation, incluant la dimension diachronique ainsi que la dimension contrastive entre le français et les langues romanes, est restitué dans toute son actualité.  

[Silvia MODENA]