Marie-Christine JULLION, Louis-Marie CLOUET et Ilaria CENNAMO (éds.) (2020), Les institutions et les médias, Milano, Edizioni Universitarie di Lettere Economia Diritto.

di | 26 Febbraio 2021

Ce volume est issu d’un partenariat scientifique lancé en 2017 qui a vu la participation de l’ISIT (Paris) et de l’Università degli Studi di Milano. Cette collaboration repose, entre autres, sur deux domaines de compétences réciproques : l’analyse de discours et la traduction, dont les auteurs mettent en valeur les éléments de complémentarité et de différence.

En ouverture du volume, Patrick Charaudeau prend le débat public en guise d’objet d’étude et propose une réflexion aussi bien sur les différentes conditions de l’acte de langage que sur une ébauche de typologies d’échange (échange de coopération, échange de confrontation, échange d’affrontement). Au sein de cette dernière typologie d’échange, il veille à souligner l’importance de la controverse, dont la thématique fait l’objet d’un questionnement, condition nécessaire de « disputabilité » (p. 17), pour qu’il y ait argumentation ou contre-argumentation. L’enjeu de la controverse est de parvenir à établir une vérité, qu’il s’agisse d’une controverse scientifique ou d’une controverse sociale. En revanche, lors d’une controverse doctrinale, la vérité n’est jamais mise en cause, l’enjeu d’une telle controverse est l’engagement pour la défense d’une vérité révélée. À l’opposé de la controverse, l’enjeu de la polémique est d’avoir raison contre l’autre. Dans une prolifération de débats, la distinction entre rapports de confrontation et d’affrontements, polémique et controverse s’impose. D’autant plus que la controverse possède « une fonction socialisatrice de dialogue, d’intégration, et de reconnaissance de la différence de l’autre » (p. 28).

Catherine Kerbrat-Orecchioni se focalise sur un type de marqueur qui joue un rôle essentieldans la co-construction du discours : les formes d’adresse (pronoms d’adresse, noms d’adresse ou les « formes nominales d’adresse » (p. 32) ; l’acronyme d’usage est désormais FNA. Le fonctionnement de celles-ci est étudié dans le cadre d’interactions bien particulières : les débuts de l’entre-deux tours des élections présidentielles françaises. L’usage très largement dominant entre les candidats est le suivant : « Monsieur/Madame + patronyme » ou à la rigueur : « prénom+patronyme », il en découle qu’il s’agit d’un usage très normé alors que leur variation quantitative paraît globalement stable et plutôt limitée dans l’ensemble du corpus français. Comparé au français le comportement italien apparait plus proche avec la catégorie du « patronyme seul » pour exprimer une relation de camaraderie à connotation virile, mais plus hiérarchique en même temps, avec une prédilection marquée pour les titres. Si l’emploi des FNA dans ce contexte est au Portugal aussi rigide qu’en France, c’est plutôt à l’italien qu’il s’apparente pour l’importance accordée aux titres, au Brésil il se caractérise par une grande flexibilité. Or, la flexibilité des formes d’adresse est encore bien plus forte en arabe d’après une étude antérieure de Véronique Traverso (2006). Par ailleurs, les FNA fonctionnent en tant que « puissants relationèmes » (p. 45), marquant un certain type de relation interpersonnelle en accord avec le pronom d’adresse. Kerbrat-Orecchioni balise les divergences de norme d’une culture à l’autre, ce qui pose problème pour la traduction des FNA. 

Christine Durieux propose un parcours allant de l’analyse du discours institutionnel et médiatique (prioritairement représenté par la presse écrite) à la traduction.

Traduire c’est mettre des personnes en contact, c’est assurer la communication entre des personnes qui, sans la traduction ne pourraient se comprendre. Si l’analyse du discours fait partie intégrante de l’opération traduisante, il est envisageable d’interpréter la dénomination « traduction » comme l’objet fini et non l’activité, alors que la médiation interculturelle trouve toute sa place dans la traduction. À partir de l’étude de cas de l’emprunt en français du terme « compliance », l’auteure souligne la définition juridique de la notion acquise en France alors que dans le contexte fiscal, la notion de « compliance » présente des traits sémiques méconnus par le vocabulaire français du domaine. Par ailleurs, la dimension éthique de la notion de « compliance » typique du monde anglo-saxon touché par la Réforme considère la tax compliance comme une forme d’adhésion spontanée à l’impôt, ce qui est tout à fait absent des éléments du paradigme français. L’ opération traduisante porte sur une lecture active et une analyse de la teneur discursive du texte original jusqu’à ce que le traducteur en assimile le sens et se l’approprie, veillant à bien rappeler que les éléments d’un paradigme ne sont pas des synonymes et ne sont pas des termes interchangeables.

Antonella Leoncini Bartoli met en exergue le rôle-clé de la traduction en tant que forme garantissant un gouvernement démocratique de la part d’une institution supranationale multilingue et multiculturelle. La politique linguistique poursuit prioritairement trois objectifs : la préservation et la promotion du multilinguisme et de la diversité culturelle ; l’accès à la législation européenne et son appréhension de la part de tous les citoyens par la traduction en 24 langues ; l’aménagement d’un modèle économique et social multilingue efficace. Dans une optique de proximité aux citoyens, des antennes du Multilinguisme de la Commission ont été créées pour retravailler et soigner l’écriture multilingue pour le web. L’auteure propose, à cet effet, l’analyse de certains conseils rédactionnels tirés du guide Scrivere chiaro (2010, 2013) dans sa version anglaise, française et italienne. Des propositions de simplification du langage juridique, des règles concises et brèves de rédaction des textes multilingues destinées au web sont éclairantes et porteuses de l’envergure de la mondialisation suite à l’expansion de l’Internet. Le guide affiche une intention politique claire qui se traduit par le souci de fournir une information et un service transparents et partageables par le plus grand public, favorisant un effort accru d’appréhension de l’enjeu de la communication institutionnelle.

Christopher Gledhill, Hanna Martikainen, Alexandra Mestivier, Maria Zimina s’attachent à identifier certaines des principales caractéristiques lexico-grammaticales du langage simplifié utilisé par les auteurs de Cochrane, une collecte de six bases de données contenant différents types de preuves indépendantes et de haute qualité pour aiguiller la prise de décision dans le domaine médical. L’analyse textométrique est mise au service de la détection des différences intervenant entre un corpus de résumés scientifiques d’experts à experts (désormais ABS) et d’un corpus de résumés représentant des versions simplifiées de ces textes (désormais PLS). L’ objectif principal est descriptif, à savoir l’identification des principales caractéristiques lexico-grammaticales du PLS. Les auteurs posent l’hypothèse que toute régularité d’expression pouvant être observée dans le PLS correspond à certaines des caractéristiques sous-jacentes de la simplification linguistique qui émergent intuitivement lorsque des experts tentent de reformuler des informations scientifiques complexes pour des non-experts. Le deuxième objectif est prescriptif : l’organisation Cochrane communique des connaissances médicales spécialisées aux professionnels et au grand public. À l’aide de textes rédigés et mis à jour entre 2005 et 2013, les auteurs présentent une série de recommandations qui peuvent servir de base à tout ensemble de lignes directrices que Cochrane pourrait adopter à l’avenir.

Micaela Rossi propose une analyse des traductions française et italienne des ESG Standards and Guidelines pour une traduction de la « qualité » et pour une qualité de la traduction. Les ESG Standards and Guidelines sont un document fondateur au niveau européen, un référentiel commun et partagé dans le contexte de l’assurance qualité au niveau de la formation universitaire. La traduction de ce document peut être considérée comme un enjeu crucial, car les traducteurs ont la tâche de transposer le plus fidèlement possible dans chaque langue des concepts-clés désormais fortement stabilisés en anglais, des pivots conceptuels autour desquels les processus d’assurance qualité se réalisent. L’analyse des traductions française et italienne des termes-clés dans les deux versions des ESG permet d’extrapoler dix cas terminologiques intéressants : Accountability, Assessment, Continuous improvement, Enhancement, Guidance, Learning outcomes, Quality assurance, Skills, Standards and Guidelines, Strategic management.

Ilaria Cennamo propose une étude sur la traduction des discours diffusés par les institutions publiques s’inscrivant dans le cadre de la communication publique et institutionnelle. L’objectif que l’auteure se donne porte sur l’analyse d’un observable, à savoir l’expression culturelle et identitaire traversant les textes d’un corpus comparable italien-français réuni à partir des discours web de la mairie de Paris et de la mairie de Rome. L’ étude comparative se focalise sur les usages et les spécificités courants dans les deux langues du point de vue lexical et terminologique à propos de thématiques communes : la lutte contre la pollution, l’offre culturelle de la ville, les projets participatifs, les services publics et l’innovation.

Giovanna Mapelli renoue avec l’enjeu du discours institutionnel diffusé par les réseaux sociaux Facebook, Twitter, YouTube: l’exemple de l’Ayuntamento de Madrid, réputé pour son engagement dans la communication aux citoyens est proposé comme étude de cas. L’étude met l’analyse linguistique au service de la communication administrative pour démontrer comment la présence de la Mairie et du citoyen se construit à travers le discours. Le métadiscours interpersonnel permet d’observer les auteurs qui se projettent dans leurs messages tout en manipulant leurs intentions communicationnelles.

Daniela Virone s’intéresse également aux discours circulant dans le réseau social Twitter, dans la presse traditionnelle, à l’Assemblée Nationale et au Sénat portant sur l’expression « mariage pour tous » (MPT) considérée comme une « formule » en rappel de la notion proposée par Alice Krieg-Planque (2003). L’étude propose une réflexion sur la formule MPT comme notion discursive, pour montrer certains de ses usages au sein du débat et à l’aide d’exemples de type qualitatif. Cette étude mène une analyse des argumentations les plus importantes véhiculées par l’usage de la formule, afin d’en valoriser la charge polémique et sa prédisposition discursive à l’euphémisme. La formule MPT est utilisée dans le but d’afficher un droit universel : ce but est de changer le statut de l’institution du mariage pour qu’il soit rendu universel. Cependant, les détracteurs du projet de loi dénoncent la généralisation excessive de la formule qui fausserait son sens. De surcroît, la nature euphémique de la locution sert également la cause des détracteurs de la loi qui l’utilisent pour en dénoncer la vacuité. En revanche, l’auteure remarque que MPT introduit un changement dans la réalité du mariage aussi bien pour ses promoteurs que pour ses détracteurs et en raison de cela, elle conclut que la formule acquiert une valeur de locution courante de la langue du quotidien, s’affranchissant de toute perception euphémique.

Selon Malek al-Zaum,lorsque les médias parlent de l’islam ou rapportent des informations en lien avec le monde arabo-musulman, des transgrédients sous forme d’emprunts pointent dans le discours et notamment à propos du terme gihad. Certains transgrédients de l’emprunt se transforment en étiquette et sont susceptibles de devenir une source de malentendu. L’auteur s’interroge sur le sens de gihad et sur ses traductions possibles dans le discours politico-médiatique actuel, tout en se questionnant sur les interprétations qu’en font les auteurs et/ou les récepteurs de ces discours médiatiques qui visiblement ne parleraient pas du même gihad. Ce terme-clé est analysé du point de vue linguistique à l’aune de la théorie du « domaine notionnel » de Culioli (1991) qui se construit autour d’un « centre organisateur » lequel permet la construction de trois zones distinctes. Le domaine notionnel du terme gihad s’interrompt lorsque sa zone extérieure s’empare de ses propriétés lexicales. Le sens de gihadiste circulant dans les médias serait obtenu non pas à partir de gihad mais de djihadisme. Par ailleurs, l’auteur s’attache à démontrer que dans un contexte socio-culturel arabo-musulman, le terme est perçu comme positif car il se réfère à un acte noble dans la religion musulmane, alors que la jurisprudence le définit de manière très précise imposant un cadre juridique et des conditions d’accomplissement. Si la presse arabe nationale se montre plus consciente de la complexité et des acceptions du terme en faisant le choix de ne pas l’employer, les médias français ont fait le choix de garder le terme originel sans se soucier ni de sa polysémie ni de la confusion que ce terme peut déclencher du point de vue linguistique et religieux, ce qui aurait contribué à la diffusion de ce terme avec une connotation guerrière fortement péjorative.

La terminologie de la culture mise en regard de la présence limitée mais grandissante de la culture chinoise sur la scène internationale et notamment française est au cœur du travail de Pascale Elbaz. À cet effet, l’auteure analyse le rapport d’activité présenté par M. Xi Jinping au XIXe Congrès national du Parti Communiste chinois le 18 octobre 2017. Pour ce faire, elle s’appuie sur la tradition terminologique classique selon laquelle un terme désigne un seul concept ; les notions essentielles relevant de la culture sont donc analysées en relation avec l’idéologie et la nation, le socialisme et la tradition, la matérialité et la spiritualité, le soft power et le rayonnement, la confiance, les valeurs et la civilisation. Lors du passage de ces termes à la langue française, l’auteure relève une indétermination terminologique et une variabilité traductologique même pour des termes attestés et parfaitement définis dans la langue chinoise.

La perspective comparative est également empruntée par Stéphane Patin dans son travail sur la traduction du gérondif et du participe présent dans un corpus parallèle de textes parlementaires européens tirés de Europarl (2012). L’auteur s’interroge sur les pistes de réflexion traductologique et linguistique qu’un corpus parallèle français et espagnol peut offrir à cet effet. À partir du point d’ancrage de la forme verbale du participe présent et du gérondif, Patin détecte des équivalences formelles et dynamiques de traductions récurrentes, démontre que l’emploi de ces formes verbales en français peut porter à confusion et par conséquent représenter des difficultés de traduction.

Nous regroupons ci-dessous trois contributions d’études de cas portant sur l’interprétation. Le travail de Alicjia M. Okoniewska vise à fournir des exemples empiriques de stratégies d’adaptation utilisées par les interprètes lors de l’encodage des catégories d’analyse du discours idéologique en interprétation simultanée au Parlement européen. À partir d’un extrait d’un débat parlementaire sur l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes, remontant au 1er mars 2017, l’auteure se concentre sur la manière dont l’agence, l’émotivité et d’autres stratégies discursives sont reproduites dans l’interprétation.

Ludovica Maggi propose, à son tour, une étude qualitative pilote à partir d’un échantillon de petites dimensions choisi selon les critères de l’accessibilité et des compétences établies par l’entourage professionnel. Elle s’appuie sur une expérience authentique d’interprétation simultanée de 6 discours ayant trait à des sujets politico-économiques, d’une durée comprise entre 50 secondes et 5 minutes environ prononcés par des europarlementaires italiens entre juillet 2016 et février 2018. Il en découle que la forme spécifique du discours politique italien impose des efforts particuliers par rapport au modèle d’efforts en interprétation simultanée préconisé par Gile (1985). Cette forme spécifique s’articule sur quatre efforts d’interprétation : l’effort d’écoute, l’effort de reformulation, l’effort de mémoire et l’effort d’émotivité.

Nora Gattiglia, quant à elle, propose une analyse des transcriptions comme activité didactique dans le cadre de l’interprétation téléphonique. Du point de vue de l’apprentissage, le binôme simulation-transcription introduit progressivement les étudiants dans la communauté des professionnels, tout en permettant de leur faire acquérir des compétences aussi bien linguistiques que de coordination et d’interaction. Cette méthode s’insère dans une didactique qui préconise l’identification des émotions et se fixe l’objectif de rapprocher les étudiants de la mise en pratique professionnelle à l’aide d’un format participatif.

[Michela TONTI]

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *