Blandine PENNEC, Les Mots de la Covid-19. Étude linguistique d’un corpus français et britannique, Artois Presses Université, Arras, 2022, pp. 270.
L’ouvrage de Blandine Pennec s’insère dans le sillon des études linguistiques inspirées du pic communicatif déclenché par la Covid-19 et, plus largement, dans la communication de crise. La période concernée par cette étude commence au début de l’année 2020, phase initiale de la crise en Europe, et se prolonge jusqu’au début de juin 2020, couvrant donc aussi la phase de confinement en France et au Royaume Uni. L’aspect contrastif ne concerne pas seulement les deux nations impliquées, mais aussi les genres discursifs qui composent le corpus : d’une part, les allocutions prononcées pour lancer le confinement par le Président français, Emmanuel Macron (12 et 16 mars), et par le Premier ministre britannique, Boris Johnson (16, 19 et 23 mars), forment le sous-corpus politique ; de l’autre part, deux quotidiens français, Le Monde et Le Figaro, et deux quotidiens britanniques, The Guardian et The Telegraph, forment le sous-corpus journalistique (dont les articles décrivent la situation inédite du confinement et accompagnent la population dans cette épreuve). L’auteure explique dans son introduction qu’elle considère les deux corpus comme comparables en ce qu’ils partagent certains traits : leur forme est monologale, ils sont « préparés », afin de répondre à des objectifs pragmatiques et rhétoriques, ils offrent des informations vérifiées et fiables, malgré l’urgence, lesquelles requièrent d’obtenir l’adhésion de la population. Se plaçant dans le cadre de l’analyse du discours, Pennec emprunte, articule et applique les outils de la pragmatique, de la stylistique, de l’énonciation, de la rhétorique afin de faire ressortir les modes d’appropriation de la langue par un sujet (parce que les marqueurs employés sont les traces des opérations de construction du sens et des visées poursuivies), ainsi que la mise en forme argumentative des textes analysés.
Dans le premier chapitre, Une communication unidirectionnelle, mais empreinte de dialogisme, PENNEC établit les caractéristiques générales de la communication de crise politique et journalistique sous un angle linguistique. Malgré la forme oralisée du sous-corpus politique et écrite du sous-corpus journalistique, ce type de communication se présente comme contrôlée, mais abordable et simple, afin de convaincre le grand public ; essentiellement verbale (les dimensions para-verbale et visuelle restent secondaires) dans son but informatif et de recherche d’adhésion ; et unidirectionnelle et asymétrique, bien qu’en réalité les véritables experts en cas de crise sanitaire ne soient pas les politiciens ni les journalistes, mais les médecins et le personnel soignant. Cet entrelacement dialogique caractérise les deux sous-corpus, marqués par l’expression linguistique, stylistique et rhétorique de différents positionnements énonciatifs qui se traduisent en manifestations éthotiques omniprésentes. La dimension pragmatique abonde également : les actes de langage illocutoires cherchent à informer, rassurer, convaincre, exhorter ou féliciter (la capacité de faire face à la situation), mais communiquent souvent des contenus dérivés, qui sont en réalité des injonctions et des appels à respecter les consignes de sécurité sanitaire. Des effets perlocutoires sont aussi à l’œuvre, ayant pour but l’apaisement de la panique.
Le deuxième chapitre est consacré à l’Approche linguistique des discours politiques et se donne pour but de « montrer comment les structures employées et les éléments grammaticaux convergent et entrent en synergie pour créer des effets argumentatifs et pragmatiques identifiables » (p. 49), en mettant en regard les discours français et britanniques ayant mené à l’installation du confinement. En premier lieu, l’auteure s’attache au repérage des structures productrices d’effets rhétoriques et argumentatifs, dus à des éléments formels et structurants, tels que : la répétition de lexèmes significatifs concernant la gravité de la situation, la solidarité, l’opposition nécessaire / non-nécessaire – du côté français, mais penchant plutôt sur la justesse des décisions, le nécessaire et l’essentiel, l’ennemi invisible – du côté britannique ; les anaphores et les épiphores qui semblent fonctionner comme des formules rituelles incantatoires ; les énumérations et les effets d’expansion ou de concision qui contribuent à interpeller l’auditoire ainsi qu’à susciter l’émotion. En deuxième lieu, des deux côtés, l’auteure analyse les structures argumentatives, dont la valeur se mesure en termes de structuration de la continuité logique ; les questions porteuses de dialogisme, qui anticipent des questions possibles de la part de la population et sont donc immédiatement suivies de réponses circonstanciées ; les formules métadicursives, qui semblent favoriser l’association du locuteur et de l’auditoire ; et les procédés de focalisation, qui permettent de mettre en saillance certains éléments. En troisième lieu, l’attention se concentre sur les mots grammaticaux qui étayent des opérations argumentatives : il s’agit de l’emploi de « marqueurs de totalité et de parcours » (p. 98) ; d’adjectifs comparatifs et superlatifs, et d’adverbes de haut degré ; de modaux exprimant une prise de position ; du recours complémentaire au pronoms « nous » / « je » et « we » / « I » ; de formes impératives (qui n’identifient pas seulement la population, mais le locuteur aussi, lequel se soumet à ses propres injonctions), performatives (sous formes de requêtes ayant des effets sur la population) et aspectuelles (notamment en anglais : aspects be-ing et have-en).
Le troisième chapitre s’occupe en revanche de l’Approche linguistique de la communication journalistique, notamment de la presse écrite « non directement interactionnelle » (p.135), dont les discours sont préparés en amont et susceptibles d’être retouchés, ainsi que porteurs d’un point de vue assumé : autant de dénominateurs communs avec les discours politiques. Il s’ensuit que les discours journalistiques, comme les discours politiques, font intervenir les composantes argumentatives du logos (pour mettre en forme les points de vue exprimés) et de l’ethos (pour donner une certaine image aux lecteurs), mais surtout – en temps de crise sanitaire – du pathos, afin d’engendrer une prise de conscience et de susciter un sentiment d’empathie dans la collectivité. L’auteure examine donc par quelles stratégies ces éléments sont mis en œuvre des deux côtés français et britannique : on retrouve, comme dans les discours politiques, les questions à valeur dialogique ; le recours à de nombreux actes illocutoires à valeur de conseils (souvent en forme infinitive ou nominale vs relative nominale) ou d’injonctions (impératifs et auxiliaires modaux) ; le jeu entre pronoms personnels de première personne du singulier et du pluriel vs de deuxième personne ; les effets de focalisation ; la reconstruction de relations causales ; les stratégies implicites pour exprimer des critiques ou des remises en cause, par le biais de stratégies de présupposition, de préconstruction et de sous-entendus. Et encore, les comparatifs et les superlatifs générés par la mise en regard d’un phénomène répandu dans le monde entier, qui pousse également à tenter des prévisions, prédictions et déductions (en forme de conditionnel, futur, présent accompagné de formes lexicales de prévision vs phrases hypothétiques, emploi du modal will, et formes verbales au présent avec des éléments évoquant l’avenir. Enfin, Pennec montre l’articulation et l’interaction des éléments relevés dans son corpus dans le corps d’un article français et britannique et met en relief que, parmi beaucoup de ressemblances entre les deux sous-corpus, politique et journalistique, ce dernier montre en plus des directions partiellement antagonistes. Et cela tout en sachant que celles-ci instaurent un climat d’inquiétude à l’égard des risques et des dangers présents et futurs, contrebalancé par les tentatives de rassurer, s’apaiser, garder l’espoir, etc.
L’ouvrage est enrichi par un glossaire des notions de linguistique employées, ainsi que par des annexes contenant la transcription des discours politiques du corpus et les références des articles de presse du corpus journalistique.
[Chiara PREITE]