Erika LOMBART, L’implicite sur les réseaux sociaux. Entre les lignes des forums de discussion

di | 14 Febbraio 2024

Erika LOMBART, L’implicite sur les réseaux sociaux. Entre les lignes des forums de discussion, L’Harmattan, Paris, 2022. 

L’ouvrage propose une analyse pragmatique de ce que l’a. appelle « implicite non conventionnel » (dorénavant implicite NC) (comme par exemple l’antiphrase) dans les forums de discussion de santé de Doctissimo, avec l’objectif d’identifier une catégorisation des formes de l’implicite NC à partir des constructions, des fréquences, et de leurs rôles dans la gestion de la relation communicationnelle.

La première partie présente un aperçu exhaustif de l’état de l’art de l’implicite NC dans les forums de discussion, alors que la seconde propose des analyses formelles pragmatiques très fines des actes relevant de l’implicite NC.  

En s’appuyant sur les travaux, entre autres, de Grice (1991), Ducrot (1969) et Kerbrat-Orecchioni (1986), le premier chapitre offre une mise au point de la définition d’implicite qui recouvre deux formes différentes, à savoir la présupposition et le sous-entendu. L’a. passe également en revue certaines notions clés de la pragmatique, telles que celles d’acte, de force locutoire, illocutoire et perlocutoire, de contexte et enfin de trope implicitatif, où elle rappelle l’utile distinction entre tropes conventionnels et non conventionnels (NC). C’est justement sur l’implicite non conventionnel que l’a. s’attardera le long de son ouvrage, en ce qu’il apparait comme la catégorie la moins étudiée.

Ainsi l’a. part-elle des figures rhétoriques pour proposer un classement des formes de l’implicite (NC), qui va de la similitude et la métaphore aux tropes fictionnels, en passant par l’ironie, l’antiphrase, la litote, etc.

La seconde partie du chapitre porte sur la caractérisation de l’environnement de production du corpus, à savoir les forums de discussion. Se réclamant des travaux de Paveau sur l’analyse du discours numérique, il est quelque peu étonnant de lire que les caractéristiques technologiques des forums demanderaient, selon l’a., « une double approche du discours. D’une part, une approche linguistique analyse les stratégies émergentes liées à la production et à l’interprétation du sens. D’autre part, une approche extra-linguistique prend en compte les contraintes et les nouvelles spécificités liées à l’indispensable présence de la technologie ». (p.61) Ce qui est nommé « approche extra-linguistique » n’en serait pas une : les éléments de l’environnement numérique participent pleinement de la construction du matériau discursif tout court.

L’a. situe justement les forums de bien-être et de santé Doctissimo dans le cadre plus ample de la communication écrite par ordinateur (cémo) et explore les différentes caractéristiques attribuées en littérature à ce type de communication, tout en relevant les points théoriques faibles et en apportant des considérations plus originales, en particulier à propos des actes de langage accomplis dans ces forums.

Sur la base de ces mises au point théoriques, le troisième chapitre présente de manière claire et structurée la méthodologie et les analyses formelles et pragmatiques portant sur les formes de l’implicite non conventionnel et concernant la gestion de la dimension relationnelle entre locuteurs dans ces forums, dans le but de confirmer « l’hypothèse de recherche selon laquelle il existe un lien entre l’utilisation de l’implicite NC (comme phénomène global) et l’intensité de la communication » (p. 111).

En premier lieu, la catégorisation des conversations à partir des types d’émotion et de degrés d’intensité émotionnelle permet à l’a. de montrer une forte corrélation entre intensité émotionnelle (à polarité plutôt négative) et présence de l’implicite NC, toutes formes confondues.

En second lieu, l’a. essaie de répondre à la question suivante : « quels sont les indices de l’implicite NC en conversation dans les forums de discussion? ». Pour ce faire, trois indices ont été retenus : formes et fréquence, signalisation et combinaisons entre formes d’implicite NC.

Les différentes formes de litote sont ainsi présentées au lecteur de manière agréable. L’exposé montre, entre autres, que la plupart des litotes se font par négation du contraire et ensuite par minimisation. Dans ce dernier cas, la forme en « un peu », considérée comme canonique par la littérature sur la litote littéraire n’est pas plus représentée que celles en « assez » et « beaucoup ».

Pour ce qui est des hyperboles et des métaphores, les analyses correspondent davantage à ce qu’on en dit déjà en littérature, à savoir : les premières se situent au confluent de plusieurs figures rhétoriques qui se superposent et les secondes sont en majorité de type nominal, plutôt que verbales, adjectivales et adverbiales.

Les métonymies relevées et analysées dans le corpus montrent la possibilité de regrouper sous le concept de métonymies concrétisantes, c’est-à-dire des métonymies «  qui permettent de donner une image concrète d’un concept, d’un sentiment ou d’une réalité qui l’est moins » (p. 145), de nombreuses relations plus spécifiques (telles que celles de l’instrument pour l’agent, du physique pour le moral, du lieu pour la chose).

Les analyses des tropes illocutoires (questions rhétoriques, trope illocutoire commun et tropes communicationnels) montre que la dernière catégorie est très peu représentée dans le corpus. Cela dit, les observations de l’a. vont affiner la théorie encore peu développée en littérature, en montrant que les tropes communicationnels reposent la plupart du temps sur des métonymies dont la relation est « indéfini » pour « défini ».

La troisième partie des analyses montre les différentes formes de signalement en discours de l’implicite NC de la part des locuteurs (même du point de vue graphique, émoticônes, etc.) ainsi que la combinaison récurrente de plusieurs de ces figures de l’implicite NC, en particulier en ce qui concerne les hyperboles et l’ironie. Des tableaux ponctuent utilement l’argumentation et permettent de récapituler les points fondamentaux.

L’a. se penche ensuite sur l’analyse de la manière dont les formes de l’implicite NC et notamment les actes illocutoires qui en sont porteurs sont utilisés le long de l’échange conversationnel ainsi que sur les intentions perlocutoires de ces actes. Si les litotes sont souvent utilisées dans des buts euphémiques et limitent les FTA (Faces Threatening Acts), les hyperboles sont plutôt liées à « la recherche de FFA, la production de FFA et la connivence » (p. 220), bien que la plupart d’entre elles ne servent pas la gestion relationnelle de la communication et visent l’emphase de la narration.

Les métaphores aussi concernent le plan narratif plus que le plan de la relation, en permettant de qualifier de nouvelles réalités. Seulement dans un nombre exigu de cas elles concernent la production de Face Flattering Acts. Il en va à peu près de même pour les métonymies, dont la plupart sont au service soit de la persuasion soit de la narration et très rarement sont impliquées dans la production de FTA.

En revanche, les tropes de communication participent tous de la gestion de la relation. Dans la plupart des cas ils servent à attaquer la face négative des destinataires, auxquels on hôte toute possibilité de réponse. Dans les autres cas (un peu moins que 50%), ils servent à ménager la face négative d’autrui.  

Enfin, l’analyse des formes de l’ironie montre qu’elles sont mobilisées surtout dans des buts de persuasion et de narration, et lorsqu’elles participent de la gestion relationnelle, elles mettent à mal la communication.

[Stefano VICARI]