Vincenzo SIMONIELLO, Langue française et communication numérique à l’ère des médias sociaux. Identité, créativité lexicale et convergence (socio)linguistique

di | 19 Ottobre 2023

Vincenzo SIMONIELLO, Langue française et communication numérique à l’ère des médias sociaux. Identité, créativité lexicale et convergence (socio)linguistique, L’Harmattan Italia, 2021, pp. 152.

L’ouvrage de Vincenzo SIMONIELLO s’insère dans le cadre des recherches liées à la communication numérique. En particulier, il s’intéresse au langage SMS, à l’argot Internet et au langage wesh-wesh, à savoir le parler des « jeunes des cités ». Selon l’auteur, toutes ces nouvelles variétés de la langue française ont permis un développement « d’un langage nouveau, une manière inédite de s’exprimer et d’affirmer » (p.9) l’identité des enfants du numérique. En outre, l’auteur remarque que grâce à Internet et aux nouveaux médias, les variétés de la langue française ont dépassé non seulement les limites géographiques, mais aussi les limites socioculturelles et linguistiques des banlieues.

Le volume s’ouvre sur une introduction (p. 9-13), qui se penche sur les formes et les procédés langagiers qui font l’objet de l’étude et l’auteur propose au lecteur la structure de l’ouvrage qui se compose de trois chapitres et d’une conclusion générale.

Le premier chapitre « Les langages de la communication numérique en langue française : cadre théorique, état des lieux et objectifs du travail de recherche » (pp. 14-30) fournit un cadre théorique général de la communication numérique à partir de l’invention de la messagerie SMS (Short Message Service) jusqu’à l’introduction du smartphone et aux applications de messagerie installables sur celui-ci. Les différentes typologies de communication médiée par ordinateur, comme le langage SMS, ont « des effets notables sur notre façon de communiquer et sur notre langage quotidien » (p. 16). En outre, l’intérêt au langage texto a fait l’objet de recherches non seulement en perspective sociologique, mais aussi ethnolinguistique. Selon l’auteur, la communication numérique « renvoie donc aux différents types de situations de communication interpersonnelle par le biais des dispositifs de l’internet ou de la téléphonie mobile : le courrier électronique, le forum de discussion, le tchat, le SMS, la messagerie instantanée, le blog, la liste de diffusion et les médias sociaux comme Facebook, YouTube, Twitter et Instagram » (p. 19). L’auteur propose aussi un panorama varié de dénominations et de choix terminologiques qui concernent la communication numérique, à savoir écrit d’écran, écriture numérique, communication électronique scripturale, cyberlangue et cyberlangage, communication électronique, communication numérique écrite, formes techno-langagières et technodiscursives, discours numérique. En particulier, l’auteur considère l’influence réciproque de l’oral et de l’écrit : d’un côté, il est possible de constater une tendance à l’hybridation sur les diverses formes linguistiques qui caractérisent la communication numérique écrite ; de l’autre côté, les pratiques numériques écrites peuvent influencer le langage parlé, comme celui des nouvelles générations. L’auteur se penche sur les dénominations telles que langage wesh-wesh, parler/langue des jeunes des cités et parler/langue des banlieues qui font l’objet du chapitre suivant.

Le deuxième chapitre « Nouvelles générations et pratiques langagières francophones : aspects linguistiques et sociolinguistiques des « langages jeunes » à l’ère numérique » (pp. 31-54) se focalise sur les caractéristiques linguistiques et sociolinguistiques, et leurs similarités, de chacune des trois principales variétés de langue considérées dans la recherche : le langage SMS, l’argot Internet et le langage wesh-wesh, afin de vérifier la présence réelle des mots et des expressions du langage des banlieues dans les échanges communicatifs en ligne et « hors ligne ». D’abord, l’auteur explore le langage SMS et les procédés néographiques caractérisés par l’oralité présente dans la plupart des textos. À ce propos, l’auteur propose une réflexion sur les formes graphiques et morpholexicales, propres au langage SMS, empruntées principalement à la typologie néographique, à savoir la substitution, la réduction, la suppression, l’absence ou la raréfication, l’augmentation et l’ajout.

L’auteur propose une synthèse des procédés d’écriture des SMS : sur le plan de la sémantique lexicale concernant la polyvalence et la polysémie, un même élément peut être lu de différentes façons, par exemple : v (« vais » ; « veux/veut ») ; c (« ses » ; « sais/sait » ; « c’est » ; « ces »). Sur le plan morphosyntaxique, la conversion comme un changement de la classe grammaticale en emplois verbaux, adjectivaux, adverbaux est un phénomène assez fréquent : Sms-moi qud tu arriv (« envoie-moi un sms quand tu arrives ») ; sur le plan syntaxique, l’omission de mots grammaticaux comme l’ellipse, l’omission de déterminants ou le style télégraphique : j entend rien pcq trop de bruit (« Je n’entends rien parce qu’il y a trop de bruit ») ; sur le plan du discours, nous observons des phénomènes qui consistent à donner des réponses en rafale à des questions multiples ou à l’expéditeur du SMS qui pose une question au destinataire, par exemple : Je regarde la TV. Je veux bien ton massage… les magasins de Bruxelles. Ça a l’air d’aller toi ?; ça va ? Moi oui ; Tu fais quoi de beau dimanche ? Moi je suis censé dormir toute la journée pour me reposer.

Après ces considérations, l’auteur affirme que les spécificités linguistiques de l’argot Internet, comme langage de tout échange communicatif en ligne, reprennent les procédés constitutifs du langage qui caractérise les SMS. L’argot Internet montre des stratégies telles que la simplification d’écriture caractérisée par abréviation et troncation ; la phonétisation des lettres et des chiffres ; la suppression de lettres, ponctuation et signes typographiques ou diacritiques ; la substitution et la réduction, la complexification comme le compactage et la déconstruction graphiques ou l’ajout de caractères même en fonction expressive ; le recours à des syllabogrammes et à des rébus typographiques ; l’utilisation de sigles et d’acronymes ; l’adoption d’un « style télégraphique » ou fragmenté s’éloignant de la morphosyntaxe et de la syntaxe standards. En outre, l’argot Internet se caractérise aussi par l’utilisation de sigles, les emprunts intégraux ou adaptés de l’anglais ou d’autres langues étrangères, l’usage de termes et expressions plus spécifiques du langage des internautes, l’utilisation du lexique du verlan, l’usage des « émoticônes graphiques ou iconiques » ou des emojis, à savoir des figurations symboliques qui sont assimilables aux pictogrammes pour leur fonctionnement sémiotique. Ensuite, l’auteur aborde la question du langage wesh-wesh comme variété de langue qui représente la construction identitaire des « jeunes des cités » qui vivent dans les banlieues françaises, des milieux caractérisés par des conditions socioéconomiques difficiles avec des problèmes liés non seulement aux taux élevés de pauvreté, chômage et déscolarisation, mais aussi d’illégalité et criminalité.

Le troisième chapitre « Jeunes, « langue des banlieues » et communication numérique : pour une analyse lexicométrique, lexicologique et lexicographique du langage wesh-wesh dans l’argot des internautes francophones » (pp. 55-85) propose l’analyse lexicométrique d’un ensemble de lemmes choisis parmi les mots et les expressions les plus employés dans le langage des jeunes des banlieues et des quartiers populaires des cités en France. À partir d’un corpus constitué par des tweets collectés sur le réseau social Twitter, dans une période de deux ans (du 31 octobre 2016 au 31 octobre 2018), l’auteur examine la langue des adolescents et des jeunes banlieusards issus de l’immigration en France, à l’aide des outils informatiques de la recherche lexicométrique. L’auteur considère non seulement des critères géolinguistiques et morpho-lexicaux précis et représentatifs des spécificités linguistico-culturelles typiques de cet argot, comme l’arabe classique et le dialectal maghrébin, le romani, les langues de l’Afrique de l’Ouest et les créoles ; mais aussi les traits de verlanisation et reverlanisation, d’acronymie et d’abréviation, de métaphorisation et de métonymisation des mots. Les lemmes issus de l’argot des cités et choisis à partir de leur fréquence d’usage sont : wesh, seum, oklm, kiffer, daron, nana, tmtc, rebeu, dalle, galère, miskine, boloss, négro, boug, ambiancer (s’), babtou, roro, pélo, blédard, bedo. L’analyse proposée permet d’observer une fréquence d’usage plus large (46% de l’échantillon total) des lemmes d’origine arabe maghrébine, comme wesh, seum, kiffer, miskine, par rapport aux mots dérivés des langues ouest-africaines (7%), du romani (5%) et des créoles (2%), et relativement aux autres traits de formation morpholexicale et morphosyntaxique considérés dans l’étude. Les mots et les expressions issus de procédés de verlanisation et reverlanisation représentent 8%, de siglaison 13%, de métaphorisation et métonymisation 10%. Les cas de oklm, tmtc, roro et galère sont liés à la forte influence de la « culture de la rue » qui est caractérisée par le sémantisme le plus souvent symboliquement violent et agressif.

L’ouvrage se termine par une « Conclusion générale » (pp. 86-88) dans laquelle l’auteur souligne les étapes principales de l’analyse lexicographique et lexicologique des lemmes traités afin d’observer non seulement leur fréquence d’usage dans la twittosphère en français, mais aussi les phénomènes de construction et de (ré)appropriation socio-identitaire des jeunes qui vivent dans les banlieues françaises, lieux caractérisés par des conditions de vie difficiles. L’auteur signale aussi le rôle prépondérant d’Internet et des technologies numériques à propos de la diffusion virale de ces formes et de ces pratiques linguistico-culturelles qui sont sorties des banlieues et des grands quartiers populaires français, auparavant « enfermés » du point de vue social, culturel, économique et linguistique.

Dans la session « Annexes », le lecteur peut avoir accès à vingt fiches qui composent le « Glossaire des Mots et des expressions les plus courants du langage wesh-wesh » et à une vingtaine d’extraits des échanges linguistico-communicatifs récoltés afin de montrer le contexte d’usage « naturel » sur Twitter francophone.

La postface de Giulia PAPOFF (pp. 147-151) remarque la spécificité de la recherche linguistique développée par Vincenzo Simoniello sur la créativité lexicale et tous les aspects sémantiques, morphosyntaxiques et discursifs qui sont propres au langage des SMS, à l’argot Internet et au langage wesh-wesh des jeunes banlieusards issus de l’immigration en France. La créativité des « enfants du numérique » se combine avec l’essor des nouvelles technologies de l’information et de la communication numérique et elles créent des variétés nouvelles de la langue française, des codes linguistiques, parfois cryptiques, où la dimension ludique et la dimension sociolinguistique et culturelle jouent souvent un rôle de premier plan.

Dans l’ensemble, l’ouvrage de Vincenzo Simoniello se remarque par la richesse des contenus proposés qui offrent une nouvelle réflexion sur la communication numérique et le développement de la langue française par les jeunes dans les médias sociaux. L’analyse lexicographique et lexicologique des lemmes choisis donne au lecteur la possibilité de connaître dans le détail le langage wesh-wesh utilisé par les jeunes dans la twittosphère en français.

[Gloria ZANELLA]