Laura CALABRESE, Chloé GABORIAUX, Marie VENIARD (éds.), Migration et crise : une co-occurrence encombrante

di | 19 Ottobre 2023

Laura CALABRESE, Chloé GABORIAUX, Marie VENIARD (éds.), Migration et crise : une co-occurrence encombrante, Mots, n° 129, juillet 2022.

Ce numéro de la revue Mots, intitulé Migration et crise : une co-occurrence encombrante, a été publié sous la direction de Laura Calabrese, de Chloé Gaboriaux, et de Marie Veniard. L’objectif du dossier thématique est d’offrir un panorama, à la fois complet et synthétique, des pratiques discursives et actions politiques concernant la migration,à partir de 2015. Le dossier se concentre précisément sur la construction discursive de la migration comme crise, notamment de la part des médias, des institutions, de la politique et des différentes organisations, et sur les modes de la société civile de participer à la gestion des réfugiés/migrants, à travers une lecture pluridisciplinaire des phénomènes migratoires.

Dans leur article (L’accueil en crise : pratiques discursives et actions politiques, pp. 9-21), Laura Calabrese, Chloé Gaboriaux, et Marie Veniard consacrent une large place à l’analyse du mot « crise » et à l’expression « crise migratoire ». Comme le démontrent amplement les trois auteures, une analyse du discours politique, institutionnel et médiatique permet non seulement de comprendre comment la migration est présentée sous la forme de crise, mais aussi comment ce point de vue se traduit dans la réalité. Il est clair que les « différences » au niveau discursif de la migration correspondent à des « divergences » dans la manière dont la société civile participe à la gestion des migrants. L’article comprend une brève introduction aux contributions composant le dossier thématique.

Dans leur article (De la crise de l’accueil à la crise provoquée. Évolution des dénominations en contexte migratoire belge, pp. 23-46), Cécile Balty et Valériane Mistiaen présentent les résultats d’une analyse qui vise à estimer l’ampleur de l’usage, de la production et de la circulation en discours des dénominations construites à partir du syntagme nominal la crise, en contexte migratoire belge, en français et en néerlandais. Le corpus choisi est constitué de l’ensemble des documents rédigés par les acteurs de la migration en Belgique, tant des organismes gouvernementaux que des ONG, de 2011 à 2020. L’analyse met en évidence deux faits principaux : le phénomène migratoire en Belgique est déterminé par des « moments discursifs », avec des répercussions sur les dénominations ; et la mise en circulation de discours et de contre-discours, par les différents acteurs de la migration belge, peut à la fois promouvoir et déconstruire certaines dénominations.

La contribution de Catherine Perron (La construction discursive de l’accueil des réfugiés en 2015-2016 en Allemagne, dans le Land di Bade-Wurtemberg et ses communes, pp. 47-64) est consacrée à l’évolution des discours sur la migration, en particulier celui de la Willkommenskultur (littéralement Culture de l’accueil) et celui de la crise, dans le champ médiatique et politique, en Allemagne, en particulier dans le Land du Bade-Wurtemberg et de ses municipalités, sur la période 2015-2016. Sur la base d’un corpus, construit à partir d’une recherche par mots clés dans des sources médiatiques et politiques, l’autrice s’est interrogée sur la genèse du discours de la crise et sur sa co-existence avec celui de la Willkommenskultur. Par son analyse, l’auteure montre qu’il n’y a pas de conflits entre les deux types de discours et qu’ils sont bien complémentaires. L’émergence du discours de la crise a remis en cause, de manière positive, le discours de la Willkommenskultur et ce dernier a atténué les aspects négatifs du cadrage de la migration comme crise.

Elena Giacomelli et Pina Lalli (Discours des moniteurs sociaux sur leurs pratiques de terrain auprès des demandeurs d’asile en Italie, pp. 65-81) présentent les résultats d’une enquête de terrain menée au sein d’un centre d’accueil temporaire (CAS), dans la province autonome de Trente. En particulier, l’enquête recueille les témoignages donnés par les « moniteurs d’accueil », sur deux sujets émergés lors des entretiens : la gestion du temps de l’accueil des demandeurs d’asile et la question des tâches et des compétences des travailleurs sociaux. L’objectif des auteures est de montrer, à travers les thématiques évoquées, que le discours des moniteurs d’accueil est le reflet de ce qu’ils vivent dans le système d’accueil et des politiques publiques menées sur le terrain. De surcroît, à travers leur discours, les personnes interrogées revendiquent la reconnaissance de leur métier, ce qui implique, en même temps, de repenser la question de l’accueil en termes sociaux.

La contribution d’Odile Vallée (« Mise en crise » du discours du Haut-Commissariat pour les réfugiés : enjeux et formes de politisation de la cause des réfugiés, pp. 83-98) analyse de façon discursive et sémiologique comment le discours institutionnel du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) de l’Organisation des Nations Unies (ONU) a contribué à la (re)construction de son rôle et de ses actions en matière d’immigration.

L’analyse, qui porte sur cinq rapports d’activité publiés pendant la période 2015-2019, montre quels procédés sémio-discursifs sont mis en œuvre pour un engagement du HCR en faveur de la cause des réfugiés et le renvoi à d’autres instances de la question des migrants. Sur le plan discursif, l’auteure nous fait observer la présence de certaines expressions attestant de la volonté de l’organisation internationale d’affirmer sa mission de protection et d’assistance d’une catégorie spécifique d’individus, les réfugiés ; en même temps, la disparition progressive de toute référence aux migrants est le reflet d’un désengagement du HCR vis-à-vis des migrants.

Deux articles composent la rubrique Varia. Dans sa contribution, Arthur Borriello (Endiguer la vague. Les ressorts du discours anti-populiste dans le journal Le Monde (2016-2017), pp. 101-123) présente et analyse les modes de désignation et de représentation métaphorique du populisme. Le corpus est constitué des articles publiés dans le journal Le Monde, pour la période 2016-2017, à partir des lemmes populisme et populiste et de leurs formes fléchies. Comme l’auteur le souligne, le corpus n’est pas analysé en tant que type de discours, dans ce cas le discours journalistique, mais on tient compte de son caractère polyphonique où s’intègrent simultanément différents genres, différentes stratégies discursives et diverses voix (les 68 rubriques présentes et auxquelles appartiennent les articles du corpus en sont la preuve).

La deuxième contribution des Varia, de Samuel Legris (La conscience sociale des Gilets jaunes : étude sociologique de représentation en lutte, pp. 125-145), présente les résultats d’une enquête sociologique et ethnographique menée auprès des Gilets jaunes, du Villaret, à la périphérie d’un bourg rural du Berry, entre décembre 2018 et janvier 2021. L’enquête vise à connaître l’élaboration de la représentation du monde social de la part des Gilets jaunes. Se basant sur des études sociologiques antérieures, l’auteur souhaite montrer si les acteurs du mouvement adhèrent à une vision binaire ou triangulaire de la société. Pour ce faire, il soumet le corpus constitué des entretiens à une analyse textométrique. En outre, une analyse du discours est menée sur les textes publiés sur Facebook par les participants au mouvement.

[Cosimo De Giovanni]