Ilaria Cennamo, Agata de Laforcade, Marie-Christine Jullion, Diana Saiz Navarro (éds.), La clarté rédactionnelle en droit et ses multiples horizons

di | 29 Ottobre 2022

Ilaria Cennamo, Agata de Laforcade, Marie-Christine Jullion, Diana Saiz Navarro (éds.), La clarté rédactionnelle en droit et ses multiples horizons / Clear Legal Writing: A Pluridisciplinary Approach, Lingue, Culture, Mediazioni, n° 7 (1), 2020.

L’ouvrage, introduit par les éditrices, se penche sur le rapport que la clarté rédactionnelle entretient avec le droit. En particulier, les auteurs s’occupent des enjeux multiples de celle-ci pour la linguistique juridique, des défis qu’elle lance à la traduction juridique et de ses implications dans la coopération internationale.

Chiara Preite (La reformulation intratextuelle et ses marqueurs dans les arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne, pp. 19-35) se propose d’explorer la clarté de l’exposition dans les cas des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne à partir du recours aux stratégies de reformulation intratextuelle.  Elle s’interroge sur la fonction revêtue par la reformulation dans ce genre judiciaire et elle la met en relation avec la ‘logique juridique’, qui se déploie en particulier dans les discours judiciaires. Parmi les marqueurs, l’auteure observe le fonctionnement de : à savoir, c’est-à-dire, autrement dit et notamment. Il en découle que la reformulation intratextuelle peut assumer une valeur argumentative et clarificatrice, en ce qu’elle motive et justifie une prise de position énonciative et factuelle. Dans les arrêts de la CJUE, la reformulation influe notamment sur l’interprétation argumentative que les juges attribuent aux éléments reformulés. La correspondance qui s’installe entre les éléments reformulés et les reformulations n’est pas de type sémantique, mais vise à faire ressortir la pertinence d’un élément dans l’argumentation afin d’appliquer une catégorie juridique ou une règle de droit, à un cas concret et particulier.

Hervé Moysan (La clarté de la loi obscurcie par le technicisme formel de son écriture, pp. 37-48) retient une acception générale de la notion de clarté : la clarté se définit communément comme le “caractère de ce qui est facilement intelligible” et renvoie aux notions de précision et de netteté, sachant que la notion de clarté en droit présente un caractère nécessairement relatif. Ce caractère nécessairement relatif s’explique par de multiples raisons : technicité de la langue juridique, impossibilité pour la norme de prévoir toutes les hypothèses ou encore part irréductible de l’interprétation. La question de la clarté rédactionnelle ne concerne pas seulement son écriture mais aussi la structuration légistique des dispositions règlementaires et législatives. Cette question de la structuration légistique est de plus grande importance qu’il n’y paraît, car elle met en jeu à la fois la clarté et l’authenticité de la loi. En droit français, “seule la version publiée au Journal officiel de la République française fait foi”. Conséquemment, le droit français présente un paradoxe : ce qui fait foi, c’est-à-dire les textes publiés au Journal officiel, n’est pas ce qui est intelligible et ce qui est intelligible, autrement dit, la législation consolidée (qui n’a qu’un statut documentaire), ne fait pas foi. Des solutions sont parfaitement envisageables. La seule technique compatible avec le principe posé, consisterait à imposer au législateur de faire figurer en annexe de la loi le nouvel état des articles modifiés par lui, ou du moins de prescrire au pouvoir réglementaire la publication du texte modifié. D’autres auteurs ont préconisé une solution plus modeste pour améliorer la structuration légistique des textes normatifs, laquelle est sans doute plus simple à mettre en pratique. Ils proposent non seulement d’en introduire les règles dans le Guide de légistique mais recommandent encore “que la qualité rédactionnelle des textes et la faisabilité de leur consolidation entrent dans le cadre de l’avis du Conseil d’État consacré à la qualité de l’étude d’impact” et de “compléter la loi organique du 15 avril 2009 afin que l’étude d’impact envisage particulièrement la qualité rédactionnelle des textes et la faisabilité de leur consolidation”.

Selon Suany Mazzitelli (Les limites à la clarté rédactionnelle de la loi dans la “dialectique” entre ordres juridiques : considérations issues de la pratique éditoriale, pp. 49-63), deux besoins s’imposent pour le citoyen : d’une part, le droit contemporain et son application dans le quotidien et le besoin de consulter le droit étranger, de l’autre, une volonté croissante de la part des Etats de faire connaître son droit aux citoyens et aux étrangers. Cette double tendance intéresse la clarté rédactionnelle et soulève la question de l’intercompréhension du droit national étranger. À propos de l’accès aux sources du droit, de la qualité des données disponibles et de la qualité de l’écriture de la loi, l’éditeur juridique peut mettre en évidence les obstacles en matière d’accessibilité matérielle du droit et de fiabilité des données disponibles. Les interactions et influences réciproques entre les systèmes normatifs, les spécificités propres à chaque système juridique et les questions relatives à la langue constituent également des obstacles à l’accessibilité du droit résultant de la “dialectique” entre les ordres juridiques. Le sujet de l’accessibilité du droit n’est pas épuisé et la plus haute transparence dans ce domaine serait souhaitable, au regard notamment du principe d’accessibilité et intelligibilité de la loi. La qualité incertaine des données normatives disponibles serait en lien avec un manque de clarté concernant la nature du texte publié : version officielle d’origine, version consolidée, version en vigueur ou abrogée. D’autres incertitudes peuvent également surgir, lors de la constitution et de la mise à jour des corpus normatif de droit étranger, issues des spécificités de chaque système juridique, des interactions entre les droits applicables sur un territoire étatique et de la langue officielle ou du plurilinguisme. Bref, clarté rédactionnelle et uniformité du droit constituent alors, en reprenant l’expression d’Alexandre Flükinger, des idéaux “louables”, dont les critères et exigences, parfois contradictoires, se heurtent dans la pratique pour tendre à la recherche d’un équilibre subtil.

Freddie Plassard (Qualité et normativité dans la traduction institutionnelle, pp. 65-82) se penche sur la normalisation de la pratique de la traduction car elle apparaît vite comme nécessaire voire incontournable à plusieurs égards. Pour la traduction, les normes exigent une homogénéisation de la pratique (gage de qualité) ; elles ont des retombées d’ordre psychologique comme le fait de rassurer les clients en balisant les tâches à accomplir et des retombées d’ordre sociologique car c’est confortant pour le corpus professionnel. F. Plassard analyse les notions de traduction institutionnelle, de qualité et de normativité afin d’en examiner les relations réciproques envisagées dans différentes perspectives, celle des donneurs d’ouvrage et responsables de services de traduction mais aussi celle de ceux qui sont en première ligne, les traducteurs. La notion de traduction institutionnelle s’applique à des textes anonymes le plus souvent rédigés à plusieurs, de sorte que les traductions sont elles aussi anonymes (Koskinen 2000, 59). Ces textes, à la fois réglementaires et techniques, attestent une certaine hybridité. L’élaboration des textes institutionnels, rédaction et traduction se conjuguent constamment au point que la traduction fait partie intégrante du processus de rédaction. Cette hybridation va parfois jusqu’à la neutralisation linguistique et culturelle qui consiste, premièrement, à gommer les idiomatismes et expressions trop colorées ou “nationales”, deuxièmement, à lisser les effets stylistiques au profit d’une langue transparente et normée de façon à tenir compte d’un lectorat composite et multiple, souvent allophone. L’importance de la qualité rédactionnelle, traduction comprise, des documents institutionnels est soulignée par les institutions elles-mêmes (Leoncini-Bartoli 2016, 16). On distingue deux niveaux en matière de qualité : un niveau textuel d’une part et un niveau processus de l’autre. Pour ce qui est de la normativité de la traduction institutionnelle, elle tient au fait qu’elle est inhérente au fonctionnement des institutions et donc à la pratique de la traduction dans ce contexte. 

Selon Valentina Jacometti (The Challenges of Legal Translation in Multilingual Contexts[1], pp. 83-101), le multilatéralisme croissant dans les relations internationales a conduit à la diffusion du principe du multilinguisme officiel au sein des organisations internationales et supranationales, ce qui implique la nécessité de produire des textes juridiques en plusieurs langues. Cet article vise à mettre en évidence les caractéristiques de la rédaction juridique multilingue dans différents contextes : premièrement, au sein des systèmes juridiques nationaux, tels que le Canada et la Suisse ; deuxièmement, au sein des organisations internationales, en accordant une attention particulière aux traités multilingues ; et troisièmement, au sein de l’Union européenne, en soulignant la complexité de la rédaction législative multilingue compte tenu de la nature indépendante, multilingue et directement applicable du droit communautaire. Ces contextes sont profondément différents à plusieurs égards, notamment en ce qui concerne les raisons et la base juridique du multilinguisme et de la législation européenne, ainsi que pour les critères et méthodes de rédaction, d’adoption et d’interprétation de textes.

Pour Barbara Pozzo (Looking for a Consistent Terminology in European Contract Law [2], pp. 103-126) le caractère multilingue du droit communautaire européen reflète le fait que l’Union européenne devient une entité de plus en plus multiculturelle et multilingue. À la suite de l’adhésion des nouveaux États membres en mai 2004, de la Roumanie et de la Bulgarie en janvier 2007 et, enfin, de la Croatie en 2013, il y a maintenant 24 langues officielles, ce qui crée d’immenses difficultés pour traduire d’une langue à l’autre. Le caractère multilingue de la législation de l’UE a poussé à la création d’une langue “neutre ou descriptive”, afin de forger une terminologie supranationale qui maintienne une distance égale avec chaque langue nationale. En même temps, les langues et les terminologies juridiques sont et restent profondément liés à la culture et le processus de mise en œuvre des directives sont souvent de grands défis pour faire face aux problèmes de traduction. L’objectif de cet article est d’étudier l’impact du multilinguisme sur le processus d’harmonisation du droit privé européen.

[Michela TONTI]


[1] Les défis de la traduction juridique dans des contextes multilingues

[2] A la recherche d’une terminologie cohérente dans le droit européen des contrats