Daniela DINCĂ, Alice IONESCU, Camelia MANOLESCU, Valentina RĂDULESCU, Cristiana-Nicola TEODORESCU (éds.), Stéréotypes et clichés

di | 6 Luglio 2022

Daniela Dincă, Alice Ionescu, Camelia Manolescu, Valentina Rădulescu, Cristiana-Nicola Teodorescu (éds.), Stéréotypes et clichés, Craiova, Editura Universitaria, 2022.

La Maison d’édition Universitaria vient de publier, dans la série Études françaises, le volume Stéréotypes et clichés réunissant les Actes du Colloque international homonyme organisé par le Centre de recherche STUDI-TRANS et le Département de langues romanes et classiques de l’Université de Craiova, les 28 et 29 septembre 2021. La thématique du colloque a été dédiée à ces deux notions de grande actualité, stéréotypes et clichés, qui ont engendré de nombreuses études dans divers domaines et sous-domaines : anthropologie, linguistique, littérature, sémiologie, sociolinguistique, didactique des langues ou traduction spécialisée. L’ouvrage est structuré en trois parties selon les trois grands axes du colloque : 1. Stéréotypes et clichés en langue et en discours ; 2. Stéréotypes et clichés en littérature ; 3. Didactique et Traduction des stéréotypes et des clichés.

Dans la première partie, Stéréotypes et clichés en langue et en discours, on retrouve des articles traitant des stéréotypes linguistiques et du figement, de l’expressivité des structures stéréotypées, des clichés intensifs et métaphoriques.

Le volume est ouvert par l’article de Maria Isabel González-Rey qui, dans Les nouveaux pragmatèmes sociaux : Les mots-dièse (hashtag), met en évidence que les mots-dièses ou hashtags sont « les nouvelles unités phraséologiques de la phraséologie d’aujourd’hui », même s’ils sont utilisés pour « combattre les stéréotypes culturels négatifs et les préjugés » comme c’est le cas pour les campagnes contre le harcèlement sexuel (#MeToo) ou contre le racisme (#BlackLivesMatter).

Trois articles sont dédiés à l’analyse des proverbes qui occupent une place importante dans la transmission des stéréotypes dans plusieurs espaces civilisationnels comme le monde européen ou arabo-marocain. En effet, Anda Rădulescu (Le proverbe comme stéréotype doxal) apporte des preuves incontestables que la doxa est à la fois « pérennisée dans le proverbe » et « ravivée par le proverbe » dans une analyse qui prend en considération le sens littéral et métaphorique des proverbes. Dans le monde arabo-marocain, Ouafa Benjaafar (Le proverbe à images stéréotypées : enjeux et limites de transmission) démontre la souplesse des proverbes qui peuvent s’adapter non seulement aux changements culturels, mais aussi aux changements langagiers (lexique, morphologie et syntaxe). Enfin, l’article d’Alice Ionescu (Les parémies dans l’œuvre de Ion Creangă ‒ miroir de l’ethos populaire roumain) met en exergue le classement thématique des énoncés sentencieux de Ion Creangă, illustrant parfaitement les éléments de psychologie populaire représentatifs pour la communauté du village moldave du XIXe siècle. Enfin, on pourrait ajouter l’article d’Omer Takam (La stéréotypation de la femme dans La Croix du Sud de Joseph Ngoué) qui met au premier plan les modalités de stéréotypation du féminin dans une étude « factuelle » reposant sur les actes et les discours de la femme.

Le rôle des adjectifs qualificatifs dans la construction des stéréotypes et des clichés fait l’objet des articles de Jan Goes et de Liliana Alic. Dans Les clichés métaphoriques et les clichés intensifs dans Les races humaines (Paris, Hachette, s.d., vers 1900), Jan Goes fait l’analyse des adjectifs dans la création de stéréotypes de pensée sur les Français et les Roumains. La combinaison nom + adjectif permet à l’auteur la classification en plusieurs catégories : expressions libres (race musclée), collocations non lexicalisées (nez écrasé, nez épaté, yeux noirs, activité fiévreuse) et figements (péril jaune, sauvage comme…). Le deuxième article est proposé par Liliana Alic (Les adjectifs dans les phrasèmes. Approche contrastive de la construction du sens en français et en roumain) qui fait une analyse contrastive des adjectifs de couleur du point de vue de leur capacité de combinaison dans les locutions et les collocations nominales, pour souligner la relation entre stéréotypes de langue et stéréotypes de pensée dans les deux langues cultures. Une autre étude linguistique comparative est celle d’Adriana Costăchescu (Évoquer les stéréotypes : le MD des savoirs partagés angl. you know et ses équivalents romans) qui explore les marqueurs discursifs (MD) dans quatre langues romanes (l’anglais, le français, l’italien et le roumain) dans une perspective pragmatique contrastive qui lui « offre une panoplie de concepts et de méthodes de recherche ».

Les facteurs de la désémantisation des expressions figées est ensuite analysée dans trois articles. Le premier appartient à Marinela Petrova (Le miroir de l’univers à travers les expressions traditionnelles en français) qui considère les expressions françaises comparatives formées autour des noms de pays, de nationalités, de villes ou de monuments comme des modèles mentaux d’une communauté où le sens figuré a une valeur expressive, émotionnelle, l’élément touristique étant partiellement ou entièrement désémantisé. Dans le deuxième, Cristiana-Nicola Teodorescu et Anca Gabriela Nicolae (L’opacité des termes gastronomiques « poire » et « pomme » dans les expressions figées) approfondissent la désemantisation contextuelle des expressions figées avec les termes gastronomiques « poire » et « pomme » selon le schéma suivant : ([+fruit] [+concret] → [processus de métaphorisation] → [processus de métonymisation]), ce qui veut dire que leur sens se définit dans l’usage, quand ils sont utilisés contextuellement. Le rôle de la préposition dans les formules de politesse (le salut, le remerciement, le souhait ou les structures lexicales figées pour achever des messages écrits) fait l’objet de l’article de Ionela Matilda Breazu et Cecilia Mihaela Popescu (Le rôle de la « préposition » dans la construction des clichés linguistiques en roumain) qui présentent deux phénomènes : la contextualisation ou la désémantisation complète de la préposition dans le cas des (quasi) locutions prépositionnelles.

Une autre perspective linguistique qui fait l’objet de plusieurs articles de cette section est le défigement des formules stéréotypes dans le discours journalistique. À cet effet, Mihaela Lupu (Le défigement de type substitutif, champion en titre (… de presse) examine les titres de presse français et francophones (expressions, formules parémiques, répliques célèbres, etc.) consultables en ligne (périodiques, télévisions, radios, etc.) afin d’expliquer les effets discursifs créés par le défigement de type substitutif. Dans le même sens, Yassia Mandé (Comportement morphosyntaxique et lexical des expressions figées françaises dans la presse écrite burkinabé) décompose les procédés de défigement (la substitution phonétique, lexicale, syntaxique, par emprunt et les insertions de morphèmes étrangers à l’intérieur de l’expression figée d’origine) générant les sens dénotatifs, connotatifs et contextuels des journalistes. Le discours publicitaire congolais est présenté dans l’article de Stéphane Kaludi Ndondji et Diane Lufunda Matedi (Les éléments à charge culturelle partagée dans les discours publicitaires congolais : arguments péremptoires, clichés et stéréotypes) qui examinent les clichés et les stéréotypes comme une « sorte de commémoration » ou comme un « regard nostalgique ». En plus, l’article de Zakia Rmida (L’Asiatique, source de propagation du coronavirus) illustre le besoin humain de démultiplier les préconceptions, comme c’est le cas de l’image de l’Asiatique en tant que source de propagation du coronavirus.

Les trois derniers articles de cette section élargissent l’analyse vers la dramaturgie ou l’art cinématographique. Dans Le défigement dans la dramaturgie grotesque de l’esperpento valleinclanien, Vanessa Saint-Martin examine les stéréotypes du théâtre dominant au début du XXe siècle en Espagne afin de mettre en évidence les modalités de détournement des expressions figées dans les conversations entre les personnages, ainsi que les effets et les enjeux du défigement dans le dispositif dialogique novateur proposé par Valle-Inclàn. C’est l’article de Liri Chapelan (Les éléments graphiques d’information : variations hétérotypiques du stéréotype) qui étudie les images stéréotypées dans la critique du langage du cinéma à l’aide du langage lui-même (dans le court-métrage Aufstellung du cinéaste Harun Farocki) et dans l’animation minimaliste de Don Hertzfeldt. En fin de compte, Yoshiko Suto (La fabrique de stéréotypes sur le cinéma japonais, affiches et déplacement notionnel) analyse les différents niveaux de stéréotypes, les raisons de la construction de stéréotypes culturels, ainsi que la manière dont les supports de diffusions et les discours théoriques peuvent créer des stéréotypes.       

La deuxième partie est consacrée aux Stéréotypes et clichés en littérature car les articles réunis dans cette section s’intéressent au fonctionnement des stéréotypes et des clichés dans des œuvres littéraires françaises et francophones.

Dans la littérature française de jeunesse, Catherine Chudzia (Du rôle joué par les stéréotypes sur l’échiquier de la littérature de jeunesse) décompose le rôle des stéréotypes dans la construction de l’identité personnelle et collective, dirigeant aussi la refléxion vers la relation stéréotype-contre-stéréotype, l’utilisation du stéréotype comme instrument didactique ou la stratégie rhétorique permettant de transmettre des messages positifs. L’analyse des stéréotypes dans les récits de voyage permet à Samira Étouil (Stéréotypes et clichés dans le récit de voyage Au Maroc de Pierre Loti et Marrakech ou les seigneurs de l’Atlas des frères Tharaud) de mettre en relation la stéréotypie avec le concept d’écart et, implicitement, de prendre en considération les stéréotypes de l’hermétisme, de la réclusion, de l’exotisme et de la légende. Partant de la relation cliché-stéréotype, Camelia Manolescu (Le cliché flaubertien dans La légende de Saint Julien L’Hospitalier) fait une analyse du nombre trois, envisagé comme étiquette du profane et des prédictions/malédictions, du péché et de la rédemption accordée par Jesus-Christ et comme effet de style à l’aide de la phrase ternaire flaubertienne.

Dans la littérature francophone, les stéréotypes et les clichés abondent et leur décomposition et interprétation font aussi l’objet des articles de cette section. En effet, l’exotisme tahitien est examiné par Mihaela Chapelan (Les stéréotypes de l’exotisme tahitien) en relation avec les stéréotypes afin de mettre en exergue les sources culturelles de l’exotisme tahitien et les marqueurs de son image stéréotypée. L’article d’Abdelouahed Hajji (Abdelfattah Kilito : le discours stéréotypique et la réinterprétation de l’héritage arabe classique) réussit à démonter l’image stéréotypée de l’infécondité et de l’infériorité de la littérature arabe classique. Le roman Bleu Blanc Rouge d’Alain Mabanckou fait l’objet d’étude d’Agatino Lo Castro (Le regard de l’autre : stéréotype(s) et identité) qui présente la construction du stéréotype d’identité au regard de l’Autre dans un déséquilibre culturel. Ensuite, Ahlem Mamache (L’enfant noir : représentations, stéréotypes et exotisme dans L’enfant du peuple ancien d’Anouar Benmalek)ajoutel’image stigmatisée de l’enfant noir algérien à travers la présentation des stéréotypes raciaux et culturels. Enfin, Nana Toumeni Julior Merlin (Les croyances dans la littérature africaine : entre stéréotypes et préjugés. Le cas de Les Tribus de Capitoline de P.-C. Ombété-Bella) met en exergue les conséquences positives ou négatives de la théorie postcoloniale sur la société camerounaise contemporaine.

La troisième partie Didactique et Traduction des stéréotypes et des clichés réunit des articles portant sur les méthodes, les stratégies et les techniques de l’enseignement des stéréotypes et des clichés aussi bien en classe de FLE que dans les domaines spécialisés (produits de beauté, français juridique).

Dans son article intitulé Travailler les stéréotypes et les clichés, un enjeu clé pour la littérature et pour la classe de français, Jean-Louis Dufays insiste sur les fonctions didactiques fondamentales de la notion de stéréotypie par rapport à la littérature ou à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. « Travailler à la fois contre les stéréotypes et avec eux » devient la recette à double facette du professeur de français. Dans le même sens, l’article de Hoxha Dhurata (Former les futurs enseignants de FLE à réexploiter et dépasser les représentations stéréotypées) propose des pistes de travail pour réexploiter et dépasser les images stéréotypées en classe de FLE afin de dynamiser l’enseignement du FLE en Albanie. L’évaluation des locutions idiomatiques comparatives (verbe + comme + nom) est présentée par Enjung Kimet Aïssa Messaoudi (Développement des compétences idiomatiques des apprenants coréens du français : le cas des phraséologismes du type « A + comme + B) comme méthode pertinente pour développer la compétence communicative des apprenants de FLE en Corée. L’analyse du figement des stéréotypes et des clichés dans le discours spécialisé de la vente des cosmétiques (notices d’utilisation, articles de presse féminine et communiqués de presse des marques cosmétiques) est faite par Maria Kontozoglou (Stéréotypes et clichés du discours publicitaire des cosmétiques dans la démarche du Français sur objectif spécifique (FOS) pour les professionnels de beauté) qui prend aussi en considération la manière dont ils sont transférés dans une autre langue-culture.

Le domaine juridique enregistre aussi des difficultés d’enseignement ou de transposition des unités phraséologiques stéréotypées d’une langue à l’autre. En effet, Naoufal El Bakali (Questions didactiques et phraseologiques du discours juridique) présente la manière dont les enseignants de français au cycle supérieur, ayant comme objet d’étude l’analyse lexicale et syntaxique de l’énoncé juridique, abordent cet aspect épineux. Dans le même domaine, Carmen-Ecaterina Ciobâcă (Traduire les stéréotypes terminologiques et discursifs des contrats du droit anglo-saxon : quelle approche ?) s’intéresse aux stratégies de traduction des stéréotypes terminologiques (expressions figées de nature lexicale et conceptuelle) et discursifs (tournures stéréotypes de nature stylistique) des contrats de la Common law : traduction littérale, quasi-littérale, exercices de réécriture stylistique, paraphrases ou explicitations.

Le domaine économique est l’objet d’étude de Mirela-Cristina Pop (Structures phraséologiques récurrentes dans les textes économiques français : repères pour la traduction en roumain) qui fait la classification des structures verbales lexémisant la hausse, la baisse et la stabilité du langage économique du domaine boursier dans une perspective traductologique (français-roumain), ce qui lui offre la possibilité de réitérer l’importance de la phraséologie dans les langues de spécialité et surtout les enjeux de sa traduction dans les textes économiques.

En fin de compte, on pourrait dire que le phénomène de la stéréotypie continue à susciter l’intérêt des spécialistes dans les domaines les plus divers de l’activité scientifique, car son analyse renvoie à toute une série de croyances, convictions, idées reçues, préjugés, superstitions, etc. rendus par un nombre important d’expressions figées (mots-dièses ou hashtags, collocations, locutions, phrases toutes faites, parémies, etc.) dans chaque langue culture.

[Daniela DINCĂ]

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *