Ana PANO ALAMAN, Valeria ZOTTI (éds.), The Language of Art and Cultural Heritage. A Plurilingual and Digital Perspective, Newcastle upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2020, 284 pp.

di | 8 Novembre 2020

L’ouvrage édité par Ana Pano Alamán et Valeria Zotti rassemble treize contributions en anglais, en français, en italien et en espagnol, qui analysent le discours sur l’art et le patrimoine culturel dans sa dimension plurilinguistique et dans les mutations dues au numérique. En effet, la communication numérique représente, selon les éditeurs de l’ouvrage, la clé de voûte de la communication actuelle dans ce domaine et l’un de ses principaux défis. Ana Pano Alamán et Valeria Zotti se proposent de fournir un aperçu sur les recherches concernant la communication dans le domaine de l’art et du patrimoine artistique ainsi qu’une description des principales stratégies employées dans ce contexte fortement influencé par la dimension globalisée de la communication. L’ouvrage est divisé en trois chapitres, à savoir: a) linguistique de corpus, b) lexicographie numérique et c) Web genres.

La première section, Corpus Linguistics, est centrée sur la création, le déploiement et l’exploitation des corpus concernant l’art et le patrimoine culturel.

Le premier article, On Translating Art and Heritage Discourse from Italian into English: From a Learner Corpus to a Specialized Corpus, est consacré aux enjeux de la traduction de textes du tourisme, de l’italien vers l’anglais, dans un contexte d’apprentissage des langues de spécialités. Comme les auteurs, Monica Turci et Gaia Aragrande, le précisent, ce projet, issu d’une collaboration entre l’Université de Bologne et d’autres institutions dont le Ministère de la culture et du tourisme de la Région Émilie-Romagne, montre à la fois l’importance de la traduction non professionnelle dans le contexte d’apprentissage et l’apport des acquis de la linguistique de corpus.  

Dans sa contribution, Between Philology, Lexicography and Art History: The ItalArt project, Alessandro Aresti présente le projet ItalArt. The language of the Arts and Architecture in Italy between the Middle Age and the Renaissance, qui s’inscrit dans le projet OVI (Opera del Vocabolario Italiano) visant la création d’un vocabulaire historique de la langue italienne. Le projet ItalArt, explique Aresti, consiste dans le déploiement du corpus du vocabulaire historique de la langue italienne grâce à la numérisation des ouvrages de l’historien d’art Gaetano Milanesi, à savoir : Documenti per la storia dell’arte senese (1854-1856) et La scrittura di artisti italiani (secoli XIV et XVII) de 1876.  

Irene Buttazzi et María Cecilia Ainciburu s’intéressent, dans leur étude, Reactividad emocional ante la obra de arte en la lengua extranjera. Observaciόn de producciones lingüísticas multimodales en un grupo de estudiantes italόfonos, aux influences de la langue sur la réaction cognitive et esthétique face à l’œuvre d’art. En l’occurrence, les auteurs analysent un corpus de textes rédigés par un groupe d’étudiants apprenant l’espagnol, qui décrivent leurs impressions (en espagnol et en italien) face à trois tableaux de Botero. Cette étude montre les différences du traitement des stimuli de la part des apprenants selon qu’ils s’expriment en italien, leur langue maternelle, ou en espagnol, langue étrangère.

Dans sa contribution, Cultural Heritage Lexicon: A Case Study, Riccardo Billero décrit le projet de recherche concernant le Lexique du patrimoine culturel (Lessico dei beni culturali-LBC) qui a été mis en place au sein du Département de Langues, Littératures et Études interculturelles de Florence et dont le but est de créer des ressources numériques utiles aussi bien pour les traducteurs spécialisés que pour les opérateurs touristiques. Billero illustre, en particulier, le travail d’enrichissement du projet par six corpus comparés concernant le patrimoine artistique et culturel de Florence et de la Toscane en anglais, français, espagnol, russe, italien et allemand. L’approche est axée sur une analyse contrastive des textes disponibles en ligne exploitant le potentiel offert par un modèle basé sur un corpus spécifique (corpus-based study).

Le corpus du Lexique du patrimoine culturel de la langue russe (Corpus LBC) constitue également une des ressources importantes dans l’analyse menée par Marcello Garzaniti, Alle origini delle relazioni culturali e artistiche fra Russia e Italia : il termine russo frjag e la sua storia. Suivant une approche diachronique et interculturelle, Garzaniti se penche sur l’étude lexicographique du terme frjag, désignant les architectes italiens travaillant en Russie, en particulier à Moscou, à partir du XVe siècle qui voit la reconstruction du Kremlin. Grâce à la consultation de multiples sources encyclopédiques et à l’exploitation des corpus, particulièrement utiles pour les termes sémantiquement complexes, Garzaniti analyse les différents champs sémantiques du terme et de ses dérivés, en démontrant son importance considérable dans le cadre du domaine artistique en dépit de sa rareté.

Dans son étude comparée, Lexical Association as an Indicator of Conceptual Convergence and Divergence in English, French and Italian, Daniel Henkel se pose une question captivante visant tout d’abord à déterminer dans quelle mesure le vocabulaire spécifique utilisé pour décrire trois sous-domaines des arts visuels et du spectacle, à savoir la musique, la peinture et la sculpture, est similaire en anglais, en français et en italien. Le corpus d’analyse est extrait de Wikipedia par le biais du logiciel BootCat. À partir d’un échantillon de mots, l’auteur étudie leur fréquence d’utilisation et leurs connotations. Il en ressort que le français et l’italien partagent de nombreux traits conceptuels contrairement à l’anglais, qui aurait tendance à s’éloigner « conceptuellement » des deux langues néo-latines.

La deuxième section, E-Lexicographie, est consacrée à la lexicographie numérique qui marque un tournant dans la lexicographie contemporaine. Les auteurs se proposent d’analyser l’apport de la lexicographie numérique dans les domaines de l’art et du patrimoine culturel. Ils décrivent les exploitations et le déploiement des ressources disponibles, en particulier dans le domaine de l’architecture et du tourisme, ainsi que les enjeux liés à leur consultation en libre accès.   

Dans le premier article de cette section, Monika Bogdanowska propose une réflexion sur Defining Architecture : Considerations in the Field of Architectural Corpora. Elle se focalise sur la terminologie de l’architecture et, plus précisément, sur certaines particularités liées à l’élaboration d’un dictionnaire multilingue de l’architecture (New Dictionary of Architecture, NDA), qui se veut novateur, basé essentiellement sur les langues européennes, en particulier sur l’anglais. Pour y parvenir, Bogdanowska s’inspire des dictionnaires dits « populaires » et « académiques », mais se montre réticente à adopter l’ordre alphabétique pour la construction de la nomenclature. Elle y préfère des « sous-chapitres thématiques » qui peuvent renfermer des définitions, des illustrations, des commentaires, etc.

Suivant une approche lexicographique, Nathalia Gasiglia contribue à l’ouvrage par sa réflexion sur la Typologie des dictionnaires numériques de français illustrée par des mots du vocabulaire patrimonial. Elle met en avant un travail lexicographique comparatif entre les dictionnaires papier et les dictionnaires électroniques, en particulier les dictionnaires génériques, encyclopédiques et spécialisés, avec une attention particulière à trois mots à l’étude, à savoir art, balustre et gouache. La comparaison est suivie d’une analyse qui entend souligner les caractéristiques des différents dictionnaires et leur visée éditoriale spécifique pour délimiter un public précis et pour mieux cerner la clientèle cible. Gasiglia identifie douze sous-ensembles de dictionnaires en référence aux mots de son étude et examine leur portée et leurs entrées pour repérer les occurrences potentielles. En conclusion, l’hétérogénéité des données est telle que les informations syntaxico-sémantiques en viennent à être beaucoup plus intéressantes car elles permettent de différencier en tout ou en partie les différents dictionnaires consultés.

Dans la neuvième contribution de l’ouvrage, Art and Cultural Heritage in the Slovenian Tourism Corpus and E-dictionary, Vesna Mikolič décrit son expérience dans la création d’un corpus centré sur le tourisme (TURistični Korpus-TURK) qui rassemble des textes en slovène et inclut leurs traductions en italien, anglais et allemand. Mikolič explique les critères de sélection ainsi que le système de balisage du corpus et les avantages de la constitution d’un dictionnaire électronique (TURistični Slovar-TURS) à partir de ce même corpus thématique.

Cette section se clôt par la contribution de Geoffrey Williams, Architecture in the 1701 Dictionnaire Universel: Encoding and Analysing Architectural Terminology with Digital Humanities Methodologies. Williams y explore l’édition de 1701 du Dictionnaire Universel de Furetière, édité par Basnage de Beauval, qui se présente comme un corpus unique, contenant également les références encyclopédiques, en l’occurrence les entrées relatives aux arts, aux techniques et à la science. Dans le cadre du projet BasNum dont l’objectif est l’extraction automatique des termes de l’architecture à partir de documents historiques, Williams décrit les différentes phases de numérisation de l’édition 1701 du Dictionnaire Furetière et de ses éditions successives, à savoir l’utilisation du logiciel Atlas.ti pour le traitement préalable du corpus et le recours au marqueur XML-YEI pour le balisage. Enfin, à travers l’analyse de l’entrée « architecture », Williams illustre le système de construction des ontologies dans le domaine de l’architecture qui rentre dans le projet Basnage.

Dans la troisième section, Web genres, les contributions se concentrent sur l’analyse de la représentation de l’art et du patrimoine culturel sur la Toile qui tient compte des différents aspects caractérisant la communication en ligne, à savoir l’hypertextualité, la multimodalité, etc.

Lola García-Santiago et María Dolores Olvera-Lobo, dans leur contribution intitulée An approach to Information Diffusion of Spanish World Heritage in the Italian Wikipedia, analyse le corpus de Wikipedia et, en particulier, les entrées espagnoles et italiennes concernant le patrimoine culturel mondial situé en Espagne et reconnu par l’UNESCO. La comparaison entre les entrées en espagnol et en italien se concentre, entre autres, sur les entités nommées, les données historiques, mais aussi sur les hyperliens et leur distribution. Si, d’un côté, l’analyse montre l’importance de Wikipedia en tant que ressource performante pour la diffusion du patrimoine artistique, de l’autre, elle relève la nécessité d’uniformiser et de développer les réseaux des entrées dans toutes les versions de cette encyclopédie collective en ligne. 

Lorenzo Devilla analyse, à son tour, Le Patrimoine sarde en français et en ligne : le discours touristique, du papier au numérique. Dans cette contribution, il se penche sur la manière dont les guides touristiques ont changé leur façon de décrire le patrimoine culturel sarde lors du passage du papier au numérique. S’appuyant principalement sur des sites de guides touristiques en ligne, Devilla montre comment ces guides mettent à profit le potentiel communicatif de l’interactivité sur la Toile à travers la présence de forums et de sections consacrées aux commentaires et aux recommandations des lieux visités. Devilla en vient à postuler une sorte de « démocratisation du langage du tourisme », qui a sans doute tendance à élargir la portée énonciative de ces textes, tout en dénonçant une réduction partielle de la valeur didactique des guides analysés.

L’ouvrage se clôt par la contribution d’Alessandra Rizzo intitulée Digital Spaces of Collaboration in Aesthetic Counter Narratives : Hamedullah. The Road Homeand The Mirror Project. Dans le sillage des études en narratologie de Margaret Sumers, Rizzo analyse deux œuvres numériques “esthétiques” centrées sur la représentation des identités marginales telles que celles des immigrés. Elle examine en particulier la construction du sens à travers les méthodes multimodales et leurs effets sur la sollicitation des récepteurs/citoyens du point de vue de l’inter-subjectivité et de la coopération. Enfin, Rizzo se concentre sur l’analyse du langage (verbal et non verbal) employé dans ce contexte et ses implications sociales.

Comme les éditeurs le précisent dans les conclusions de l’ouvrage, la réflexion autour de ce sujet est issue du projet Lessico multilingue dei Beni Culturali (LBC) qui a été entamé à l’Université de Florence en 2013. Ce projet se propose d’élaborer un dictionnaire numérique en français, anglais, espagnol, allemand, portugais, russe et chinois à partir d’un corpus concernant l’art et l’histoire de la Renaissance afin de déployer les ressources numériques existantes telles que l’Encyclopédie de Vasari.

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L’ensemble des contributions présentées dans cet ouvrage fait le point sur l’apport déterminant du numérique dans le discours sur l’art et le patrimoine culturel. Il montre non seulement les possibilités d’intégration de nouveaux atouts numériques dans les pratiques discursives mais aussi l’urgence d’en analyser les changements paradigmatiques. Il s’adresse donc à tous les professionnels travaillant dans le domaine de l’art et du tourisme, aussi bien que dans le domaine de la médiation linguistique et la communication.

[JANA ALTMANOVA]