Michela TONTI, Le nom de marque dans le discours au quotidien

di | 1 Novembre 2020

Michela TONTI, Le nom de marque dans le discours au quotidien, Paris, L’Harmattan, 2020, 206 pp.

Le volume de Michela Tonti nous plonge dans l’univers des noms de marque (dorénavant NdM), qui sont étudiés, comme le titre du volume le souligne, « dans le discours au quotidien », l’objectif étant de décrire la manière dont ils sémantisent les discours des locuteurs, ainsi que la charge culturelle en dépôt dans chacun d’entre eux. Le volume est préfacé par John Humbley.
Le premier chapitre est consacré à la problématique de la définition de la marque. Tonti passe en revue la notion de marque en markéting, sémiotique et droit, avant de se concentrer sur la définition de marque telle qu’elle est envisagée dans les études de linguistique. Le débat sur le NdM s’insère dans la discussion plus large concernant le rapport entre nom propre et nom commun. Par rapport au nom propre, le NdM manifeste des propriétés spécifiques, à tel point que certains parlent d’« hybride sémiotique ». Ce qui résulte de cette analyse aux multiples facettes est l’idée que les linguistes ont jusqu’à présent mené une linguistique du NdM « in vitro », comme le dit l’auteure, c’est-à-dire une linguistique du NdM qui ne tient pas compte de l’utilisation réelle des NdM, et qui s’appuie sur des exemples essentiellement confectionnés par les linguistes ou tirés du langage publicitaire. Les travaux se basant sur des corpus électroniques sont rares : ils utilisent des données plutôt datées, ou se concentrent sur des analyses formelles complètement détachées des contextes d’usage des NdM. Le premier objectif de Michela Tonti est donc d’entamer une linguistique des NdM « in vivo », à partir de l’exploitation d’un corpus.
La description du procédé permettant de jeter les bases de cette linguistique « in vivo » est confiée au chapitre II. L’approche, qui s’inscrit dans le paradigme des recherches corpus-based, a d’abord consisté en la collecte d’un corpus de NdM réunis à partir de catalogues et sites commerciaux, sites d’information et comparateurs de prix. Cette fouille a permis de recueillir 1987 NdM qui ont été classés suivant le classement de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle). La deuxième phase a été la recherche des contextes d’utilisation des NdM à travers l’exploitation du corpus Aranea Maius dont la mise à jour date de 2015.
Le troisième chapitre est consacré à l’étude du comportement discursif des 636 NdM du corpus à l’affectation référentielle incertaine. Le statut référentiel incertain est lié au fait qu’il s’agit de lexies relevant de la langue commune, comme Innocent, Le petit marseillais, Mont Saint Michel, etc. L’auteure étudie le comportement en discours de ces NdM et illustre, à travers quelques exemples célèbres (BHV, Saint Maclou, Sharpie et autres), la manière dont s’effectue la levée d’incertitude référentielle. L’analyse montre que ces NdM sont en mesure de détourner le stade de l’homonymie (qui serait pathologique) pour déclencher une polysémie enrichissante. Aussi les locuteurs parviennent-ils à décrypter la valeur textuelle du NdM grâce à leurs compétences linguistiques et extra-linguistiques, les connaissances culturelles étant une partie importante de ces dernières. À ces observations s’ajoute le fait que les NdM sont eux-mêmes porteurs d’implicites culturels. C’est à cet aspect que Tonti consacre la deuxième partie de ce chapitre. L’auteure applique à son sous-corpus de 636 NdM les catégories de la culture ordinaire définies par Galisson (1998), et illustre le rapport entre ces catégories et les NdM. Plusieurs types de culture sont mis en évidence : la culture du terroir, la culture de la tradition, la culture générationnelle, la culture mythologique, littéraire, religieuse et bien d’autres.
Dans le quatrième chapitre, Michela Tonti développe le volet quantitatif de son étude, son but étant de mesurer l’empreinte que les NdM laissent dans le discours au quotidien. Pour ce faire, elle adopte la notion de « notoriété », mesurée à travers le nombre plus ou moins élevé d’occurrences de chaque NdM, alors que la perception que les parlants ont d’une marque est davantage liée à l’utilisation de formules d’appréciation et de jugement. L’auteure se concentre sur deux tranches d’occurrences : la tranche la plus prospère dépassant 1000 occurrences, et la tranche rencontrant le plus faible taux d’occurrences (50-100). Pour chacun de ces sous-corpus, sont donc étudiées les marques d’appréciation et de jugement présentes dans les discours des locuteurs-scripteurs. Une remarque intéressante qui ressort de l’analyse est que les NdM avec un taux d’occurrence peu élevé sont ceux qui convoquent plus facilement les sentiments, l’affection, la préférence, le souvenir. Ces NdM appartiennent aux classes des jouets et de la nourriture. Un autre résultat intéressant est lié à l’étude de patrons syntaxiques tels que (du) genre, (du) style, (du) type + NdM, où le NdM fonctionne comme terme de comparaison et dont l’effet discursif est d’autant plus important que le NdM isole des valeurs et des caractéristiques qui se sont sédimentées dans l’esprit des locuteurs grâce aux prédiscours, agissant ainsi en tant que lieux mémoriels.
Le dernier chapitre se concentre sur la dimension variationnelle des NdM, à savoir la présence de variations orthographiques et morpho-syntaxiques pour les NdM du corpus. Pour développer ce volet de l’enquête, Tonti ne considère que les NdM dépassant les 50 occurrences et dont le statut référentiel n’est pas incertain. L’auteure souligne la présence de régularités sur le plan orthographique (telle la tendance à l’accentuation), ainsi que la grande créativité des locuteurs-scripteurs sur le plan morpho-syntaxique, cette dernière se manifestant à travers l’exploitation de tous les procédés de formation néologique, comme la suffixation, la composition, l’emprunt, l’argotisation, etc. Les dernières sections de l’ouvrage sont consacrées à la variation sémantique, étudiée à travers l’exemple du NdM Ripolin et ses variables, ainsi qu’à l’étude des figures de rhétorique, encore que cette dernière nécessite d’approfondissements ultérieurs.
Le volume de Michela Tonti a le mérite d’offrir au lecteur un panorama exhaustif sur les NdM. Le choix d’une méthodologie corpus-based est certainement un choix gagnant, et ce pour la quantité et la qualité des données sélectionnées. La valeur de cet ouvrage nous parait également résider dans sa capacité à mettre en exergue la densité de valeurs dont un NdM peut se revêtir dans la pratique discursive, la charge culturelle dont il se fait porteur, et la vitalité insoupçonnée dont il fait preuve.
[Adriana ORLANDI]