Fabienne BAIDER, Georgeta CISLARU (éds.), Pragmatique interculturelle, médiation des langues-cultures

di | 31 Ottobre 2023

Fabienne BAIDER, Georgeta CISLARU (éds.), « Pragmatique interculturelle, médiation des langues-cultures », Le discours et la langue, tome 12/1, 2020, 214 pp.          

Les contributions recueillies dans ce volume de la revue Le discours et la langue se penchent sur le discours et la langue sous l’angle des dimensions interculturelles et au prisme de disciplines comme l’analyse du discours, la pragmatique, l’ethnographie de la communication, la sociolinguistique ou la linguistique contrastive. Outre la diversité des approches méthodologiques employées, l’intérêt de ces études réside dans le vaste choix des corpus analysés.

I. Sholomon-Kornblit (« Le facteur culturel en analyse du discours et rhétorique : le cas de la polémique entre la France et les États-Unis autour du sens accordé à la “diversité culturelle” », pp. 17-31) analyse la polémique qui a caractérisé le débat franco-américain mené autour de la formule « diversité culturelle » suite à la rédaction de deux documents de la part de l’UNESCO (la Déclaration universelle pour la diversité culturelle en 2002 et la Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles en 2005). L’A. montre comment l’antilogie entre la France et les États-Unis relève des configurations culturelles constituant la doxa de chaque pays, marquée respectivement par une dissociation et une association entre marché et culture.

À partir d’un corpus d’interactions orales enregistrées en milieu entrepreneurial au Maroc, A. Saoussany (« Contribution à l’étude de malentendus communicatifs dans les échanges professionnels interculturels en entreprise au Maroc : étude de cas », pp. 33-55) passe en revue un répertoire de malentendus dus à des incompréhensions de nature interculturelle entre des stagiaires marocains de l’ENCGA et des cadres d’entreprise français. Les facteurs à la base de ces malentendus, débouchant sur un échec de la communication, peuvent concerner le rapport au temps, les rituels de salutation, les séquences d’ouverture, l’expression de sentiments et d’états d’âme, la proxémique et l’expression de la requête. À la lumière des résultats de l’analyse, l’A. prône l’intégration de l’enseignement-apprentissage des stratégies de communication en interaction dans les programmes pédagogiques.          

Les deux contributions suivantes opèrent une comparaison entre les langues-cultures française et polonaise. A. Kieliszczyk (« L’ouverture et la clôture dans les interactions françaises et polonaises », pp. 57-67) s’interroge sur les fondements culturels de l’ouverture et de la clôture d’une interaction verbale dans ces deux langues à partir d’un corpus ouvert d’exemples repérés sur le Web. Les variations observées concernent, pour le français, le caractère très ritualisé de la formule ça va en ouverture et une présence plus répandue de vœux en clôture et, pour le polonais, l’apparition de formules étrangères (notamment des anglicismes) en clôture après les changements politiques survenus avec la chute du régime communiste en 1989. M. Kostro (« Les usages marqués de termes d’adresse dans le discours politique médiatisé français et polonais », pp. 69-90), quant à elle, montre, à partir d’un corpus de débats électoraux télévisés en France et en Pologne, comment l’emploi de termes d’adresse non conformes à l’usage (par exemple, l’alternance vouvoiement/tutoiement dans la communication interculturelle, l’omission ou le suremploi des titres de fonctions) contribue à une construction de l’ethos de la part des politiciens.

En s’appuyant sur un corpus littéraire bilingue, M. H. Lo-Cicero (« De quelques pronoms personnels et substituts pronominaux dans la traduction vietnamien ßàfrançais », pp.91-105) vise à illustrer la complexité de l’emploi pragmatique des substituts pronominaux et des pronoms personnels en vietnamien, dont les premiers affichent une composante culturelle très marquée, étant calqués sur les rapports sociaux ou familiaux.

Le discours publicitaire des gros pollueurs fait l’objet de l’article d’É. Vargas (« Greenwashing et publicités : les maximes de Grice comme outil (interculturel ?) de décodage d’un discours manipulateur ? », pp. 107-129) qui, en faisant recours à la théorie gricéenne, dévoile les artifices rhétoriques typiques du greenwashing. En analysant des publicités provenant de pays différents, l’A. souligne ainsi que ce type de discours se situe dans le non-dit et qu’il vise une certaine prise de pouvoir (maxime de pertinence ou relation).

La contribution de Y. Suto (« Comparaison interculturelle des slogans cinématographiques en japonais et en français », pp. 131-149) s’inscrit dans le sillage de la linguistique cognitive japonaise et porte sur la comparaison d’un corpus d’environ 350 slogans de 140 films américains traduits en japonais et en français. L’A. remarque que les affiches japonaises ont tendance à cumuler des informations narratives et à dévoiler – du moins partiellement – le récit du film en faisant recours au discours direct libre, contrairement aux affiches françaises qui essaient d’attirer les spectateurs potentiels en suscitant leur curiosité par le biais du détournement d’expressions figées.

L’étude de R. de Oliveira (« “Je ne suis pas un menteur. Je ne suis pas un menteur moi.” Une contribution à la typologie des pragmatèmes », pp. 151-163) démontre que le double marquage pronominal du sujet à droite partage les mêmes traits structuraux et pragmatiques du pragmatème. À l’instar de celui-ci, ce dispositif de dislocation est figé, compositionnel et typique d’une situation d’énonciation donnée. En particulier, il est l’indice d’une infraction aux règles conversationnelles de politesse, marquant ainsi un certain malaise interactionnel.

B. Mounga a recours à la théorie de la Pertinence (Wilson & Sperber, 1986, 1989) pour expliquer les effets cognitifs de l’emploi conjoint du connecteur mais et de la négation en s’appuyant sur un corpus de presse (« Le fonctionnement pragmatique du connecteur mais après une structure syntaxique négative », pp. 165-187). Après avoir comparé les deux valeurs du connecteur (adversative et argumentative) après une négation descriptive et une négation métalinguistique, l’A. distingue trois effets cognitifs de mais avec valeur argumentative après une négation métalinguistique : l’annulation d’une ancienne hypothèse, le renforcement d’une ancienne hypothèse et l’ajout d’une nouvelle hypothèse.

Une étude de nature onomastique clôt le volume. B. Boresdon et I. Tamba (« Noms des mers et des océans : un système de nomination géographique transculturel », pp. 189-214) s’intéressent en effet aux hydronymes maritimes et démontrent, dans un premier temps, comment a été mis en place un système onomastique maritime unifié d’origine européenne et, dans un deuxième temps, comment il a été adapté dans des langues sinitiques (chinois, japonais et coréen).

[Rosa CETRO]