Émilie Urbain & Laurence Arrighi (dir.), Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau

di | 31 Ottobre 2023

Émilie Urbain & Laurence Arrighi (dir.), Retour en Acadie : penser les langues et la sociolinguistique à partir des marges. Textes en hommage à Annette Boudreau. Québec, Presses de l’Université Laval.

Cet ouvrage collectif, coordonné par Émilie Urbain & Laurence Arrighi, rassemble les contributions présentées lors de la journée d’études « Légitimité linguistique et inégalités sociales », organisée en juin 2016 à l’Université de Moncton. L’objectif est de rendre hommage à Annette Boudreau, dont les travaux en sociolinguistique francophone ont contribué à améliorer notre connaissance des dynamiques qui gouvernent les rapports de domination et les phénomènes de hiérarchisation sociale en milieu minoritaire, et à faire avancer la recherche sur les notions clés de légitimité et d’insécurité linguistiques. Les contributeurs sont des chercheurs et chercheuses qui ont eu la chance de côtoyer A. Boudreau à l’occasion de plusieurs moments d’échange humains et scientifiques, en contribuant à leur tour à répondre à l’urgence d’une réflexion théorique, supportée par des données empiriques, en matière de valorisation des pratiques langagières considérées comme non légitimes et, de ce fait, à risque d’assimilation voire d’étiolement. L’expérience vécue par Annette Boudreau dès les années de sa formation doctorale en France, expérience qui – dans ses ouvrages – acquiert la valeur d’un témoignage exemplaire, traverse et informe les contributions de celles et ceux qui s’en inspirent. Les problématiques avancées au fil des 14 contributions sont autant de questionnements sur l’importance de reconnaitre les conséquences sociales (dans l’éducation comme dans le monde du travail, associatif, politique, etc.) qui se produisent lorsque des pratiques langagières sont considérées comme légitimes au détriment d’autres qui ne le seraient pas.

Françoise GADET et Marie-Ève PERROT (Hommage. Le vécu et l’observé. Annette Boudreau, une sociolinguistique engagée, 9-17) dressent un portrait de Boudreau, qui est aussi un retour sur l’histoire de la sociolinguistique acadienne. Il ne fait aucun doute, en effet, que Boudreau a mieux que tout autre su mettre au service de la société civile ses indéniables qualités humaines, toujours à l’écoute de ses élèves comme de ses collègues, sans pour autant jamais renoncer à la rigueur des analyses et de la collecte des données.

Claudine Moïse (Entre construction des inégalités sociales et individuation du sujet, que peut dire la sociolinguistique ? 19-37) revient sur l’une des préoccupations ayant le plus forgé son amitié et ses liens professionnels avec Boudreau : comment peut-on faire de la sociolinguistique critique qui ne fasse pour autant abstraction de la dimension subjective, voire à l’expression des émotions dans les analyses sociolinguistiques.   

Les « femmes linguistes » dont Laurence ARRIGHI et Isabelle LEBLANC parlent dans leur article (La contribution de femmes linguistes à une plus grande compréhension des enjeux francophones au Canada, 39-61) sont les mêmes enseignantes et chercheuses qui, depuis les années 1950 jusqu’à nos jours, ont le plus largement contribué à faire rayonner les études sociolinguistiques en Acadie : Léone Boudreau-Nelson, Louise Perronet et Annette Boudreau. Les auteures en saisissent les qualités et soulignent toute la portée de leur action sur la langue, par la reconnaissance de la langue française, et sur le monde, par la légitimation de l’individu en tant que francophone.

France MARTINEAU (Parler entre les lignes, 63-86) se penche, quant à elle, sur plusieurs projets qu’elle a menés sur le rapport du sujet à sa propre langue. Martineau aussi, comme Moïse, ne sous-estime pas, mais bien au contraire reconnait, en la revendiquant, la place de l’individu au cœur des analyses sociolinguistiques. Car la réponse de la discipline à la complexité langagière du corps social ne peut être que l’écoute attentive aux instances de mobilisation pour la reconnaissance du droit à prendre la parole, même quand cette prise de parole s’exprime à travers le silence.

Mireille McLAUGHLIN (L’insécurité linguistique à travers le prisme des questions de classe sociale : le cas de l’Acadie, 87-107) présente une enquête ethnographique auprès de travailleurs et travailleuses, afin d’éclairer certains aspects de l’insécurité linguistique à l’aune des théories des classes sociales. Il s’agit d’une approche inclusive, revendiquée par les associations jeunesse francophones, qui ne se limite pas à la compréhension du phénomène, mais vise à contrer l’insécurité linguistique des communautés linguistiques minoritaires voire minorisées.

Lise DUBOIS & Mélanie LeBLANC (De l’effacement identitaire à la revendication de sa spécificité : insécurité et insécurisation linguistiques dans un centre d’appels, 109-134) présentent une enquête sur la structuration des rapports entre francophones et anglophones dans un centre d’appels où le bilinguisme anglais-français est valorisé comme un atout professionnel. Si cette étude permet, d’une part, de rendre effective et opératoire la distinction entre insécurité et insécurisation, elle vise parallèlement à observer les stratégies de réaction des agentes d’appel face à la difficulté de certains locuteurs à s’exprimer.

Isabelle VIOLETTE (Parler chiac c’est même pas fake. Immigration, authenticité et français vernaculaire en Acadie du Nouveau-Brunswick (Canada), 135-156) se penche sur la notion d’authenticité, qu’elle met en relation avec le chiac dans une réalité sociolinguistique, celle du Nouveau-Brunswick, qui se caractérise par une certaine vitalité migratoire. L’analyse ici présentée montre que le rapport entre l’authenticité et le vernaculaire n’est pas univoque, notamment lorsque les dynamiques migratoires complexifient la stratification identitaire d’une communauté qui se dit « authentique », et qu’il est nécessaire donc de repenser ce rapport à l’aune d’une posture intersectionnelle.

Wim REMYSEN et Geneviève BERNARD-BARBEAU (Langue(s), caractérisation et légitimité : les discours médiatiques entourant le recensement de 2016 sur les langues officielles du Canada, 157-181) s’attardent sur les discours qui ont circulé après la publication, en 2017, des données, relayées par Statistique Canada, concernant l’usage des langues officielles. L’objectif est d’illustrer comment les informations concernant les catégories qui font l’objet du recensement sont exploitées à des fins politiques et institutionnelles, suivant les intérêts des journaux, francophones ou anglophones. Le volume s’achève par une lettre d’Alexandre DUCHÊNE qui invite les lecteurs et les lectrices à réfléchir sur l’avenir de la sociolinguistique, tandis que Monica HELLER s’interroge sur le caractère novateur du travail autour des marges.

[Francesco Attruia]