Jean-Claude BEACCO, José Carlos HERRERAS, Christian TREMBLAY (éds.), Traduction automatique et usages sociaux des langues. Quelles conséquences pour la diversité linguistique ?

di | 19 Febbraio 2023

Jean-Claude BEACCO, José Carlos HERRERAS, Christian TREMBLAY (éd.), Traduction automatique et usages sociaux des langues. Quelles conséquences pour la diversité linguistique ?, Collection Plurilinguisme, volume 3, 2021, Observatoire européen du plurilinguisme (OEP), pp. 241.

Le volume intitulé Traduction automatique et usages sociaux des langues. Quelles conséquences pour la diversité linguistique ? a été publié sous la direction de Jean-Claude Beacco, José Carlos Herreras, Christian Tremblay, par l’Observatoire européen du plurilinguisme (OEP).

Cet ouvrage contient les communications présentées lors du colloque (qui donne le titre à cette publication) organisé par l’OEP et l’Université de Paris le 25 novembre 2020 avec l’objectif de réfléchir sur les implications socio-économiques, culturelles et politiques issues des pratiques d’usages actuelles de la traduction automatique (ci-après TA).

Ce volume s’ouvre avec l’Introduction (pp. 11-16), rédigée par José Carlos Herreras et Christian Tremblay, dans laquelle les co-directeurs s’interrogent sur les emplois sociaux croissants de la TA et sur les effets que ces usages répandus pourraient avoir aussi bien sur l’industrie des langues et de la traduction que sur la formation en traduction et, tout particulièrement, sur la diversité linguistique et le plurilinguisme.

Cette ouverture est suivie par les trois sections principales de l’ouvrage : la première Théorie de la TA (pp. 17-60) met l’accent sur les enjeux liés à l’hétérogénéité des niveaux de prestation de la TA ; la deuxième TA, enseignement et formation (pp.61-130) aborde la problématique de l’impact de la TA sur les pratiques d’enseignement des langues étrangères et de la traduction professionnelle ainsi que sur les modes d’apprentissage de celles-ci ; enfin la troisième section, TA et pratique de la diversité linguistique (pp. 131-210) permet de réfléchir sur les atouts et les limites de la TA appliquée à différentes pratiques de rédaction, traduction et de communication.

La première section contient trois contributions : Jean-Louis Vaxelaire (Les progrès de la traduction automatique par le prisme du turc et du luxembourgeois) (pp.19-30) montre par le biais d’exemples de traduction du turc et du luxembourgeois vers le français que, lors du passage aux systèmes neuronaux, les progrès de la TA ne se manifestent pas de manière homogène dans les paires de langues qui n’incluent pas l’anglais, et que la prise en compte du genre textuel n’est pas encore suffisamment intégrée au fonctionnement de la traduction automatique neuronale (ci-après TAN). Les défis posés par la pertinence contextuelle des choix traductifs sont abordés par Aurélien Talbot (La « pensée-interprète », les appareils et la diversité linguistique) (pp. 31-44) qui, après avoir défini la nature du savoir traduire humain sous le prisme de la théorie interprétative, s’interroge sur le rapport entre TA et diversité linguistique. Il met l’accent notamment sur la cristallisation (p.36) des équivalents traductionnels engendrée par l’usage de la TA dans le contexte de la pratique professionnelle, et il prend en compte également l’impact de la TA sur la diversité des « manières de traduire » (p.38) dont témoignent, notamment, les espaces numériques. Jacques Coulardeau (Humaniser la machine à traduire ?) (pp.45-59) se penche sur l’analyse des biais sémantiques implicites inscrits dans la conception des moteurs de TAN et reproduits en phase d’utilisation. Sa contribution, fondée sur une publication précédente de l’auteur (p.46), ouvre la voie à une réflexion sur la chaîne de responsabilité civile issue de l’application de l’intelligence artificielle aux machines à traduire.

La deuxième section est composée de quatre articles qui explorent l’univers de la formation. Maria Zimina et Christopher Gledhill (L’impact de la traduction automatique sur les pratiques langagières et professionnelles des apprentis-traducteurs : entre apports en efficacité et menaces pour la diversité des discours) (pp. 63-81) présentent une étude menée pendant l’année universitaire 2019-2020 dans le contexte pédagogique de deux cours de niveau Master 2 dont les activités concernent la simulation d’un projet de traduction professionnel de sites web vers l’anglais (p.65). Les auteurs montrent que dans l’ensemble des compétences professionnelles liées à ce type de projet de traduction, le recours à la TA est relativement mineur par rapport au reste des activités stratégiques et rédactionnelles nécessaires à l’accomplissement d’une traduction de qualité.

Janina Di Pierro Cárdenas, Renata De Rugeriis Juárez (Inteligencia artificial y Soft-Power de la traducción asistida y automática : perspectivas en le proceso de enseñanza-aprendizaje de idiomas) (pp. 83-99) examinent un autre contexte pédagogique, celui de l’enseignement-apprentissage des langues étrangères, afin de montrer que, face à la multiplicité d’outils existants à l’heure actuelle, une redéfinition du rôle de l’enseignant et de l’enseignante dans ce processus s’impose. La redéfinition du système de formation en traduction, à l’ère de la TAN, est promue également par Elena Kokanova, Aleksandra Epimakhova, Maxim Berendyaev, Nikolay Kulikov, Maria Evgrafova, et Natalya Pak dans le cadre de leur contribution (Traduction automatique, un nouveau défi pour la formation des traducteurs : le cas de l’Université fédérale Arctique (Russie)) (pp. 101-114). Cette étude se base sur l’expérience scientifique et pédagogique du Département des technologies de traduction joint au Bureau de traduction « AKM-WEST » de l’Université fédérale Arctique (Arkhangelsk) : cette coopération directe entre formation et profession vise à élaborer des programmes en faveur de l’insertion professionnelle du public étudiant et considère l’enseignement des technologies de traduction et de la post-édition comme un incontournable (p.111) pour la formation universitaire à vocation professionnelle.

Cette partie de l’ouvrage se termine par l’article d’Eric Navé (Qu’en pensent-ils ? Réflexion sur les représentations d’apprenants et d’enseignants d’Arabie saoudite vis-à-vis du recours aux outils de traduction automatique en contexte FLE débutant) (pp. 115-130) qui présente les résultats d’une enquête sur les perceptions des outils de TA dans un contexte de didactique du FLE « fondée sur l’interculturel » (p.117).  La TA fait l’objet d’opinions et de représentations diverses chez le public étudiant interrogé, une diversité qui fait écho à la pluralité d’usages de la TA évoqués au cours des interviews. Les réponses enregistrées invitent à réfléchir à l’adoption de la TA comme « complément à des connaissances acquises en présentiel » (p.124) ou bien au « caractère autonomisant » (p.125) de la TA comme outil d’aide à la compréhension d’une langue méconnue.

Les cinq contributions figurant dans la troisième section du volume visent à mieux cerner la relation entre TA et diversité linguistique, à travers la prise en compte de différentes sphères d’application de la TA. Nicolas Bacaër (Traduire automatiquement des articles dans les sciences dites dures) (pp. 133-142) se penche sur le domaine de la rédaction scientifique afin de montrer que la TA représente aujourd’hui un outil d’aide à l’accès et à la production de contenus scientifiques dans plusieurs langues. Christian Tremblay (La traduction automatique dans le contexte des institutions européennes – Essai de traduction automatique comparée) (pp. 143-165) analyse le contexte institutionnel européen dans le but de cerner les enjeux liés à une adoption de la TA généralisée à tous les contenus publiés par les institutions via leurs portails web. L’auteur souligne qu’un frein à cette généralisation peut concerner la nécessité d’un contrôle humain préalable à la publication de ces discours, d’où l’intérêt de réfléchir à l’intégration de la TA comme outil d’aide à la rédaction dès la phase initiale de production du texte source, qui serait élaboré à l’origine en plusieurs langues (p.164) dans la langue maternelle des personnes chargées de la rédaction.

María Isabel Rivas-Ginel (La traducción automática en la localización de videojuegos) (pp. 167-178) prend en examen la relation entre TA et localisation dans le domaine des jeux vidéo en soulignant la place encore marginale que la TA occupe (p.171) par rapport à la TAO (traduction assistée par ordinateur) et à d’autres outils dans ce contexte spécifique (p.175).

Claire Larsonneur (Alexa, Siri : la diversité linguistique au prisme des agents conversationnels) (pp.179-197) revient sur l’hétérogénéité des politiques linguistiques associés à la « médiation numérique » (p.180) propre aux agents conversationnels Alexa et Siri. Parmi les enjeux évoqués par l’auteure, il est intéressant de noter que sur le plan linguistique les agents conversationnels posent trois problèmes : l’anglais est la seule langue pivot de ces systèmes ; leur fonctionnement renforce la standardisation des énoncés dans les langues autres que l’anglais ; la qualité de leurs productions langagières est évaluée sous le prisme du taux d’engagement des utilisateurs.

La contribution de Séraphin Personne Feykéré (Dynamique du sängö : Fonction, procédure et méthodologie relative à l’emploi étendu (production automatique et lecture automatique des textes écrits) (pp. 199-209) porte sur les usages sociaux de la TA dans le contexte spécifique de la République Centrafricaine, marqué par la présence de deux langues officielle, le français et le  sängö. L’auteur souligne, notamment, la nécessité de développer des outils « appropriés et adaptés aux circonstances » (p.207) qui puissent contribuer au processus de légitimation des langues africaines en tant que moyens de communication officielle dans les affaires publiques et économiques.

L’ouvrage se termine par les Conclusions (pp. 211-224) rédigées par Jean-Gabriel Ganascia qui, tout en revenant sur l’histoire de la TA, sur sa conception et ses ambitions, fait le point sur les enjeux présentés au sein des contributions précédentes. Sa réflexion a le mérite de resituer la TA dans la logique de l’« assistance à la traduction » (p.217) et, par analogie, de faire avancer l’intelligence artificielle vers un imaginaire de coopération avec l’humain.

[Ilaria Cennamo]