Béatrice TURPIN, Gabriela Cristina PATIÑO-LAKATOS et Laurence AUBRY (dir.), Les discours meurtriers aujourd’hui

di | 28 Ottobre 2022

Béatrice TURPIN, Gabriela Cristina PATIÑO-LAKATOS et Laurence AUBRY (dir.), Les discours meurtriers aujourd’hui, Colloque de Cerisy, Série « Comparatisme et Société », Volume 44, Bruxelles, Peter Lang, 2022, pp. 380.

Dans l’introduction « La fabrique des langages meurtriers » (pp. 13-25), Laurence AUBRY, Gabriela PATIÑO-LAKATOS, Béatrice TURPIN focalisent l’intérêt de l’ouvrage sur la « question de la force de ces discours », à partir d’une réflexion sur des « aspects mis en lumière par l’essai de Victor Klemperer sur la LTI » (p. 13). Dans l’ouvrage, les contributions rédigées par des chercheurs et des chercheuses de diverses disciplines proposent « d’analyser et de comprendre comment peut s’opérer le passage du discours à l’acte meurtrier » (p. 15). En particulier, dans les différents chapitres, le lecteur rencontre des croisements thématiques et interdisciplinaires qui ouvrent de nouvelles questions sur les relations des discours aux actes.

L’ouvrage rassemble dix-neuf contributions, articulées en trois volets. La première partie comprend six contributions qui sont consacrées aux « Discours meurtriers et djihadisme contemporain ».

Suleiman A. MOURAD (« Dieu, humanité et violence religieuse : une épistémologie du djihadisme moderne », pp. 29-42) se penche sur la dimension religieuse qui influence et représente une source d’inspiration pour le djihad militant moderne. L’auteur se focalise sur des aspects qui aident à créer une nouvelle compréhension épistémologique du djihad, en considérant « l’interdépendance entre le culte de Dieu et la façon dont ce culte doit se traduire dans ce monde » (p. 30), selon certains islamistes tels que Abul-Aʻla Maududi, Sayyid Qutb et Yusuf al-Qaradawi. Dans son Livre sur le Djihad, Abul-Aʻla Maududi explique que « le “djihad” de l’Islam n’est pas seulement une “lutte” ; c’est une “lutte pour la Cause de Dieu” » (p. 31). Sayyid Qutb, dans son livre La justice sociale en islam, montre le vrai message du Coran et la mission du prophète Muhammad pour établir la justice sociale dans ce monde. Le prédicateur Yusuf al-Qaradawi affirme que la souveraineté de Dieu sur toute la création est quelque chose d’indiscutable et que la démocratie est « un système qui lui permet de prêcher librement sans représailles » (p. 38).

Mathieu TERRIER (« Mémoire meurtrie et discours meurtrier : remarques sur le jihâd et l’apocalypse dans la tradition chiite », pp. 43-58), se penche sur l’interrogation collective à propos de l’efficacité des discours meurtriers aujourd’hui en considérant un triple pas de côté historique, objectif et sémantique. L’auteur propose une première partie de la contribution consacrée au cadre historique de l’islam et à la mémoire chiite. Dans le Coran et l’histoire de la « mémoire culturelle » chiite, le langage de la violence est présent dans le martyre des imâms chiites et la persécution de ces hommes de pure foi. Les imâms chiites insistent sur le caractère tragique de l’histoire sainte, remarquant la souffrance et le martyre des hommes de Dieu afin de nourrir le thème eschatologique. En outre, un discours apocalyptique tardivement apparu et emprunté au récit chiite a précipité l’action meurtrière des combattants de Daesh. Enfin, une dernière considération de l’auteur concerne la dimension qu’un discours apocalyptique peut assumer : il peut « favoriser ou au contraire empêcher l’action meurtrière selon la tradition spirituelle et la mémoire culturelle dans lesquelles il s’inscrit » (p. 56).

Pour sa part, Alain RABATEL (« Tuer “les mécréants ennemis d’Allâh” », pp. 59-76) examine la texture des discours meurtriers contemporains de Dar al-Islam (DA-I), une revue électronique de l’État islamique en Irak et au Levant, en constituant un corpus avec les dix premiers numéros publiés entre 2014 et 2016. En particulier, l’exposition suit une logique sémantique et actancielle afin de transmettre la mise en discours de la justification de l’élimination physique des ennemis. L’auteur propose l’analyse de différentes typologies d’arguments d’autorité et orientés contre les opposants ou en direction des sujets qui incitent à l’action. Enfin, l’auteur remarque que les effets des discours hyperintégrateurs et prophétiques ne relèvent pas directement de la performativité du langage, mais l’autorité du proférateur performe un effet de croyance qui joue un rôle clé, puisque non seulement il décrit ce qui existe déjà, mais il le fait exister à travers l’énonciation.

Maéva CLÉMENT et Éric SANGAR (« Les engagements violents des femmes : contournements discursifs sous le nazisme et sous l’État islamique », pp. 77-95) explorent l’engagement violent des femmes sous l’État islamique et le nazisme, selon une perspective discursive et comparative. Le focus de l’analyse fournit des détails sur la manière dont l’engagement des femmes s’articule dans les discours idéologiques officiels, pratiques et les discours « en creux ». Les auteurs considèrent la mise en valeur discursive de l’hyper-masculinité pour légitimer le recours à la violence. En particulier, l’analyse des discours meurtriers « en creux » se fonde sur trois pôles : le discours officiel sur l’engagement des femmes dans la violence politique ; la réalité empirique de leur engagement en fonction des besoins et contraintes matérielles ; les diverses stratégies discursives des femmes engagées dans la violence politique au sein des univers idéologiques du peuple allemand et du califat.

Laure WESTPHAL (« Le discours jihadiste et sa dialectique de vengeance, de sacrifice et d’idéal », pp. 97-110) s’intéresse à l’adhésion de jeunes gens à l’islam radical à partir de sa pratique clinique exercée au Centre de Prévention, Insertion et Citoyenneté à Pontourny, dans le cadre de la recherche-action sur la radicalisation qui a été commanditée par le gouvernement en 2016-2017. Le thème de la dialectique de vengeance et de sacrifice dans le discours jihadiste est développé à partir de quatre points fondamentaux : la dissolution de la subjectivité au sein d’une idéologie politico-religieuse, le rejet du sexuel par la radicalisation islamiste, l’actualisation d’un enjeu caractérisé par la vengeance et le sacrifice, l’attrait corrélatif pour l’idéal. En particulier, l’auteure propose des situations cliniques des jeunes et les commente. Dans la conclusion, l’auteure remarque « l’influence du discours religieux sur celui qui a besoin de croire et le pouvoir qu’il donne de tuer, y compris la subjectivité de celui qu’elle prétend soulager » (p. 109).

La contribution de Gilbert DIATKINE (« Discours religieux et enthousiasme meurtrier », pp. 111-126) clôt le premier volet de l’ouvrage, en prenant en considération le lien entre la violence de masse et le discours religieux. À partir de l’affirmation du philosophe Austin qui appelle le discours meurtrier comme un « performatif », l’auteur propose un panorama de discours meurtriers religieux. Le premier exemple proposé est le récit de l’Exode, dans lequel Moïse tient le premier discours religieux meurtrier aux Juifs restés fidèles ; le deuxième exemple est le récit de Heisterbach sur le sac de Béziers pendant la croisade des Albigeois ; les derniers exemples considérés sont des discours meurtriers islamistes comme la condamnation à mort de Salman Rushdie pour son roman Les Versets sataniques. L’auteur se focalise aussi sur l’enthousiasme meurtrier soulevé par celui qui parle au nom de Dieu à la foule de fidèles qui suscite l’amour pour le leader charismatique et déclenche la destructivité des adversaires.

Le deuxième volet de l’ouvrage est intitulé « Réponses institutionnelles et contre-discours » et inclut six contributions.

Paola PAISSA (« Le « visage de la France ». Le discours des institutions après les attentats de 2015 et 2016 », pp. 129-148) analyse les discours qui émanent de l’exécutif à la suite des attentats qui ont eu lieu en France en 2015 et 2016. Les aspects examinés sont liés au caractère réactif et unitaire de la riposte institutionnelle, vue comme un « contre-discours meurtrier ». En particulier, les discours étatiques post-attentats se construisent en miroir par rapport à ceux de Daech. Du point de vue rhétorique, l’auteure constate que la matrice du langage totalitaire est présente non seulement dans les discours terroristes, mais aussi dans les discours institutionnels. L’emploi des figures rhétoriques de type binaire, comme l’antithèse, se montre dans la polarisation des acteurs. Sont examinés, en outre, l’effacement de la différence entre singulier et collectif, les superlatifs et les abstractions. Enfin, le « sacré partagé » de la civilisation occidentale se traduit par des procédés de simplification et d’amplification, grâce à la visée consolatoire des discours institutionnels.

La contribution d’Ugo RUIZ (« « Nous devons nous défendre  ». Une étude du discours du 16 novembre 2015 du président François Hollande », pp. 149-163) propose l’analyse du discours de François Hollande prononcé à Versailles le 16 novembre 2015 devant les sénateurs et les députés réunis en Congrès, après les attentats du 13 novembre qui ont causé plusieurs morts et blessés. Selon l’auteur, ce discours partage deux aspects des discours meurtriers djihadistes : la dimension propagandiste et le droit de tuer posé comme un acte légitime et nécessaire. En outre, le sentiment de rejet de l’ennemi est éveillé par l’empathie avec les victimes, puisque les paroles du président posent tous les Français comme cible du terrorisme. En particulier, les syntagmes nominaux singuliers à valeur collective tels que « la Nation » et « la République » construisent une relation d’appartenance inclusive. Enfin, les dernières remarques de l’auteur portent sur le dessin à la base du discours de Hollande qui montre le terrorisme comme un individu non souverain versus un individu souverain, à savoir le « nous » et la France pays souverain.

Noëlle DIEBOLD (« « On n’a rien vu » : voir, prévoir, prévenir, protéger », pp. 165-180) présente des observations menées grâce à son intégration dans un groupe de travail pluridisciplinaire sur la « déradicalisation », afin de proposer un modèle alternatif à la méthode proposée par le Plan de lutte antiterroriste du gouvernement français depuis 2014. Sur la première page de la contribution, le lecteur rencontre l’image du tableau de Francesco del Cossa L’Annonciation, où il peut voir un escargot sur le bord inférieur : cette anomalie pousse le spectateur à s’interroger. L’escargot du tableau devient un fil rouge qui mène le lecteur à considérer la position du psychologue de terrain dans les situations de radicalisation des jeunes liés au terrorisme islamiste. Le but de la contribution est celui de montrer les failles du dispositif gouvernemental et de proposer un modèle construit à partir de l’observation du sujet et des conséquences de son accompagnement, considérant aussi les impacts émotionnels et comportementaux.

Heinz-Gerhard HAUPT (« Un éclairage historique pour aujourd’hui sur le pouvoir politique des discours : les anarchistes et l’État français au XIXe siècle », pp. 181-195) se penche sur une perspective historique afin de porter un regard sur les réactions de l’État français aux attentats depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. À la première moitié du XIXe siècle, la sémantique a connu des changements, en fait des notions telles que « terreur », « anarchie » et « attentat » étaient utilisées pour critiquer les actions excessives de l’État, mais après la révolution de 1848, elles ont changé de sens, passant à décrire les mouvements sociaux. En outre, les réactions étatiques répressives et préventives contre les mouvements anarchistes ne réussissaient pas à les anéantir. L’auteur remarque que l’emploi de l’état d’urgence et des législations d’exception est fréquent aujourd’hui comme au XIXe siècle et les conséquences de la lutte contre le terrorisme sont comptées parmi les menaces à la culture démocratique et juridique de l’Europe.

Luis Miguel CAMARGO (« Prendre en charge les effets des « violences en ville  » : à la recherche d’un intime des institutions 1980 – début des années 2000 », pp. 197-211) pose la question de la prise en charge des victimes des violences armées par les institutions, en analysant un corpus oral d’une série d’entretiens qui ont eu lieu à Medellín, Bogotá et Cali, en Colombie. Ces entretiens ont été traités comme des actes langagiers qui dévoilent les ajustements des acteurs institutionnels, à savoir des secouristes, des médecins urgentistes et des médecins légistes. L’auteur s’intéresse à leurs enjeux émotionnels et moraux, à l’« intime des institutions » pour considérer l’articulation entre le vécu professionnel des individus et les processus socio-institutionnels créés pour faire face aux violences armées. Enfin, à travers la métaphore « une fenêtre qui permettait de voir ce qui se passait dans la ville » (pp. 200-201), l’auteur décrit le service d’urgences comme un espace dans lequel la société soigne ses blessures.

Augustin EMANE (« Les struggle songs sud-africains, entre liberté d’expression et incitation au meurtre : un passé qui ne passe pas », pp. 213-229) s’intéresse à la valeur politique des struggle songs sud-africains et à leur manifestation considérée comme un discours de haine. Les struggle songs sont au centre de conflits interraciaux et selon des organisations afrikaners telles que AFRIFORUM et TAU-SA, elles heurtent les droits des minorités et, à travers l’incitation à la haine raciale, ces chants peuvent conduire à l’acte. Dans l’Afrique du Sud postapartheid et chez les jeunes générations, les struggle songs deviennent un moyen pour transmettre les messages de contestation ou de revendication. L’auteur cite deux hommes politiques tels que Julius Malema et Jacob Zuma qui utilisent les struggle songs comme instrument au cœur de l’ambition politique et comme continuation du combat politique. Enfin, Julius Malema a proposé de changer les paroles des struggle songs pour les transformer en love songs, par exemple Kill the Boer a été transformé en Kiss the Boer.

Le troisième volet de l’ouvrage, intitulé « Discours meurtriers, violences et constructions identitaires » comprend sept contributions.

Béatrice TURPIN (« Une sémiotique des discours meurtriers », pp. 233-257) s’interroge sur le rôle du discours meurtrier qui incite le destinataire à la haine et au meurtre avec une possible réussite. L’auteure étudie le discours de proclamation de l’État islamique et le manifeste publié en ligne au moment du massacre de Christchurch. Le 4 juillet 2014 Abu Bakr al-Baghdadi a prononcé un « prêche dans la mosquée » de Mossoul en s’affirmant comme calife du monde musulman et quelques jours après, Muhammad al-Adnani, porte-parole de l’EIIL, a prononcé la proclamation du califat intitulée « Ceci est la promesse d’Allah », réactualisant le passé glorieux des musulmans sous les califes. Selon l’auteure, diverses séquences verbales et non verbales jouent un rôle clé dans le programme d’incitation, à savoir le titre de Calife, le nom Abu Bakr al-Baghdadi al Qurayshi, l’apparition, les gestes, le drapeau, le « cadre du discours ». La force des récits meurtriers est basée aussi sur des fragments d’histoire et des mythes qui visent à construire une identité raciale et religieuse qui est réifiée et excluante.

Pour sa part, Dominique BOURDIN (« Idéalisation et diabolisation dans les discours meurtriers », pp. 259-278) se penche sur les phénomènes d’idéalisation et de diabolisation qui sont à la base du clivage entre « eux » et « nous » dans les discours meurtriers du passé et du présent. Les foules exaltées par les discours de persuasion et l’enthousiasme deviennent une communauté qui partage un idéal. En particulier, le discours meurtrier vise à éliminer l’adversaire, déniant son appartenance à l’humanité. L’auteur propose une sorte de parcours parmi les discours meurtriers, à partir de la mise en accusation de Louis XVI et du discours de Saint-Just qui affirme « Tout roi est un rebelle et un usurpateur » (p. 261). Ensuite, la contribution se penche sur les discours meurtriers nazis qui incitent à la lutte et à la mort des ennemis, sur le témoignage de Rithy Panh à propos de la cruauté des Khmers rouges en Cambodge, sur le génocide du Rwanda et enfin sur les actes meurtriers de Daech.

La contribution de Fred HAILON (« La pensée figée ou la « comédie macabre » du discours », pp. 279-298) porte sur l’étude du discours meurtrier lié à la pensée figée du mal et à la « comédie macabre ». À partir du corpus « migration » constitué d’articles de journaux français publiés de mi-2015 à fin 2016, l’auteur observe les discours mortifères, des commentaires internautes haineux et des réactions médiatiques. En particulier, les commentaires caractérisés par la participation-réaction spontanée à propos des migrants et des représentations de la migration sont peu élaborés et brefs. L’auteur propose une catégorisation des discours meurtriers et étudie dans le détail des exemples sur l’appel aux meurtres, l’appel aux armes, l’appel à disparition, la réduction et l’effacement, l’appel à la providence. Enfin, l’auteur remarque que dans le discours meurtrier la survalorisation du « nous » provoque l’effacement du « eux » afin d’affirmer sa toute-puissance.

Sophie JEHEL (« Adhésions aux discours meurtriers face aux images violentes, sexuelles et haineuses qui circulent sur les plateformes numériques », pp. 299-317) propose une recherche sur les stratégies construites par les adolescents, quand ils ont accès aux contenus, aux images et aux sons violents, sexuels et haineux qui circulent sur les plateformes numériques. L’attention est portée sur les modalités de réception mises en place par les adolescents, selon leurs milieux sociaux et culturels, pour se protéger, se distancier ou se plonger dans les formes de radicalisation violente. L’approche concernant la réception de ces vidéos s’insère dans une théorie de la socialisation qui considère les médias comme « un acteur qui transmet des valeurs et des normes et joue un rôle considérable auprès des jeunes du fait de leur place éminente dans leur environnement culturel et communicationnel » (p. 303). En particulier, l’auteure propose une distinction de quatre formes d’adhésion aux images violentes : par dissociation, par sidération, par jouissance et par rationalisation.

Gabriela PATIÑO-LAKATOS (« Fonctions de l’image et du discours dans les montages des mythologies meurtrières : la figure du héros criminel », pp. 319-334) analyse les fonctions psychiques et culturelles qui concernent la représentation, la mise en scène et l’esthétisation de la violence meurtrière impliquées dans le processus de sa justification morale. En fait, les images violentes médiatiques examinées provoquent des effets qui renvoient aux discours des mythologies meurtrières. Le spectateur peut s’identifier à des imagos idéalisés présents dans certains montages contemporains d’images et de discours qui renouvellent l’imaginaire violent. L’auteure analyse certains éléments de la série américaine Dexter, considérant le procédé discursif et visuel de légitimation du meurtre. Cet exemple de mythologie contemporaine voit l’évolution du personnage principal Dexter Morgan, caché derrière le masque du médecin légiste qui est en réalité un serial killer qui tue les criminels échappés à la justice. Dexter devient un justicier et le produit audiovisuel véhicule un discours de légitimation du « bon meurtre ».

Laurence AUBRY (« Résistances aux discours meurtriers : l’adresse et le transfert au cinéma », pp. 335-349) réfléchit sur l’écriture, l’art, la représentation, la symbolisation et l’interprétation, vues comme résistances au mortifère dans la culture et dans la langue. L’auteure considère deux films Le Jeune Ahmed (2019) et L’Atelier (2017) centrés sur les thématiques liées à la radicalisation et à l’islamisation, où le spectateur est renvoyé à la stérilité de ces controverses. Ces deux films insistent sur l’importance de la relation avec l’autre, comme moyen nécessaire aux transformations de l’adolescence. Les réalisateurs des deux films partagent le « besoin de cette porte ouverte » et l’espoir dans « de très jeunes gens, d’expériences de vie différentes » (p. 348). Le Jeune Ahmed et L’Atelier soulèvent la question liée à la valeur d’une résistance dans le langage et la culture et à l’élaboration de la haine, selon le sens que la psychanalyse donne à ces termes.

L’ouvrage s’achève sur la contribution de Sabine OLEWKOWIEZ CANN intitulée « Aller/Retour, voyages dans le temps… Les discours meurtriers et les prolongements de leurs effets sur les survivants », (pp. 351-361). L’auteure a adressé le livre Aller/Retour, voyages dans le temps (Olewkowiez Cann, 2014) à son père juif « disparu », « déporté politique », et à sa mère juive qui fut recherchée pendant les chasses contre la résistance Carmagnole. Dans ce roman-récit, l’auteure s’adresse à son père comme si elle avait pu établir un dialogue avec lui et reconstruire la vie que les nazis lui ont volée. En outre, l’auteure renvoie à deux livres Ce que le nazisme a fait à la psychanalyse (2018) de Laurence Kahn et Le suicide de l’Allemagne (2018) de Jean-Michel Rey qui ont été des références importantes pour l’analyse des sources et des conséquences des discours meurtriers. Enfin, l’auteure affirme que ce livre témoigne sa mémoire individuelle et la mémoire générale de la banalité du Mal.

[Gloria ZANELLA]