Jean-Paul DUFIET (dir.), Laurent Mauvignier. Théâtre – Teatro. Tout mon amour – Tutto il mio amore, Une légère blessure – Una ferita leggera

di | 7 Luglio 2022

Jean-Paul DUFIET (dir.), Laurent Mauvignier. Théâtre – Teatro. Tout mon amour – Tutto il mio amore, Une légère blessure – Una ferita leggera, Trento, Università degli Studi di Trento (« Labirinti », 188), pp. 348.

Proposant une structure jamais rencontrée jusqu’à présent, le volume comporte une première partie constituée de la traduction de deux pièces de Laurent Mauvignier, enrichie d’études scientifiques sur l’œuvre de l’auteur. L’ouvrage de Jean-Paul Dufiet se donne pour finalité première de faire connaître, dans une édition bilingue, l’œuvre dramatique de Laurent Mauvignier, en Italie. De plus, par la qualité des articles proposés, le volume apporte un remarquable enrichissement à la réflexion sur le théâtre contemporain.

Comme le souligne Jean-Paul Dufiet dans l’introduction “si les romans de Laurent Mauvignier sont déjà connus en Italie, son théâtre […] pourtant essentiel à la compréhension de son œuvre, semble bien jusqu’à maintenant ignoré” (p. 7). Ce qui ajoute encore au caractère innovant de ce travail.

C’est à Alberto Bramati que revient le mérite d’avoir fourni la traduction de Tout mon amour (Tutto il mio amore) et d’Une légère blessure (Una ferita leggera). Dans une note, le traducteur précise en outre que ses choix traductifs ont privilégié une traduction à la lettre, au sens bermanien, tout en tenant compte des exigences pragmatiques qu’impose la langue italienne.

Les six études universitaires réunies dans la seconde partie de l’ouvrage sont le fruit des réflexions de chercheurs de renommée internationale. Leurs contributions permettent d’approfondir une œuvre hybride, à la fois polygraphique et transgénérique, remettant souvent en cause les genres dont elle s’empare.

La perméabilité entre les genres littéraires et les relations qui se tissent entre pièces et récits dans la production littéraire de Laurent Mauvignier sont au cœur des deux premiers articles. En s’appuyant sur les caractéristiques formelles et thématiques de son œuvre narrative, Florence Bernard montre que le passage à la scène de Laurent Mauvignier « s’est nourri de l’hybridation générique initiale de ses romans » (p. 9). Elle fait ainsi remarquer que les conditions d’une énonciation théâtrale se dessinent déjà dans le récit. Si cet article insiste sur le dépassement de la frontière générique entre roman et théâtre, Florence Bernard remarque également la capacité de l’auteur à faire évoluer son écriture.

L’article de Michel Bertrand donne à voir l’unité formelle et thématique de l’œuvre de Laurent Mauvignier. Sa réflexion porte sur deux quasi-monologues, l’un provenant d’un texte de théâtre : Une légère blessure, l’autre d’un récit : Ce que j’appelle oubli. Dans son analyse, Michel Bertrand souligne que l’auteur a fréquemment recours à des dispositifs énonciatifs qui sortent du cadre habituel de l’échange communicationnel. Ces dispositifs sont structurellement incomplets car ils s’appuient soit sur une énonciation solitaire soit sur un hors scène ou hors texte auquel est adressé le discours. La fracture structurelle semble ainsi refléter l’impossibilité de l’échange des paroles qui constitue l’unité thématique de l’œuvre dramatique et romanesque de Laurent Mauvignier.

La comparaison que Sylvie Vignes propose entre Tout mon amour, Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce et Incendies de Wajdi Mouawad s’intéresse aux convergences thématiques, structurelles et stylistiques des écritures dramatiques contemporaines. Les trois pièces mettent en scène la famille, les secrets qu’elle recèle et le retour d’un revenant qui pourra les dévoiler. C’est une véritable dramaturgie de la parole et de la violence du verbe que montre Sylvie Vignes qui, dans la conclusion de sa recherche, s’interroge sur le possible effet cathartique du dire.

Les trois derniers articles de l’ouvrage portent exclusivement sur l’œuvre de Laurent Mauvignier. L’étude de Bruno Blanckeman met en avant les caractéristiques dune écriture dramatique où domine l’omniprésence de la mort mais aussi la délitescence du lien familial. En particulier dans Tout mon amour et Une légère blessure, le secret de famille constitue le nœud d’une fable qui se décline sur le rapport à la vérité des personnages. Ainsi, qu’il s’agisse de la famille ou de la Cité, comme dans Retour à Berratham, Bruno Blanckeman relève dans l’écriture du dramaturge une fascination par l’interaction des violences familiales ou politiques et le point de bascule possible d’un monde civil et policé vers des violences aux origines archaïques.

Avant d’entamer une étude fine et détaillée d’Une légère blessure André Petitjean met en évidence l’intérêt que constitue la transgression permanente des frontières génériques dans l’écriture de Laurent Mauvignier. Si seuls trois écrits sont étiquetés sous l’appellatif de « théâtre », des œuvres comme Ce que j’appelle oubli, un long monologue et Le lien, dont la forme est uniquement dialogale laissent entrevoir une hybridation des genres. Ainsi, André Petitjean s’intéresse-t-il au narratif et au dialogisme d’Une légère blessure pour monter le récit, proche de la fiction romanesque, qui habite cette pièce. Il souligne également que « la solitude du personnage n’est pas forcément anti-dramatique » (p. 308) car son monologue est à la fois dialogique et dialogal. De plus, les éléments typographiques tels que la ponctuation et les blancs de page tout comme certaines didascalies renvoyant à la souffrance du personnage confèrent un rythme interne particulier à la pièce.

Le monologue du personnage d’Une légère blessure est également au cœur du dernier l’article de ce volume. Dans une approche subtile et originale, abordée cette fois du point de vue de la dramaturgie et de la métathéâtralité, Jean-Paul Dufiet envisage ce texte comme une mise en abyme entre l’essence-même du théâtre et la situation d’un personnage à la parole désincarnée et dépossédé de lui-même. On voit ainsi émerger une poétique spéculaire où le verbe expose l’impossibilité du sujet à entrer en lui-même mais aussi « le vide du théâtre de la vie qu’il faut combler » (p. 13).

[Françoise Favart]

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