Maria Isabel González Rey, La nouvelle phraséologie du français

di | 4 Novembre 2021

Maria Isabel González Rey, La nouvelle phraséologie du français, Toulouse, Presses Universitaires du Midi, 2021, 280 p.

Reprenant l’étude La phraséologie du français (2002), Maria Isabel González Rey publie en 2021 une troisième édition revue et augmentée – La nouvelle phraséologie du français – où l’auteure nous propose une nouvelle perspective d’analyse de la phraséologie du point de vue de sa place parmi les sciences du langage, des éléments qui la composent et des critères de classification en fonction de trois paramètres : formel, sémantique et pragmatique. Les principales dichotomies prises en considération sont : combinatoire libre des mots vs. combinatoire fixe, syntaxe vivante vs. syntaxe figée, constructions régulières vs. constructions irrégulières, caractère productif des combinaisons libres vs. caractère reproductif des combinaisons figées. Parmi les modifications opérées dans cette édition, l’auteure cite le remplacement du terme expressions figées par expressions idiomatiques dans le sens de «tournures propres de la langue» et la typologie des unités phraséologiques en deux grandes classes : les énoncés phraséologiques (parémies et pragmatèmes) et les syntagmes phraséologiques (collocations et locutions). En même temps, puisant les exemples dans la langue générale et les langues de spécialité, l’auteure fait une délimitation entre deux domaines phraséologiques : phraséologie générale et phraséologie terminologique.

Du point de vue de sa structuration, l’ouvrage est formé de dix chapitres allant du général vers le particulier dans le sens que les cinq premiers chapitres sont dédiés à la présentation du vaste domaine de la phraséologie (statut, approches traditionnelles, propriétés phraséologiques, idiomaticité, constructions endocentriques et exocentriques) tandis que les cinq derniers présentent d’une manière détaillée cinq classes d’unités phraséologiques : parémies, pragmatèmes, collocations, locutions et constructions verbales figées.

Dans le Chapitre II – Regard sur l’histoire de la phraséologie – l’auteure fait un compte-rendu des études dédiées à la phraséologie, à partir de Charles Bally, le père de la phraséologie, et continue avec le panorama de la phraséologie soviétique, polonaise, française et francophone sur des aspects concernant les manifestations scientifiques, les projets de recherche et les revues de spécialité. En fait, cette approche plurilingue lui permet de définir les principales directions du développement de la phraséologie : phraséologie descriptive, phraséologie historique, phraséologie comparative, phraséographie, phraséodidactique, phraséotraductologie et phraséotraduction. Ayant comme thématique Le statut de la phraséologie, le Chapitre III contient des précisions concernant la phraséologie comme discipline dépendante, phénomène central ou marginal, « un domaine vivant » marqué par la productivité définie par Gertrud Gréciano (à la mémoire de laquelle l’auteure se propose de rendre hommage) dans la série suivante: phraséogenèse, phraséosystème, phraséomatique, phraséothématique, phraséographie. En ce qui concerne Le matériel phraséologique (Chapitre IV), Maria Isabel González Rey met un signe d’égalité entre unité phraséologique et expression idiomatique selon une perspective lexicologique, syntaxique et transphrastique et propose une première tentative d’organisation des unités phraséologiques par l’analyse de leurs nombreuses propriétés : la polylexicalité ; la fréquence ; le figement ou lexicalisation ; le défigement, désautomatisation ou délexicalisation ; l’institutionnalisation ; l’idiomaticité ; la figuralité ; l’iconicité ou figuration ; l’opacité ; l’ambigüité ; l’écart ou déviation ; la moulabilite ou productibilite ; la répétition ; la reproduction ; les différents registres ; la réductibilité ; l’arbitrarieté, la motivation et la démotivation ; la valeur métaphorique ; la remétaphorisation ; les éléments expressifs et les procédés productifs (p. 53).

Le chapitre suivant – Les domaines de la phraséologie (Chapitre V) – est conçu comme réponse au besoin formulé par Moeschler dans les termes suivants : « une étude approfondie reste à faire dans un domaine portant sur un traitement global, syntaxique, sémantique et pragmatique, qui n’ait pas peur  de remettre en cause certains à priori sur la nature du lexique ou sur le rapport entre systèmes linguistique et pragmatique » (« Idiomes et locutions verbales : à propos de quelques bizarreries syntaxiques et mystères  sémantiques » dans Terminologie et Traductions 2/3, 1992, p. 146). En effet, Maria Isabel González Rey réussit à offrir aux lecteurs « une proposition de systématisation du matériel phraséologique depuis sa structure en langue jusqu’à son comportement dans le discours » (p. 81). On y retrouve la définition de la notion d’idiomaticité qui « préside à l’organisation de la langue et de la pensée » (p. 70) et la distinction entre les concepts d’endocentrisme et d’exocentrisme selon la théorie de Bloomfield (1933), ce qui lui permet d’appliquer ces deux concepts aux unités phraséologiques selon plusieurs points de vue : formel, sémantique et pragmatique. Ce chapitre annonce les quatre grands domaines de la phraséologie (phraséologie collocationnelle, phraséologie locutionnelle, phraséologie parémiologique, phraséologie pragmatémique) qui feront l’objet de quatre chapitres auxquels s’ajoute un dernier chapitre dédié aux constructions verbales figées (CVF).

Vu l’existence des travaux abordant les liens entre la parémiologie et la terminologie (Sevilla Muñoz, E. Hernandez, J. Gomez de Enterria), Maria Isabel González Rey propose, dans le Chapitre VI (Les parémies), une typologie syntaxique des parémies non phrastiques (elliptiques ou averbales) et parémies phrastiques qui, en fonction de leurs valeurs sémantiques et pragmatiques, connaissent une sous-division en parémies générales et parémies terminologiques, à parallélisme identique ou opposé. Sémantiquement, les parémies sont caractérisées comme des unités phraséologiques polylexicales et pleinement figées, à valeur compositionnelle et non compositionnelle. S’y ajoutent, du point de vue pragmatique, leur valeur de citation (du texte dans le texte, en mise en abîme) et leur fonction moralisante, de même que leur valeur discursive référentielle et inférentielle.

Dans le Chapitre VII intitulé Les pragmatèmes, Maria Isabel González Rey signale la diversité terminologique de cette classe phraséologique selon les paramètres formels, sémantiques ou pragmatiques, considérant que l’aspect pragmatique est « la pierre de touche de toute tentative de définition » (p. 98) car leur paradoxe « réside dans le fait d’être à la fois syntaxiquement indépendants et pragmatiquement dépendants des situations d’énonciation dans lesquelles elles se manifestent ». L’auteure justifie le terme de pragmatème par une tentative d’homogénéité terminologique qui s’aligne sur celle de Gréciano (1997) : « un énoncé récurrent et ritualisé, employé dans une situation concrète et chargé d’implicites langagiers et comportementaux » (p. 103), qui lui permet de faire la typologie suivante : pragmatèmes conversationnels et pragmatémes comportementaux qui, à leur tour, sont classifiés en pragmatèmes formels et informels, pragmatèmes phrastiques ou verbaux et non phrastiques (averbaux et elliptiques de nature).

Les deux chapitres suivants sont consacrés aux syntagmes phraséologiques : les collocations et les locutions. Dans le chapitre consacré aux Collocations(Chapitre VIII), l’auteure fait une distinction entre les deux pistes d’analyse des collocations en fonction des deux orientations, anglaise ou française: dans la combinatoire de l’anglais, le concept enregistre une « définition très raffinée » (p. 119) en deux sous-classes : collocations lexicales et collocations grammaticales (ou colligations) tandis que le concept français s’applique « d’emblée à un type très concret d’unités ». En plus, l’analyse des propriétés d’une collocation sous les trois aspects (formel, sémantique et pragmatique) met en évidence la variation des opinions des spécialistes, lexicologues et lexicographes, sur la distinction de cette classe par rapport aux locutions ou aux noms composés, de même que la difficulté de séparer base et collocatif. En ce qui concerne le figement, l’auteure parle d’une valeur semi-compositionnelle des collocations, qui sont divisées en deux classes : collocations lexicales et grammaticales. Une place importante est accordée à l’analyse des collocations dans le domaine des langues de spécialité, avec un accent particulier sur les travaux de G. Gréciano (1997) pour le domaine médical et Y. Gentilhomme (1995) pour les mathématiques.

Considérées comme « les expressions les plus idiomatiques du reste des structures de la langue » (p. 160), les Locutions (Chapitre IX) sont définies comme « des unités phraséologiques ayant à la fois une structure syntagmatique de nature nominale, verbale, adverbiale ou adjectivale, un sens métaphorique et imagé et une fonction inférentielle et connotative » (p. 160). Dans ce sens, Maria Isabel González Rey propose une typologie des locutions selon le critère sémantique en deux classes : locutions congrues ou figurées et locutions incongrues ou idiomatiques, suivie d’une classification en fonction des champs sémantiques : locutions somatiques, zoomorphiques, chromatiques, numérales, alimentaires et à objets divers. 

Le dernier chapitre est consacré aux Constructions verbales figées (CVF) (Chapitre X). Après avoir passé en revue les études consacrées aux « groupements verbaux » à partir de Gougenheim (1971), Ruwet (1983), M. Gross (1993). G. Gross (1996), Moeschler (1992), l’auteure présente la structure interne et la construction du sens, avec une proposition de classification des CVF métaphoriques en deux groupes : CVF avec ou sans incompatibilité sémantique entre les constituants. L’analyse des valeurs stylistiques des CVF imagées de différents niveaux permet à l’auteure d’étudier la forme (la périphrase, la litote, la comparaison), le sens et le fonctionnement du langage (la persuasion, l’information, l’évasion). Une nouvelle approche est celle de mettre en discours les CVF imagées par un passage de l’axe horizontal au niveau vertical, prenant en considération les facteurs sociolinguistiques et psycholinguistiques à plusieurs niveaux d’analyse (soutenu, standard, familier, populaire, vulgaire, argotique ou technique). En fonction du rapport entre le sens propre et le sens figuré, l’auteure propose la typologie suivante : CVF maintenant une lecture littérale par un sens compositionnel et les CVF proprement idiomatiques à sens non compositionnel. Partant du principe que les locutions idiomatiques mettent en jeu l’intellect et l’affect des locuteurs et des interlocuteurs, Maria Isabel González Rey consacre une attention particulière à l’analyse des facteurs socioculturels dans la production et la réception des CVF imagées qui s’explique par leur triple fonction : informer d’une réalité extralinguistique, exprimer une subjectivité et influer sur une conduite.

À la fin d’une lecture dense et enrichissante, l’ouvrage s’impose par l’extraordinaire maîtrise de l’auteure du vaste domaine de la phraséologie, considérée comme discipline à part entière au sein des sciences du langage. La richesse des exemples, la multitude des points de repère et la variété des typologies offrent aux lecteurs l’opportunité de mieux comprendre ce domaine situé au carrefour de trois branches de la linguistique (lexicologie, grammaire et stylistique), de même que les deux domaines de manifestation des unités phraséologiques: langue générale vs. langues de spécialité. 

[Daniela Dincă]

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