Lorella SINI, Rosa CETRO (éds.), FAKE NEWS RUMEURS, INTOX… Stratégies et visées discursives de la désinformation, Paris, L’Harmattan, 2020, p. 326.

di | 29 Giugno 2021

Rosa Cetro et Lorella Sini sont les deux coordinatrices du volume Fake news, rumeurs, intox… Stratégies et visées discursives de la désinformation paru chez L’Harmattan et publié dans la collection Humanités Numériques, avec le soutien de plusieurs organismes : LIDILEM, Université Franco-Italienne, Università di Pisa – Dipartimento di Filologia, Letteratura e Linguistica et Do.Ri.F Università. Les articles du volume sont répartis en trois sections, chacune d’elles ayant comme thématique une approche différente face à la prolifération du phénomène médiatique des fake news qui a engendré des réactions de la part de plusieurs catégories socio-professionnelles.

Les sept contributions de la première partie du volume intitulée Enjeux sociaux, discours et contre-discours se proposent de démonter les mécanismes cognitifs et les procédés linguistico-discursifs des fake news afin de tirer un signal d’alarme que cette problématique touche non seulement les journalistes, mais aussi les acteurs produisant les informations et les internautes, qui doivent être sensibilisés à la vérification des contenus transmis par autrui et à l’importance d’une conscience à la fois critique et éthique.

Le premier article est consacré par Julien Longhi à l’interrogation sur le processus d’idéologisation – Sémantique du discours et processus d’idéologisation. Comment cartographier l’information et caractériser la désinformation ? En fait, l’auteur propose une approche discursive des fake news par la prise en charge de deux aspects essentiels : la contextualisation et la matérialité lexicale. L’analyse du discours acquiert ainsi un rôle primordial dans le processus de cartographier l’information à partir de la matérialité linguistique et discursive des informations partagées par les deux pôles du message : émetteur et récepteur.

Prenant comme point de départ la question des fake news sur la toxicité du Roundup et de sa molécule active – le glyphosate, l’article de François Allard-Huver (Discours, intox et contre-discours en controverse scientifique : l’affaire des «Portier Papers») présente les stratégies suivies par les acteurs impliqués dans la production des discours et des contre-discours, d’une part, et dans la dénonciation des fausses nouvelles, d’autre part. En effet, cette étude nous fait part d’une controverse scientifique médiatique provoquant des polémiques entre les promoteurs de la
campagne de communication et les enquêteurs journalistiques s’appuyant sur des résultats d’expertises.

À partir d’un projet d’exploitation de gaz de charbon (Coal bed methane), Marieke Stein (Comment le faux s’impose dans le discours dominant : les relais institutionnels de la désinformation autour d’une controverse environnementale) fait l’analyse du discours dominant afin de montrer comment la presse et les discours institutionnels contribuent à véhiculer de fausses informations dans l’espace public. En fait, il s’agit du processus de resémantisation et de renomination de l’expression gaz de couche, remplacée par le vocable grisou (chargé de sens dans la mémoire collective) pour faire admettre des prospections invasives et polluantes.

Une autre piste d’action contre les fake news est proposée par Dominique Dias (Le fact-checking: un nouveau genre textuel pour lutter contre la désinformation ?) qui définit le fact-checking comme phénomène médiatique, relevant de la catégorie des métatextes par des commentaires d’autres textes/énoncés et ayant comme principales caractéristiques linguistiques des phraséologies («ce que je dis est vrai »), des routines journalistiques ou des constructions argumentatives stéréotypées.

Silvia Modena (« Fred se méfie des fausses infos » : une bande dessinée pour « verifier » les informations) nous présente un autre cas de figure, celui de la bande dessinée en tant que contre-discours pédagogique censé neutraliser les infox chez les jeunes. L’auteure considère que les quatre types d’argument (« l’argument d’autorité », « l’argument de direction », « l’argument du consensus » et « la question rhétorique ») lui permettent d’affirmer que le dialogue fictif de cette bande dessinée a pour but d’interrompre le flux de fausses informations par la mise en place de deux typologies de voix : une voix à la fois experte dans les récitatifs, mais aussi amicale et une instance énonciative «naïve», celle de l’internaute Fred qu’il faut «éduquer ».

Partant d’un corpus de messages postés par des patients atteints de cancer sur des forums de discussion, Valérie Delavigne (Forums et infox) fait une analyse minutieuse de la nature spécialisée de l’information médicale autour de la thématique du cancer dans les forums de discussion comme objet de choix pour explorer les nouveaux modes de diffusion et de circulation des informations conduisant à « une sorte de désacralisation du savoir médical » qui reste hautement spécialisé, tout en paraissant particulièrement adapté et pertinent pour les patients.

Dans Fake news et économie. Un nouvel enjeu pour les entreprises, Alessandra Rollo nous donne deux exemples emblématiques de fake news qui ont frappé des marques françaises : le faux communiqué de presse qui a fait chuter l’action du colosse boursier Vinci en novembre 2016 et la rumeur qui a touché la compagnie aérienne Air France concernant l’augmentation abusive de ses tarifs après le passage de l’ouragan Irma aux Caraïbes en septembre 2017. L’auteure met en exergue la rapidité de propagation des fausses informations sur les réseaux sociaux avec des répercussions néfastes pour ces deux compagnies.

Les contributions de la deuxième partie intitulée De la propagande aux fake news prolongent le débat entre propagande et information fallacieuse dans les domaines de la politique et de la religion. Se proposant d’examiner comment l’expression fake news émerge et se comporte dans un discours anti-médias, Laura Calabrese, Pascal Froissart et Jeoffrey Gaspard (De la propagande aux fake news Trump to the media: Fake you!) font une analyse lexicométrique des occurrences de cette expression dans les tweets du compte @realDonaldTrump représentant trois énonciateurs différents (Trump  homme d’affaires, Trump candidat et Trump président) dans  le but de mettre en exergue sa contribution à la décrédibilisation des medias hostiles à Trump, d’une part, et le rejet des accusations de désinformation de la campagne présidentielle, d’autre part. 

Mélanie Gantier (La stratégie de communication de Donald Trump sur Twitter : comment les émotions ont pris le pouvoir) consacre son article à l’analyse des termes d’affect ou des termes d’émotion identifiés sous forme de métaphores employées dans les tweets de la campagne électorale de Donald Trump pour purifier le pays par la mise en garde contre le flot de l’immigration. Une autre stratégie de communication consiste dans l’usage de l’exclamation, de même que du commentaire émotionnel so sad!, very sad ou sad! dans les tweets qui sont retweetés par les soutiens de Donald Trump dans le but d’augmenter l’ampleur de l’audience.

Dans leur étude sur les discours de propagande et de radicalisation diffusés dans la revue Dar-al-Islam, Nolwenn Lorenzi Bailly et Claudine Moïse (DAR AL-ISLAM Propagande, manipulation et malinformation) introduisent des notions intermédiaires  telles  que mésinformation,  malinformation, désinformation. L’article propose une réflexion autour des procédés discursifs qui se manifestent dans le discours de propagande et le discours idéologique dans les rubriques du magazine Dar Al-Islam. Il s’agit de la construction d’une figure d’autorité dont le but de faire adhérer le plus grand nombre de lecteurs à l’idéologie meurtrière.

Les Bulletins de guerre de l’Alliance française de Paris (1914-1918) font l’objet d’étude d’Alice Hélène Burrows (De la propagande à la désinformation : les stratégies discursives de mondialisation du conflit) qui se propose de surprendre « le glissement » de la revue vers un discours complotiste de désinformation utilitariste qui marque une rupture discursive importante dans le travail de propagande mené par l’association. Une attention particulière est accordée à la valeur des objets discursifs historiques qui sont analysés selon deux échelles d’observation : l’unité temporelle et l’unité géographique.

Alida Maria Silletti (Les données chiffrées dans les tracts du FN/RN sur l’immigration (2008-2019) : une forme d’« intox » ?) étudie la manière dont la décontextualisation systématique ou l’effacement des sources énonciatives opère un détournement d’informations par simplification et par dramatisation afin d’obtenir l’adhésion des lecteurs par rapport à l’immigration : équations islam-immigration, immigration- violence/insécurité, immigration-chômage, immigration-Europe, immigré économique-réfugié/demandeur d’asile, entre autres. L’article confirme, en conclusion, que les  chiffres relatifs à l’immigration ne sont pas strictement quantifiables car, selon l’auteure, « c’est souvent sa source qui porte atteinte à sa légitimité ».

À travers les différentes modalités aspectuelles de la formule « cinquième mandat», Kamila Oulebsir-Oukil (Cinquième mandat présidentiel en Algérie : le (contre) discours de la rumeur) montre comment une rumeur se transforme en information officieuse puis en information attestée dans les titres de la presse algérienne lors de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika. L’auteure présente aussi certains dispositifs de manifestation de la rumeur dans les discours journalistiques : commentaires méta-discursifs, non-coïncidences du dire, modalisations, négations polémiques, etc.

La troisième partie intitulée Fake news et théories du complot regroupe trois articles, traitant du rapport existant entre les informations fallacieuses et l’imaginaire complotiste / conspirationniste.

Dans Le complot au fil des dictionnaires, Rosa Cetro propose une étude lexicographique diachronique du mot « complot » et de son synonyme « conspiration », dans la société française à partir de l’Ancien Régime jusqu’à la deuxième moitie du XXe siècle, période pendant laquelle complot et conspiration « se dédoublent » entre une acception technique, de nature juridique, et une acception générique. Avec l’apparition des syntagmes « théorie du complot » et « théorie conspirationniste », les deux mots enregistrent un « renversement de perspective » qui fait déplacer l’acception du mot complot d’une dimension privée et individuelle vers une dimension collective et globale.

Lorella Sini et Francesco Attruia («Le Grand Remplacement » et la « sostituzione etnica » : thèses complotistes et fake news dans les discours d’extrême droite) présentent le code idéologique alimentant les théories conspirationnistes autour d’un prétendu dessein politique dont l’objectif est le remplacement des populations européennes « autochtones » par une immigration de masse programmée. Il s’agit d’une analyse discursive et lexicale d’un corpus français/italien de discours politiques et de presse, qui met en évidence la multiplicité des formes associées à ces expressions, source de fake news alimentant les discours de haine.

Le dernier article présente la mythologie complotiste comme récit structurant, bipolarisant le monde. En effet, Clémentine Hougue (Art du récit, figures et mythologie des fictions et discours complotistes) offre la vision d’un monde figé dans un état de précarité permanente où l’individu a beau être attentif aux signes du complot car il ne peut qu’être soumis au joug des forces structurant ce monde. Les théories du complot représentent une impasse narrative, une intrigue sans résolution, un récit bouclé sur lui-même car elles ne peuvent que rejouer indéfiniment l’étape de dévoilement du complot, sans lequel le monde retourne à son incohérence.

À la fin de notre parcours, il est évident que les fake news, les rumeurs ou les intox  présentent des stratégies et des visées discursives de désinformation ou de détournement d’informations qui peuvent se manifester par une décontextualisation systématique et un effacement des sources énonciatives. Afin de contrecarrer tous ces effets négatifs, les contributions du volume mettent en exergue des procédés discursifs finalisés au renforcement de l’éducation aux médias à une évaluation critique des sources d’information.

 [Daniela DINCĂ]

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