Laure Anne JOHNSEN, La sous-détermination référentielle et les désignateurs vagues en français contemporain, Bern/Berlin/Bruxelles/New York/Oxford, Peter Lang, « Sciences pour la communication », 2019

di | 1 Novembre 2020

Laure Anne JOHNSEN, La sous-détermination référentielle et les désignateurs vagues en français contemporain, Bern/Berlin/Bruxelles/New York/Oxford, Peter Lang, « Sciences pour la communication », 2019, 451p.

Produit d’une solide thèse de doctorat en linguistique française, sous la direction de Maire-José Béguelin et Alain Berrendonner, ce travail abondamment documenté (40 pages de bibliographie) s’organise en trois parties : un état des lieux concernant la référence, l’anaphore pronominale et la sous-détermination (p. 11-192) est suivi d’une deuxième partie relative à la sous-détermination référentielle (p. 193-242) et d’une troisième consacrée à deux études empiriques touchant aux manifestations de la sous-détermination : « ça » (p. 247-305) et « ils » (p. 307-400). La sous-détermination référentielle marque en particulier le discours oral spontané (« non planifié ») et fait usage de désignateurs « vagues » tels que les pronoms « neutres » (ce, ça, tout ça) ou collectifs (ils). L’investigation repose sur un ensemble de données authentiques de sources variées ; elle vise à observer les conditions d’apparition de ces désignateurs vagues et à recenser les stratégies discursives mises en acte grâce à eux pour aboutir à un acte de communication suffisamment efficace au regard de ses circonstances propres.

Ayant pour objectif « d’inventorier les ressources linguistiques, lexicales ou pronominales, spécialisées dans la sous-détermination référentielle et d’en observer les circonstances d’emploi ainsi que les rendements discursifs » (p. 3), l’étude adopte délibérément une démarche plus qualitative que quantitative, en soumettant les faits de langue attestés et recueillis à une forte sélection représentative, dans sa variété même. Son ouverture empirique se prête à explorer les marges laissées pour compte par la doxa linguistique, pour élargir et compléter la perspective sur la référence et ses conditions et exigences variables de félicité. Il apparait ainsi, dès le premier chapitre, combien les référents peuvent être conçus, en linguistique, comme des constructions cognitives (ou objets de discours) qui évoluent avec le discours dans l’enceinte d’un espace de connaissance partagé (ou mémoire discursive). La précision de la référence se mesure aux nécessités de cet échange en cours, dans un principe d’économie maximale et de moindre effort de dénomination : d’où l’abondance et la variété des occurrences de désignateurs vagues en français contemporain. Tout comme l’anaphore, la désignation vague (par exemple en ils) s’appuie sur la saillance plus ou moins grande de l’objet-de-discours dans le partage de savoir activé par l’échange. Différents phénomènes en conditionnent et motivent l’apparition : des paramètres contextuels compensatoires, une volonté de cryptage du référent, des tentatives de reformatage, des prises en compte d’hétérogénéité énonciative, des cas d’indistinction référentielle… C’est l’objet du deuxième chapitre de les faire émerger et d’en dresser le paradigme.

Le troisième chapitre s’attache à explorer plus avant les causes de cette sous-détermination, selon qu’elles tiennent à une économie lexicale de prestation justifiée par une pertinence suffisante au contexte, ou par le surgissement d’obstacles cognitifs à la livraison de caractérisations plus précises du référent (dénomination, format, propriétés typifiantes etc.) Ce chapitre a l’ambition de proposer une modélisation du phénomène linguistique de la sous-catégorisation référentielle. Au tour du chapitre suivant de relever, dans un geste cette fois extensionnel, l’inventaire des moyens linguistiques susceptibles d’actualiser cette sous-catégorisation, quelle qu’en soit la motivation contingente ou intentionnelle : des « facteurs d’ordre accidentels (lacune lexicale, ignorance) » ou au contraire « stratégiques (économie de moyens, enjeux informationnels, interactionnels » (p. 403) ou liés au rapport approximatif ou synthétique de la parole d’autrui.

Quoique le matériau linguistique disponible dans cette classe de désignateurs vagues, l’étude se concentre ensuite (chapitres cinq et six) sur deux d’entre eux : « (tout) ça » et « ils ». Si la thèse est riche, précise et féconde dans son exposé, elle est tout aussi généreuse dans les perspectives futures qu’elle ouvre sur le sujet.

[Geneviève Henrot Sostero]