Véronique TRAVERSO, Nicolas CHAMBON (éds.) Raconter, relater, traduire : paroles de la migration

di | 12 Febbraio 2024

Véronique TRAVERSO, Nicolas CHAMBON (éds.), Raconter, relater, traduire : paroles de la migration, Lambert Lucas, Limoges 2022, 209 pp.

Cet ouvrage codirigé par Véronique Traverso et Nicholas Chambon se compose de huit chapitres et couvre plusieurs aspects de la migration en France et, en moindre mesure, en Italie.

Dans leur introduction (pp. 9-26), Chambon et Traverso font état d’une crise de l’accueil des migrants et témoignent de la volonté d’agir sur les conditions de cet accueil, notamment à travers des projets de recherche pluridisciplinaire « à la fois impliquée et embarquée » (p. 11). Fondé sur « la réalisation d’un important terrain dans différents services de santé » (p. 12), le projet REMILAS (RÉfugiés, MIgrants et leurs LAngues face aux services de Santé) a rassemblé plusieurs professionnels et chercheurs qui ont œuvré de concert, depuis la phase de collecte jusqu’à l’analyse des données. Leur travail en équipe a ainsi permis de rendre compte de la complexité et de la richesse d’un corpus de 91 consultations et 34 entretiens (couvrant 11 langues : albanais, anglais, arabe, arménien, espagnol, français, iranien, italien, macédonien, russe, serbo-croate), auxquels sept des chapitres de l’ouvrage sont étroitement liés. Le récit en est le maillon essentiel et dans l’impossibilité d’en retracer la longue histoire, Chambon et Traverso posent quelques éléments auxquels les articles font plus ou moins directement écho, en résumant d’une part les études de linguistique sur le récit et de l’autre celles de sociologie. Ils présentent ensuite les quatre points communs aux chapitres (le fait qu’il est question de bribes de récits plutôt que de formes canoniques, le lien avec le récit d’asile et ses contraintes, le format question-réponse des auditions, la violence des faits qui sont rapportés), ainsi que les lieux auxquels les auteurs feront directement ou indirectement référence (comme le Méda, l’Ofpra et la CNDA). Chambon et Traverso terminent par justifier l’organisation de l’ouvrage, où les articles sont présentés « en fonction du déroulement temporel des démarches de demandes d’asile » (p. 18).

Le premier chapitre est celui de Natacha Niemants, le seul qui ne se base pas sur le corpus REMILAS et qui porte sur le contexte italien, mais qui présente tout de même plusieurs affinités avec ce qui se produit en France dans la phase de préparation aux auditions, tant en première qu’en seconde instance (correspondant en Italie à la Commission Territoriale et au Tribunal régional).

Les chapitres deux, trois et quatre présentent des analyses de consultations à l’association lyonnaise Méda (Médecine et droit d’asile). Alors que Vanessa Piccoli et Emilie Jouin montrent la façon dont plusieurs requérants perçoivent le récit qu’ils ont précédemment présenté, l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), Vendredi Ricet et Camille Noûs se focalisent sur une seule consultation visant la production d’un certificat médical attestant les violences subies par une femme du Nigéria. Anna Claudia Ticca, quant à elle, fait un focus sur un moment particulier de ce type de consultation, à savoir l’auscultation physique, où les traces de violences sont d’abord racontées et ensuite montrées aux médecins.

Les chapitres cinq, six et sept abordent des contextes de santé mentale. L’article de Nicolas Chambon, Gwen Le Goff et Nagham Bajjour repose sur des entretiens avec des professionnels de la santé mentale et problématise leur embarras par rapport au récit administratif que les migrants sont censés produire pour obtenir une protection. Véronique Traverso et Marie Bahuad analysent par contre une consultation en psychothérapie et montrent, en alternant leurs voix de linguiste et de psychologue, la façon dont les récits en boucle d’une patiente s’éloignent du récit conversationnel canonique. Anne Sophie Haeringer mobilise elle aussi des enregistrements vidéo, qu’elle transcrit cependant de façon un peu différente, afin de montrer les perspectives et lignes narratives des participants aux consultations, à savoir le médecin, le patient et l’interprète qui, ensemble, essayent de « élucider certains nœuds de compréhension et de générer de nouveaux enchevêtrements et zones d’opacité » (p. 184).

Le huitième et dernier chapitre, écrit par le Docteur Biot et les autres médecins du Méda, retrace l’histoire d’une association unique en France et nous fait part du point de vue des professionnels sur l’élaboration des certificats d’expertise médicale, qui peuvent être produits en seconde instance à la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile). En réfléchissant sur les dits et les non-dits dans ce genre de consultation, ces médecins volontaires témoignent de la façon dont on peut concrètement agir sur les conditions de l’accueil des migrants. Ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, comme ils l’admettent eux-mêmes dans leur conclusion, mais « cette goutte d’eau est capitale car ce sont des femmes et des hommes qui se sont levés pour refuser l’insupportable et pour permettre à d’autres femmes et d’autres hommes en grande souffrance d’être rétablis dans leur dignité et leur humanité » (p. 209).

Nous-mêmes nous sommes ainsi appelés à réfléchir à ce que nos recherches en linguistique peuvent bien faire, si ce n’est pour agir sur les conditions de l’accueil, du moins pour raconter, relater et traduire les paroles de la migration.

[Natacha S. A. Niemants]