Stefano VICARI (éd.), « Autorité et Web 2.0 : approches discursives », Argumentation et Analyse du Discours, 26, 2021, Université de Tel-Aviv, pp. 226.

di | 27 Maggio 2022

Le numéro 26 | 2021 de la revue « Argumentation et Analyse du Discours », intitulé Autorité et Web 2.0 : approches discursives, a été publié sous la direction de Stefano Vicari.

Ce volume s’articule autour de trois sections. La première contient les six contributions principales, étant tout d’abord présentées par le directeur du numéro, dans son Introduction : Autorité et Web 2.0 (pp. 3-18). La deuxième section est composée de trois « Varia » qui explorent d’autres notions-clés de l’Analyse du Discours (AD) s’avérant d’intérêt pour l’étude de l’autorité (la polémique, l’ethos collectif et la doxa). La troisième et dernière section enrichit le numéro par la présentation de cinq comptes rendus d’ouvrages représentatifs de l’AD « à la française » qui permettent d’identifier des perspectives de recherche en relation avec l’étude de l’autorité dans le Web 2.0.

Dans son ensemble, ce numéro de la revue « Argumentation et Analyse du Discours » a le mérite de présenter des cas d’études concrets qui visent à montrer les enjeux liés à la (dé)construction de l’autorité dans les espaces discursifs du Web 2.0.  Dans son introduction (pp.3-18), Stefano Vicari, souligne que l’étude de l’autorité dans le Web 2.0 implique la prise en compte des paramètres technologiques qui règlent le fonctionnement des espaces numériques car cette dimension technique invite à aborder la notion de l’autorité sous le paradigme de notions socio-relationnelles connexes : « celles de visibilité, popularité, réputation, confiance, et influence » (p.11). C’est ainsi que l’autorité, étant traditionnellement abordée sous le prisme de la légitimation et de la crédibilisation du locuteur, implique dans ce nouveau cadre numérique, l’adoption d’approches écologiques du discours qui tiennent compte du dynamisme techno-langagier propre à la circulation de l’autorité dans ces espaces discursifs spécifiques.

Chiara Molinari et Geneviève Bernard Barbeau ( La polémique autour de bonjour/hi sur le web : vers la déconstruction du discours d’autorité) (pp. 19-37) analysent les modalités (techno)discursives de déconstruction de l’autorité mises en œuvre dans le cadre de la polémique suscitée par le discours du ministre québécois responsable de la langue française, Simon Jolin-Barrette qui, en novembre 2019, déclare son intention d’interdire formule de salutation bilingue bonjour/hi dans les commerces et dans les services publics de Montréal au profit du rituel français de salutation bonjour. Les deux auteures se penchent, notamment, sur les commentaires publiés sur le site web des journaux et sur les réseaux sociaux Facebook et Twitter (p. 21) afin d’observer de plus près les stratégies discursives qui visent à délégitimer le discours d’autorité du ministre, et qui en même temps inscrivent cette polémique dans « dans un arrière-plan sociohistorique chargé qui va bien au-delà des propos du ministre » (p. 34).  Laetitia Gern (Quand Emmanuel Macron veut réparer le lien entre l’Eglise et l’Etat. La question de l’autorité dans les commentaires YouTube) (pp. 38-56) met l’accent sur le modalités de (dé)légitimation de l’autorité rendues possibles par les fonctionnalités technodiscursives de la plateforme YouTube.  Cette étude prend en compte les 540 commentaires publiés en réaction à un extrait du discours présidentiel diffusé par la chaîne YouTube « Le Monde » le 10 avril 2018. Ces commentaires « nous donnent accès à une parole citoyenne qui thématise son rapport à la légitimité et à la crédibilité du Président de la République et construit une identité qui lui est propre » (p. 39). La crédibilisation de la parole citoyenne serait favorisée, plus précisément, par le dispositif YouTube qui offre, selon l’auteure, un cadre participatif aux utilisateurs pour l’expression de leurs opinions politiques dans un espace numérique se configurant comme démocratique. Cet article permet en effet de découvrir, d’un côté, les stratégies discursives de la reductio ad absurdum ou l’ad personam exploitées par les opposés au discours d’Emmanuel Macron, et de l’autre côté, le « procédé de dédramatisation du discours controversé » et « la mobilisation de la loi de 1905 » (p. 52) auxquels font recours les internautes favorables à la déclaration du Président afin de réparer son image politique. La mise en question de l’autorité politique d’Emmanuel Macron est abordée également par Keren Sadoun-Kerber (Les avatars de l’autorité sur Twitter : l’exemple des usagers face à l’Allocution de Nouvel An du Président Macron) (pp. 57-79) qui étudie les réactions lors de son allocution de Nouvel An en 2018, sur Twitter, afin de cerner le rapport à l’autorité qui est rendu possible par cette plateforme, conformément aux modalités de conversation admises. Keren Sadoun-Kerber se penche sur les 194 réactions « qui se rapportent directement à Macron par la mention @EmmanuelMacron » (p. 61) comprenant 123 tweet contestataires étant marqués par le recours aux arguments ad personam et ad hominem. À cet égard, l’auteure montre que l’argument ad hominem présente un intérêt particulier, dans le sens où il est utilisé pour dévoiler la contradiction relevée entre le discours du Président et la réalité. Avec la contribution de Stefano Vicari (Polémique de la vape et discours d’autorité entre influenceurs et discours institutionnels sur le WEB 2.0) (pp. 80-107) on sort de la sphère politique pour entrer dans l’univers d’une polémique 2.0 représentée par un corpus hétérogène, exploratoire (p.83). L’auteur constate que dans le Web 2.0 « l’autorité circule de manière conjoncturelle, éphémère, voire stratifiée » (p. 80). Cette circulation dépend de la manifestation des positionnements énonciatifs ainsi que des dispositifs techno-discursifs rendant possibles, dans les espaces numériques, les mises en discours relevant de l’autorité. Stefano Vicari se penche sur une étude de cas concret qui concerne la construction du discours d’autorité des influenceurs de la vape dont ont témoigné Twitter, Facebook et les espaces commentaires des journaux en ligne à la suite de la déclaration de l’OMS du 26 juillet 2019 qui, dans son rapport annuel, a jugée l’e-cigarette comme « incontestablement nocive pour la santé ». En adoptant les approches théoriques et méthodologiques de l’analyse du discours numérique (Paveau 2017) et de la pragmatique de la communication numérique écrite (Marcoccia 2016), Stefano Vicari met en avant la « grande hétérogénéité des modes de construction et de déconstruction de l’autorité » dans les plateformes du web 2.0 (p. 102). L’exploration discursive des influenceurs du web 2.0 continue dans le cadre de l’étude présentée par  Francesco Attruia (L’autorité des jeunes influenceurs du Web dans le genre de l’« unboxing » : un cas d’étude français/italien) (pp. 108-124) qui s’intéresse, plus particulièrement, aux stratégies discursives de l’ « unboxing » (ou « déballage de produits »), « une stratégie marketing très exploitée par les grands producteurs de biens matériels et technologiques […] qui engage de plus en plus de jeunes influenceurs du Web pour placer et promouvoir leurs produits » (p. 109). Son analyse se caractérise par une démarche contrastive (français/italien) qui vise à comparer le statut d’autorité de jeunes influenceurs en prenant en compte des transcriptions vidéos hébergées sur YouTube. Francesco Attruia montre que l’autorité dans la pratique de l’unboxing est fondée sur une forme de récit auquel participe activement le groupe d’interactants. Cela permet aux jeunes influenceurs de construire un modèle « participatif » d’autorité (p. 120) dans un espace numérique partagé où la source crédible, légitimée, se confond dans le collectif. En effet, cette analyse a le mérite de signaler que « dans l’univers du Web 2.0, c’est l’autorité du plus grand nombre qui l’emporte sur celle du sage et de l’homme raisonnable, dans la mesure où elle s’exprime à travers des attitudes collectives » (p. 119). La réflexion sur l’autorité dans le Web 2.0 s’étend à la notion de « parent expert » analysée par Juliette Charbonneaux et Karine Berthelot-Guiet (Entre déjà-dit et jamais-dit. Cancers rares et quêtes d’autorité numérique) (pp. 125-142) qui se concentrent sur les « forums de patients ». Dans le cadre d’une analyse sémio-discursive de discours numériques portant sur un cancer rare, connu sous le nom de glioblastome, les auteures s’interrogent sur les formulations d’autorité en rapport avec la notion de « parent expert ». Leur analyse permet, notamment, de mieux cerner la spécificité du  témoignage qui contribue à  « instituer l’expérience personnelle en une forme de savoir » (p. 131).

La section consacrée aux Varia s’ouvre par la contribution de Thi Thanh Phuong Nguyen-Pochan (La polémique autour des « délits de la pensée » dans le contexte de l’autoritarisme vietnamien : un

processus de démocratisation ?) (pp. 144-160) qui présente l’analyse de la polémique autour des accusations d’« auto-transformation » et d’« auto-évolution » adressées à Chu Hảo, un intellectuel membre du Parti communiste vietnamien (PCV), de la part du PCV même. La polémique est ici présentée comme un moyen de démocratisation de l’espace numérique en régime autoritaire, où la posture des intellectuels contestataires joue un rôle significatif. Le deuxième article est rédigé par Annelise Ly (Redéfinir le dirigeant d’entreprise : le retravail de l’ethos collectif dans le discours de remise de diplômes de Faber) (pp. 161-176). Cette étude est centrée sur l’analyse discursive de l’ethos collectif du dirigeant d’entreprise construit par Emmanuel Faber, PDG de Danone,  lors de son discours de remise des diplômes à HEC en 2016. Axée sur la promotion de valeurs comme la justice sociale, la portée argumentative du discours de Faber est représentée par un retravail de l’ethos (Amossy 2010 : 45) qui s’appuie sur la construction d’un endogroupe auquel le locuteur s’identifie (au niveau du langage adopté, des valeurs et des croyances partagées) et qui se distingue de l’exogroupe, présenté de manière péjorative. Cette section se termine par la contribution de Marieke Stein (La fabrique du consensus autour du « gaz de couche de charbon » en France : analyse « archéologique » des discours d’appui à un projet extractif) (pp. 177-194). L’auteure met en évidence que la construction d’un consensus apparent se base sur la reprise de discours doxiques provenant d’une source unique, monopolistique. Ce relais est rendu possible par un dispositif que l’auteure définit comme une forme de « ‘caution circulaire’ qui vise à faire assumer ses propres énoncés par d’autres organismes (entreprises, institutions ou médias) dotés d’une autorité supérieure, qui reproduisent en fait littéralement le discours-source de l’entreprise, mais sous leur propre signature » (p. 190).

Pour conclure, ce numéro, pris dans son intégralité, montre l’intérêt d’une approche analytique qui prenne en compte « la nature située des productions discursivesdans le Web 2.0 » (p. 12) afin d’explorer toute la richesse des enjeux liés aux espaces numériques.

Ilaria Cennamo

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