Laurence LE FERREC, Marie VENIARD (éds), Langage et migration : perspectives pluridisciplinaires

di | 27 Febbraio 2022

Laurence LE FERREC, Marie VENIARD (éds), Langage et migration : perspectives pluridisciplinaires, Limoges, Lambert-Lucas, 2021, pp. 260.

Langage, langue, discours dans le champ des migrations : tels sont les maîtres-mots de l’ouvrage Langage et migration : perspectives pluridisciplinaires, qui aborde les migrations en tant que domaine de recherches en voie de constitution dans le monde francophone, alimenté par les apports de la sociolinguistique, de l’analyse du discours et de la didactique. Comme Laurence LE FERREC et Marie VENIARD le remarquent dans leur Introduction (pp. 7-24), les migrations interagissent avec le langage stricto sensu ainsi qu’avec les pratiques langagières, soit autant d’objets d’étude et d’ancrages disciplinaires pluriels qui mettent en lumière un dialogue enrichissant entre disciplines et sous-disciplines qui conçoivent le langage comme praxis sociale et action. La centralité du langage dans le processus de migration et d’installation dans le nouveau pays est l’angle d’observation pour étudier les migrations, sur le modèle des migration studies, ce qui permet de mieux appréhender le contexte des migrations et de mettre en perspective différents points de vue, sans sous-estimer le potentiel du questionnement méthodologique et épistémologique. Les orientations théoriques et méthodologiques suivies tout au long de l’ouvrage relèvent de la sociolinguistique et de la didactique des langues, toutes les contributions convergeant sur une conception praxéologique du langage et sur sa dimension performative, en termes d’actions orientées vers un but, par le biais de méthodes plurielles. Enfin, une autre orientation fait l’objet des recherches présentées dans ce volume, à savoir la recherche collaborative, en partenariat entre acteurs et institutions qui travaillent sur la migration, posant ainsi la question de l’engagement du chercheur dans la société.

Le mode de présentation des contributions du volume permet de souligner les croisements disciplinaires et méthodologiques que les auteures ont bien montré dans leur introduction. Quatre volets comprenant trois chapitres chacun – hormis le premier volet, qui en compte deux – permettent de creuser des champs de recherche relevant de parcours migratoires et linguistiques, de discours politiques et institutionnels, de situations pratiques de médiation et de didactique sur la migration et par la migration, respectivement.

Les quatre sections sont précédées par le texte d’ouverture de Cécile CANUT, « Chercher sa vie »… Rester sur le qui-vive (pp. 25-39). À partir de son expérience didactique en salle de cours (diplôme universitaire « Hospitalité, Médiations, Migrations », Université Paris Descartes) sur la perception des étudiant-e-s à l’égard des nouveaux arrivants en Europe, l’auteure rappelle la plurivocité des nominations, des situations et des vécus de ces personnes, que le regard depuis l’Europe, tant de la politique que de la recherche, tendrait à homogénéiser et à uniformiser. CANUT propose une approche anthropographique pour appréhender les pratiques langagières de ces personnes en analysant leurs récits et les productions filmiques et littéraires qu’elles engendrent en contexte, plaçant le sujet dans son environnement et permettant au chercheur de « décoloniser » son regard. Le terrain d’enquête examiné est celui de l’Afrique de l’Ouest, notamment le Mali et le Cap-Vert, par rapport auquel sont pris-es en compte aussi bien ceux-celles qui partent que ceux-celles qui restent, les premier-e-s construisant un ethos face aux second-e-s, où la variation de genre a également une part essentielle. Cela témoigne du travail de co-construction de la recherche comme activité qui ne soit pas une fin en soi et qui contribue à éviter de perpétuer des schémas de perception européens ou « néo-coloniaux ». La production filmique autour de la mobilité permet à l’auteure d’examiner la relation entre mort et religion (musulmane), liée à la notion de « chance », et le positionnement subjectif qui affleure des discours des voyageurs (dont la plupart sont des hommes), qu’on peut rapporter au concept du « qui-vive » en tant qu’attention active de la personne qui part, à la fois « lecteur » et « interprète » de signes pour faire émerger sa chance. L’intérêt de la recherche anthropographique consiste alors, comme CANUT le remarque dans ses conclusions, à comprendre la complexité de l’analyse de la production sémiotique du sens et la volonté de celui-celle qui part de « chercher sa vie » et/ou « chercher sa chance », mais aussi à engendrer un respect profond envers ces personnes pour changer le regard européen vis-à-vis de la migration africaine.

La première partie du volume, Répertoires plurilingues et parcours migratoires (pp. 41-76), se compose de deux chapitres qui étudient les migrations africaines vers la France et vers l’île de Sal et les pratiques langagières et socio-discursives qui les accompagnent.

Dans le Ch. 1er, Des travailleurs immigrés aux mineurs non accompagnés. Évolution et diversité des pratiques langagières dans les migrations africaines en France (1945-2020) (pp. 43-57), Fabienne LECONTE propose une étude longitudinale sur les migrations africaines de l’Ouest depuis la Seconde guerre mondiale vers la France, notamment la région rouennaise, pour observer l’évolution et les transformations surtout langagières qui relèvent des langues maternelles parlées par ces personnes dans leur parcours migratoire et dans leur installation en France, ainsi que de l’arabe (dans une fonction religieuse) et du français, pour montrer que leur migration se diversifie avec le temps. Le parcours présenté, qui suit l’ordre chronologique, s’appuie sur une méthodologie basée sur l’enquête sociolinguistique et l’analyse des journaux de bord des adolescents. Si la première période étudiée est caractérisée par une migration surtout masculine et jeune, peu lettrée et peu qualifiée, où le plurilinguisme en langues africaines et la maîtrise du français oral sont de mise, les crises des années 1970 et le début du regroupement familial ouvrent de nouvelles dynamiques. D’une part, les institutions français tendent à scolariser les travailleurs au chômage pour leur permettre d’être employés dans le tertiaire ; de l’autre, l’arrivée des femmes crée de nouveaux besoins de communication, d’où la formation d’interprètes-médiatrices recrutées au sein de cette nouvelle population arrivée en France. La période qui va des années 1990 jusqu’à la moitié des années 2010 est caractérisée par une diversification des migrations en termes générationnels, sociaux et géographiques, et le français pénètre même à l’écrit grâce aux enfants scolarisés des familles installées, aux femmes et à la scolarisation dans les pays d’origine pour certains nouveaux groupes arrivés en France. Le français est alors perçu comme une langue de prestige mais, bien que, dès le début des années 2000, la maîtrise du français devienne juridiquement obligatoire pour résider dans le pays, cette langue cohabite avec celles des pays d’origine en raison du développement des outils de communication à distance. C’est la dernière phase, scandée par l’arrivée de mineurs non accompagnés (2015-), qui constitue le domaine d’étude le plus diversifié et le plus récent : si leur prise en compte n’est pas encore toujours homogène, la maîtrise du français est liée à une scolarisation variant selon l’origine géographique. La présentation d’une expérience d’accueil de ces jeunes à l’Université de Rouen permet à l’auteure de montrer que leur parcours migratoire et leur installation dans le pays d’accueil sont douloureux et difficiles à raconter. De leur côté, les institutions françaises visent pour la plupart à orienter ces jeunes vers des formations professionnelles et vers des métiers manuels en dépit de leurs attentes et aspirations.

Le Ch. 2, rédigé par Caroline PANIS, s’intéresse aux pratiques migratoires de personnes en provenance de l’Afrique continentale et aux dynamiques sociales au Cap-Vert (La migration des discours. Contribution de la sociolinguistique politique à l’étude des pratiques migratoires et des dynamiques sociales à Sal (Cap-Vert), pp. 59-76). La collecte des récits de migration de travailleurs migrants à Sal, petite île de l’archipel cap-verdien qui jouit d’un contexte économique et politique stable, favorisant les migrations, permet à l’auteure d’aborder le « discours autre ». Le discours rapporté y est en effet fréquent et souligne l’importance attribuée à la parole des autres, en termes d’implication langagières, sociétales et politiques liées à la circulation des discours. Pour identifier des traces d’hétérogénéité énonciative dans ces récits, le point de départ est représenté par la sociolinguistique politique, en particulier la dimension discursive des pratiques langagières, qui permet d’étudier ces pratiques en tant qu’actes langagiers reflétant et agissant sur le social. La population examinée par PANIS est constituée par des migrants ouest-africains continentaux qui sont utilisés comme main-d’œuvre bon marché ou qui sont au chômage. À partir de l’observation de quatre extraits de conversation, elle identifie des traces d’hétérogénéité représentée ou montrée dans les pratiques discursives de ces migrants africains continentaux. Malgré le maintien d’un interdiscours positif sur l’archipel et la narration de récits migratoires de succès auprès de ces migrants, ceux-ci sont en fait discriminés, même ghettoïsés par les autochtones. Ils cachent ainsi l’échec réel de leur migration à ceux-celles qui sont resté-e-s dans le pays d’origine, alimentant une perception distordue de ces pratiques migratoires.

La deuxième partie du volume, Discours politiques et institutionnels : circulation, contestation, comprend trois chapitres qui étudient les migrations dans le contexte français et franco-belge.

Dans le Ch. 3, La dialectique humanité-fermeté dans les discours politiques et médiatiques sur l’immigration (2007-2018) (pp. 79-100), Marie VENIARD examine les formulations relevant de la « dialectique entre humanité et fermeté, ou pragmatisme » dans le cadre de la loi « Asile et immigration » du 10 septembre 2018, pour décrire cette dialectique selon les deux modes d’actualisation de la formule et de l’élaboration. À l’appui des travaux sur l’effacement de la conflictualité dans les discours institutionnels, que l’auteure relie au positionnement du parti présidentiel (La République en marche), son attention est focalisée sur la manière dont cette volonté de dépasser les oppositions traditionnelles entre partis est opérée au niveau langagier. Poursuivant la ligne déjà tracée de « la neutralisation du dissensus » dans les discours d’autorité et de la recherche d’une « rhétorique de l’équilibre », le domaine de la phraséologie élargie permet à VENIARD de relever la dialectique entre la séparation des éléments reliés et la conciliation des unités à relier. À partir de deux corpus, dont l’un, fermé, est circonscrit à quatre discours d’Emmanuel Macron, l’autre, ouvert, comprend des rapports sur des projets de loi sur l’immigration, des tweets, des discours politiques, des documents institutionnels, des articles journalistiques, datant de 2003 à 2018, les exemples présentés montrent que cette dialectique peut apparaître sous un mode formulaire, composé de noms ou d’adjectifs juxtaposés ou coordonnés, typique surtout des tweets, ou bien sous un mode élaboré, par le biais d’une concession établissant une hiérarchie entre les deux arguments, que l’on retrouve dans toute production discursive. Si, dans le premier cas, la relation entre les éléments reliés est implicite, dans le second, elle est explicite et cristallise enfin l’opposition entre « humanité » et « fermeté ». Dans la dernière partie du chapitre, l’auteure identifie les stratégies pour neutraliser ou contester cette opposition : tel est le cas de la neutralisation explicite et de l’ensemble des stratégies utilisées pour « tricher la langue », visant à subvertir l’ordre hiérarchique imposé par la concession. Comme VENIARD le souligne dans ses conclusions, cette recherche confirme le bien-fondé et le caractère généralisable des études sur les syntagmes comportant une contradiction et sa possible résolution, mais aussi le rôle essentiel joué par la concession et l’étude des formes utilisées pour montrer une « rhétorique de l’équilibre ».

Le Ch. 4, Les langages de la contestation. Comparaison de deux campagnes de défense des droits des migrants en France et en Belgique (pp. 101-119), porte sur une comparaison entre deux campagnes de défense promues par la société civile, consacrées aux droits des migrants dans deux contextes – français et belge –, pour y examiner les langages de la contestation affichés par la société civile depuis 2017 à l’encontre des politiques de contrôle migratoire menées par les gouvernements français et belge. Damien SIMONNEAU étudie la manière dont ces mouvements sociaux cherchent à contre-cadrer les enjeux migratoires en termes discursifs, produisant un discours alternatif aux discours politiques et médiatiques dominants. L’analyse textuelle d’un corpus d’interventions médiatiques et de publications autour des récits sur le contrôle migratoire lors du lancement de ces campagnes – les États généraux de la migration pour la France; Pour une justice migratoire pour la Belgique – lui permet d’observer les conditions de production de ces récits dans une perspective ethnographique. Il émerge que les contre-discours sur la migration portés par ces deux campagnes diffèrent sur le contexte de mobilisation – l’enjeu de démocratisation des politiques migratoires en France et les enjeux de développement et d’égalité en Belgique – en raison surtout de facteurs propres aux cultures militantes des deux pays et de l’impossibilité d’inscrire les contestataires dans un même groupe. C’est ainsi par la combinaison entre l’analyse discursive et la méthode d’immersion sur le terrain qu’il est possible de relier les discours à leur contexte de production et de faire comprendre la cause des migrants contemporaine.

La dernière étude de cette section, L’intégration et l’assimilation par la langue dans la législation et les argumentaires politiques en France (Ch. 5, pp. 121-135), rédigée par Coraline PRADEAU, porte sur l’apprentissage de la langue française auprès des populations migrantes en tant qu’enjeu central des politiques d’immigration nationales en termes juridiques, politico-institutionnels et dans une perspective globale européenne. Après avoir parcouru l’histoire de « l’invention du critère de la langue » en termes de législation linguistique – depuis la Loi du 10 août 1927 sur la nationalité jusqu’à la réforme de 2011, adossant le niveau de connaissance du français au CECRL, en passant par le critère de l’« intégration républicaine » introduit par la Loi du 26 novembre 2003 –, l’auteure étudie les rapports institutionnels du Haut Conseil à l’Intégration et les argumentaires politiques construits autour des termes « intégration », « insertion » et « assimilation ». Si elle relie l’accélération de ces législations, dès 2000, à des raisons d’ordre sécuritaire au niveau national, elle renvoie l’instauration du contrat d’intégration et des critères linguistiques liés à son obtention dans le cadre du CECRL au niveau européen. Elle rapporte les choix du gouvernement français à des modèles issus d’autres pays européens, que la France emploie pour légitimer son action : les Pays-Bas et le Danemark, mais également l’Allemagne, à laquelle Jacques Chirac d’abord, Nicolas Sarkozy ensuite s’inspirent pour élaborer des mesures nationales à cet égard. Dans ses conclusions, PRADEAU rappelle donc que les choix politiques français en matière de droit de la nationalité associé à la connaissance de la langue sont d’abord inscrits dans le droit colonial pour être ensuite transférés au droit « métropolitain » et enfin adossés au niveau européen par les critères du CECRL.

Dans la troisième partie de cet ouvrage, intitulée Accompagnement des immigrants, interactions et institutions en pratique, les auteur-e-s abordent des situations de médiation sur le terrain, en France, à propos de la maîtrise de la langue par des populations migrantes et dans des contextes différents.

Le Ch. 6, Le patient, le médecin et l’interprète dans les consultations médicales d’expertise pour la demande d’asile (pp. 139-161), aborde la question de l’interprétariat couplée à l’accès aux soins de la part des demandeurs d’asile en France, dont la plupart sont non francophones. Cette étude s’inscrit dans la recherche ANR-Remilas (Réfugiés, MIgrants et leurs LAngues face aux services de Santé), que Nicholas CHAMBON, Patricia LAMBERT, Anna Claudia TICCA et Véronique TRAVERSO ont conduite dans des situations de soin, auprès des médecins de la structure « Médecine et Droit d’Asile » (MEDA), avec des personnes migrantes allophones. À partir d’une approche pluridisciplinaire associant l’enquête sociologique, l’approche ethnographique et des analyses interactionnelles multimodales inspirées de l’analyse conversationnelle, et après avoir souligné la mission des médecins bénévoles de l’association MEDA, consistant à rédiger un certificat médical témoignant des violences psychologiques subies par des demandeurs d’asile repoussés, est rappelé le rôle essentiel des interprètes dans ce travail. Ces dernier-e-s doivent renforcer la cohérence du récit de requérant pour que l’expertise à produire assure la crédibilité du certificat, participant au travail de « quête-enquête » de preuves tangibles et contribuant à objectiver le traumatisme subi. Par la présentation des aspects détaillés de ces consultations médicales non thérapeutiques à partir d’extraits qui expliquent la manière dont se déroule l’interaction, les auteur-e-s font émerger des situations plus ou moins typiques ou récurrentes lors des différentes phases de la consultation : la lecture par le médecin des documents apportés par le requérant ; les échanges entre le médecin et le requérant à propos des descriptions des blessures ; la rédaction du certificat. À chaque phase, le travail de l’interprète est souvent essentiel mais à la fois complexe en raison des enjeux qui lui sont posés : une mauvaise compréhension des mots du requérant engendrant de possibles traductions imprécises ; la traduction en simultané de certains passages prononcés par le médecin ; le choix de l’explication par rapport à ce que fait le médecin ; l’aide à la sélection et à la rédaction des aspects retenus pour le certificat. Ces tâches montrent ainsi une complexification de son travail mais également le besoin par les institutions d’actions de formation et de sensibilisation des professionnels pour améliorer la collaboration entre les intervenants en santé et les interprètes professionnels.

L’enquête de terrain conduite par Cristina FIGUEIREDO sur trois garçons et une fille dans une Maison d’adolescents pour mineurs non accompagnés (MNA) fait l’objet du Ch. 7, Enjeux de la maîtrise de la langue française et de la parole chez les jeunes mineurs non accompagnés (pp. 163-178), concernant la manière dont il-elle-s expriment ou peinent à exprimer leurs désarrois en français, dans leur langue maternelle ou dans une langue vernaculaire. L’auteure expose d’abord des paradoxes qui sont liés à la prise en charge et aux catégorisations médicales et politiques de ces jeunes, consistant en une attribution de l’âge qui est apparemment en contraste avec les langues connues, pouvant engendrer même un refus de leur prise en charge dans le cadre de la scolarisation obligatoire, mais aussi leur prise en charge ralentie ou non adéquate, dont les retombées pèsent sur les MNA mêmes, ainsi que sur le travail des services de la protection de l’enfance. Les incertitudes des institutions à l’égard de ces jeunes affectent le travail éducatif conduit en raison de l’« injonction » au français et de l’indifférence à l’égard de toute autre langue et culture, tout comme le statut même de ces jeunes, qui ne sont pas considérés comme des adolescents. D’où des situations de détresse, que FIGUEIREDO témoigne par son expérience sur le terrain, effectuée en consultation pédopsychiatrique, à savoir un service vers lequel les MNA peuvent s’acheminer, avec ou sans interprète. À partir de leurs récits, l’auteure confirme la diversité des situations présentées, due aux parcours personnels et culturels de chaque jeune, mais aussi aux effets de la langue et de l’expression sur les MNA en termes de souffrance, de désemparement, de désocialisation, de confusion, au-delà de la langue française, dont la maîtrise ne permet pas de sortir de la précarité.

Le Ch. 8, Que signifie apprendre le français pour les mineurs non accompagnés suivis à la Protection judiciaire de la jeunesse ? Enjeux et contextualisation des questions langagières (pp. 179-197), qui clôt cette section, est également consacré à l’apprentissage du français de la part des MNA. À partir de l’observation d’ateliers consacrés aux MNA et d’une Unité Éducative d’Activités de Jour, Michelle AUZANNEAU et Malory LECLÈRE proposent des réflexions sociolinguistiques et didactiques sur ceux-celles qui travaillent dans le cadre de l’enseignement/ apprentissage de la langue française pour les MNA, qui est une condition requise par la Protection judiciaire de la jeunesse. Leur objectif est de chercher à répondre aux besoins en éducation qui émergent du milieu professionnel et politique de ces expériences, et en formation des travailleurs sociaux par rapport à cette catégorie juridique si hétérogène. Aux difficultés des acteurs professionnels concernés s’ajoutent le durcissement des politiques migratoires et l’augmentation des MNA en France avec leurs spécificités, y compris les problèmes d’intercompréhension dus à une connaissance non homogène ou à la méconnaissance du français. Or, des structures de formation adéquates pour les jeunes entre 16 et 18 ans font défaut, d’où, selon les auteures, l’urgence de prendre en compte la question langagière, qui représente un pilier de socialisation et d’intégration réussie. Cela permet à AUZANNEAU et LECLÈRE d’attirer davantage l’attention sur la dimension didactique, qui ne peut être bien appréhendée qu’en considérant le contexte et en engageant la discussion sur la réflexion autour des représentations de l’apprentissage de la part des éducateur-trice-s et de l’apprentissage des langues. Il est alors essentiel d’élaborer un projet éducatif tant individuel que collectif entre le mineur et l’enseignant, en ajustant les séances en fonction de la complexité du contexte, dans une approche collaborative.

Le besoin en formation des enseignant-e-s et des éducateur-trice-s ouvre la voie au thème de la quatrième et dernière partie du volume, Pratiques de formation et formation d’enseignants de langue.

Le Ch. 9, Quand des formateurs et formatrices linguistiques parlent d’« intégration » : production de sens et investissement sémantique (pp. 201-220), rédigé par Maude VAUDOT, porte sur l’analyse de discours produits par des professionnel-le-s de la formation linguistique des adultes étranger-e-s en situation post-migratoire en France. Le but est de vérifier l’existence de normes et de valeurs partagées dans le secteur pour circonscrire la dimension éthique de la professionnalisation de ces acteurs. Si les origines de ces formations remontent aux années 1950, le premier dispositif national prévu par l’État français en matière de formation linguistique des adultes allophones relève des dispositions du Contrat d’Accueil et d’Intégration de 2003. À l’époque, une stabilisation dans le cadre de la politique d’accueil et d’intégration, une rationalisation au plan économique et une homogénéisation partielles de l’accompagnement linguistique des adultes en situation post-migratoire voient le jour. L’étude des entretiens de dix-sept formateur-trice-s, à l’appui d’une démarche inspirée par l’analyse de discours à entrée lexicale, permet à l’auteure d’analyser les actualisations de la famille lexématique d’« intégration » dans le corpus. Il émerge que leur ethos est marqué par l’incertitude plutôt que par une position d’expertise revendiquée – par la biais de manifestations du « dire difficile » – et que la présence du lexème « intégration » y est pour la plupart problématique, voire rejetée. Des problèmes sont également soulevés par la combinaison de ce lexème avec celui de « langue », l’attribution de la source énonciative étant souvent non identifiée ou identifiée avec l’« autre ». Quant à l’investissement sémantique du lexème « intégration », l’auteure propose une échelle pour mesurer le sentiment d’intégration en vertu des critères mobilisés par les adultes en situation post-migratoire : l’appui sur l’agentivité et les responsabilités, effectué à partir de la sémantisation en « (pouvoir) faire » et en « être/ ressentir » témoigne de la responsabilité de ces personnes plutôt que de la société d’accueil et de ses institutions. Dans la dernière partie de l’étude, VAUDOT s’intéresse au rapport entre langue et intégration, et entre valeurs et intégration : les positionnements issus de la mise en mots de ces rapports soulignent que des exigences institutionnelles sous-tendent le dire de ces expert-e-s, mais aussi qu’il-elle-s construisent une identité professionnelle de médiation pour faciliter le développement de compétences langagières auprès du public formé.

Dans le Ch. 10, La part langagière des migrations à l’école. Dynamiques des langues et du langage dans les classes plurilingues au travers de la lecture d’albums de jeunesse (pp. 221-235), Nathalie AUGER et Carole FLEURET examinent la plurilittératie et des albums de littérature de jeunesse à l’école primaire dans des établissements francophones dans le cadre de l’enseignement/ apprentissage. À partir d’un ancrage méthodologique inscrit dans la didactique des langues et des cultures, dans l’analyse des interactions en salle de classe, dans la sociolinguistique et dans les rapports de force entre langues, les auteures proposent une approche empirique pour rendre compte de leur recherche longitudinale intersite en France et au Canada (financée par le Conseil de recherche des sciences humaines du Canada), entre 2016 et 2018, dans deux contextes sociolinguistiques où la langue française jouit d’une position de langue majoritaire – France – ou minoritaire – Canada. Dans leur analyse, basée sur les discours des enseignant-e-s à l’égard du plurilinguisme des élèves et sur la manière dont celui-ci est abordé en salle de classe, elles soulignent la place accordée aux langues connues par les élèves migrants et à celles qui sont prévues par les programmes d’enseignement spécifiques de scolarisation des enfants migrants. Elles montrent que la réussite scolaire de ces enfants est fragilisée, entre autres, par une formation insuffisante des enseignant-e-s au multiculturalisme et à l’interculturel qui risque de creuser les inégalités scolaires. Pour prendre en compte la diversité des élèves, AUGER et FLEURET s’appuient sur des albums plurilingues de littérature de jeunesse, à savoir des outils par lesquels ces enfants ont recours à leurs répertoires plurilittératiés et à leurs histoires de vie. L’expérimentation conduite sur les enseignant-e-s et sur les élèves dans les deux pays, sur l’exemple de l’album de jeunesse Le magasin de mon père, permet de constater l’existence d’une dynamique interactionnelle qui s’avère être féconde pour le développement des apprentissages à partir d’espaces de communication créés par les enseignant-e-s. Dans la dernière partie du chapitre, par le biais des entretiens de deux enseignantes, les auteures confirmer que, face à ces difficultés, il faut entreprendre des activités de co-construction d’une communauté de pratique combinant une approche multimodale et des textes théoriques.

Le onzième et dernier chapitre du volume, La compréhension écrite en L2 : le cas des élèves allophones et des textes expositifs en histoire et géographie (pp. 237-253), traite des élèves allophones dans le contexte scolaire français du premier degré. À partir de son expérience de formatrice, Laurence CORNY examine la compréhension écrite en français langue seconde (FLS) de la part d’apprenants en formation. Ses réflexions, qui s’appuient sur la didactique du FLS en contexte scolaire, portent sur le travail didactique de médiation de l’enseignant-e pour favoriser la compréhension des manuels scolaires d’histoire et géographie par les élèves allophones. L’objectif est de chercher à réduite la dissonance entre les compétences de ces élèves et celles qui relèvent de la compréhension écrite dans les deux disciplines ciblées. Puisqu’en France, dans le contexte de la scolarisation des élèves allophones à l’école élémentaire, sont sollicitées des compétences littératiées, le manuel scolaire joue un rôle essentiel. CORNY propose de distinguer, parmi les manuels d’histoire et géographie, le « document » et le « savoir de référence », à savoir les deux éléments textuels constitutifs de la leçon. C’est le « savoir de référence » qui en est la composante centrale via le texte expositif, mais il s’avère être un objet difficile à cerner par les élèves allophones. D’où un dispositif de médiation basé sur une médiation pédagogico-didactique entre l’élève, l’enseignant-e et le savoir mobilisé pour favoriser la compréhension des textes expositifs par les élèves allophones. Les avantages de ce dispositif, qui prévoit que le travail de médiation de l’enseignant-e puisse porter sur plusieurs activités langagières, permettent à CORNY de confirmer que la convergence de recherches théoriques et d’expérimentations sur le terrain est féconde tant pour la didactique du français langue seconde pour des élèves allophones que pour la didactique du français comme langue maternelle en vertu des potentielles difficultés qui pourraient concerner tout type d’élève.

Les recherches conduites par les dix-huit auteur-e-s qui ont contribué à ce volume montrent que la pluridisciplinarité des approches et des recherches doit recevoir une attention particulière lorsque les domaines auxquels elle s’applique concernent le langage, le fait migratoire, leurs enjeux et leurs influences réciproques. Cette publication contribue donc à constituer le champ de recherche des études migratoires et à l’élargir par rapport aux migration studies en langue anglaise.

[Alida M. SILLETTI]

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