Davy BIGOT, Le bon usage québécois. Étude sociolinguistique sur la norme grammaticale du français parlé au Québec

di | 27 Febbraio 2022

Davy BIGOT, Le bon usage québécois. Etude sociolinguistique sur la norme grammaticale du français parlé au Québec, Presses de l’Université Laval, Québec, 2021, pp. 229.

Dans cet ouvrage, qui est une version remaniée de la thèse de doctorat de l’auteur, soutenue en 2008 à l’UQAM, Bigot s’interroge sur l’existence d’une norme du français québécois parlé et sur ses caractéristiques. Sa démarche s’inscrit dans une perspective sociolinguistique variationniste et le corpus analysé comprend les enregistrements d’une émission télévisée constituée d’entrevues formelles : Le point (107 entrevues, 2003-2005), dans lequel 18 variables ont été examinées.

L’ouvrage est organisé en trois sections : la première fournit un panorama de la question de la norme en contexte francophone, la deuxième situe la question de la norme linguistique au Québec et la troisième se concentre sur la norme grammaticale de l’oral soutenu au Québec sur la base de l’analyse de corpus citée ci-dessus.

Le chapitre I est donc consacré à la norme de plusieurs points de vue : sociologique, linguistique et sociolinguistique. En sociologie, la norme – ou plutôt les normes – est un ensemble de valeurs communes qui constitue un mécanisme de régulation de la vie sociale et qui affecte les habitudes langagières des individus et des groupes. Sous son aspect linguistique, la notion de norme est présentée dans son évolution historique, à partir de la tradition des grammairiens indiens et des grammairiens gréco-latins, pour arriver à la tradition française, qui commence au XVe siècle. Après une période où le bon usage du français était celui qui se rapprochait le plus du latin ou du grec, ce n’est que plus tard que celui-ci coïncide avec un emploi raffiné de la langue, par le biais de stratégies rhétoriques : Vaugelas va alors s’intéresser à la norme de la langue parlée qu’il identifie avec la langue de la classe dominante, la cour. L’Académie française en laisse une trace avec ses dictionnaires, dans lesquels la notion de bon usage évolue du français des « honnestes gens » à celui des écrivains ; toutefois, c’est l’Académie elle-même qui en reste l’arbitre. Au XXe siècle, c’est le traité de Grevisse, fondé sur un corpus de textes littéraires, qui s’impose et qui reste aujourd’hui encore la référence normative par excellence.

Dans la troisième partie de ce premier chapitre, qui aborde la question de la norme d’un point de vue sociolinguistique, Bigot adopte la définition de communauté linguistique fournie par Chevillet (1991 : 19), selon laquelle cette dernière serait un « ensemble de locuteurs étant déterminé par l’axe géographique (stratification horizontale), l’axe social (stratification verticale) et l’axe affectif constitué par son environnement » (p. 23). Une communauté linguistique ainsi définie va donc élaborer au fil du temps sa norme linguistique, qui peut être objective, subjective ou encore prescriptive, cette dernière rejoignant la notion de langue standard, c’est-à-dire la norme de référence pour une communauté linguistique donnée. Cet état des lieux sur la notion de norme est suivi d’une présentation du phénomène de la variation et des facteurs sociaux qui en sont à l’origine, qui s’inspire de plusieurs études (notamment anglo-étatsuniennes) sur le sujet.

Le chapitre II se focalise sur la question de la norme au Québec, en commençant par une présentation de l’histoire du français québécois depuis le Régime français jusqu’à nos jours. A l’époque de la Nouvelle-France, les études de Poirier semblent démontrer que les premiers immigrants étaient majoritairement francophones et que c’est à partir de la variété de français populaires, notamment de la moitié nord de la France, que s’est constitué le français québécois.

Plusieurs études corroborent, selon Bigot, l’hypothèse que les premiers colons parlaient un français très proche, voire identique, au français de Paris, du moins sous l’aspect phonétique, alors que pour la syntaxe les témoignages sont moins nombreux. Par contre, au XVIIe siècle apparaissent déjà les premiers québécismes lexicaux, tels qu’achaler ou amarrer. Ce n’est qu’après la conquête anglaise que commencent les travaux de description du français canadien, notamment dans sa dimension lexicale : après cela, Vigier, Maguire, Dunn et Clapin, entre autres, emploient une approche prescriptive qui fait référence à la norme parisienne. L’anglicisation de la langue s’intensifie après 1850, à cause notamment de l’industrialisation et touche toutes les classes sociales francophones. C’est à ce moment-là que nait, chez les anglophones, le mythe négatif du French Canadian patois et qu’en même temps les francophones eux-mêmes décrient la qualité de la langue au Québec. Les premières associations pour la promotion de la langue française voient le jour dans les années 1900, ainsi qu’une combinaison de plus en plus étroite entre langue et religion catholique. Les prêtres sulpiciens provenant de Paris ont eu, selon Bigot, un rôle important dans la préservation du français parlé.

La troisième partie du chapitre II se concentre sur la question linguistique à partir de la Révolution Tranquille, en traçant un panorama socio-historique de la fin des années 1950 à aujourd’hui et en abordant ensuite la querelle du joual et les travaux d’aménagement linguistique. La question du joual, langue identitaire ou langue barbare et primitive selon les différentes perspectives, arrive sur la scène en 1960, persiste pendant toute la décennie et refait surface dans les années 1990. Toutefois, selon Bigot, il n’existe aucune définition ni consensuelle ni linguistique du joual, qui peut être défini comme la variété de français parlé par les classes ouvrières de Montréal ou bien le registre populaire du français québécois. A partir des années 1960, les commissions sur la question linguistique, puis les lois qui se succèdent, modifient profondément le statut du français au Québec. Ce processus va culminer avec la promulgation de la loi 101 en 1977 par le gouvernement Lévesque, qui fait du français la seule langue officielle au Québec. L’Office de la Langue Française et le Conseil de la Langue Française jouent, eux aussi, un rôle important dans l’aménagement linguistique, mais leur action se cantonne essentiellement au lexique et à la terminologie. Si la qualité de la langue au Québec est longuement débattue, il n’en reste pas moins qu’une norme du français québécois n’est pas encore établie au début des années 2000.

Enfin, la quatrième partie du chapitre II se consacre à la question de la norme du français québécois : après avoir examiné les différentes propositions de norme et les études à partir des années Soixante, Bigot propose que : « le problème de la norme du français parlé au Québec peut être résolu en proposant que le français parlé par l’élite sociale et culturelle du Québec en situation de communication formelle soit le modèle qui se  rapproche le plus de ce qui peut être défini comme norme, au sens du bon usage, du français québécois oral. Par élite sociale et culturelle du Québec, j’entends les personnes dont la position sociale est élevée et dont la profession relève du domaine public, ce qui leur assure ainsi une cote maximale sur le marché linguistique. On peut prendre pour exemples les avocats, les responsables d’entreprises, les professeurs, ou encore les sportifs de haut niveau, etc. » (p. 103). L’auteur examine ensuite dans le détail les différentes dimensions linguistiques de cette norme, en commençant par le lexique, sur lequel la discussion commence au Québec dès le XIXe siècle, et trace un panorama de la production lexicographique québécoise ainsi que des polémiques qu’elle a engendrées. Après le lexique, Bigot aborde la norme de la prononciation du français québécois. Si le modèle Radio-canadien, plutôt tournée vers le français « international », voire parisien, ne fait pas l’unanimité chez les linguistes, alors qu’il semble être une référence pour la population, celui proposé par Ostiguy et Tousignant se rapproche davantage de l’usage québécois. Une étude plus récente (Reinke 2005) semble démontrer qu’il existe un modèle standard de prononciation québécoise adopté par toutes les chaines de télévision publiques et privées. En fin de chapitre, Bigot propose que « la norme, à l’oral, soit basée sur le parler de l’élite sociale et culturelle québécoise en situation de communication soutenue » (p. 122).

Le troisième chapitre constitue la partie originale de l’ouvrage, à savoir une étude de corpus qui analyse 18 variables, et dont le but est « de brosser un premier portrait de la grammaire du français québécois oral soutenu à partir de données empiriques » (p. 123), afin de vérifier si la norme de référence est celle du « français international » et du Bon Usage de Grévisse et Goosse, ou s’il existe une norme québécoise s’étant développée au fil des décennies. Le corpus est constitué « d’entrevues journalistiques diffusées dans l’émission Le point, qui, jusqu’en juin 2006, faisait suite au Téléjournal de 22 heures de Radio-Canada » (p. 129), enregistrées entre avril 2003 et novembre 2005 (107 entrevues, 131 800 mots). Les variables sexe, catégorie d’emploi et âge ont été considérées. Les variables retenues sont les suivantes : les pronoms démonstratifs, les pronoms forts, dont vs que dans les relatives indirectes, quand vs quand que, tout et tous en /tUt/, le participe passé de faire, l’expression du conditionnel, l’expression du futur, avoir et être devant les verbes de mouvement, le présentatif (c’est vs ce sont), les interrogatives directes, les interrogatives indirectes, la double négation, j’vais vs j’vas, le l non étymologique après ça, l’expression de la conséquence, l’expression de la restriction. Bigot conclut de son étude que les formes vernaculaires comptent pour 18,7% du total des formes, mais que la plupart appartiennent à deux catégories : le futur périphrastique et c’est + argument pluriel, qui seraient devenues des « variantes normatives officieuses » (p. 189). Ceci démontrerait que la norme du français québécois formel est largement calquée sur la norme du bon usage européen. En conclusion, Bigot souligne « qu’il existe une norme du français québécois qui diverge de celles des autres pays francophones sur les plans de la prononciation et du lexique, mais qui converge vers un modèle plus commun à l’ensemble de la francophonie pour ce qui est de la grammaire » (p. 197).

Cet ouvrage constitue une synthèse utile sur le concept de norme et sur la question de la norme du français québécois, mais il montre encore un peu trop qu’il était à l’origine une thèse de doctorat et manque par moments de mise à jour des références. Certaines affirmations restent peu étayées (en quoi les locuteurs choisis sont-ils représentatifs de l’élite économique et culturelle québécoise, par exemple ?) et l’auteur oscille parfois entre une approche descriptive et une approche normative.

[ANNA GIAUFRET]

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