Gaétane DOSTIE, Agnès TUTIN (éds), Les phrases préfabriquées : sens, fonctions, usages

di | 25 Febbraio 2022

Gaétane DOSTIE & Agnès TUTIN (éds), Les phrases préfabriquées : sens, fonctions, usages, Cahiers de lexicologie, n°114(1), 2019, pp. 299

Les contributions de ce numéro des Cahiers de Lexicologie, « Les phrases préfabriquées : sens, fonctions, usages » se situent dans la droite lignée des études de phraséologie pragmatique, qui se multiplient depuis quelques années, portant à l’attention des phraséologues les phrases contraintes au niveau interactionnel. Ayant constaté que la multiplication des études en phraséologie s’est accompagnée d’une certaine effervescence terminologique, et que celle-ci a entraîné des débats qui ont mis en question la notion de figement (ainsi que la notion complémentaire de semi-figement), la notion de préfabrication est mobilisée pour rendre compte d’une sous-classe de phrasèmes, dont la forme prototypique se caractérise par quelques propriétés générales, que Dostie et Tutin résument dans l’Introduction (p. 14). L’identification de ces propriétés générales ne rend pas moins complexe la délimitation de cette nouvelle catégorie, encore peu étudiée et ultérieurement divisible en un nombre considérable de sous-classes, pour lesquelles seules certaines propriétés demeurent valables.

Les deux notions de ‘phrase’ et de ‘préfabrication’ sont examinées et définies par Dostie (« Paramètres pour définir et classer les phrases préfabriquées. La vengeance est un plat qui se mange froid. Bon appétit ! ») afin d’identifier des paramètres et ainsi dégager les critères pour un classement des phrases préfabriquées. En particulier, partant du principe que « les PhP servent fondamentalement des besoins communicationnels » (p. 36), Dostie s’appuie sur le schéma interactionniste, tel que le synthétise Kerbrat-Orecchioni, pour identifier des paramètres et des questions, qui sont au fondement de sa classification tripartite, sur base fonctionnelle, en phrases représentationnelles, phrases structurelles et interpersonnelles, et phrases expressives. Ces trois catégories sont décrites, présentées et divisées en sous-classes. Dostie souligne la pluridimensionnalité des catégories relevées et précise que des sous-classements ultérieurs seront possibles, lorsque des analyses plus approfondies pourront être menées sur des corpus larges, reflétant les divers usages de la langue et les différents styles communicatifs.

Dans son article « Phrases préfabriquées des interactions : quelques observations sur le corpus CLAPI », Agnès Tutin s’attache à relever les typologies de phrases préfabriquées récurrentes dans les interactions. Pour ce faire, elle mène une analyse systématique d’un sous-ensemble de textes du Corpus des Langues Parlées en Interaction (CLAPI), privilégiant deux types d’interactions : les interactions privées et les interactions dans des petits commerces. Tutin s’appuie sur une classification des phrases préfabriquées des interactions (PPI) en plusieurs sous-types. Loin de vouloir proposer une classification exhaustive, Tutin souhaite proposer un encadrement simple des principales typologies, selon des critères syntaxiques, pragmatiques et sémantiques. Précisant que la typologie ne s’établit qu’en contexte et que des PPI spécialement fréquentes (comme ça va ou dis donc) sont polyfonctionnelles, Tutin distingue quatre types de phrases : les phrases à fonction métadiscursive, les phrases réactives, les pragmatèmes, les phrases situationnelles. L’analyse des résultats est donnée par fréquences totales (le type métadiscursif, sous-type conatif, s’avère être le plus productif), par sous-genres (les corpus des interactions commerciales montre la prédominance des pragmatèmes de politesse, face à la fréquence plus élevée de marqueurs conatifs, de négociation et des PPI à fonction expressive dans les interactions privées) et par type (les résultats contrastés et les différences entre les deux sous-genres examinés témoignent, selon Tutin, de la nécessité de prendre en compte la variation dans les corpus oraux). Tutin observe enfin le corpus sous l’angle syntaxique, arrivant à repérer des régularités, et plus spécialement des schémas qui s’avèrent être particulièrement productifs et liés à certaines fonctions pragmatiques.

Concevant la notion de PPI comme indispensable pour mieux cerner la notion de pragmatème, telle que la définissent Blanco et Mejri, Denis Le Pesant (« Suggestions méthodologiques et outils de traitement de corpus pour l’étude des Phrases Préfabriquées des Interactions ») s’intéresse dans cet article aux PPI métadiscursives, réactives et situationnelles, à savoir à des PPI qui ne sont pas des pragmatèmes. Le Pesant s’arrête dans un premier temps sur les défis que les PPI posent pour l’analyse pragmatique et sémantique, pour ensuite présenter les ressources (en ligne et papier) disponibles, qui recensent les PPI. S’appuyant sur ces ressources, Le Pesant opère un recensement des PPI autres que pragmatémiques, qui aboutit à la compilation d’une « liste « brute » », librement téléchargeable, nommée Dictionnaire Électronique des PPI. Une autre version de ce dictionnaire existe, implémentée à l’aide du logiciel NooJ (Dictionnaire NooJ des PPI). L’identification et la description du sens des PPI, ainsi que leur lemmatisation font obstacle à la constitution de ressources lexicographiques des PPI. La description du sens des PPI oblige à en détailler les circonstances énonciatives, ainsi que la dimension illocutoire et éventuellement émotionnelle. Si cela fait obstacle à la modélisation informatique, les outils de la linguistique de corpus aident à relever ce défi, en ce qu’ils permettent l’observation des PPI sur de grands corpus.

Ayant constaté l’existence de constructions productives, présentant des schémas formels récurrents, et obéissant à des contraintes sémantiques et syntaxiques comparables à celle du figement, Jean-Claude Anscombre (« Figement, lexique et matrices lexicales ») élabore la notion de matrice lexicale, qu’il conçoit comme l’association d’un invariant formel et d’un invariant sémantique. Après avoir repris et examiné des théories qui présentent des affinités avec sa notion de matrice lexicale (les schèmes phraséologiques de Zuluaga ; les Constructions de Goldberg ; les phrasèmes de Mel’čuk), Anscombre montre l’efficacité de cette notion en l’appliquant à des cas de phrasèmes (routines formulaires, proverbes). Sans nier le figement qui, dans un certain nombre de cas, se réalise authentiquement et ne peut être réduit à la notion de matrice lexicale, celle-ci a le mérite, selon Anscombre, d’envisager le figement selon une logique non binaire, comme hypothèse qui permet de relever la présence de « structures ‘prêtes à l’emploi’ » (p. 143), qui pourront éventuellement (mais non nécessairement) faire l’objet de figement.

Dans « Les « actes de langage stéréotypés » : essai de synthèse critique », Maurice Kauffer examine cette sous-catégorie de phrasèmes, soulignant l’importance de la différenciation entre les divers phraséologismes pragmatiques. Kauffer est notamment de l’avis qu’une différence doit être posée entre pragmatèmes et actes de langage stéréotypés, ces deux catégories étant en rapport de complémentarité et non d’opposition. Après avoir défini et délimité la sous-classe des actes de langage stéréotypés, Kauffer en souligne l’originalité, qu’il rattache à leur nature d’acte de langage, ainsi qu’à leur statut d’énoncé, qui explique le rapport étroit qu’ils entretiennent avec le contexte. Les brèves considérations lexicographiques que Kauffer expose en conclusion de son article s’inscrivent dans un projet visant à l’élaboration d’un dictionnaire des actes de langage stéréotypés bilingue français/allemand, destiné à la consultation et à l’apprentissage et présenté comme outil pouvant être utilement exploité, entre autres, par les traducteurs.

Marie Reetz (« La salutation épistolaire idéologique : Routines et identité au sein des correspondances de soldats japonais, 1931-1945 ») situe son article dans le prolongement d’une étude sur le fonctionnement idéologique du langage et du discours sous des régimes autoritaires. Le corpus est constitué de 105 correspondances rédigées entre 1937 et 1945 par des soldats japonais paysans et envoyées à leur proche depuis différentes lignes de bataille. Du sous-genre dominant dans ce corpus, la lettre du front, est examinée la partie de la salutation, routine ayant à la fois une fonction interpersonnelle et un fonctionnement idéologique, qui l’inscrit dans le discours de son époque. La circulation de ces routines, circonscrite à une époque définie et remplissant une fonction spécifique dans une situation communicative spécifique, montrerait que l’inscription des phrases préfabriquées dans le tissu lexical peut avoir lieu par interposition d’un sujet institutionnel. La créativité du locuteur pourrait s’inscrire ainsi dans un modèle temporairement fixé par une institution, telle l’armée.

Dans l’article « Qui se ressemble s’assemble : vers une classification des énoncés phraséologiques dénominatifs », Cristian Díaz Rodríguez s’appuie sur la notion de sens phraséologique et sur les fonctions primaires des énoncés (qualifiante ou classifiante) pour proposer une classification des énoncés sentencieux en quatre typologies d’énoncés phraséologiques dénominatifs : les énoncés locutionnels, les énoncés collocationnels, les énoncés proverbiaux locutionnels et les énoncés proverbiaux collocationnels. Cette quatripartition permettrait, selon Díaz Rodríguez, la mise en relation des sous-classes phraséologiques syntagmatiques avec leurs homologues supra-syntagmatiques. Cette relation est schématisée et montrée dans le tableau conclusif de l’article.

Antoine Gautier analyse dans son article (« Mèmes et snowclones : outre préfabrication et refabrication ») les mèmes langagiers, à savoir des séquences construites à partir d’un énoncé modèle et dont la diffusion est encouragée par l’Internet. Ainsi, un énoncé comme de quoi Sarkozy est-il le nom ? se fait schéma générique donnant lieu à un archimème. Après un aperçu des mêmes langagiers, Gautier en propose une amorce de typologie, selon le type de réplication (« avec ou sans mutation ») ou selon l’attestation (« avec ou sans « patient zéro » »). En situant le mème langagier entre préfabrication et refabrication, Gautier définit le snowclone (dont la structure comporte un schème syntaxique invariant, admettant des variables paradigmatiques à certaines places) comme l’archétype du mème langagier.

L’article de Guillaume Ciry (« Itinéraires de deux phrases préfabriquées, si je puis dire et si vous voulez : quand pouvoir régit dire mais que vouloir reste sans rection ») analyse les marqueurs discursifs si je puis dire et si vous voulez en tant que phrases préfabriquées résultant d’un mécanisme sous-jacent qui les a produites. S’appuyant sur des exemples tirés du corpus Frantext 1, Ciry montre qu’un premier patron (Si+Personne+Modal) a précédé le patron prototypique Si+Personne+Modal (+Infinitif). Sous un angle pragmatique, Ciry montre également que, malgré les divergences repérables dans l’évolution de ces deux marqueurs discursifs, ceux-ci partagent des points communs. En particulier, l’articulation discursive entre vouloir et pouvoir témoigne, selon Ciry, de la vitalité de la relation profonde que le patron de base mettait en évidence, avant la formation des marqueurs discursifs.

[Mirella PIACENTINI]

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