Geneviève HENROT SOSTERO (dir.), Archéologie(s) de la traduction

di | 3 Novembre 2021

Geneviève Henrot Sostero (dir.), Archéologie(s) de la traduction, Classiques Garnier (coll. « Translatio »), Paris, 2020, p. 303.

Dans son Avant-propos au volume, Geneviève Henrot Sostero détaille et circonscrit le champ des multiples études récentes sur “l’écrit en train de se faire” (p.8). Le processus dynamique de création analysé et interprété dans ses différents stades et strates chronologiques, à la croisée de plusieurs disciplines complémentaires parmi lesquelles la psychologie, la linguistique et la critique génétique des textes littéraires en particulier. Il s’agit d’appréhender et de comprendre “l’extrême complexité présidant à l’élaboration d’un texte” dans sa création première (l’original) mais surtout ici dans sa création seconde (la traduction). Une “archéologie de l’écriture” (p.8) saisie grâce à l’archive, le manuscrit et le corpus de documents péri- et para-textuels. La génétique de la traduction auscultera -à la lumière des acquis et des méthodes de la philologie, de la génétique et de l’informatique- toute production ou manière procédurale du traducteur: brouillons, préfaces, notes, correspondances, journaux de bord, traces écrites et orales (entretiens, témoignages), opérations gestuelles et visuelles enregistrées par des logiciels spécialisés. Explorations et méthodologies visant à peaufiner la connaissance du “laboratoire mental d’une traduction” (p.7)

Quatre parties scandent l’ouvrage –“Traduction et brouillons d’auteurs”, “Genèse d’une pensée traductologique”, “Anamnèses”, “Observatoires de l’activité traduisante”- qui comportent chacune trois études ponctuelles. Vingt-cinq pages de bibliographie, trois index -noms, oeuvres, concepts- ce dernier recensant opportunément métalangages stylistique, génétique et traductologique ainsi que les résumés des articles publiés enrichissent cette publication.

La première partie présente en ouverture un chapitre théorique de Geneviève Henrot Sostero “Fondements théoriques et méthodologiques pour une génétique de la traduction. Concepts, méthodes, visées” admirable par sa clarté, sa finesse et son aisance à synthétiser et à intégrer des disciplines complexes et en évolution comme la philologie, la génétique et la linguistique. L’auteure commence par confronter philologie et génétique, “sciences du texte envisagé dans son feuilleté diachronique” (p.18). La première fondant la stabilité et l’autorité du texte en le fixant dans son édition critique au détriment de ses variantes, la seconde s’intéressant au dynamisme de l’écriture dans son processus de création issu d’une pulsion, d’un projet (avant-texte), d’états successifs (variantes) et complémentaires (notes, brouillons, correspondances…), de transformations et de réécritures post-éditoriales: “la genèse du texte ne s’achève pas toujours à la date de publication” (p. 25) saisissant et restituant le texte également dans sa mobilité synchronique. L’ approche synchronique caractérise les traditions philologiques allemande et italienne par rapport à la tradition française, attentives non seulement à l’histoire du texte mais également à sa genèse, comme en témoigne la méthode de la “variantistica” de Gianfranco Contini. Philologie et génétique sont donc apparentées et complémentaires et leurs méthodes et pratiques applicables au processus traductif aussi bien que les outils numériques qu’elles utilisent détaillant efficacement toutes les opérations du processus. L’auteure analyse ensuite les acquis de la critique génétique en matière d’héritage théorique, conceptuel et méthodologique depuis sa création en 1968 pour s’interroger sur leur transmissibilité à la génétique de la traduction. Il s’agit d’abord de constituer un dossier de genèse chronologique du texte constitué par le manuscrit, le(s) brouillon(s) ainsi que par tout document de travail s’y rapportant qui, avec l’oeuvre publiée, formera le corpus constitutif de l’avant-texte, puis d’analyser la typologie des supports, du carnet au CDRom ou au “nuage”. Il en est de même pour la constitution du dossier de genèse d’une traduction auquel s’ajoutent, au cours de la phase pré-éditoriale, les éventuelles corrections de l’auteur de l’oeuvre originale ou les notes du traducteur. Dans un second temps les généticiens procèdent à une “appréhension visuo-spatiale et graphique” (p.33) de la page manuscrite ou sur écran afin de présupposer les opérations mentales à l’origine de l’écriture. Enfin, ils s’appliqueront à identifier le réseau de références intertextuelles provenant de sources internes et/ou externes présent dans tout texte ou toute traduction (à la création, certes, plus conditionnée). L’intérêt pour les mécanismes de la pensée à l’oeuvre “trouve dans l’exercice de la traduction un champ d’études particulièrement riche et complexe” (p.40) affirme l’auteure, qui cite le choix des mots en langue maternelle et en langue étrangère et la re-création des potentialités du texte original.  L’avant-texte, notion-clé de la critique génétique, “n’est donc plus un objet réel, empirique, hétéroclite et varié, mais une mise en perspective, un découpage, un assemblage destiné à fonder un travail spécifique d’analyse et d’interprétation” (p.41) fonctionnel au chercheur dans son observation de l’écriture. Il s’oppose donc au texte –oeuvre finale livrée au public- et à l’après-texte –“devenir éditorial de l’oeuvre après la disparition de son auteur”(p.42). L’analyse des documents de genèse et des brouillons dévoile ainsi les multiples possibilités et voies alternatives dans l’écriture d’un texte, démarche semblable à celle de sa ré-écriture par la traduction suivant Berman (Jacques Amiot, traducteur français, essai sur la traduction en France, Belin, 2012, p.19): reconstitution du contexte, “horizon” de la traduction; posture du traducteur à l’égard de l’original et de son activité traduisante; analyse des traits stylistiques de l’original et de la traduction.  A’ la suite des acquis, l’auteure analyse les apports des sciences du langage à la critique génétique quant aux concepts empruntés à la linguistique contemporaine -énonciation, dialogisme et polyphonie énonciative, paraphrase, métalangage- à la stylistique aussi bien qu’à la linguistique textuelle dans sa définition du texte “comme unité cohésive minimale d’analyse” et dans la centralité de la notion de ‘transfert’ qui régule divers types de transformation d’un texte en un autre -commentaire, recréation, traduction (Rastier, 2006)”(p.48). En effet “les notions de métalangage et d’énonciation permettent de distinguer des coprésences hétèrogènes typiques des brouillons” (p.45) à l’oeuvre aussi bien dans l’écriture auctoriale que dans l’instance traduisante et l’analyse textuelle qui “pose la question du statut des avant-textes et de l’analyse de leurs variantes” (p.49). Ces variantes possibles même après la mise en circulation du texte dans ses réécritures et ses recréations telle la traduction par exemple, considérée comme réécriture non-auctoriale d’après le tableau élaboré par la chercheuse adapté de Adam (2009) qui présente le champ de la variation textuelle en cinq phases, prolongé par une phase adjonctive (5bis) prenant en compte les traductions comme possibles réécritures non auctoriales post-éditoriales. Ce premier chapitre se clôt sur un tour d’horizon des avancées de la traductologie à partir des évolutions de la linguistique textuelle, des sciences cognitives et de l’intelligence artificielle. Ainsi, l’auteure identifie d’abord dix-neuf indicateurs de processus de traduction, puis, grâce au perfectionnement et à la spécialisation des logiciels de traduction (TRAP, PACTE, PRONIT), trois manières d’appréhension du geste d’écrire -manuelle, oculaire et verbale- en concluant  qu’une “génétique de la traduction à l’état naissant peut donc s’installer au point de confluence de disciplines: non seulement la critique génétique du texte littéraire, mais aussi une philologie en plein renouveau numérique, une linguistique aux concepts mûrs et une traductologie outillée pour explorer textes et corpus autres que littéraires” (p.56). Aux lecteurs de relever ce défi!

L’enquête génétique de Florence Pellegrini intitulée “Variations sur un jardin. Logique narrative et orthonymie dans cinq traductions italiennes de l’épisode horticole de Bouvard et Pécuchet” se penche sur la préférence des traducteurs pour une version plus “normée”, plus spontanée et plus usuelle du texte à traduire selon la “représentation inconsciente que chacun a de la “naturalité” de sa propre langue” (p.57) définie comme contrainte orthonymique (Pottier 1987, Chevalier et Delport 1995, 2010). En effet, plutôt que de transposer l’originalité narrative et stylistique du texte source, les traducteurs optent pour les stratégies de l’explicitation et de l’amplification dans une optique cibliste de la traduction. A’ partir de brefs passages du chapitre deux du roman flaubertien ayant trait aux tentatives horticoles des deux protagonistes, l’auteure analyse la syntaxe des subordonnées circonstancielles et les transformations opérées sur la chaîne des causalités à travers le choix de connecteurs véhiculant une valeur différente: le connecteur causo-temporel final “comme” traduit dans les versions italiennes par des connecteurs déductifs et consécutifs: “quindi”, “cosicché”, “per cui”(final) au lieu de “poiché” qui “permet une réénonciation parodique des lieux communs – ici causal et déductif- […]- qui est l’une des caractéristiques essentielles du roman et peut-être un “stylème” flaubertien” (p.65). L’étude génétique de ces passages, conduite par Florence Pellegrini sur les manuscrits confirme la volonté flaubertienne de maintenir “l’ambivalence sémantique” dans le choix du connecteur “comme” remplaçant dans les avant-textes le “parce que” initial. Options traductives détournant la démarche de Flaubert, ciseleur de termes et de formulations stylistiques inédites et suprenantes, allant à contre-courant des représentations linguistiques et idéologiques conventionnelles qu’une approche génétique de la traduction pourrait limiter en transposant les intentions et les effets du texte source, en particulier ici “l’instabilité énonciative et l’indétermination qui caractérisent le récit flaubertien” (p.70).

Suivent deux analyses portant sur la traduction –en allemand et en arabe- de deux célèbres poèmes de Valéry.

D’abord David Elder fonde sa traduction en langue anglaise du poème “L’ Ange” de Paul Valéry sur la recherche génétique et le commentaire détaillé du poème. Son travail intitulé “L’ Ange” de Valéry. Esquisse d’une étude génétique et traductologique commence par rappeler que les prémisses de la critique génétique apparaissent déjà dans les Cahiers de Valéry publiés entre 1894 et 1945 et précise que “Valéry emploie l’adjectif “génétique” au sens de genetikós, qu’il attribue à tout ce qui est propre à la génération du texte” (p.74). L’acte de traduire, dans la conception valéryenne, est “un acte englobant toute sa réflexion sur le fonctionnement mental” en effet “écrire est déjà traduire, autant que traduire équivaut à écrire” (p.74) et “quoi que l’on fasse, on ne cesse de traduire” (p.75). L’auteur guette donc les traces textuelles de Valéry à travers les différents états de ses brouillons, soigneusement conservés par l’écrivain afin d’investiguer sa propre créativité. En effet son idée de poésie est celle d’une “traduction en langue d’un état mental tissé de sensations et de pensées multiples: une mise en mots d’un ressenti subliminal au langage” (p.76) que David Elder, traducteur-glossateur, se propose d’établir en langue originale d’abord en cernant l’opération de traduction de la “self-conscience” de Valéry en son acmé, l’interpréter ensuite à la lumière des avant-textes puis la récréer en langue cible, autant que possible, au moyen des stratégies formelles valéryennes “pour aboutir à une transposition en anglais de cet état mental crée par le poète dans son texte” (p.76). Dans “L’ Ange”, il s’agit de “dénommer et de qualifier (donc traduire en mots) un certain état (dramatique) de la conscience de soi: celle d’une relation d’étrangeté entre le sentiment du moi et sa perception extérieure, aliénée, telle que, comme pour Narcisse, “La pensée trouve un monsieur dans le miroir” (Cahier XI, p.689)” (p.77). David Elder double son étude génétique du poème d’une étude génétique de la traduction de celui-ci, en constatant que “Le poète est fasciné par les unités constructives (phrases et paragraphes) et transitives (l’ensemble des conjonctions) et les divisions “naturelles” ou “les plus favorables” (p.90) et en concluant que pour Valéry “la démarche traductive” est “au coeur même de l’activité mentale” (p.91).

Jacqueline Courier-Brière réexamine, de son côté, la traduction en arabe du poème La jeune Parque par Edouard Tarabay publiée à Beyrouth en 1996 dans son étude “Traduire ou “mettre nos pas sur les vestiges de ceux de l’auteur. Valéry en arabe”. La chercheuse, dans une perspective génétique de la traduction s’interroge sur cette démarche et sur l’éclairage qu’elle porte sur le processus décisionnel propre à l’acte de traduire. Elle analyse donc la démarche génétique dans son objet esthétique et scientifique, dans sa nouveauté et dans son originalité aussi bien que dans les risques, dérives et écueils qui la menacent. L’objet-livre présente le manuscrit autographe de Valéry à gauche et en vis-à-vis, le manuscrit du traducteur, ainsi qu’un ensemble métadiscursif comportant un appareil critique, un commentaire, des explications et des intertextes qui constitue le “dossier génétique de substitution” en l’absence de ses brouillons. A’ cela s’ajoutent les écrits de Valéry consultés par Tarabay: Brouillons, Vers anciens, Feuilles volantes, Carnets, Oeuvres et ses réflexions sur son poème, documents précieux pour mieux comprendre le texte et pour légitimer les décisions et les commentaires du traducteur. La nouveauté de cette démarche consiste dans le dévoilement fait au lecteur de la génèse de l’oeuvre poétique de l’écrivain et de sa gestation faite de “ratures, surcharges, déplacements, ajouts” (p.100) et d’ après le témoignage de Valéry “Un jour entier à faire, défaire, refaire quelques parties de mon poème” (p.100). Les risques qu’une telle démarche consistent dans la présentation au lecteur non averti d’un état de l’oeuvre parmi bien d’autres, à la fin différente du texte publié (504 vers pour le manuscrit et 512 pour le texte publié), aux déchiffrage, transcription et lecture nécessaires ainsi qu’à une traduction complexe car conjuguant des multiples états et versions du même texte: texte source publié (1957), manuscrit autographe inachevé (1933), texte dactylographié (1942) et texte publié (1974). C’est à travers des exemples de traduction comme la non correspondance de la ponctuation dans la version arabe menaçant le rythme et la compréhension des effets stylistiques, le soulignement d’un mot ou le choix de termes influencé par des variantes du texte source (p.104-105), que la chercheuse s’interroge sur les intentions, les stratégies de détournement et les libertés de la traduction. Elle se penche donc sur le statut du traducteur non plus invisible mais créateur, par ses écarts par rapport au texte source (ponctuation, répétitions, rimes systématiques) et son introduction de l’étrangeté de l’original dans le texte cible (enjambements): “ainsi la traduction ne se limite-t-elle pas au simple transfert linguistique, mais elle est une véritable ré-écriture, avec ses contraintes, ses surprises et ses bonheurs” (p.114). Elle conclut enfin sur l’enrichissement -culturel, linguistique- apporté au lecteur par la perspective génétique de la traduction: “par ses explications, ses choix, ses intertextes et ses intentions, le traducteur adopte sans doute sans le savoir une attitude génétique, ouvrant la voie à des orientations de recherche et d’interprétation” (p.106).  

L’excellente étude de Solange Arber sur l’expérience de traduction du grand traducteur allemand Elmar Tophoven, ambassadeur d’écrivains français tels Beckett et Robbe-Grillet, encourage le lecteur à “réfléchir à la spécificité de la traduction comme écriture sous contrainte” (p.119). “L’écriture de la traduction. Les brouillons d’Elmar Tophoven pour la traduction de Djinn” présente l’exploration réflexive du travail du traducteur littéraire commencée dans les années 1960, époque de la naissance de la génétique textuelle et de son application au processus traductif. Ses archives destinées à fonder le projet de “traduction transparente” (p.117) particulièrement riches pour sa traduction du roman Djinn d’Alain Robbe-Grillet, élaborée de 1982 à 1983, offrent à la chercheuse l’occasion d’effectuer une analyse génétique du travail du traducteur dans ses trois dimensions: traductive, péri-traductive et méta-traductive. Le dossier génétique rassemblé par Tophoven se compose en effet de vingt-neuf documents de typologie variée: “l’édition française annotée, un manuscrit complet de traduction, plusieurs tapuscrits recouvrant différentes parties du roman, les épreuves corrigées, un glossaire, des pages d’exemples séléctionnés, de la correspondance, une interview de Robbe-Grillet et de Tophoven, des photocopies destinées au cours de thème.” (p.118). Il s’agit de la collection raisonnée d’une documentation pré- et post- traduction (glossaires, listes d’exemples) visant l’amélioration d’une pratique et l’intention de partager ses connaissances en la matière avec collègues et élèves.  C’est le processus décisionnel dans son déroulement temporel qui retient l’attention de Solange Arber: “On observe à travers les variantes comment de multiples possibilités sont envisagées, écartées, reprises, retravaillées, jusqu’à ce que soit retenue la solution définitive” (p.119). L’étude des brouillons présente toutefois la difficulté majeure de déterminer la datation des différentes versions préparatoires pour établir la succession chronologique des variantes et suivre de près le processus décisionnel. Le généticien formule alors trois hypothèses, par ordre d’évidence, en analysant le médium d’écriture: 1. principe du manuscrit qui précède le tapuscrit, 2.prise en compte des traces de révision (les corrections se réduisent à des détails dans les versions les plus tardives), 3. progression du processus décisionnel de manière linéaire (hypothèse à vérifier “à l’échelle syntagmatique et phrastique” (p.122). La constatation du choix final accompli par le traducteur interpelle le généticien sur trois plans: la stratégie globale mise en oeuvre (typologie, destination et fonction du texte), les tactiques qui la composent au niveau syntagmatique (correspondances ou discrépances lexicales et/ou syntaxiques) et la méthode suivie (posture du traducteur en fonction de son rôle et de sa conception de la traduction héritée par sa culture) (p.123). En concluant le parcours opératoire de la reconstruction mentale du processus décisionnel, la chercheuse constate que “la décision est toujours prise par rapport à un ensemble complexe de niveaux de choix entremêlés et parfois concurrents” (p.124). Elle procède ensuite à l’exemplification de ce parcours en examinant à la fois la traduction de Tophoven et ses documents péri-et méta-discursifs afin de formuler des conjectures sur les motivations de son processus de décision et sur sa méthode traductive. Elle y trouve confirmation de l’attention portée à la prosodie, de son obsession en faveur de l’oralité du texte et de la préservation de ses sonorités. A’ cette méthode se joint une stratégie traductive qui, dans l’ensemble, reste proche du texte source. Se trouve ainsi mise en lumière “la singularité d’une sensibilité de traducteur” (p.127) dans une “écriture au sens plein du terme” dans une traduction entendue comme “nouvel état du texte”, “continuation naturelle” de l’original, articulant liberté et contrainte “dans un espace extrêmement vaste, mais non infini, de variantes possibles” (p.128).

Viviana Agostini-Ouafi dans son étude “Genèse et exégèse par André Pézard de sa traduction de Dante” analyse l’Avertissement et une conférence du célèbre philologue et traducteur, tous deux espaces de réflexion consacrés à son activité traduisante. L’explicitation détaillée des raisonnements suivis l’ayant conduit à exclure certaines variantes de traduction et à en retenir d’autres ou à interpréter de manière novatrice le texte original, dévoilent au lecteur le processus génétique de sa traduction. Rédigées dans les années 1963-1965, années charnières pour la traductologie française et la génétique textuelle naissantes, ces réflexions témoignent de l’approche théorique, pratique et méthodologique pionnières du philologue ayant scrupuleusement conservé brouillons, versions dactylographiées, épreuves, conférences et notes, conscient de l’importance de l’acte de traduire qu’il considère une “recréation poétique”. Se définissant un artisan appréciant le caractère concret de la parole, il procède à “une critique méthodologique du traduire en tant que processus saisi in vivo par le traducteur lui-même” (p.134) suivant le principe de la “primauté du rythme” (p.133). Les exemples concrets qu’il choisit sont commentés afin d’illustrer son travail de réflexion et la résolution d’écueils telle la traduction des néologismes de Dante, dans les cas où, à la transposition par périphrase, il privilégie la création néologique. Choix courageux qui lui fait forger des verbes souvent parasynthétiques sur l’exemple de Dante, tels que “déprocher” pour l’original “disvicinare”, “s’enfleurer” pour “infiorarsi”, “s’engemmer” pour “ingemmarsi” et “s’enfuturer” pour “infuturarsi” (p.137-138). De même, c’est “la pensée intime du poète: l’activité intense de son imaginaire” (p.138) qu’il s’acharne à reproduire afin de l’interpréter d’une manière nouvelle. Il désacralise parfois le texte source – dont il n’existe aucun manuscrit original et qui résulte d’une “tradition longue et pleine d’hésitations” (p.138). Ceci s’explique par son approche pratique-théorique du traduire “conçu comme un processus indéfiniment à modifier et à corriger, un processus philologique et génétique d’interprétation et de réécriture accompli par un sujet qui inscrit son activité herméneutique et scripturaire dans une mouvance spatio-temporelle” (p.141).

Dans son étude intitulée “Traduire les essais sur la poésie d’Yves Bonnefoy. Un mouvement d’adhésion au travail textuel”, Chiara Elefante commence par rappeler les prestigieux prix qui lui ont été décernés ainsi que la fortune éditoriale du poète en Italie dès 1969. Elle souligne les  deux aspects indissociables de sa production: la création poétique et les essais critiques parmi lesquels la réflexion sur l’activité traduisante et l’auto-analyse. En 2008 il écrit: “Les transgressions les plus efficaces ont lieu en parcelles, de poésie, de critique, qui peuvent sembler infimes [—] Prendre conscience, c’est cela surtout qui importe.” (Critique et poésie). Bonnefoy préconise une fusion entre poésie et critique, toutes deux lieux et formes d’écriture favorisant la prise de conscience, de même qu’il souhaite un dialogue et une confrontation entre poètes et philosophes partageant une attention/soin porté à la parole et à l’écriture qu’il voudrait ancrer à la valeur d’expérience, fondement de toute activité poétique et philosophique. De ce rapprochement entre expérience poétique et réflexion critique témoignent les cinq essais sur la poésie traduits ou révisés par Chiara Elefante, insérés dans L’Opera poetica publiée en 2010 dans la prestigieuse collection “I Meridiani” par l’éditeur Mondadori. Elle se propose donc de réfléchir sur cette expérience de traduction. La traductrice aborde tout d’abord la question de la traduction de termes porteurs d’un sens nouveau ou renouvelable, une étymologie renouvelée, dissociée de la vision et de la pensée  conceptuelle du monde et de l’écriture que Bonnefoy rejette, cherchant et défendant “la réalité anti-conceptuelle du son, de la musicalité des mots”, qui aspire à “la vérité de la parole”, à sa “présence” et à sa réalité d’existence, dont témoignent les néologismes suivants: “abîme de l’incrée/abisso dell’increato”, “impermanence/impermanenza”, “indéfait du monde/mondo non-scomposto”, “être-au-monde/essere-al-mondo”. Il en est de même pour les choix syntaxiques ou stylistiques -anacoluthes, phrases elliptiques, modifications de l’ordre des mots- conservés ou accentués par la traductrice ; pour les stratégies structurales du texte transposées en respectant la poétique de l’auteur, sans être clarifiées ou interprétées: mouvement en spirale, répétition de phrases interrogatives et ton dialogique, la ponctuation, visant à organiser logiquement le discours et à faire surgir le rythme transposé en italien par les assonances, les allitérations et les répétitions. Enfin, réfléchissant à sa posture traductive, Chiara Elefante reconnaît avoir traduit les essais de Bonnefoy d’après son “écoute expérientielle” de l’auteur et de son oeuvre, tissée de voix diverses d’oeuvres sous-jacentes et interposées -Dante, Leopardi- et avoir accepté et restitué, dans sa langue maternelle, la part d’intraduisible de la création bonnefoyenne.

La traduction poétique est également l’objet de l’étude de Simona Pollicino intitulée “Enumération elliptique et syntaxe nominale dans les Motets d’Eugenio Montale traduits par Philippe Jaccottet”. Le poète et traducteur français des compositions de Ungaretti, Bertolucci, Luzi, Erba et Bigongiari collabora à l’édition de ses poésies en 1966 pour l’éditeur Gallimard puis retraduisit d’autres poèmes publiés dans l’anthologie D’une lyre à cinq cordes (1977). Sa traduction des cinq Mottetti (1963) du recueil de Montale intitulé Le occasioni (1939), deuxième volet d’une autobiographie considérée par le poète comme un ensemble apparenté par la structure, le ton et un réseau d’analogies et de références intertextuelles (p.160), présente une structure dialogique au style concis, au discours hermétique, au vocabulaire varié et inusité. Dans la poésie montalienne en effet, le lyrique et le prosaïque du quotidien se mêlent: “les objets du quotidien deviennent des emblèmes-repères et le poète peut offrir à son lecteur la consolation de fulgurantes occasions, de moments épiphaniques, ceux-ci étant censés nous indiquer “il punto morto del mondo, l’anello che non tiene” (Montale 1999, cité p.161). Maillon relâché d’une chaîne à l’image de l’organisation syntaxique complexe et tourmentée recourant à l’anastrophe, à l’hyperbate, à divers procédés de déplacement (inversions, dislocations) ou d’interruption telle l’ellipse ou l’énumération (syntagme nominal suivi d’adjectifs épithètes ou apposés) “tentative d’appréhender une idée afin de la soustraire à la dispersion” (p.161) moyen pour décrire “l’impénétrabilité des choses, la sensation d’étouffement” (p.166). Les Motets, brefs poèmes à la syntaxe resserrée, sont “un exemple probant de la dimension d’attente épiphanique, le plus souvent déçue, qui caractérise toute la poésie de Montale. L’effet d’inachèvement est assuré par la présence de séries énumératives qu’aucun prédicat n’accomplit” (p.163). Après avoir rappelé les caractéristiques de la poétique montalienne, Simona Pollicino se propose de comparer deux versions françaises, celle de Jaccottet et celle de Patrice Angelini, afin de mettre en évidence les caractéristiques stylistiques et métriques du poète (endécasyllabes alternés aux heptasyllabes et aux pentasyllabes) et les choix décisionnels des traducteurs aux prises avec une poésie à la structure “ouverte”, qui “dissout les liens syntaxiques et éclipse les relations sémantiques” (p.172). Elle conclut par un éloge de la traduction de Jaccottet pour qui la poésie “est déjà en soi une traduction” (p.173), qui, “en choisissant la forme d’un poème-discours scandée par la désignation précaire et suspendue d’objets et d’images, a fait siennes la sobriété et l’essentialité du style montalien” (p.172).

Dans son étude intitulée “Traduire Georges Perec en français?” Vanda Mikšić pose le problème fort intéressant de la rétrotraduction. Procédé usuel dans les protocoles de prestation de service pour évaluer la qualité de la traduction, dans le cas présenté ici, qui concerne directement l’auteure, il s’agissait de reconstituer l’original français perdu d’un article informatif sur “L’opinion publique en France et la guerre d’Algérie” rédigé par Perec pour la revue Pregled en 1957, lors de son premier voyage en Yougoslavie. L’article, traduit en bosniaque par un ami de l’écrivain, Zarko Vidović, a été retrouvé grâce à deux lettres de l’écrivain qui le mentionnaient. La traduction en français a été donc demandée à Vanda Mikšić pour une nouvelle publication des Entretiens et conférences (2019). L’auteure a commencé par s’imprégner du style de l’écrivain en lisant ses entretiens et ses conférences aussi bien que sa correspondance, puis a évalué le style documentaire de l’article tout en remarquant et en exemplifiant par des tableaux l’oralité qui pointe lorsque l’engagement et la critique pessimiste transparaissent (répétitions, accumulations, exclamations, locutions idiomatiques, métaphores et termes péjoratifs). Elle a également relevé plusieurs exemples de l’approche littéraliste de la traduction bosniaque manifeste dans les choix lexicaux (calques) et surtout dans les constructions syntaxiques étranges et parfois inacceptables en langue cible; approche qui a d’ailleurs favorisé la rétrotraduction, car elle permet de percevoir en filigrane les mots et les structures originales en français. L’auteure détaille également quelques renvois au contexte historico-politique et culturel: dates, noms et citations qui ont requis un travail documentaire et en équipe pour une rétrotraduction exacte. Or il s’agit de ce travail en collaboration dont l’auteure rend compte à travers la comparaison de quatre versions d’un même extrait: la sienne, la version relue par une traductrice française bilingue (français/croate), la version proposée par les directeurs de la publication qui publiera l’article de Perec et enfin la version définitive résultant d’une négociation fructueuse entre l’auteure et l’une des directrices de la publication. Elle reconnaȋt que la question de la contrainte dans l’écriture –intentionnelle dans la littérature oulipienne- dictée ici non seulement par les circonstances et par le travail de collaboration, mais également par la responsabilité de retraduire un original peut-être encore existant, a constitué un défi hypercontraignant que Perec aurait sans doute apprécié!

Beate Langenbruch présente elle aussi son expérience de retraduction du cordel brésilien en français dans sa contribution intitulée “Pérégrinations transeuropéennes et transatlantiques de la matière épique médiévale de Fierabras. Enjeux de traduction, entre la France et le Brésil.” La matière épique médiévale de Fierabras, célèbre chanson de geste de la fin du XIIème siècle en alexandrins rimés, à la postérité importante même dans les pays les plus lointains tels le Nordeste brésilien, s’inscrit dans le Cycle du Roi -faits et gestes de Charlemagne et de ses barons- et narre l’histoire de l’Empereur et de ses barons voulant recupérer les reliques de la Terre Sainte pillées par les païens au cours du sac de Rome (p.199). Olivier remporte le combat contre le païen Fierabras et récupère les reliques qui  seront conservées en France à Saint-Denis et à Compiègne. Après avoir constaté que la mixité linguistique caractérise le genre épique espagnol, allemand et portugais médiéval dans lequel on assiste à “l’affrontement emblématique des Chrétiens et des Sarrasins dans la chanson de geste, conflit géopolitique et culturel que l’opposition linguistique renforce” (p. 198), l’auteure analyse l’histoire et la forme des traductions inaugurales de Fierabras. Les manuscrits en vers de Fierabras étaient nombreux et traduits dans maintes langues européennes: d’abord manuscrites et en vers jusqu’à la fin du XIVème siècle en occitan, néerlandais, anglais et italien (cantari en ottava rima), puis manuscrites mais en prose -latin, gaëlique irlandais- puis imprimées et en prose -espagnol et allemand (1478)- et enfin traduites sur le modèle espagnol dans le domaine lusophone marquant ainsi la troisième génération traductionnelle préférant la prose érudite et rythmée aux adaptations orales et populaires. C’est l’écrivain et poète Leandro Gomes de Barros, né dans le Nordeste brésilien, qui composa le cordel carolingien, branche d’un genre populaire brésilien “moule poétique flexible, strophique, adapté à la littérature populaire, dans lequel il coule encore d’autres narrations, certaines tirées des livres de colportage européens et d’inspiration médiévale” (p.204). Vaut-il mieux imiter le texte source jusqu’au calque des structures et du vocabulaire ou se limiter à en transmettre le sens en l’adaptant librement? Les avis sont partagés. Le cordel brésilien étant résolument populaire, les traductions de Fierabras opposent les translations érudites en prose et les traductions populaires souvent en vers pour le vaste public, même illetré.  Beate Langenbruch a rétrotraduit en français ces deux cordels carolingiens en rendant les décimas portugaises (dizains de vers en heptasyllabes) en vers, forme s’imposant à elle par le rythme, la musicalité, le mètre, les rimes (p.209). Elle a remarqué les spécificités orales rapprochant ces textes brésiliens des textes en ancien français. C’est cette découverte qui la fait affirmer: “traduire le patrimoine populaire du Brésil vers le français peut être une expérience étonnamment proche de la traduction d’un texte d’ancien français vers la langue moderne” (p.213).

Marie-Claire Durand-Guiziou témoigne de son expérience de traductrice dans son étude sur “La traduction poétique, questionnement et plaisir esthétique, une gageure. La traduction des Roses d’Hercule du poète espagnol Tomás Morales.” Après avoir constaté l’importance de documents attestant la genèse d’une oeuvre ainsi que tout autre production écrite utile à éclairer l’interprétation d’un texte poétique, elle relève “En amont, c’est aussi l’affinité avec le texte poétique et l’empathie à l’égard du poète qui entrent en jeu. En aval, à l’issue du dialogue qui devient intime avec le texte source, c’est la naissance d’une nouvelle création poétique et esthétique, qui n’est pas sans apporter au traducteur son lot de souffrance, dont le contrepoint se révèle fort heureusement dans une jouissance intérieure stimulante” (p.217). Ce rapport au texte source elle l’a expérimenté avec émotion en traduisant deux années durant le recueil Las Rosas de Hercules du poète espagnol de la Grande Canarie Tomas Morales Castellano (1884-1921). Les cent deux poèmes qui le composent se distinguent par l’évocation de figures mythologiques -en particulier d’Hercule-, de motifs tirés de la tradition classique et du passé légendaire: la puissance de l’Océan, la “force tellurique de la nature des îles dans leur création première” (p.219), l’espace portuaire de la ville de Las Palmas. Cet imaginaire s’exprime de manière polyphonique dans un style qui se caractérise par une multiplicité de genres poétiques: hymnes, ballades, sonnets, éloges, odes, allégories, épîtres, à la métrique variée; par une exubérance verbale et une attention portée à la sonorité des vers. A’ ces aspects de sa poésie s’est consacrée la traductrice en reproduisant les échos internes, les assonances et les allitérations grâce à l’homophonie pour recréer les rimes ainsi que les spécificités syntaxiques -polysyndètes, hyperbates, rejets, enjambements- et sémantiques -richesse verbale, synonymes, métaphores, néologismes aussi bien que la ponctuation expressive fidèle au texte source. Les poèmes cités en langue originale et dans leur traduction en français sont analysés dans le détail surtout dans leur dimension rythmique et sonore apte à suggérer la correspondance entre acte amoureux et acte créateur (Criselefantina) ou la profanation de l’île par les colonisateurs britanniques (Ils débarquèrent et inondèrent). L’auteure aborde ensuite la question de l’intertextualité qui nourrit les poèmes de Morales “espace de connivence avec le lecteur” (p.227) ainsi que ses créations verbales audacieuses visant l’originalité et exprimant son énergie débordante, telle la création du syntagme “onda midacritánea” dans “L’Ode à l’Atlantique” traduite par “l’onde mitacritanée” (du navigateur grec Midacrite). A’ la lumière de son expérience, elle conclut sur l’unicité de toute création poétique et par conséquent sur la singularité de la méthodologie traductive mise en pratique par chaque traducteur sous sa responsabilité assumée, difficilement généralisable à d’autres textes.

Maria Teresa Giaveri dans ses réflexions intitulées “La traduction face à la critique génétique” rappelle que le travail délicat du traducteur a souvent suscité un vocabulaire imagé. Tel est le cas de l’analogie entre traduction et hospitalité qu’elle relève chez le poète et critique Antonio Prete, traducteur du Livre de l’Hospitalité (1991) d’Edmond Jabès. Hospitalité définie comme reconnaissance et accueil de celui qui s’arrête en chemin. Cette image d’Antoine Berman –La traduction et la Lettre ou l’Auberge du lointain (1991) ou le magnifique ouvrage l’Epreuve de l’étranger (1984) – notoire à tout traductologue ainsi que celle proposée par le poète russe Josiph Brodsky d’une métaphore amoureuse où traduire “correspond à la tentative de serrer dans ses bras un corps “autre”, un corps que l’on essaie de posséder pour en faire sa propre chair” (p.235). Ou encore telle la préparation minutieuse d’une tasse de café “savoureuse métaphore de la tâche du traducteur” (p.236) dans la pièce de théâtre d’Eduardo de Filippo Questi fantasmi où les fantômes sont –par une nouvelle métaphore- les termes de théorisation de la pratique traduisante “traductologie” ou “critique génétique”, termes déroutants voire effrayants pour les traducteurs bien qu’ils valorisent et légitiment scientifiquement leur activité. Maria Teresa Giaveri retrace ensuite l’histoire de la critique génétique en France et celle de la “critica delle varianti” ou “variantistica” du philologue romaniste Gianfranco Contini en Italie, où la terminologie génétique française, introduite par l’auteure à partir des années 1990, a donné lieu à l’appellatif “filologia d’autore” pour désigner l’origine du parcours critique italien. L’étude de sa genèse valorise la traduction comme étape éventuelle dans un parcours de création (p.242), pose le problème de son auctorialité et représente un geste herméneutique lors de la retraduction d’une oeuvre par le même traducteur comme c’est le cas de l’auteure pour ses retraductions de Valéry.

Madeleine Stratford et Mélanie Rivet rendent compte d’une expérience captivante pour investiguer et évaluer l’influence de la consultation des sources sur la créativité en traduction. Leur contribution intitulée “Dans la tête de la traductrice. L’influence des outils sur la créativité en traduction littéraire” décrit le processus de traduction en français du roman Swim de Marianne Apostolides (Elle nage, La Peuplade, 2016). S’inscrivant dans une démarche génétique, les deux auteures exploitent le potentiel de logiciels spécialisés pour observer in fieri le déroulement du processus de traduction dans sa dynamique: expressions du visage, commentaires verbalisés et actions de la traductrice ont été filmés et enregistrés par un logiciel de captures d’écran (BB Flashback Pro 5), les brouillons conservés ainsi que le journal de bord rapportant les étapes de travail et les émotions de la traductrice déterminée à analyser son propre processus de création. Le corpus comprend 64 séances pour un total de 87 heures et 59 mn de travail sur une période de 21 jours (24 juin-30 juillet 2015). Les sources utilisées sont des dictionnaires –Petit Robert, Robert et Collins, Google Linguee, Le Grand Dictionnaire Terminologique, Merriam-Webster, Antidote (synonymes)- des bases terminologiques Termium Plus et Internet consultés très souvent dans les moments intenses de travail sur des segments de texte -la séance 17 a enregistré 102,6 consultations de l’heure- (p.247-249). Les auteures procèdent ensuite en détaillant leur méthodologie et en formulant des déductions: calcul des consultations des sources par séance, observation des actions –réflexion, permutations ou ajustements de segments, insertion de mots, effacement des choix- comparaison des segments traduits avec l’original et la version publiée. Elles analysent enfin deux segments représentatifs en constatant que “rien n’est traduit de façon “littérale” (p. 254), car la traductrice procède à un “va-et-vient constant entre ses intuitions premières et leur vérification” (p.255) et concluent leur recherche en cours en constatant que “les sources apparaissent donc ici à la fois comme des embrayeurs de créativité et des garde-fous empêchant une créativité non adéquate. Bref, ces résultats portent à croire qu’en cours de traduction, les consultations semblent alimenter et baliser la réflexion créative de la traductrice plutôt que de fournir des solutions proprement dites” (p. 255-256).

[Antonella LEONCINI BARTOLI]

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