Valérie DELAVIGNE, Dardo de VECCHI (dir.). Termes en discours. Entreprises et organisations, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2021, pp. 245.

di | 12 Luglio 2021

Ce livre porte sur un sujet intéressant et original dans la mesure où il existe désormais plusieurs ouvrages sur la terminologie et sur les différentes approches en terminologie, mais qu’il est plus rare de trouver des livres concernant l’utilisation des termes dans les entreprises et/ou dans les organisations plus généralement. L’analyse des sources orales dans la deuxième partie de l’ouvrage rajoute à son originalité.

Comme le soulignent les coordinateurs, il est nécessaire « de replacer les cultures et les communautés au cœur des études terminologiques » (p. 15) et c’est ce qui fait, entre autres, François GAUDIN dans son chapitre, en guise de préambule de l’ouvrage, Il était une fois dans l’Ouest. Les usages sociaux des termes (pp. 21-33), où l’auteur dresse un parcours diachronique allant de la rencontre entre la sociolinguistique et la terminologie au Québec et en France aux travaux de l’Université de Rouen qui ont permis à la socioterminologie de voir le jour.

Dans la première partie du livre, où il est question de la relation entre la société, les usages terminologiques et le discours, le chapitre d’Anne PARIZOT (pp. 37-51) aborde la question de la désignation des métiers commerciaux dans l’entreprise Michelin, en privilégiant une approche ethnoterminologique. En s’appuyant sur un corpus très large, allant des entretiens avec les responsables de l’entreprise aux discours présents dans les réseaux sociaux et dans les sites de l’entreprise, l’auteure montre la coprésence ou la superposition de la langue de spécialité et de la langue commune, ce qui se justifie par le fait que l’entreprise « emploie une terminologie évolutive en fonction des contextes socio-économiques » (p. 48) et que les pratiques interactionnelles réelles sont complexes et liées également à l’imaginaire symbolique. Geneviève TRÉGUER-FELTEN (pp. 55-68) s’intéresse à des documents institutionnels (1990-2008) et aux courriels d’entreprises multinationales chinoises, françaises et états-uniennes pour voir comment la « relation client (…) varie en fonction du contexte culturel des acteurs » (p. 57). Elle analyse de près l’utilisation de l’anglais véhiculaire, qui d’ailleurs est entendu différemment selon les participants aux échanges, pour constater que dans les différents corpus concernés la conception du client reste ancrée au contexte culturel de l’entreprise et n’est donc pas universelle, tout comme les termes qui le désignent.

Dardo de VECCHI (pp. 69-82) observe l’utilisation des verbes sous une perspective de pragmaterminologie. Cela montre, à l’aide de plusieurs exemples tirés des recettes de cuisine ou des offres d’emploi, que les verbes d’action sont fondamentaux pour la mise en place des concepts et de la culture d’entreprise.

La deuxième partie de l’ouvrage, qui se focalise sur l’oralité, s’ouvre avec le chapitre d’Angélica Leticia CAHUANA VELASTEGUÍ, Javier FERNANDEZ CRUZ, Olivier MERIC et Laurent GAUTIER (pp. 85-108), qui analysent les discours participant à la construction de la terminologie du cacao en Équateur. Les auteurs considèrent la situation diglossique entre une terminologie spontanée dans les langues natives orales et la prescription terminologique des vendeurs espagnols. En s’appuyant sur une approche à la fois sociolinguistique, ethnolinguistique et de sémantique cognitive, les auteurs esquissent une triangulation discursive de l’émotion de dégustation pour analyser un corpus mixte. Les résultats de l’analyse portent les auteurs à critiquer la « fétichisation » des termes (p. 104) qui est typique des sources terminographiques, et à souligner l’intérêt des corpus oraux pour tracer la véritable construction du sens qui oppose « la culture de la fève » à sa « transformation en chocolat » (p. 105). Un deuxième chapitre de Dardo de VECCHI (pp. 109-124) montre l’importance de revoir des notions comme celle de domaine sous une perspective pragmaterminologique. En s’appuyant sur des textes rédigés en groupe à la demande du terminologue, ce qui permet aux experts d’utiliser un style proche de l’oral, l’auteur montre comment le terminologue peut aider l’expert à prendre « conscience de la valeur de son vocabulaire » et, vice-versa, comment le terminologue, grâce au dialogue avec l’expert, peut élargir la liste des candidats termes dont il faut tenir compte lors de la transmission du savoir d’entreprise. Maria Francesca BONADONNA (pp. 125-139) donne l’exemple des cryptomonnaies dans des débats télévisés (2014-2018) pour étudier les négociations dénominatives et cognitives entre participants dans une perspective socioterminologique. Sur le plan institutionnel, l’analyse démontre le dépassement d’une conceptualisation de la crytptomonnaie comme d’un danger, ce qui est également partagé par les entreprises. Par rapport à la négociation, les termes se mettent en place dans des discours oraux qui témoignent la présence d’une part, de points de vue décalés entre les participants et de l’autre, de la nécessité d’un accord sur les dénominations à utiliser. Sous la perspective de la lexiculture, Pierre LERAT (pp. 141-159) clôt la deuxième partie de l’ouvrage par l’exemple des termes médicaux concernant la COVID-19 dans des vidéos d’experts, de journalistes et de politiques. L’auteur remarque la présence d’un vocabulaire savant mais aussi de termes anglais qu’on a francisés et de binômes lexicaux, notamment des noms suivis d’un adjectif. Les termes scientifiques présents dans les corpus sont normalement unilexicaux. L’auteur s’attarde enfin sur les termes semi-techniques, sur les nomenclatures, sur les codes et sur les abréviations pour esquisser le profil d’une lexiculture experte.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la traduction de la terminologie. Héba MEDHAT-LECOCQ (pp. 163-178) montre les problématiques et les enjeux de la traduction d’entreprise, qui ne peut pas se restreindre à la traduction des termes d’entreprise. L’auteure démontre que « pour traduire fidèlement l’entreprise, le traducteur est tenu d’assurer la réception de son message par ses destinataires et de ne pas se contenter de leur simple compréhension de celui-ci » (p. 176). De cela découlerait aussi l’intérêt pour l’entreprise d’associer le traducteur à ses projets. Anje Müller GJESDAL et Marita KRISTIANSEN (pp. 179-193) analysent la communication et la terminologie des événements naturels, en donnant l’exemple norvégien, notamment du Parlement et de l’entreprise Equinor. Par rapport à la terminologie des experts et des politiques, l’adaptation de l’entreprise focalise la terminologie sur le concept de risque, surtout par rapport aux changements climatiques. En outre, les auteures montrent la présence d’un décalage important entre les termes politiques des événements naturels et les équivalents dans la langue utilisée dans les quotidiens norvégiens. Les auteures en concluent que l’harmonisation est loin de se réaliser dans ce domaine terminologique. Le dernier chapitre de cette partie du livre, signé par Marie-José DE SAINT-ROBERT (pp. 195-219) dresse un portrait du concept de développement durable dès sa parution dans le discours des Nations Unies en 1987. Outre les adaptations du terme anglais en français (développement soutenable, viable, durable…), l’analyse des termes créés par dérivation et par composition, ainsi que le lien avec des notions obtenues par lexicalisation ou à la suite de l’adaptation de la durabilité par métonymie ou par métaphore, permettent à l’auteure de démontrer, entre autres, qu’une « fois empruntés, le concept et le terme qui le désigne dans la langue source poursuivent leur évolution dans la langue cible en fonction du potentiel d’association qu’ils y suggèrent et de la recherche continue de la façon la plus adéquate de l’exprimer » (p. 217).

En conclusion, le chapitre de John Humbley (pp. 223-235) permet d’encadrer l’ouvrage que nous résumons ici à l’intérieur d’une tradition plus ancienne que la source classique de Wüster, considéré comme le père de la terminologie, et qui remonterait à l’Encyclopédie de Diderot. Ce dernier, en effet, a été le premier à présenter le vocabulaire des « arts mécaniques (…) de manière systématique, voire exhaustive, dans leur contexte social et professionnel » (p. 226). En effet, dans l’Encyclopédie, le vocabulaire est présenté par sa mise en situation à l’aide de planches qui accompagnent le texte. Non seulement, mais, pour sa critique de la synonymie, de l’homonymie et plus généralement du manque de rigueur terminologique des arts mécaniques, « Diderot annonce Wüster plutôt que Guespin » (p. 231). L’auteur en conclut que « Diderot est sans doute à l’origine de la terminologie située » (p. 234).

[Rachele RAUS]

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