Marion BALLET, Domitille CAILLAT, Hugues CONSTANTIN DE CHANAY, et Dominique DESMARCHELIER (coordonné par), Reprendre la parole de l’autre en politique, « Mots. Les langages du politique », n° 122, 2020, 148 p.

di | 1 Luglio 2021

Le numéro 122 de la revue Mots. Les langages du politique porte sur les mécanismes de reprise de la parole de l’autre, celle-ci étant citée explicitement ou évoquée de manière implicite. Compte tenu de la vaste panoplie de formes que ce phénomène peut assumer, l’objectif est de dégager certaines spécificités de sa matérialité structurelle en relation avec les visées argumentatives et les effets pragmatiques produits dans les différents genres discursifs étudiés, comme le soulignent dans l’introduction Marion BALLET, Domitille CAILLAT, Hugues CONSTANTIN de CHANAY et Dominique DESMARCHELIER, qui ont coordonné ce numéro. Deux aspects sont particulièrement mis en relief dans les diverses contributions. D’une part, l’attention est dirigée vers les raisons qui conduisent à citer ou à faire référence aux propos d’autrui ; de l’autre, c’est la variation des formes et des visées de ces reprises en fonction du genre discursif et de la matérialité du support qui est mise en évidence.

Les phénomènes de reprise et de citation constitutifs des slogans révolutionnaires scandés lors des manifestations égyptiennes entre 2011-2013 sont au cœur de l’étude de Zoé CARLE (« Retourner la force : reprises et citations dans les slogans révolutionnaires égyptiens », p.21-38). Ancrés dans une situation historique et dans un contexte d’énonciation spécifiques, les slogans révolutionnaires constituent un sous-genre du slogan politique qui se caractérise par une nature polémique et auto-argumentée, comme le souligne à plusieurs reprises l’auteure. Elle identifie en outre dans la constitution d’un ethos collectif populaire revendiquant sa légitimité un trait définitoire du slogan révolutionnaire. Les stratégies de réfutation singulières mises en œuvre dans les slogans révolutionnaires égyptiens sont ensuite analysées à partir de deux cas d’étude. Dans le premier, les slogans révolutionnaires prennent la forme de procédés de rétorsion qui visent à la rectification et à la réfutation du discours repris. Dans le deuxième, la rétorsion repose, en revanche, sur la reprise implicite du discours évoqué, qui relève ainsi d’un autre type de rétorsion que Z. Carle qualifie de « recaptation de la force ». En l’occurrence, la citation est « cachée : le discours adverse est repris dans ses éléments légitimants, mais il n’est jamais déconstruit dans le texte » (p.33). 

La contribution de Claudia CAGNINELLI et Cécile DESOUTTER explore le potentiel argumentatif du dialogisme dans le cadre du débat parlementaire relatif à la proposition de loi sur le délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (« Dialogisme et argumentation dans le débat parlementaire sur le délit d’entrave à l’IVG », p. 39-55). Leur analyse se concentre sur deux orientations dialogiques : l’une vers les discours antérieurs au débat produits par des tiers (dialogisme interdiscursif) ; l’autre, vers le tour de parole antérieur de l’allocutaire ou vers sa réponse anticipée (dialogisme interlocutif). Au-delà de divers procédés repérés dans les deux cas, C. Cagninelli et C. Desoutter montrent que les formes de dialogisme interdiscursif sont exploitées soit pour légitimer soit pour attester les propos des débatteurs. Ces derniers font en revanche recours au dialogisme interlocutif pour infirmer les arguments de la contrepartie, dans le but d’affaiblir la validité des assertions des opposants tout comme leur crédibilité, ou bien ils anticipent leur potentiel discours-réponse pour le discréditer préalablement. Même si, dans le débat étudié, les procédés dialogiques mobilisés et les sources convoquées par les deux parties en confrontation sont plutôt similaires, les auteures remarquent que celles-ci ont pourtant des visées différentes ainsi que des tendances divergentes dans la structuration des interventions en fonction de leurs rôles respectifs dans le débat. 

Dans « Contester la parole de l’autre dans le débat politique algérien : quelles fonctions pragmatiques pour la reformulation ? » (p.57-72), Siham HOCINI s’intéresse aux fonctions pragmatiques des reformulations comme procédés d’expression du désaccord. À partir d’un corpus composé de débats politiques s’étant déroulés dans le cadre de l’émission algérienne Controverse, Hocini étudie les cas où la reformulation prend la forme d’une « reprise-modification » des propos antérieurs des interlocuteurs et en éclaircit trois fonctions principales en lien avec l’acte du désaccord. Elle montre tout d’abord que la reprise-modification peut souvent constituer un « amalgame d’adoucisseurs » (p.65), dans la mesure où ce phénomène peut assumer en même temps la fonction d’ « adoucisseur amadoueur » et celle d’ « adoucisseur préliminaire »En effet, ce type de reprise permet d’introduire le désaccord du locuteur tout en valorisant la face positive de l’interlocuteur ; la reformulation des propos de l’interlocuteur marque un accord partiel de la part du locuteur et fonctionne ainsi comme « adoucisseur amadoueur ». Cependant, cette même reprise fonctionne aussi comme « adoucisseur préliminaire » parce qu’elle avertit en même temps l’interlocuteur de la production d’un acte menaçant pour sa face. Hocini montre ensuite que la reformulation des propos de l’interlocuteur peut aussi contribuer à durcir le désaccord si elle est employée pour verbaliser l’accord avec l’un des participants ayant déjà manifesté son dissensus. En l’occurrence, l’auteure remarque que la reprise-modification renforce l’offense dans la mesure où la face de l’interlocuteur est menacée par deux intervenants. Enfin, Hocini met en évidence une dernière fonction qui est exploitée notamment par l’animateur du débat quand il reformule les propos d’un débatteur pour demander à un autre ce qu’il en pense. Dans ce dernier cas, la reprise-reformulation représente un véritable déclencheur du désaccord.

Le dossier thématique est suivi de deux autres contributions publiées sous la rubrique Varia. La contribution d’Antoine PRINTZ se propose d’analyser le champ notionnel dans lequel s’inscrit la notion d’inclusion, en tant que « référentiel » central au sein des politiques sociales européennes (« L’inclusion : clarification d’un champ notionnel », p.75-92). Soulignant la tendance européenne à envisager la question sociale à travers l’opposition dichotomique inclusion/exclusion, l’auteur propose un tour d’horizon de l’évolution de cette notion à travers la comparaison avec d’autres qui y sont concurrentes. Les notions d’intégration, d’insertion, de cohésion sociale, de vivre-ensemble et de solidarité sont ainsi décrites, en mettant en relief les « ontologies sociales spécifiques » qu’elles cristallisent ainsi que les  « voies d’action [qu’elles dessinent] sur la question sociale » (p.80). D’après A. Printz, deux thématisations principales du faire-société se dégagent de ces modèles, étant toutes caractérisées par deux pôles antagoniques complémentaires : l’individu et le corps social. L’auteur remarque en effet que si, d’une part, l’insertion ou l’intégration mettent l’accent sur « le travail sur l’individu comme pivot du faire-société » (p.87), de l’autre, les modèles de la cohésion sociale, du vivre-ensemble et de la solidarité privilégient plutôt le pôle du corps social. Quant à la thématisation caractérisant la notion d’inclusion, il observe en revanche qu’elle semble incarner une position médiane entre les modèles antipodiques relevés dans sa contribution.

Les activités de production de discours lors d’une assemblée générale (AG) de militants anarchistes sont analysées par Manon HIM-AQUILLI, qui s’intéresse plus particulièrement aux enjeux militants de la construction d’un locuteur collectif (« “Alors que nous on s’acharne à dire que c’est un système” : enjeux militants de la construction d’un locuteur collectif en AG anarchiste », p. 93-110). À partir d’un échange au sujet de la violence policière, M. Him-Aquilli étudie les représentations discursives des groupes de locuteurs en fonction de leur positionnement discursif ainsi que les effets que celles-ci produisent sur la situation de parole et sur les rapports de place. L’auteure montre comment deux usages différents du « nous » ont été exploités pour construire des positionnements divergents. Employé dans un discours qui est en contraste avec les positionnements anarchistes, le « nous » inclusif impose une « complicité énonciative » (p.101) aux interlocuteurs et véhicule un positionnement qui « menace la définition de l’AG en tant que mode d’existence du mouvement anarchiste » (p.107).  Au contraire, le recours à un « nous » exclusif en réponse au précédent vise à mettre en relief l’existence d’un contre-discours, établissant ainsi une démarcation entre deux groupes de locuteurs et, par conséquent, deux discours en conflit. Il s’agit là, d’après l’auteure, d’une « opération de positionnement » (p.101) qui crée un rapport de force et dévalue le discours dominant, revendiquant ainsi la définition des AG « comme un lieu de circulation, c’est-à-dire de diffusion/répétition/commentaire de certains contre-discours, reconnus comme anarchistes » (p.107). 

Le numéro s’achève sur l’entretien avec Norman Fairclough réalisé par Ronny Scholz, « Critical discourse analysis as ‘dialectical reasoning’: from normative critique towards action, by way of explanation / L’analyse critique du discours en tant que “raisonnement dialectique” : de la critique normative à l’action, en passant par l’explication » ( p.113-123). R. Scholz et N. Fairclough retracent les étapes principales de l’évolution de l’analyse critique du discours (CDA) depuis les années 1980 jusqu’à la vision actuelle de N. Fairclough qui la définit comme un « raisonnement dialectique ».

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