Michela Tonti, Le nom de marque dans le discours au quotidien. Prisme lexiculturel et linguistique, Paris, L’Harmattan, coll. laboratorio@francesisti, 2020, 207 p.

di | 18 Febbraio 2021

Comme Robert Galisson le reconnaissait en pionnier, « la prolifération des noms de marque n’est pas un épiphénomène quelconque, mais un fait culturel de première importance, révélateur du fonctionnement de notre société ». L’étude de Michela Tonti, Le nom de marque dans le discours au quotidien. Prisme lexiculturel et linguistique, publié aux éditions L’Harmattan en 2020 et préfacé par John Humbley, s’inscrit dans cette lignée d’étude d’inspiration explicitement galissonienne. L’analyse conduite pas l’auteure vise à élargir le champ d’observation des noms de marque (dorénavant NdM) grâce à la fouille d’un large corpus lui permettant de les observer en discours. L’objectif de l’ouvrage est précisément de proposer une étude empirique du phénomène qui a été, jusqu’à il y a quelques années, confiée presque exclusivement aux réflexions théoriques « in vitro ». Se détachant du contexte publicitaire et du marketing pour enquêter sur la culture ordinaire véhiculée par les NdM, l’auteure s’intéresse plus particulièrement à l’intégration des NdM dans le « stock lexiculturel » des locuteurs à travers l’analyse des comportements linguistiques de ces derniers. Elle porte l’attention en particulier sur les occurrences des NdM recueillis sur des blogs ou des forums relevant du « discours au quotidien » et se focalise sur la créativité lexicale des sujets parlants à travers l’étude des dérivations morphologiques et sémantiques des NdM en discours.

Le premier chapitre est consacré à la définition du NdM d’un point de vue théorique en retraçant la littérature scientifique disponible à ce sujet, après avoir rappelé la définition de la marque en marketing et en droit. Pour ce qui est des analyses plus proprement linguistiques, Michela Tonti passe en revue les critères formels, morpho-syntaxiques, sémantiques et pragmatiques utilisés dans l’analyse du nom propre et du NdM. Elle s’attache à relever les propriétés spécifiques des NdM par rapport aux noms propres et conclue sur la nature polysémiotique des NdM qui est susceptible de se charger « d’une constellation de sèmes en discours ».

Ce constat justifie la démarche adoptée se basant sur l’exploitation d’un large corpus électronique qui constitue le sujet du deuxième chapitre. Comme l’auteure l’explique, l’étude corpus-based a été conduite en 2016 sur le corpus Aranea, corpus multilingue de textes extraits du Web mis au point par l’Université Comenius de Bratislava, à partir d’une liste de 1987 NdM qui a été construite après le dépouillement de catalogues commerciaux et le recoupement avec les classements thématiques des NdM disponibles sur le site de l’I.N.P.I (Institut National de la Propriété Industrielle). Une des parties les plus intéressantes concerne l’analyse des contextes d’utilisation des NdM à travers l’exploitation du corpus qui pose les bases de la réflexion qui suit. 

Le troisième chapitre adopte un point de vue plus strictement lexicologique puisqu’il se concentre sur l’analyse des phénomènes de polysémie et d’homonymie des NdM en concurrence avec des unités de la langue commune (Printemps, Innocent, Le Petit Marseillais). L’auteure soutient l’idée que « les NdM qui partagent avec la langue commune ses lexies sont en mesure de dépasser le stade de l’homonymie pour déclencher une polysémie enrichissante » et d’occasionner des métaphores vives, malgré la possibilité d’incertitude référentielle (exemple de BHV ou Saint Maclou). En dehors des cas d’ambiguïté, l’analyse de NdM empruntant à la langue commune sert de point de départ à Michela Tonti pour souligner la valeur culturelle des NdM et sélectionner une liste de « nouveaux candidats lexiculturels » en les regroupant selon l’implicite culturel qu’ils véhiculent (identités régionales, terroirs, tradition, exotisme, cultures générationnelles, religieuse, mythologique, littéraire, etc.), c’est-à-dire en appliquant à son corpus les catégories de la culture ordinaire définies par Galisson.

Le quatrième chapitre combine l’approche quantitative des données et l’analyse de marqueurs discursifs de « notoriété » afin de définir les NdM les plus courants au moment de l’étude. Ce sont en particulier les marqueurs d’évaluation subjective qui ont retenu l’attention de l’auteure comme les adjectifs d’intensité, verbes, adverbes mais aussi les structures syntaxiques contemporaines de jugement comme (du) style, (du) genre, (du) type + NdM, etc. pour dépasser les simples données quantitatives et accéder aux NdM entrés dans le stock lexiculturel des locuteurs francophones contemporains. D’après les résultats de cette analyse, le nombre de ces NdM courants s’élève à 148 unités. L’auteure parvient à démontrer, une fois de plus, dans quelle mesure l’effet discursif du NdM se base sur des valeurs et des informations extralinguistiques partagées par les locuteurs.

Le dernier chapitre, consacré à la dimension variationnelle des NdM ainsi qu’aux figures de rhétorique, se concentre sur la créativité lexicale à partir des NdM. Les premiers paragraphes analysent les indices de lexicalisation des NdM, bien que ce ne soit pas la perspective ici adoptée, comme la variation orthographique, qui se manifeste surtout sur les signes diacritiques comme les accents ou le tréma, la variation flexionnelle ou encore l’intégration syntaxique (comme la structure c’est du + NdM). L’auteure passe en revue les néologismes créés à partir des NdM suivant les matrices lexicogéniques établies par J.-F. Sablayrolles, et s’attarde sur la productivité du NdM Ripolin et ses dérivés ripoliner, ripolinage etc., utilisés surtout dans des contextes politiques et sociaux, pour terminer sur les figures de style créées en discours au moyen des NdM.

L’ouvrage de Michela Tonti, s’inscrivant dans un mouvement d’études linguistiques contemporaines sur l’onomastique commerciale, a le mérite de proposer une analyse sémantico-syntaxique rigoureuse se basant sur l’exploitation des discours quotidiens issus du Web. Ce n’est en effet qu’en contextualisant ces unités du lexique qu’il est possible de saisir tous les effets de significations dérivant aussi bien du contexte que des implicites culturels dont ils sont porteurs. En outre, le corpus des données recueillies pourra se révéler une ressource précieuse pour les recherches futures autour du fonctionnement des NdM en discours impliquant de multiples approches et variables.

JANA ALTMANOVA

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