Bruno COURBON(dir.), De la conception du lexique à sa dictionnarisation. Études réunies en hommage à Jean-Claude Boulanger, Limoges, Lambert-Lucas, coll. « La Lexicothèque », 2024, 596 p.
Rigoureusement préfacé par Pierre Auger et présenté par Bruno Courbon, ce volume collectif publié dans la collection « La Lexicothèque » ‒ dirigée par Chiristine Jacquet-Pfau ‒ est conçu comme un hommage raisonné à Jean-Claude Boulanger, dont la carrière, marquée par la rigueur et l’innovation, a profondément influencé les domaines de la lexicographie, de la terminologie, de la néologie et de l’aménagement linguistique, particulièrement, mais non seulement, dans le contexte québécois.
Dans sa préface intitulée « Le linguiste aux multiples “mains” »(p. 17-22), Pierre Auger met en lumière la polyvalence et la richesse du parcours scientifique de Jean-Claude Boulanger. Auger décrit son collègue comme un chercheur, un enseignant et un lexicographe exceptionnel, formé à l’Université Laval sous la direction de figures marquantes telles que Georges Straka, Kurt Baldinger, mais aussi en lien étroit avec Alain Rey et Josette Rey-Debove des éditions Le Robert. Il insiste sur la capacité de J.-C. Boulanger à articuler philologie, lexicographie, terminologie et sociolinguistique dans ses travaux. La préface retrace les grandes étapes de sa carrière, ses collaborations internationales et son rôle décisif dans l’aménagement linguistique québécois, tout en soulignant son engagement dans la reconnaissance du français du Québec comme objet scientifique légitime. Auger souligne également l’influence durable de J.-C. Boulanger sur la recherche lexicographique francophone.
Les objectifs scientifiques et éditoriaux de l’ouvrage sont décrits avec précision et finesse dans la présentation de Bruno Courbon (p. 23-80). Il souligne que les textes réunis témoignent d’une vision dynamique du lexique, où la « dictionnarisation » – un concept clef forgé par Jean-Claude Boulanger – désigne le processus d’intégration des unités lexicales dans les dictionnaires, considérés non comme des entités figées mais comme des miroirs évolutifs des usages sociaux.
La présentation détaille également la structuration du volume en six parties thématiques (p. 29), chacune introduite par un des spécialistes ayant collaboré avec J.-C. Boulanger ou ayant étudié de près son travail : la terminologie, la lexicographie et métalexicographie du français québécois, l’histoire de la lexicographie, la néologie, l’interdiction lexicographique et la néobienséance, les onomastismes.
Ces parties abordent des champs variés mais convergents, illustrant la capacité de Jean-Claude Boulanger à penser le lexique sous de multiples angles : descriptif, historique, normatif et sociolinguistique.
Courbon met en lumière par ailleurs la portée militante de certains travaux de J.-C. Boulanger, qui visaient à légitimer le français du Québec en tant que variété autonome, digne d’une description dictionnairique complète et rigoureuse. Cette reconnaissance s’est concrétisée à travers des projets lexicographiques emblématiques, comme le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (DQA) ou encore Usito, qui témoignent de la vitalité du français québécois et de sa légitimité dictionnairique.
Enfin, l’ample présentation place l’œuvre de Jean-Claude Boulanger dans un cadre épistémologique plus large : celui de la réflexion sur les relations entre langue, société et pouvoir, où le dictionnaire apparaît à la fois comme un outil descriptif et comme un vecteur symbolique des représentations sociales. Bruno Courbon conclut en soulignant que cet ouvrage se veut une contribution à la fois scientifique et patrimoniale, témoignant de l’importance de l’œuvre de J.-C. Boulanger pour la francophonie contemporaine.
En effet, l’ouvrage vise à mettre en lumière la richesse et la diversité de la pensée de J.-C. Boulanger, en s’attachant à ses contributions théoriques comme à ses réalisations pratiques, notamment dans le cadre de l’aménagement linguistique au Québec et de la néologie francophone.
Les introductions de chacune des six parties thématiques permettent de contextualiser les textes choisis et d’en souligner les apports spécifiques. L’objectif de cette organisation est double : offrir un accès structuré à une œuvre abondante et parfois difficilement accessible, et restituer la cohérence d’un parcours intellectuel qui s’est déployé à l’intersection de la théorie linguistique, de la pratique lexicographique et de l’engagement sociolinguistique.
Au-delà de l’hommage, le recueil constitue un document de travail utile pour les chercheurs en lexicologie, lexicographie, terminologie, néologie, sociolinguistique et histoire de la langue. Il illustre également une posture scientifique engagée, soucieuse de décrire la langue telle qu’elle est utilisée dans la société, sans imposer de normes artificielles ou idéologiques.
La première partie du volume, intitulée « Terminologie » (p. 83-148), s’ouvre sur une introduction signée par Yves Gambier et Marie-Claude L’Homme, intitulée « Leçon d’un chercheur tranquille » (83-83). Cette introduction met en avant l’absence de frontières strictes, chez Jean-Claude Boulanger, entre la lexicographie, la lexicologie, l’onomastique et la terminologie, soulignant sa vision globale de la langue française et l’attention particulière qu’il portait à sa variété québécoise. Suivent quatre chapitres. Le premier, « Le miroir aux alouettes en intelligence artificielle » (p. 87-94), analyse la notion de « xénoterminologie » et explore les effets de miroir dans les processus terminologiques relatifs à l’intelligence artificielle. Le deuxième chapitre, « Développement, aménagement linguistique et terminologie : un mythe ? L’exemple de la malgachisation » (p. 95-113), examine les enjeux de la planification linguistique en prenant Madagascar comme étude de cas, illustrant les défis de l’aménagement terminologique. Le troisième chapitre, « Une lecture socioculturelle de la terminologie » (p. 115-126), propose une analyse approfondie des différentes dimensions de la socioterminologie, s’intéressant notamment aux domaines spécialisés, à la normalisation des termes, à la synchronie et à la métaphore, en vue d’interroger la place des termes dans la société. Enfin, le quatrième chapitre, « L’aménagement des marques d’usage technolectales dans les dictionnaires généraux bilingues » (p. 127-148), étudie la gestion des marques d’usage relatives aux technolectes dans les dictionnaires bilingues, en se concentrant sur la structuration des entrées tant au niveau microstructurel que macrostructurel. Cette première partie illustre la capacité de Jean-Claude Boulanger à conjuguer réflexion théorique, observation pratique et souci sociolinguistique, mettant en évidence la perméabilité des frontières entre langue générale et langues de spécialités.
La deuxième partie du volume, intitulée « Lexicographie et métalexicographie du français québécois » (p. 151-204), s’ouvre par une introduction de Pierre Martel, « Jean-Claude Boulanger, lexicographe et métalexicographe québécois : pratique et théorie » (p. 151-154), qui retrace le parcours professionnel et scientifique de J.-C. Boulanger, en insistant sur ses contributions décisives à la lexicographie québécoise, en particulier son travail sur le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui et l’adaptation du Dictionnaire CEC jeunesse (p. 155-166). Cette partie regroupe quatre chapitres : le chapitre 5, « Faudra-t-il dégriffer ou “regriffer” le futur dictionnaire québécois de la langue française ? » (p. 155-166), examine la problématique de la norme lexicographique et de la légitimité des choix terminologiques dans le contexte québécois. Le chapitre 6, « Peut-on « dictionnariser » le français du Québec ? » (p. 167-177), interroge la faisabilité et les enjeux méthodologiques de la mise en dictionnaire du français québécois, notamment à travers l’analyse du DQA et la question des anglicismes. Le chapitre 7, « Dictionnaires français et dictionnaires québécois : différenciations ou nuances microstructurelles ? » (p. 177-192), met en perspective les différences et ressemblances entre les dictionnaires français hexagonaux et québécois, en soulignant les choix microstructurels qui traduisent des sensibilités linguistiques distinctes. Enfin, le chapitre 8, « La légitimité d’un dictionnaire culturel québécois » (p. 193-204), défend l’idée d’un dictionnaire qui reflète non seulement la langue mais aussi l’identité culturelle propre au Québec. Cette partie illustre la volonté de Jean-Claude Boulanger de penser la lexicographie non seulement comme un outil linguistique mais aussi comme un acte culturel et politique visant à affirmer la spécificité du français québécois.
La troisième partie du volume, intitulée « Histoire de la lexicographie » (p. 207-252), s’ouvre sur une introduction de François Gaudin, « Plongée dans l’histoire des dictionnaires » (p. 207-212), qui analyse la manière dont Jean-Claude Boulanger a su éviter les écueils classiques de la lexicologie en articulant approche historique et analyse anthropologique du dictionnaire. Gaudin souligne que J.-C. Boulanger s’est intéressé tant aux origines lointaines des répertoires lexicaux, depuis l’invention de l’écriture qu’à la transmission des savoirs lexicaux à travers les dictionnaires scolaires, objets souvent négligés mais essentiels dans la formation linguistique des jeunes générations. Deux chapitres suivent : le chapitre 9, « Le Petit Larousse au Québec : brève histoire et influence » (p. 213-225), examine le rôle central joué par cette œuvre lexicographique dans le paysage éducatif québécois entre 1947 et 1992, en documentant l’introduction des québécismes et l’adaptation culturelle opérée par les éditions locales. Le chapitre 10, « Du côté de la petite histoire des dictionnaires scolaires modernes » (p. 227-252), retrace l’évolution des dictionnaires destinés à l’apprentissage scolaire, en mettant en lumière leur importance glottopolitique et leur influence déterminante sur la norme linguistique perçue. Sous le titre « Entre l’eduba et le scriptorium : le singe aux poils blancs », un commentaire approfondi de François Gaudin sur l’ouvrage de J.-C. Boulanger Les Inventeurs de dictionnaires (2003) clôt cette partie, soulignant l’ambition encyclopédique de ce traité et sa contribution unique à l’histoire mondiale des dictionnaires.
La quatrième partie du volume, intitulée « La néologie » (p. 267-351), débute avec une introduction de Jean-François Sablayrolles et John Humbley, « Néologie et néographie : retour sur une œuvre pionnière » (p. 267-269), qui rappelle combien la néologie et la néographie occupaient une place essentielle dans la réflexion et les travaux de Jean-Claude Boulanger. L’introduction souligne que, pour lui, la néologie n’était pas seulement une question académique, mais aussi un véritable engagement citoyen, visant à produire des outils lexicographiques concrets et utiles pour la société. Trois chapitres suivent : le chapitre 11, « Les dictionnaires et la néologie : le point de vue du consommateur » (p. 271-284), propose une analyse des attentes et des usages des dictionnaires par le grand public, en détaillant la relation entre les utilisateurs et les entrées néologiques. Le chapitre 12, « Chronologie raisonnée des bibliographies de la néologie, précédée de quelques miscellanées »(p. 285-300), présente une synthèse historique des principales bibliographies consacrées à la néologie, en retraçant l’évolution des outils documentaires et leur rôle dans la diffusion des recherches néologiques. Enfin, le chapitre 13, « Sur l’existence des concepts de “néologie” et de “néologisme”. Propos sur un paradoxe lexical et historique » (p. 301-351), examine les fondements théoriques de la néologie, en questionnant la nature des néologismes et en analysant les tensions conceptuelles entre innovation lexicale et inscription dictionnairique. Cette partie met en évidence la pensée dense et méthodique de J.-C. Boulanger, qui a fortement contribué à la disciplinarisation de la néologie dans l’espace francophone.
La cinquième partie du volume, intitulée « Interdiction lexicographique et néobienséance » (355-465), s’ouvre sur une introduction de Normand Baillargeon, « Un regard de philosophe » (355-357), qui met en lumière les affinités intellectuelles entre la philosophie et la lexicographie pratiquée par Jean-Claude Boulanger, notamment autour des questions de clarification conceptuelle et des tabous lexicaux. Cette partie regroupe quatre chapitres majeurs. Le chapitre 14, « Les principales interdictions : des choses aux mots » (p. 359-383), passe en revue les différentes formes d’interdiction qui touchent le lexique : culturelle, sexuelle, sociale, politique, religieuse, artistique, littéraire et onomastique. Le chapitre 15, « À propos de l’arrimage entre le dictionnaire et la néobienséance » (p. 385-395), analyse la manière dont les dictionnaires reflètent les évolutions sociétales en matière de bienséance, questionnant l’équilibre entre fidélité aux usages réels et prudence éditoriale, jusqu’à envisager la tension entre euphémisation et censure. Le chapitre 16, « Un épisode de la néobienséance dans les dictionnaires scolaires : le protocole de rédaction des exemples comportant un prénom » (p. 397-430), étudie un cas concret lié à la représentation genrée des prénoms dans les exemples dictionnairiques, révélant les enjeux sociopolitiques et pédagogiques qui sous-tendent ces choix éditoriaux. Enfin, le chapitre 17, « L’enchâssement du discours de la néobienséance dans le dictionnaire : un contre-exemple de polynomie interne »(p. 431-459), propose une réflexion critique sur la capacité des dictionnaires à intégrer la diversité lexicale tout en résistant aux pressions normatives excessives. Cette partie témoigne de la vigilance épistémologique de Jean-Claude Boulanger face aux phénomènes de censure et de standardisation excessive dans la description lexicographique contemporaine.
La sixième partie du volume, intitulée « Les onomastismes »(p. 463-482), s’ouvre sur une introduction de Gabriel Martin, « Quand la lexicographie rencontre la déonomastique » (p. 463-465), qui rappelle que si la lexicographie québécoise a connu des développements importants ces dernières décennies, la déonomastique – l’étude des unités lexicales issues de noms propres – reste encore relativement marginale. Martin souligne que cette branche de la lexicologie devrait, selon lui, être davantage prise en compte par les lexicographes, notamment en raison de la question essentielle qu’elle soulève : celle de l’intégration des onomastismes dans les dictionnaires. Cette partie comprend un unique chapitre, le chapitre 18, « Regard sur le statut des onomastismes en langue et dans les DGM » (p. 467-482), rédigé par Jean-Claude Boulanger. Dans ce texte, J.-C. Boulanger analyse de manière détaillée le traitement des onomastismes dans les dictionnaires généraux monolingues. L’auteur y aborde des aspects terminologiques, morphologiques et sémantiques, discute des unités lexicales complexes et des listes périphériques des dictionnaires, et examine la place des dictionnaires de noms propres. Il conclut en développant le concept d’« adoubement dictionnairique », qui désigne l’officialisation des onomastismes au sein de la nomenclature des dictionnaires, signe de leur pleine reconnaissance linguistique.
Le volume se clôt par un épilogue signé Bruno Courbon, qui dresse un portrait vibrant de Jean-Claude Boulanger en tant que linguiste et pédagogue passionné. Courbon évoque la minutie analytique de J.-C. Boulanger, sa curiosité inépuisable pour les dictionnaires et son engagement à transmettre cette passion à ses collègues, étudiants et amis. L’épilogue souligne que la marque laissée par J.-C. Boulanger ne se limite pas à ses travaux scientifiques, mais englobe aussi la dimension humaine d’un chercheur profondément attaché à la valorisation du français québécois et à la démocratisation du savoir lexicographique. Ce texte de clôture rend hommage à l’ampleur et à la profondeur de son héritage intellectuel, tout en exprimant une gratitude collective pour son apport décisif aux études linguistiques.
L’apparat paratextuel du volume est particulièrement soigné et comprend plusieurs sections essentielles : la « Bibliographie des textes cités » (p. 489-513) qui rassemble toutes les références académiques mobilisées dans les chapitres ; la « Bibliographie de Jean-Claude Boulanger » (p. 515-548), qui recense l’ensemble de ses publications majeures, témoignant de la richesse et de la diversité de sa carrière scientifique ; un « Index de notions » (p. 549-571), un outil précieux pour naviguer tout au long du volume ; la « Table des tableaux » (p. 573-578), permettant de localiser rapidement les données synthétiques insérées dans les contributions ; enfin, la section « Les contributeurs » (p. 579-582), qui présente les auteurs ayant participé à cet ouvrage collectif, en offrant un aperçu de leurs parcours académiques respectifs. Cet ensemble paratextuel contribue à faire de ce livre un outil de référence complet et accessible pour les chercheurs, enseignants et étudiants intéressés par la lexicographie, la terminologie et la linguistique appliquée.
[Mariadomenica LO NOSTRO]