Florence LEFEUVRE, Dejan STOSIC et Daciana VLAD (éds.), Manières de dire : de la prédication à la construction. Hommage à Estelle Moline

di | 13 Giugno 2025

Florence Lefeuvre, Dejan Stosic et Daciana Vlad (éds.), Manières de dire : de la prédication à la construction. Hommage à Estelle Moline, Studii de lingvistică, numéro14-1/2024, pp. 223

Le numéro 14-1 (2024) de la revue Studii de lingvistică, intitulé Manières de dire : de la prédication à la construction, se veut un hommage posthume rendu à la linguiste Estelle Moline pour sa contribution dans le domaine de la linguistique française. En effet, il réunit des études organisées selon un axe chronologique qui suit les centres d’intérêt d’Estelle Moline. En plus, ce n’est pas par hasard que ce numéro de la revue Studii de lingvistică lui est consacré, car elle est l’une des cofondatrices de la revue, lors d’un de ses séjours à l’Université d’Oradea de Roumanie.

Le volume est organisé en quatre volets complémentaires : les mots en que et le mot comment, les adverbes et les compléments de manière, les noms généraux et l’anaphore, la prédication et les modalités.

Un premier volet, faisant référence à la recherche doctorale d’Estelle Moline consacrée aux mots en que ou au mot comment, en tant qu’usage non standard d’exclamatif ou comme expression de la manière, réunit trois articles. Le premier article est celui d’Anne Dagnac (Variations en C : Espèces de que dans l’espace gallo-roman) qui propose une vision descriptive et classificatoire sur certaines occurrences de que dans l’Atlas Linguistique de la France et dans quelques sources gallo-romanes, afin de mettre en évidence ses valeurs inédites: interrogatives partielles directes, exclamatives indirectes, relatives en , temporelles en quand, hypothétiques en si. Dans la dernière partie, l’article prend aussi en considération le cas particulier du gascon et du picard.

Dans le deuxième article, Florence Lefeuvre (La structure comment que P à l’oral spontané et représenté) fait une analyse de la structure comment que P dans des corpus d’oral spontané en langue d’oïl afin de vérifier son emploi dans les interrogatives, notamment indirectes, et dans les exclamatives directes.  Suite à la comparaison de plusieurs corpus oraux, la conclusion qui s’en dégage est que son emploi est en déclin en France par rapport au Corpus de Français Parlé Québécois, où il paraît plus vivant.

Gaétane Dostie (Comment et l’expression de la quantité en français québécois de tous les jours. Je me demande comment ça coûte, comment il y a de neige, ça fait comment de temps), apporte une autre perspective d’analyse avec l’étude de l’emploi quantitatif de comment auprès des verbes tels que coûter dans le Corpus de français parlé au Québec (CFPQ). Même si le sens prototypique de comment est lié à la manière, l’auteur identifie deux sens périphériques : un comment quantitatif et un comment intensif, avec un certain recul du comment quantitatif au-delà de son maintien dans le paradigme lexical pécuniaire.

Le deuxième volet réunit trois articles dédiés à l’étude des adverbes et des compléments de manière. Prenant comme point de départ l’analyse des compléments de manière auprès de quatre classes de verbes (états, activités, accomplissements et achèvements) dans le roman Étoile errante de Le Clézio, l’article de DejanStosic (Modification des prédicats d’achèvements par les compléments de manière) révèle que les compléments de manière se combinent régulièrement avec les verbes d’activité, mais aussi avec les verbes d’achèvement. Dans ce contexte, l’auteur souligne la nécessité de mener des analyses statistiques pour établir des corrélations entre les quatre classes de verbes et la modification par la manière.

L’article de Cyril Aslanov (Adverbes, adverbiaux et coverbes : pour compléter une réflexion commencée avec Estelle Moline) propose une étude diachronique et philologique de la catégorie de l’adverbe dans une perspective typologique dans le cas des langues sémitiques au contact avec les langues indo-européennes.  L’auteur privilégie la question des coverbes du point de vue morphologique et syntaxique, s’intéressant également à la distinction adverbes et prépositions (dans le cas des langues finno-ougriennes). Sa conclusion lance une question ouverte concernant son statut de partie du discours : « la catégorie de l’adverbe transcende souvent les frontières entre les parties du discours et même entre les langues au point qu’on est tenté de se demander si l’adverbe est vraiment une partie du discours ».

Thierry Ruchot (L’absence et la compensation : en l’absence de, faute de, à défaut de, par manque de) fait une analyse des prépositions complexes reliées sémantiquement par la notion d’absence d’une entité ou d’un événement (en l’absence de, faute de, à défaut de, par manque de) par la prise en compte de paramètres sémantiques (la sémantique des noms régis, leurs possibilités aspectuelles, leur dénotation, l’utilisation ou non de déterminants et le statut référentiel du complément) ou prosodiques (la position de ces prépositions). À la fin de son article, l’auteur ébauche les pistes futures de développement de ce sujet, telles que la combinatoire et les facteurs conditionnant l’usage des prépositions complexes, auxquels s’ajoute une étude diachronique de leur évolution.

Un troisième volet s’intéresse aux noms généraux, thématique examinée par Estelle Moline dans ses dernières recherches notamment avec le mot truc (Moline 2021) et la typologie du mot chose. L’article de Silvia Adler et Il-Il Yatziv-Malibert (En savoir des choses : une étude de davar ‘chose’ dans un corpus d’hébreu parlé) propose une analyse syntaxique et sémantico-référentielle du nom davar (« chose » en hébreu) dans un corpus d’hébreu parlé recensé dans les corpus suivants : CoSIH, Corpus of Spoken Israeli Hebrew. La conclusion met en évidence son rôle massif dans la structuration du discours (antécédent à des constructions relatives, support d’une construction infinitive, terme de nombreuses expressions figées, positives comme négatives), ce qui le rapproche de ses homologues français, anglais, espagnol, italien et portugais.

Mathilde Salles (Noms généraux et anaphore : une histoire de parties et de membres) examine les possibilités anaphoriques des noms généraux, analysant les particularités de partie et membre dans deux types d’anaphores : les anaphores associatives fondées sur une relation partie-tout ou sur une relation membre-collection.

Les deux derniers articles portent sur la prédication et plus précisément sur les modalités. À partir d’énoncés attestés dans la presse, Véronique Lenepveu (L’expression il est évident que (p) comme marqueur de «subjectivité impersonnelle») s’intéresse aux conditions d’emploi de la forme il est évident que p qui exprime une modalité subjective «impersonnelle». En effet, à l’indicatif présent, elle exprime deux valeurs : l’implicativité (par défaut, il est évident que p implique p) et la non-réversibilité de l’implication (p n’implique pas il est évident que p).

Inscrit dans le cadre de la Théorie des Opérations Enonciatives, l’article d’Eric Gilbert (Autour de quelques valeurs de be to en anglais contemporain) prend en considération deux opérations distinctes qui construisent le sens de cet ensemble : le verbe be et to– son arrière-plan. Mais chacune d’elles peut être activée séparément selon les caractéristiques modales de l’apodose. Cela illustre un phénomène décrit par l’auteur dans les termes suivants : « la combinaison garde une mémoire de ses constituants, qu’elle est susceptible de déployer dans certains environnements contextuels ».

À la fin de ce parcours, il appert que ce volume illustre les «manières de dire », à partir de la prédication vers des constructions syntaxiques couvrant différents emplois contextuels dans le français standard, dialectal, le français québécois, l’hébreu parlé aussi bien en synchronie qu’en diachronie. Cette richesse de perspectives d’analyse se constitue alors comme une invitation lancée aux lecteurs pour des études contrastives ou comparatives dans plusieurs langues en contact avec la langue française.

[Daniela Dincă]