Galia YANOSHEVSKY (dir.), Les discours du tourisme

di | 25 Febbraio 2022

Galia YANOSHEVSKY (dir.), Les discours du tourisme, Argumentation & Analyse du Discours, N° 27, 2021.

Le dernier numéro de la revue du groupe ADARR, coordonné par Galia YANOSHEVSKY, est consacré aux discours du tourisme. Issue d’un atelier de recherche de 2019 portant sur les « Discourses and Materialities of Tourism », cette livraison se propose de cerner plusieurs problématiques liées à ce domaine, en s’inscrivant dans une perspective qui tend à considérer le tourisme en tant que « formation discursive », au sens foucauldien (1969). Comme l’explique Yanoshevsky dans son introduction, le tourisme est un objet aux multiples facettes qui mérite d’être appréhendé dans sa pluralité. Les contributions rassemblées dans ce recueil de fait n’abordent pas le discours du tourisme, mais les discours du tourisme : « il s’agit en effet d’un domaine à multiples acteurs, les touristes, les voyagistes, les ministères de tourisme et de patrimoine, les industries dérivées du tourisme – qui proviennent de différents horizons : l’économie, la culture, la valorisation du patrimoine, la publicité, la communication, la géographie, qui relèvent donc de régimes discursifs différents ». L’objectif est d’étudier systématiquement la « chose touristique » dans ses réalisations discursives aussi bien de manière directe, à travers les discours scientifiques qui s’y consacrent régulièrement, qu’en donnant droit de cité aux productions littéraires qui représentent indirectement l’univers touristique et ses manifestations à travers l’écriture. Toutes les contributions ici réunies suivent un fil rouge mettant au cœur de la réflexion le destinataire du tourisme, à savoir le voyageur-touriste. Yanoshevsky n’oublie pas de remarquer le statut de cette figure qui est à la fois « un produit et un producteur des discours, le consommateur et le consommé ». Son expérience peut être manifestement représentée à travers le genre du récit de voyage, mais aussi demeurer implicite, souvent transférée en filigrane dans les guides de voyage, dans une dialectique constante entre la pratique individuelle et l’activité de groupe, à la découverte de soi et de l’Autre. Après avoir fourni un survol non exhaustif mais tout aussi riche des approches discursives sur le tourisme dans ces deux dernières décennies en et hors France, Yanoshevsky illustre la perspective adoptée dans le recueil. Elle explique qu’étudier le tourisme ne signifie pas seulement s’attarder sur la mise en mots des énoncés, qui structure le discours verbal autour du voyage et de ses acteurs, mais aussi travailler sur l’image et les objets qui, à l’instar du texte, expriment symboliquement l’univers touristique. D’où la nécessité d’une perspective qui vise à faire dialoguer le discursif et le sémiotique, en ouvrant par ailleurs l’horizon aux approches ciblées sur les métadiscours touristiques et leurs supports matériels de transmission (les guides, bien évidemment, mais aussi les catalogues, les sites, les cartes postales, les textes expographiques en accompagnement des images, etc.). Les études réunies dans ce numéro relèvent de perspectives aussi différentes que l’analyse du discours, la linguistique, l’anthropologie, la sociologie, la littérature, les études en sciences de l’information et de la communication, ainsi que de méthodes plurielles (analyses lexicales ou des représentations, la rhétorique, la sémiotique, les études interactionnelles). Cet ensemble hétérogène permet toutefois de dégager, explique toujours la coordinatrice, trois axes dominantes : l’imaginaire touristique qui guide l’expérience du voyageur ; le côté pour ainsi dire « banal » de cette expérience qui s’exprime souvent à travers les stéréotypes et les clichés autour d’une réalité matérielle ou immatérielle ; l’expérience sensorielle qui transcende la matérialité discursive pour se faire corporelle, en convoquant à travers les sens physiques et les états d’esprit un corollaire d’émotions et de sentiments qui participent à la construction de l’identité individuelle et collective du touriste-voyageur. 

Le recueil s’ouvre sur la contribution de Tal SELA (Les pèlerinages de l’Afrique francophone subsaharienne en Terre Sainte : la formation discursive d’une communauté de croyants) qui se penche sur les discours du pèlerinage en Terre Sainte par des voyageurs provenant de l’Afrique subsaharienne. L’auteur met aussitôt l’accent sur l’imaginaire du pèlerinage. Cette emprise est une expérience personnelle voire intime, qui ne peut cependant faire abstraction de la dimension collective, bien résumée par la notion de communitas. À partir de ce postulat, Sela propose d’observer, à l’aune des théories de l’argumentation, de l’analyse du discours et de la sémiotique visuelle, la relation singulier/collectif à travers les iconotextes qui accompagnent les voyages des pèlerins africains. Dans la première partie, l’auteur s’attache à étudier du point de vue argumentatif et discursif une publicité sur la chaîne télévisée « Lumières du monde » (LMTV), dont l’objectif est de promouvoir un pèlerinage en Terre Sainte destiné aux chrétiens africains, alors que dans la deuxième la même analyse porte sur un autre support de diffusion : les brochures que l’agence de voyage béninoise Gota distribue à ses clients chrétiens potentiels. L’article s’achève par une observation minutieuse sur la valeur des décorations et des attestations obtenues par les pèlerins avant de prendre le chemin du retour.

L’article de Clint BRUCE et Émilie URBAIN (Discours du tourisme diasporique : l’exemple d’une visite louisianaise en Acadie) est consacré aux discours du tourisme concernant les Acadiens, à savoir la communauté francophone issue de la dispersion, à la suite de la déportation, de la population habitant les Provinces maritimes canadiennes au XVIIIe siècle. Cette forme de tourisme, justement appelé diasporique, est analysée à l’aune des approches critiques du discours en sciences sociales (Fairclough 1992, 2010, Blommaert 2005), et s’appuie sur des données de terrain, à savoir des entretiens et témoignages de Louisianais et Louisianaises ayant visité les Provinces maritimes, recueillis lors du Congrès mondial acadien (CMA) qui s’est déroulé du 10 au 24 août 2019 dans les provinces du Nouveau-Brunswick et de Île-du-Prince-Édouard. L’objectif est ici de montrer « que les réunions comme celle du CMA 2019, avec leurs discours officiels, leurs activités généalogiques et patrimoniales et leurs visites de lieux historiques, constituent un terrain fertile pour l’étude des processus d’identification diasporique ». C’est à travers les positionnements énonciatifs des touristes louisianais et louisianaises vis-à-vis de leur héritage identitaire commun que la visite prend les contours d’un véritable retour aux origines, une identification collective qui dans le corpus analysé s’exprime à travers la métaphore familiale et la visite des lieux de mémoire.

Le projet Lessico dei Beni Culturali de l’Université de Florence, mené en collaboration avec d’autres universités italiennes et étrangères, fournit le sous-corpus de travail à travers lequel Annick FARINA et Lorella SINI (De la célébration artistique au trouble émotionnel : les représentations discursives de Florence dans les récits des écrivains-voyageurs) étudient les représentations discursives de la ville de Florence dans la littérature de voyage, notamment du XIXe siècle. L’objectif est d’observer, sur le plan discursif, l’attachement dont font preuve les écrivains-voyageurs pour le Rinascimento et, corollairement, pour la ville qui en a été le berceau. Cet intérêt est observé en suivant plusieurs pistes de réflexions qui, s’appuyant au niveau méthodologique sur des recherches automatiques ou semi-automatiques, permettent de valoriser l’expérience du voyage à partir d’une quantité de données, notamment lexicales, qui pourraient passer inaperçues dans une écriture linéaire des textes et des récits de voyage. Dans un premier temps, les autrices rendent compte de l’engouement des écrivains-voyageurs pour le patrimoine artistique de Florence à l’époque médicéenne à travers la description des « hauts-lieux » symboliques. Ensuite, elles passent en revue de nombreux mots-occurrences – l’adjectif « beau », par exemple, dont on propose une analyse très poussée – qui plongent le lecteur, dans la dernière partie, sur l’investissement affectif de l’écrivain-voyageur, comme dans le cas bien connu du « syndrome de Stendhal ».

En partant du postulat que le tourisme et les pratiques qui lui sont associées transforment le paysage social, économique, naturel, politique, etc., Adam WILSON (Marchandisation sans frontières : la construction discursive d’espaces touristiques transnationaux en France) s’attache à cerner dans et par le discours les changements qui découlent de la mise en tourisme d’un endroit. Comme l’écrit l’auteur : « Cet article a pour but de creuser les éléments discursifs de cette transformation d’un espace au service du tourisme, de sa marchandisation en tant que destination ». Les destinations choisies pour la démonstration sont les villes de Marseille et Metz, dont on compte évaluer tant la construction discursive que les conséquences de leur mise en tourisme sur les imaginaires touristiques et géographiques. Plus précisément, l’auteur se sert des guides touristiques et des dossiers de presse régionale, en montrant les stratégies discursives que ces documents mettent en œuvre pour présenter les deux villes françaises comme deux espaces transnationaux émergeants : méditerranéen pour Marseille et européen, ou transfrontalier, pour Metz.

Dans sa contribution, Hécate VERGOPOULOS (Les corps en jeu dans les guides de voyage) aborde la représentation du corps dans les guides de voyage. S’inspirant d’une approche sémio-linguistique, cet article se fonde sur l’idée que le corps joue un rôle essentiel dans la construction de ce genre. Le guide en effet ne se limite pas à proposer des itinéraires de voyage, mais a le but d’orienter, de guider et de nourrir cette corporéité dont plusieurs études ont reconnu la centralité sans pour autant l’aborder frontalement. Le corpus choisi est représenté par une sélection de guides consacrés à la ville de New York, publiés entre 2019 et 2020. Cette ville, beaucoup plus que d’autres destinations, permet de « saisir ce que les guides entendent faire faire aux corps touristiques non seulement en termes d’activités, mais aussi en termes de rythmes ». On part de l’idée que dans les guides touristiques le corps fonctionne comme un élément de médiation qui transfigure l’environnement, en se découvrant lui-même transformé au bout du voyage, ce qui est clairement témoigné dans la matérialité textuelle par l’alternance de discours embrayés et débrayés. Tous les sens sont convoqués pour rendre le séjour du voyageur un expérience émotive, tandis que le mouvement permet d’inscrire le corps dans l’espace. Dans la dernière partie, l’article met l’accent sur le « corps marchand », une idée qui repose sur le constat que dans les guides analysés le côté dysphorique du voyage – la fatigue, par exemple – n’est presque jamais mentionnée, à moins qu’elle ne fasse pas partie de l’expérience sensorielle « qui se dit et se vit touristiquement ».

Séverine EQUOY HUTIN (Tourisme radiophonique et imaginaires touristiques : quand les sons rendent sensibles les lieux, les pratiques et les acteurs) se penche, quant à elle, sur les stratégies de mise en mots du tourisme dans le genre de l’émission radiophonique qui, même sans reposer sur une dimension visuelle, est capable de « ‘faire ressentir’ des lieux, des paysages, des situations et à capter l’attention et l’imagination de l’auditeur ». L’objectif de l’étude, qui s’appuie sur le magazine Et si on partait ? diffusé sur Europe 1 pendant l’été 2020, est en effet de cerner tant sur le plan sémio-discursif qu’argumentatif les procédés et les mécanismes discursifs qui « ‘font tourisme’ […] et rendent radiogéniques les territoires, les pratiques et les acteurs ». L’analyse repose sur quatre strates : du positionnement et de la programmation ; communicationnelle, de la séquentialité et de la problématisation. Cette analyse fondée sur une expérience de « tourisme sonore » met en lumière les enjeux énonciatifs, génériques et argumentatifs de l’émission radiophonique qui, justement à cause de l’absence des images, permet d’évoquer chez l’auditeur un riche imaginaire spatio-temporel en créant l’illusion d’un vrai voyage, avec ses itinéraires, ses moments d’évasion et de contemplation des lieux proches ou lointains.

Le dossier s’achève par la représentation du tourisme de masse dans le discours littéraire, et notamment dans deux romans de Michel Houellebecq : Lanzarote et Plateforme. Carole DELAITRE (Entre éloge et blâme : polyphonie et critique du tourisme dans Lanzarote et Plateforme de Michel Houellebecq) s’appuie sur le postulat que l’activité touristique n’est pas toujours une expérience digne d’être transformée en ouvrage littéraire, et que certaines des représentations fictionnelles existantes « ont contribué à propager pendant un siècle et demi une image négative et stéréotypée des touristes, mais aussi du tourisme décrit comme une forme dégradée du voyage ». Houellebecq, toutefois, ne néglige pas les modalités discursives par lesquelles l’expérience négative, ainsi que les déformations de l’industrie touristique, sont susceptibles d’être transposées en littérature. Dans le corpus analysé, cela se fait à travers une double polyphonie : énonciative dans « Plateforme » uniquement, et discursive dans les deux textes. Alors que pour la première forme de polyphonie, l’ironie qui découle du clivage énonciatif entre le point de vue du narrateur et celui du personnage permet à l’auteur de porter un regard critique sur le tourisme de masse, la deuxième forme laisse apparaître en revanche les stratégies de séduction, nourries de stéréotypes, que Houellebecq dénonce en pointant ainsi du doigt les inconvénients de la démocratisation touristique.

Deux articles de la section Varia complètent ce riche numéro. Le texte de Laurence ARRIGHI (L’analphabétisme au sein d’une communauté linguistique minoritaire : la construction du sujet en problème social (1984-1998)) s’attarde sur la question de l’alphabétisation en contexte linguistique minoritaire, en lien avec la question de la dépréciation voire auto-dépréciation, au sein du débat public, des pratiques langagières des Acadiens du Nouveau-Brunswick. L’autrice propose ici d’observer à travers l’exploration du quotidien acadien L’Acadie Nouvelle comment le contexte socio-discursif transforme en débat public la réflexion sur l’analphabétisme qui circule au sein de la communauté linguistique acadienne. Arrighi se sert des outils de l’argumentation rhétorique en réfléchissant aux jugements sur la compétence linguistique des acadiens parsemés dans le discours de presse, et plus généralement sur les étapes que suit la construction rhétorique d’un tel discours au sein de réalités fortement minoritaires et marginalisées. Car, conclut l’autrice, la question de l’analphabétisme au N.-B. était déjà présente bien avant sa montée en tension mais « n’était pas pensé[e] comme une situation remédiable ». Leslie PISON (La dissonance dans le dissensus : manifestations et conséquences argumentatives d’une attaque psychologisante) s’appuie sur un corpus de tweet afin d’analyser sur le plan argumentatif l’expression « dissonance cognitive » et comment celle-ci est utilisée dans des propos polémiques. L’analyse en contexte de cette expression permet de relever les différentes expansions et modifications qu’elle subit en discours, ainsi que l’ensemble des commentaires méta-argumentatifs censés définir les bases de la bonne argumentation. Pison montre que l’accusation de « dissonance cognitive » ne permet pas seulement à l’accusateur de renforcer son point de vue, en disqualifiant parallèlement celui de l’adversaire, mais s’avère être un véritable paralogisme, un argument ad hominem tu quoque qui s’en prend à l’énonciateur plutôt qu’à ses dires, et le fait apparaitre comme incapable de produire des argumentations logiques.     

[Francesco Attruia]

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *