Carmen Pineira-Tresmontant (éd.), “Des mots aux actes. Traductologie et discours : approches théoriques et pragmatiques”, Classiques Garnier, Paris, 2020, n°9.

di | 3 Novembre 2021

Cet ouvrage se pose l’objectif de mettre en évidence un défi traductif de taille : la mondialisation place la pratique de la traduction sous l’égide d’un dialogisme toujours plus exigeant à satisfaire et la communication politique contemporaine, qui incarne le corpus d’étude des contributions contenues dans ce recueil, englobe de plus en plus d’instances énonciatives différentes.

L’énonciation politique a changé de cadre énonciatif et ses référents se sont multipliés. Sa traduction demande ainsi de stratifier le défi évoqué ci-dessus et elle est approfondie à travers trois sections différentes mais complémentaires : la première section (« Approches théoriques en traductologie des discours ») présente un regard théorique et méthodologique, de nature linguistique, sur la pratique de la traduction du discours politique ; la deuxième section «( Traductologie et approches pragmatiques du discours politique ») ainsi que la troisième (« Approches pragmatiques de la traduction du discours sociétal ») adoptent une perspective pragmatique dans le but d’analyser des discours politiques et des discours sociétaux.

La contribution de Agustín Darias-Marrero (« Analyse des stratégies du discours. Politique et deixis », pp. 25-42) inaugure la première section de cet ouvrage par une analyse des stratégies discursives visant à légitimer l’émetteur politique tout en stigmatisant son adversaire. La notion de deixis revêt, selon l’auteur, une place importante dans l’étude du discours politique lié à la crise économique espagnole car elle codifie le rôle des participants mettant ainsi en lumière des relations de pouvoir ou de domination. De son côté, Vladyslava Demetska (« L’adaptation traductrice dans le discours politique. Aspects pragmatiques et culturologiques », pp. 43-51), attire l’attention sur l’une des procédures traductives la plus opérationnelle, à savoir l’adaptation. L’auteure défend une approche traductive attentive aux destinataires du texte pris en examen et pose le problème de comment rendre objective la traduction de textes fortement connotés d’un point de vue culturel.

Dans le sillage d’un regard contrastif, Marina Díaz-Peralta analyse un corpus de discours politiques publiés par le quotidien El Pais avec l’objectif de rendre compte de la difficulté de traduire certaines métaphores intertextuelles (« Deixis idéologique, créativité métaphorique et traduction du discours politique rédigé en espagnol », pp. 53-68). Sa contribution postule l’importance de réélaborer, d’un point de vue cognitif, le raisonnement analogique proposé dans le texte source afin de le plonger dans le contexte de la langue cible. La dernière contribution de cette section, signée par Gracia Piñero (« Métaphore intertextuelle et deixis idéologique dans le discours politique. Répercussions sur la traduction », pp. 69-85), met au centre de l’analyse une conception étendue du concept de deixis, incorporant à la fois les catégories traditionnelles de la personne, du temps et de l’espace ainsi que des traits culturels, sociétaux et idéologiques. Sa réflexion démontre le degré de complexité dans la recherche de correspondances conceptuelles capables de traduire, par exemple, des métaphores de natures variée (spectacle, histoire, littérature).   

La deuxième section de cet ouvrage englobe des contributions visant à relier la traductologie et les approches pragmatiques du discours politique. Le premier approfondissement est signé par Kostiantyn Hizer (« Vérification du concept d’anti-patriotisme du point de vue de la traductologie », pp. 89-98) et se concentre sur la vérification du concept d’antipatriotisme, en particulier dans le contexte ukrainien. L’auteur montre que le traitement traductif de ce concept impliquerait toujours l’étude des composantes culturelles propres au texte source ainsi que l’analyse des métaphores conceptuelles mises en place par le locuteur. La contribution de Céline Loué, « La traduction du discours politique français dans la Gaceta de Madrid après la révolution de Juillet 1830 » (pp. 99-112), illustre la traduction espagnole de deux discours politiques français prononcés après les émeutes de 1830. Plus précisément, son regard se pose sur les enjeux traductifs de discours politiques dont l’énonciation se plaçait dans un moment historique délicat pour la monarchie française et espagnole. L’avant-dernière contribution proposée par Cláudia Santana Martins (« Hyperfidélité créative et Finnegans Wake. Réflexions sur la traduction de la critique joycienne du discours raciste et nazi », pp. 113-126) photographie un défi traductif connu, à savoir  l’intraduisibilité. Le corpus d’étude est représenté par la traduction française et portugaise du livre Finnegans Wake de James Joyce, en particulier l’extrait où l’auteur satirise la croix gammée nazie. Selon l’auteure, les traducteurs doivent faire passer et résonner dans la langue cible les références évoquées par Joyce. Albert Morales Moreno signe la dernière réflexion de cette section, « La traduction normative entre langues romanes (castillan-catalan). Étude traductologique du processus d’approbation du statut  d’autonomie de la Catalogne » (pp. 127-147). Son travail porte sur la double traduction de la procédure législative d’approbation du Statut d’autonomie de la Catalogne : l’une catalan-espagnol, l’autre espagnol-catalan. A l’aide d’outils lexicométriques, l’auteur met l’accent sur les cas de non-littéralité des traductions proposées.

La dernière section du présent recueil souligne certaines approches pragmatiques de la traduction en lien avec des discours sociétaux, comme l’illustre la contribution de Ismael Ramos Ruiz et Stéphane Patin, « La métaphore médicale dans la presse économique espagnole. Le discours de  l’Union européenne » (pp. 151-167). Les auteurs ont inventorié les combinaisons lexicales métaphoriques crées par des termes médicaux au sein du domaine économique à propos de l’UE. Les programmes informatiques SketchEngine® et Cortext® leur ont permis d’étudier également les relations sémantiques établies par ces combinaisons. Dans la lignée européenne de la contribution précédente, l’article de María Valdivieso Blanco et Javier Muñoz Martín (« Le régime linguistique de  l’Union européenne après le retrait du Royaume-Uni. Éléments pour une réflexion », pp. 169-188) analyse des textes juridiques relatifs au régime linguistique de l’UE. Les auteurs défendent la valeur du multilinguisme en tant que trait essentiel de la légitimité démocratique à la lumière de l’hégémonie de la langue anglaise et la reconnaissance d’autres langues après le Brexit. La contribution de María del Carmen Baena Lupiáñez pousse ses racines historiques dans l’Empire romain, plus précisément dans la traduction espagnole du Code de Théodose (« Les origines du droit romain. Traduction vers  l’espagnol du Code de Théodose », pp.189-204). L’auteure répertorie les aspects de nature grammaticale et lexicale ainsi que les techniques traductives utilisées (traduction littérale et adaptation) pour rendre le Code compréhensible aux juristes hispanophones contemporains. Un regard littéraire est, par contre, proposé par Mame Couna Mbaye dans son article « Mbaam-Dictateur ou une autotraduction du wolof vers le français. Possibilités et impossibilités dans la traduction » (pp. 205-220). Le roman Mbaam-Dictateur, écrit en wolof et ensuite auto-traduit en français par son auteur, Cheick Aliou Ndao en 1997, est examiné par l’étude de la traduction française d’énoncés proverbiaux et par l’évaluation de pratiques traductives liées à la littéralité et à l’intraduisibilité. Dans l’avant-dernière contribution de cette section intitulée « Translating trauma. Des langages de la mémoire à la construction d’un nouveau modèle de traduction » (pp. 221-236), Rossella Michienzi aborde la question épineuse de la non-neutralité de la langue dans la traduction visant à représenter, dans la langue cible, des événements traumatiques (pour ce cas d’étude, les disparitions forcées en Argentine). L’interrelation entre langue et mémoire est ici capitale pour mettre en place une approche traductive qui puisse intégrer la dimension communicative et socioculturelle d’un événement traumatique. Cette section se clôt par la contribution de Coralie Pressacco De La Luz, « Traduire le narco-langage. Ébauche de réflexion » (pp. 237-250). Ce discours sociétal, demeurant circonscrit à une réalité géographique limitée (Mexique), se distingue par des procédés lexicaux qui soulèvent un questionnement concernant la possibilité de les traduire. Les propositions de traductions soumises par l’auteure défendent le rôle du destinataire et la place de son environnement culturel dans le but de rendre traduisible le narco-langage.

[Silvia Modena]

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