Geneviève BERNARD BARBEAU, Claudine MOÏSE (dir.), Le mépris en discours, Lidil, Revue de linguistique et de didactique des langues, 61, 2020, https://journals.openedition.org/lidil/7211

di | 26 Febbraio 2021

Ce numéro de la revue Lidil est consacré à la notion de mépris en discours. À l’exception de quelques études centrées sur une appréhension éminemment lexicologique, sémantique et syntaxique du concept, le mépris n’a vraiment jamais fait l’objet d’une étude systématique en analyse du discours. Souvent apparenté au dédain, au dégoût et à la haine, le mépris est envisagé dans ce numéro à travers la multiplicité de ses formes et de ses manifestations au sein de la matérialité discursive. Geneviève Bernard Barbeau et Claudine Moïse, qui ont coordonné l’ouvrage, présentent en introduction un survol des approches qui ont problématisé la question, souvent au prisme des rapports de pouvoir et de domination qui s’instaurent au sein des communautés langagières. De fait, les premières recherches en la matière ont été menées par la sociolinguistique qui, même sans aborder frontalement le mépris, en a proposé une description à l’intersection du contact linguistique et des situations de diglossie. De nos jours, la subtilité des manifestations du mépris s’exprime tout particulièrement dans des contextes où le conflit entre langue(s) dominante(s) et langue(s) dominée(s) se double d’un jugement disqualifiant à l’égard des langues ou des variétés jugées sans prestige (la langue des jeunes et des banlieues, entre autres), voire des personnes qui parlent ces langues et variétés. La glottophobie, la discrimination et le mépris social ne sont que les effets de pratiques généralisées au sein de nos sociétés. Ces pratiques se nourrissent des discours hégémoniques et s’inscrivent dans un ordre social qui fait des locuteurs et des locutrices dominé(e)s des victimes inconscientes voire même consentantes de la violence. Or les pratiques discriminatoires liées aux notions de minorisation et d’inégalités sociales qui font l’intérêt des sociolinguistes s’enrichissent des apports de la philosophie sociale, où le mépris est questionné à la lumière des notions de justice économique et sociale. Suivant cette approche, les revendications identitaires des groupes sociaux minoritaires seraient étroitement liées, d’une part, aux émotions induites chez eux par le mépris de classe ou de communauté et, d’autre part, à la reconnaissance d’une plus forte équité des politiques de redistribution.

Le numéro s’ouvre sur la contribution de Polina Ukhova (De l’expression du mépris au marquage d’une solidarité : l’emploi ontotypique de cassos, beauf, bolos, crevard, kéké et kikoo dans les discours spontanés entre jeunes) qui se penche sur l’emploi discursif de quelques termes méprisants, tels que cassos, beauf, bolos, crevard, kéké et kikoo, dans les pratiques discursives des jeunes étudiants âgés entre 18 et 23 ans. L’objectif de cette étude est d’observer comment le recours à ce vocabulaire axiologiquement et idéologiquement marqué contribue à l’émergence d’un contenu méprisant. À l’aide d’un questionnaire sociolinguistique, l’auteure analyse les contextes où ces items lexicaux s’associent à d’autres éléments du contexte pour exprimer un contenu méprisant, et décrit, aussi bien sur le plan des actes illocutoires accomplis que des effets perlocutoires obtenus, les conditions nécessaires qui permettent la réalisation d’un acte de mépris.

La contribution d’Aude Bretegnier (Le mépris en sociolinguistique: exploration qualitative) s’inscrit plutôt dans une démarche qualitative qui puise dans une théorisation empirique entamée depuis une vingtaine d’années entre la Réunion et la France métropolitaine, à l’intersection de la sociolinguistique et de l’anthropologie du langage. À partir de ces acquis antérieurs, centrés sur des expériences plurilingues mettant en contact des langues ayant un statut et une légitimité différents, l’auteure s’attache à analyser quelques extraits situés d’entretiens biographiques-épilinguistiques afin de relever les différentes images, voire représentations du mépris en discours. Au mépris par dénigrement, qui se manifeste face au refus de se conformer à un modèle dominant, s’ajoute dans les exemples analysés un mépris par dénégation qui est d’autant plus violent qu’il vise à la stigmatisation du créole ainsi qu’à la disqualification de celui qui le parle comme moins compétent voire moins loyal envers la langue.

Elatiana Razafimandimbimanana et Fabrice Wacalie se penchent, pour leur part, sur le mépris subi par les étudiants de Nouvelle-Calédonie sous la forme de ce que les auteurs appellent des “micro-agressions linguistiques”. Les résultats de cette contribution sont issus d’un projet pédagogique et scientifique intitulé Ak-100: ces accents qui dérangent, dont le but est « d’œuvrer pour une meilleure reconnaissance de l’écosystème langues-cultures-identités, lui-même dépendant de la diversité linguistique et sociale ». L’analyse des récits d’étudiants de la Nouvelle-Calédonie ainsi que du matériau photographique qui complète le corpus permet, en effet, de décrire des remarques linguistiques vécues comme dévalorisantes car, en dépit d’une apparence flatteuse, elles recèlent des discours correcteurs et normatifs profondément disqualifiants susceptibles d’aboutir, chez les cibles, à l’insécurité linguistique voire même à l’auto-dévalorisation.

L’article de Fateh Chemerik (Le processus de scénarisation du « nous » contre le « eux » dans la couverture médiatique du match Égypte-Algérie : de la stratégie de captation au discours du mépris) est tiré d’une plus vaste recherche en sciences de l’information et de la communication, visant à distinguer le mépris d’autres actes discursifs apparentés comme le dénigrement, l’insulte, l’ironie, le sarcasme et la dérision. S’appuyant sur un riche corpus de presse, notamment la presse algérienne francophone, l’auteur analyse, pour mieux les déconstruire, les jeux de langage qui témoignent de la violence médiatique à propos de deux matchs de football opposant les équipes algérienne et égyptienne. L’objectif est, plus précisément, d’observer comment tant les stratégies discursives de la presse algérienne francophone, articulées aussi bien sur la victimisation-accusation que sur le dénigrement de l’adversaire, que celles de la presse égyptienne relèvent d’une déviation médiatique qui exploite l’antagonisme footballistique afin de promouvoir l’image dominante d’un pays et corollairement de disqualifier celle de l’autre.  

Fabienne Baider (Obscurantisme et complotisme : le mépris dans les débats en ligne consacrés à la vaccination) se penche sur les débats en ligne concernant la loi Buzyn de 2018, qui a imposé en France la vaccination aux nourrissons de deux mois. S’appuyant sur l’idée largement partagée (Auger, Fracchiolla, Moïse & Schultz-Romain, 2008 ; Moïse & Romain, 2011) que la vaccination est un sujet potentiellement apte à déclencher la polémique, l’auteure s’attarde dans cet article sur une analyse argumentative visant à observer, d’une part, en quoi les échanges analysés peuvent être qualifiés de méprisants, et d’autre part comment « le toisement (psychologique ou physique) typique de la personne méprisante […] se traduit dans les échanges en ligne ». Les résultats de cette analyse montrent que l’attitude méprisante s’exprime à travers plusieurs stratégies : d’abord, un jugement disqualifiant qui dévalorise l’autre, en même temps qu’il met le locuteur dans une position de supériorité, mais aussi le discrédit affiché, la culpabilisation de l’autre ainsi que les attaques ad hominem et l’humour sarcastique. Toutes ces techniques sont symptomatiques du manque de respect envers l’autre sur lequel se construit toute l’armature rhétorique visant au déclassement de cet adversaire.

Hadjira Medane (Discours et contre-discours de mépris dans et à travers le hashtag #Non_aux_africains_en_Algérie) analyse les différentes manifestations du mépris à travers le hashtag #Non_aux_africains_en_Algérie ainsi que son équivalent arabe, à l’adresse des migrants subsahariens en Algérie. Relancé à plusieurs reprises sur Twitter en juin 2017, ces hashtags affichent en effet une attitude méprisante qui s’exprime le plus souvent à travers de nombreuses marques énonciatives et pragmatiques, notamment des verbes axiologiques, des substantifs et des adjectifs évaluatifs, mais aussi des modalisateurs. L’analyse, centrée essentiellement sur des exemples en français, permet parallèlement de dévoiler le soubassement pragmatique de l’acte de mépris, tourné tantôt vers l’adresse directe et explicite de propos venimeux à l’adresse des victimes, tantôt vers des stratégies plus subtiles qui exploitent l’implicite, comme l’humour et l’ironie. Les exemples du corpus témoignent enfin d’une gestion des actes menaçants pour les faces, que l’auteure décrit à travers les acquis de l’analyse interactionnelle. De fait, le mépris fait lui-même l’objet d’une négociation au sein d’une interaction où chaque partie s’attache à défendre sa propre face en réponse aux attaques de l’adversaire.

Le dossier s’achève sur la contribution de Christina Romain, Véronique Rey et Nolwenn Lorenzi Bailly (La perception de mépris chez les élèves : télescopage de valeurs inscrites dans des systèmes idéologiques différenciés entre enseignant·es et élèves), qui s’interrogent sur la perception du mépris chez les élèves dans les productions de leurs enseignantes et enseignants. Les auteures font l’hypothèse que certains actes de condamnation, qui relèvent généralement du pacte pédago-didactique entre enseignantes/enseignants et élèves, sont souvent perçus par ces derniers comme méprisants. Cette recherche vise à comprendre pourquoi et comment se construit cette perception, en portant également l’attention sur les représentations des enseignants mêmes au sujet de leurs productions en classe. Les résultats de l’analyse permettent d’observer que la perception du mépris par l’élève s’évalue à partir de trois éléments: le tort ou la faute commis; l’axiologisation négative qui accompagne la tension verbale véhiculée par l’enseignant; la frustration ou le ressentiment de ce dernier. À partir de ces trois variables, les auteures illustrent deux formes de perception du mépris: offensive et défensive. Dans la première, l’enseignante/enseignant défend ses choix en gardant une posture surplombante. Il/elle se considère comme le garant de l’interaction didactique et revendique, à travers le ressentiment, sa place dans le bon fonctionnement de la classe. Dans la forme défensive de l’acte de condamnation, l’enseignante/enseignant porte un regard plus coopératif sur les stratégies qu’il/elle a adoptées pour avoir le comportement attendu par l’élève. Il/elle évoque alors plutôt la frustration non maitrisée et reconnaît la nécessité du choix correctif, tout en regrettant la forme utilisée.

Dans la section varia du numéro, Antonin Brunet(Quel corpus pour l’identification des compétences des apprenants de niveaux intermédiaire et avancé ? Les cas de la cohérence et de la cohésion) s’interroge sur l’impact des méthodes de la linguistique de corpus pour mener à bien certaines analyses. L’objectif est en effet de questionner la place du corpus au sein des analyses linguistiques pour confirmer ou infirmer les hypothèses avancées au préalable. Il s’attache alors à observer les moyens utilisés par les apprenants de FLE de niveau intermédiaire afin de construire un discours cohésif et cohérent. En partant donc de l’hypothèse qu’il existerait un décalage entre les acquis du CECRL à propos des compétences de cohérence et cohésion du discours des apprenants, l’auteur montre, à travers une analyse qualitative effectuée à même les données récoltées, que la confirmation ou l’infirmation de cette hypothèse sont soumises à la subjectivité du chercheur, à ses choix effectués depuis l’élaboration de son cadre expérimental jusqu’au traitement des données réelles. Zdena Kralova, Katarina Nemcokova et Jana Birova (Contrastive vs Non-Contrastive Meta-Phonetic Input in Teaching Foreign Language Pronunciation) achèvent le recueil sur une étude centrée sur l’enseignement métaphonétique contrastif (L1-L2), visant à tester l’efficacité de cet enseignement par rapport à l’approche non-contrastive (L2). Le matériau sur lequel s’appuie la démonstration est constitué des productions orales de 80 adultes slovaques maitrisant l’anglais. Les valeurs sur la qualité de la prononciation de ces locuteurs, concernant notamment le système vocalique, sont mesurées et comparées aux valeurs standards des voyelles de l’anglais britannique. Les résultats affichent une approximation plus juste entre les voyelles anglaises produites par le groupe expérimental et les valeurs standards, qu’entre ces dernières et les voyelles produites par le groupe contrôle.

[Francesco Attruia]

Lascia un commento

Il tuo indirizzo email non sarà pubblicato. I campi obbligatori sono contrassegnati *