Alida Maria SILLETTI, Abderrafiî KHOUDRI (éds.), Im(contre-) pouvoir des mots

di | 17 Ottobre 2025

Alida Maria SILLETTI, Abderrafiî KHOUDRI (éds.), Im(contre-) pouvoir des mots, LIMES (Langue, Interaction, Médias, Éducation et Société), vol. 2 ,n° 1, 2025, pp. 181.

Le numéro thématique Im(contre-)pouvoir des mots de la revue électronique LIMES (Langue, Interaction, Médias, Éducation et Société) réunit diverses contributions qui se concentrent sur les thèmes du pouvoir et de l’influence des mots appliqués aux différents domaines du savoir. Les mots et leur utilisation sont toujours porteurs d’un contexte sociopolitique spécifique. Le volume est composé d’une présentation, de dix contributions et d’une section intitulée Varia qui contient trois articles supplémentaires. Les textes se penchent sur des thématiques par lesquelles les mots et leur puissance argumentative et discursive deviennent l’objet central d’analyse. Certaines contributions se concentrent sur l’aspect social et politique, tandis que d’autres s’intéressent au pouvoir de la parole littéraire comme instrument de rébellion, au discours de l’extrémisme et du fanatisme, ou bien aux émotions et au pathos qui se manifestent dans le discours publicitaire. La diversification des articles fait de ce volume un recueil riche, multiforme et hétérogène.

Dans la Présentation. Im(contre-)pouvoir des mots(pp. 1-8), les auteurs·es Alida Maria SILLETTI et Abderrafiî KHOUDRI soulignent que les mots ne sont jamais innocents ou anodins. Ils manifestent toujours des traits et des nuances caractéristiques d’un contexte social et culturel spécifique. C’est le contexte sociopolitique contemporain qui fait l’objet de ce numéro. La méthodologie de recherche adoptée dans les contributions est l’analyse du discours « d’école française » (dorénavant ADF). Cette méthodologie, fondée à la fin des années 1960 par Jean Dubois et Michel Pêcheux, est une discipline transversale qui interroge les liens entre les mots, les discours et le panorama sociohistorique de référence. Les analystes du discours visent à découvrir la matérialité idéologique de la langue de façon critique. L’analyste du discours Patrick Charaudeau distingue trois dimensions fondamentales de la langue : la langue-système, constituée par l’ensemble des règles internes au code linguistique ; la langue-norme, c’est-à-dire l’ensemble des choix et des prescriptions langagières imposées selon un idéal d’usage ; la langue-discours, composée des appropriations sociales et de la responsabilité éthique des individus qui l’utilisent. Un exemple qui souligne le lien entre mots et idéologie, c’est la question du langage inclusif et de la féminisation des noms de métiers. La langue, en ce sens, devient un instrument qui peut donner plus de visibilité aux femmes dans la vie publique. C’est donc dans la langue-norme et dans la langue-discours que les luttes pour la visibilité des femmes se déroulent. Les mots, dans ce volume, sont appréhendés comme des acteurs sociaux, des instruments de résistance et de re-signification idéologique. Les thèmes qui y sont abordés relèvent du pouvoir discursif de l’euphémisme, du discours publicitaire, de l’extrémisme et du discours politique et religieux dans le domaine des médias. Les auteurs·es guident les lecteurs·rices dans les labyrinthes des mots et montrent leurs effets dans le contexte actuel.

Dans la première contribution, La contingence du pouvoir discursif (pp. 9-20), Gilles GAUTHIER réfléchit sur le pouvoir discursif. L’auteur décrit la structure logique de ce pouvoir et en identifie les conditions précises de réalisation. Le pouvoir discursif n’est pas une force univoque, mais il consiste en un dispositif fragile, instable, dépendant des échanges entre locuteur·rice et allocutaire. GAUTHIER réfléchit sur la distinction illocutoire/perlocutoire des actes communicatifs, théorisée par les linguistes Austin et Searle. Le pouvoir illocutoire est structurel : certains actes de langage (ordonner, commander, acquitter) possèdent une force autoritaire. Le pouvoir perlocutoire est conditionnel : il dépend des effets produits sur l’allocutaire (convaincre, intimider, rassurer). Or, ces effets ne sont jamais garantis, puisqu’ils se manifestent à la suite d’une réaction de l’allocutaire. GAUTHIER affirme que la soumission au pouvoir d’un acte communicatif n’est pas automatique, mais elle dépend de la subjectivité et des réactions de l’allocutaire. L’auteur identifie différentes conditions de réalisation du pouvoir discursif : des conditions préparatoires, sociales ou institutionnelles qui permettent d’exercer une certaine autorité ; des conditions de contenu propositionnel, qui débouchent sur une adéquation entre l’acte communicatif et son objet (par exemple une promesse doit concerner une action future du sujet locuteur) ; des conditions de sincérité, à savoir l’authenticité psychologique de l’énonciateur·rice et la réalisation de son acte communicatif. Le pouvoir des mots, comme le souligne l’auteur, peut échouer pour des raisons différentes. Il peut se vérifier un manque d’autorité du sujet locuteur ou son incapacité à accomplir l’action, mais il peut également arriver que l’acte soit correct mais qu’il soit ignoré, et que l’effet attendu ne se produise jamais. Le pouvoir discursif est ainsi réversible ou bien ouvert à des effets inattendus. Le pouvoir des mots est réel mais il dépend des conditions institutionnelles, de la sincérité du sujet locutoire, mais aussi de la réception de l’allocutaire.

Dans la troisième contribution, Le pouvoir discursif de l’euphémisme : entre réussite et échec interactif (pp. 21-36), Marc BONHOMME propose une relecture de la figure rhétorique de l’euphémisme. Selon l’auteur, cette figure représente une manière de voiler le discours, de cacher ce qui choque, de rendre dicible l’indicible. L’euphémisme est une arme dotée d’un pouvoir discursif, utilisée dans des contextes politiques, médiatiques et sociaux. Il n’est pas simplement un jeu de mots, mais un exercice de pouvoir sur le monde. Cette figure rhétorique, comme l’affirme BONHOMME, n’est jamais un choix lexical neutre ou inoffensif. Par exemple, quand un gouvernement utilise l’expression « frappes chirurgicales » pour désigner des bombardements, il s’agit de reconfigurer la guerre comme une opération technique, presque médicale, indispensable mais dépourvue de sa brutalité. Toutefois, l’euphémisme peut aussi échouer, dans la mesure où un public attentif met en lumière l’écart entre le mot employé et la réalité qu’il désigne. L’effet d’atténuation peut se transformer en suspicion ou rébellion. L’euphémisme fonctionne si le terme choisi reste crédible, si l’énonciateur·rice dispose d’une légitimité institutionnelle et surtout si les destinataires acceptent le jeu. Sa réussite dépend de la complicité tacite entre les allocutaires. Celle-ci peut représenter le fruit de la passivité, du conformisme ou de l’adhésion idéologique. Cette figure rhétorique peut devenir un instrument de gestion des représentations ou, au contraire, elle peut devenir un stigmate d’un pouvoir qui ment. BONHOMME invite l’auditoire à une vigilance permanente. L’euphémisme est un terrain de jeu entre force et résistance. L’auteur montre qu’il s’agit non seulement d’un mot adouci mais d’une pratique discursive traversée par des dynamiques de pouvoir. Enfin, l’auteur rappelle que le pouvoir des mots est instable et qu’il n’existe que dans l’interaction entre locuteur·rice et auditoire, lequel a toujours la possibilité de refuser et de résister.

Dans la quatrième contribution, Entre universalisme cognitif et particularisme culturel : le pouvoir des métaphores émotionnelles (pp. 37-51), Noraddine BARI et Zineb OUCHANE interrogent le pouvoir des métaphores en tant qu’outils de pensée et d’expression et vecteurs d’identités culturelles. Dans cet article, les auteures rappellent la théorie des métaphores conceptuelles élaborée par John Lakoff et Mark Johnson. Ces linguistes américains affirment que les métaphores sont des instruments enracinés dans l’expérience corporelle et cognitive humaine. Les émotions, composantes fondamentales de l’expérience humaine, fournissent un terrain riche en expressions métaphoriques comme « bouillir de colère » ou « exploser de joie ». Le pouvoir cognitif de la métaphore est universel : il réside dans sa capacité à rendre intelligibles et concrets des phénomènes abstraits. Les auteures affirment que les métaphores vivent dans leur ancrage culturel. Ces figures rhétoriques sont des constructions symboliques situées dans leurs contextes historiques et sociaux. Elles oscillent entre la sphère émotionnelle et le domaine social. Dans une société où la tristesse est conceptualisée comme un fardeau, l’accent est mis sur la dimension de pesanteur et de résignation. Dans un contexte où ce sentiment est conçu comme une obscurité, l’idée d’une lumière retrouvée s’impose comme guérison. Les auteures analysent un corpus de 250 métaphores émotionnelles en français et en arabe-marocain. Les émotions exprimées sont la joie, la tristesse et la colère. BARI et OUCHANT soulignent que les métaphores qui sont évidentes pour une culture deviennent opaques pour une autre. Étudier les métaphores n’est pas seulement un exercice linguistique, mais aussi un enjeu politique et social qui permet de comprendre l’autre. Pour conclure, cet article souligne l’importance d’un regard critique face à ces outils rhétoriques.

Dans la cinquième contribution, La rhétorique de la beauté : argumentation et discours publicitaires dans la vente des cosmétiques (pp. 52-69),Maria KONTOZOGLOU affirme que la publicité ne se contente pas de vendre des produits, mais elle vise à vendre et à imposer une idéologie de beauté. L’auteure démontre que la rhétorique de la beauté n’est pas un simple ornement persuasif, mais une stratégie argumentative organisée qui joue sur les émotions et les désirs collectifs. La répétition des messages dans les campagnes publicitaires impose sournoisement une norme de beauté qui sera intériorisée par l’auditoire. Penser la peau comme une surface fragile à protéger, c’est aussi accepter que tout signe de vieillissement soit perçu comme une altération à combattre. Le pouvoir discursif réside dans cette capacité à redéfinir ce qui est perçu comme naturel. Les publicités des cosmétiques utilisent un vocabulaire scientifique afin de donner à leurs arguments une légitimité rationnelle. L’auteure met en évidence les implications sociales et politiques de cette typologie de discours, doté des trois dimensions de la rhétorique classique : logos, ethos et pathos. La publicité agit comme une technique de pouvoir douce, qui manipule les comportements et les désirs. La beauté, telle qu’elle est construite par le discours publicitaire, n’est pas une valeur innocente. C’est le produit d’une stratégie argumentative qui vise à conditionner les choix et à construire une économie fondée sur l’insatisfaction permanente des individus. La publicité impose implicitement ce qu’il faut être, ce qu’il faut désirer, ce qu’il faut craindre. Pour conclure, l’article de KONTOZOGLOU met ainsi en lumière le rôle central de la rhétorique de la beauté dans la construction contemporaine des identités et des pratiques sociales. Analyser le discours publicitaire équivaut à se libérer de son influence et à retrouver la possibilité de penser à une beauté libérée des normes prescrites par le marché.

Dans la sixième contribution, Discours de l’extrémisme : fanatisme et enthousiasme (pp. 70-78), l’auteur Khalid ZEKRI réfléchit sur les concepts d’ «extrémisme », « fanatisme » et « enthousiasme ». L’auteur affirme que ces concepts ne sont pas seulement des catégories descriptives, mais qu’ils comportent aussi des constructions discursives, dotées d’une charge idéologique. L’extrémisme est un concept historiquement opposé à la modération et à l’équilibre. Cette étiquette n’est pas neutre : elle est le fruit de stratégies discursives utilisées au cours de l’histoire pour dénoncer des dérives religieuses, politiques ou idéologiques. ZEKRI souligne que le fanatisme se construit toujours dans le langage, par des termes comme « radicalisme », « fondamentalisme », « terrorisme ». Ces mots décrivent non seulement des réalités, mais ils les configurent et les hiérarchisent. Le mot « fanatisme » a sa racine étymologique dans le terme latin « fanum », qui désignait les temples gallo-romains voués aux divinités. Le fanatisme, donc, est nourri par cette connotation religieuse. Face à ce récit occidental, ZEKRI évoque des voix arabo-islamiques, notamment celle de Jamal Addin Al-Afghani, qui ne décrivent pas le fanatisme comme une force destructrice, mais comme une forme de solidarité collective. Là où l’Occident y voit un danger, l’Orient perçoit une connexion sociale. L’enthousiasme désigne une exaltation passionnelle sans nécessairement présenter une référence religieuse extrémiste. L’enthousiasme peut être de nature patriotique, révolutionnaire ou bien artistique. ZEKRI souligne que par l’avènement d’internet et des réseaux sociaux, le fanatisme prend de nouvelles formes : images ou vidéo. Donc, le fanatisme se déploie dans l’espace virtuel en échappant souvent aux frontières et aux contrôles classiques. Dans sa conclusion, l’auteur met en garde contre les dérives destructrices de l’extrémisme. Il s’agit d’un appel à la vigilance intellectuelle : analyser les discours signifie résister aux effets de stigmatisation et réouvrir un espace de débat et de pluralité.

Dans la septième contribution, Langage rebelle : l’im(contre-)pouvoir en littérature contemporaine (pp. 79-96), N’Dré Sam BEUGRÉ se concentre sur la littérature contemporaine africaine post-coloniale, qu’il conçoit comme un espace de résistance grâce à son langage rebelle. Selon l’auteur, la littérature ne peut pas être réduite à une activité purement esthétique ou représentative : elle constitue une scène où des tensions politiques, sociales et symboliques s’y manifestent. La langue littéraire devient une arme de contestation, une force intérieure qui peut fissurer les évidences de la réalité, ouvrir de nouveaux horizons et lutter contre toute forme de domination. BEUGRÉ rappelle la thèse foucaldienne selon laquelle le pouvoir s’exerce à travers le discours. Cette thèse débouche sur une révélation très importante : résister au pouvoir signifie non seulement lutter contre les institutions, mais aussi et surtout résister aux formes langagières du pouvoir lui-même. Dans cette perspective, la littérature devient un champ privilégié pour concevoir des contre-discours. La contribution de BEUGRÉ montre que la littérature contemporaine élabore une véritable stratégie de langage rebelle. Cette stratégie s’exprime de multiples façons : par la polyphonie, qui refuse l’univocité du contenu et introduit une pluralité de perspectives ; par l’hybridation linguistique, qui mêle plusieurs idiomes et intègre l’oralité dans le texte ; par la radicalité stylistique, qui introduit l’argot et la vulgarité. BEUGRÉ souligne que cette typologie de littérature déconstruit les normes langagières préfixées et ouvre la voie à des expériences de marginalité, comme la mémoire traumatique de l’esclavage et les voix étouffées des femmes algériennes. La littérature est donc le miroir d’une volonté de désobéissance linguistique et l’auteur·e contemporain·e devient un/une acteur·rice politique au sens large, présent·e dans l’espace public.

Dans la huitième contribution, intitulée Les mots de l’écrivain : dire un destin, écrire une postérité (pp. 97-108), Thierry POYET réfléchit sur le discours littéraire et sur le pouvoir des mots en littérature. Le chercheur propose une inversion de perspective : si l’on considère   l’écrivain·e comme celui/celle qui donne aux mots leur puissance, il faut aussi admettre que certains mots précèdent et « façonnent » le rôle de l’auteur·e. Il s’agit de mots de mémoire, ou de mots qui imaginent une perspective future. En ce sens, l’écrivain·e n’est pas celui/celle qui choisit d’écrire, mais celui/celle qui est désigné·e et orienté·e par les mots des autres. POYET cite les auteurs·res classiques qui sont inspirés·es par leur passé, par leurs situations familiales. Il s’agit d’un discours qui appartient aux autres. La vocation littéraire apparaît donc moins comme un choix individuel et plus comme une forme de prédestination discursive. L’écrivain·e est investi·e d’une mission qui le/la dépasse. Il/elle est l’élu·e d’une prophétie familiale et son identité peut être considérée comme une mise en scène imposée. Dans cette perspective, l’autobiographie des auteurs·es n’est plus un récit de vérité, mais une mise en scène de la mise en scène. Dans un deuxième temps, POYET examine les incipit, les aphorismes qui traversent le temps et qui rappellent les auteurs·res célèbres, devenus·es partie de la mémoire littéraire collective. Le chercheur affirme que l’écrivain·e ne choisit pas les phrases qui vont rester vivantes dans la mémoire, mais leur cristallisation réside dans l’appropriation par les lecteurs·rices. Dans ses conclusions, POYET affirme que le véritable pouvoir des mots est celui d’instituer l’écrivain·e, de lui donner un destin et une postérité. En ce sens, la littérature devient un jeu d’illusions, de projections et de mémoires partagées.

Dans la neuvième contribution, intitulée Langage et muséographie : Réflexions sur le pouvoir des mots dans les espaces muséaux (pp. 109-119), l’auteur Omar ID TNAINE analyse comment le langage utilisé dans la muséographie est porteur de représentations culturelles de la colonisation française au Maroc. ID TNAINE se concentre sur l’Agadir Musée d’Art inauguré en 2023. Sa recherche vise à examiner la façon dont l’Agadir Musée d’Art, à travers ses choix linguistiques, participe à la fabrication de représentations culturelles dominantes ou de subversion. L’intérêt envers Agadir est double : d’une part, cette ville porte la mémoire traumatique du séisme de 1960 ; d’autre part, le musée d’art s’inscrit dans une dynamique qui vise à repositionner la ville dans le paysage national. Les bases théoriques pour cette recherche renvoient à Bourdieu, qui fournit les outils pour démasquer la violence dans les choix linguistiques, à Butler, qui conçoit le langage comme performatif et producteur de mécanismes sociaux, et à Foucault pour ce qui est des dispositifs discursifs et des contre-discours à l’égard des institutions. Le corpus est composé de cinquante panneaux thématiques, de documents pédagogiques et d’entretiens avec médiateurs·rices et visiteurs·eures. Cette analyse souligne que le français domine encore largement le discours muséal. L’amazigh, langue officielle du Maroc, est cantonné à un rôle secondaire, car elle est victime d’une marginalisation linguistique. Les choix linguistiques conditionnent l’accès à la connaissance et la possibilité pour certains publics de se sentir inclus dans la narration nationale à l’intérieur du musée. L’auteur propose d’institutionnaliser un plurilinguisme authentique, afin d’impliquer les communautés locales dans l’expérience culturelle du musée. ID TNAINE montre que le langage n’est pas un simple outil d’explication, mais le cœur d’une politique culturelle qui produit des phénomènes d’exclusion ou d’inclusion.

Dans la dixième contribution, La réciprocité entre le discours d’enseignant et l’identité apprenante en classe de FLE : des exemples du contexte indien (pp. 120-134), Vasumathi BADRINATHAN se concentre sur la parole de l’enseignant·e dans le domaine de l’apprentissage. L’auteure affirme que cette typologie de parole fabrique et façonne les identités des élèves. Son travail s’inscrit dans le cadre empirique de la classe de français langue étrangère (FLE) en Inde au niveau écolier et universitaire. Le cadre théorique mobilisé par BADRINATHAN évoque des approches de la sociologie du pouvoir et de la performativité langagière. La chercheuse analyse quatre récits de vie d’enseignantes indiennes, avec une attention particulière portée aux épisodes formatifs, renvoyant au moment où les enseignantes étaient élèves de FLE. Leurs récits font émerger des éléments clés comme la persistance de moments formatifs dans la mémoire des enseignantes, les effets d’un compliment ou d’une humiliation, la manière dont une phrase prononcée peut impacter la confiance en soi. La combinaison de ces éléments conditionne l’affirmation de l’identité d’un/une élève compétent·e ou, au contraire, d’un sujet fragile. L’article aborde la question de la réciprocité structurée : les protagonistes, devenues enseignantes, ne reproduisent pas mécaniquement les modèles qu’elles ont subis. Certaines enseignantes rejettent les stratégies humiliantes qu’elles ont vécues et adoptent des discours de validation, d’autres reproduisent des pratiques autoritaires qu’elles associent à la rigueur et à l’efficacité. Les mots des enseignants·es fonctionnent comme des éléments de régulation émotionnelle. Les compliments sont des facteurs de motivation et, au contraire, les stigmates constituent des altérations de la personnalité. L’auteure rappelle qu’enseigner, c’est avant tout façonner des identités, et que cette activité implique une responsabilité éthique. BADRINATHAN invite le public à repenser les politiques de formation et à enseigner pour encourager et renforcer la dignité et les identités des élèves.

Le volume contient aussi une section Varia. Elle est composée de deux articles en langue anglaise et d’un article en langue française.

Dans la première contribution, intitulée Speech and language disorders and their impact on social interaction and learning in autistic children : a linguistic and socio-educational approach (pp. 135-151), les cinq auteurs·es Abdelmaoula MRINI, Mohammed Amine AMZAZI, Amine KHADRAOUI, Abdellah BAREBZI et Nourdine DANGUIR réfléchissent sur l’aspect verbal et linguistique du trouble du spectre de l’autisme (TSA). Selon les auteurs·es, le langage représente le cœur du problème. Plusieurs dimensions sont affectées : l’expression verbale, la capacité de compréhension et la capacité pragmatique du langage. L’étude se fonde sur la lecture d’une revue analytique sur ce sujet et sur une synthèse critique des recherches existantes. De cette lecture résulte que les enfants autistes présentent des déficits de perception et leur capacité d’expression verbale reste désordonnée et réduite à des mots isolés. En outre, l’interaction sociale est fortement compromise. Les auteurs·es proposent des interventions sociolinguistiques, un travail sur la pragmatique, sur la syntaxe et sur la phonologie. Ils/elles proposent également de modifier l’environnement scolaire et social, d’adapter les activités et de créer des groupes pour favoriser l’intégration.

Dans la deuxième contribution, intitulée Teachers’ perceptions of the baccalaureate exam and their impact on curriculum implementation in moroccan high schools : a correlational study (pp. 152-171), Hamid ISSAFI conduit une évaluation qualitative de l’enseignement de l’anglais comme langue étrangère au lycée secondaire supérieur au Maroc. L’auteur appuie son analyse sur un échantillon de 113 enseignants·es de la région de Rabat-Salé-Keintra. ISSAFI leur soumet un questionnaire en anglais, similaire aux questionnaires utilisés pour les examens du bac. Après le test, la plupart des enseignants·es ont déclaré que ce type de questionnaire est peu représentatif d’une compétence communicative complète, car il est trop centré sur la grammaire et sur l’écriture. À la suite de l’analyse, l’auteur suggère de renouveler l’enseignement de l’anglais au Maroc et d’offrir aux enseignants·es une formation axée sur la compétence communicative, en utilisant des pratiques variées.

Dans la dernière contribution, Aspects linguistiques et lexicographiques du traitement des collocations dans le Dictionnaire Arabe-Français – langue et culture marocaines d’Alfred Louis de Prémare et ses collaborateurs (1993–1999) (pp. 172-181), l’auteur Mounir BOURRAY examine la représentation lexicographique des collocations contenues dans ce dictionnaire. La collocation est une combinaison généralement présentée selon une structure binaire, par exemple nom + adjectif. Le dictionnaire est celui de la darija, une variante colloquiale de la langue arabe-marocaine. Il présente un immense corpus de collocations provenant de l’oralité. L’auteur se concentre sur celles qui sont construites autour des adjectifs « blanc », « rouge » et « noir ». BOURRAY affirme que ces collocations apparaissent en abondance, mais elles sont dissoutes dans l’ensemble des exemples et ne possèdent pas de catégories qui leur sont consacrées. L’auteur souligne que les collocations concernant les couleurs enrichissent la polysémie de la langue : elles traduisent des représentations collectives marocaines et contribuent à la vie des proverbes et des idiomes. BOURRAY propose de dédier aux collocations une section spécifique dans les dictionnaires, en raison de l’enrichissement qu’ils donnent à la langue et à la culture marocaines.

[Giuseppe A. PAPAGNI]