Lexique
Voici des fiches sur des notions-clé du XVIIème siècle
GÉNÉROSITÉ
( par Chiara ROLLA)
Les termes qui renvoient à cette valeur si chère à la société
du XVIIe siècle paraissent dans presque toutes les harangues de ce deuxième
volume: en effet seulement la cinquième, la huitième et la seizième
ne présentent aucune occurrence. Il s’agit d’une caractéristique
masculine, mais féminine aussi, car la générosité
au XVIIe siècle appartient à l’âme et au cœur
de l’être humain et elle est étroitement liée à
d’autres valeurs extrêmement importantes pour l’époque,
telles que l’honneur, la vaillance, le courage, la grandeur d’âme.
Pour cette raison elle est un des principaux mobiles de l’amour : les
héros et héroïnes scudériens avouent au monde entier
que la générosité de l’être qu’ils aiment
ou qu’ils ont aimé est le responsable principal de l’amour
et de l’amitié que leur cœur nourrit pour eux ou pour elles:
Par toi mon âme est charmée,
Esprit généreux et fort,
Qui ne peux craindre la mort,
Que pour la personne aimée.
[Cartouche, Harangue 19, Sophronie à Olinde]
Ou encore c’est « l’extraordinaire générosité de Tancrède [qui] avait [...] introduit l’amour dans [le] cœur » d’Erminie et qui avait fait naître « en [s]on âme une passion qu’[elle] ne pouvai[t] pas vaincre » (Harangue 7, Erminie à Arsète).
Jean Rohou(1)a très bien mis en évidence l’évolution que l’acception
du terme subit à partir de la seconde moitié du XVIe siècle.
A cette époque le généreux était le plus souvent
présenté comme l’héritier du magnanime de la tradition
gréco-latine et scolastique : c’était donc l’âme
haute, consciente de sa valeur et soucieuse de son honneur. Mais la générosité
présentait une raison d’être qui la différenciait
de la magnanimité : le principe de la supériorité génétique,
héréditaire du gentilhomme. La perspective était donc radicalement
différente: si la magnanimité était une vertu exclusivement
morale, la générosité manifestait un enracinement physiologique
où la fonction idéologique de classe devenait d’une importance
capitale. C’était une vertu innée, un héritage naturel,
une valeur capable à elle seule de définir les caractères
de celui qu’elle animait. Sentant sa prédominance menacée
par le renforcement de la monarchie et par l’ascension de la bourgeoisie,
les nobles trouvèrent dans la générosité l’élément
qui les distinguait des anoblis. Elle était donc « une garantie
de supériorité inaliénable et inaccessible : un gentilhomme
ne peut la perdre, ni un roturier l’acquérir en aucune façon(2).
»
La générosité était encore au début du XVIIe
siècle la vertu qui englobait toutes les qualités distinctives
de l’aristocratie : de la vigueur physique et morale, au courage, en passant
par la grandeur d’âme soucieuse de gloire et le désir d’honneur.
Mais quelque chose va changer au cours de la première moitié
du XVIIe siècle grâce surtout à la littérature religieuse
et aux moralistes. En réduisant sa dimension physiologique, en conciliant
l’ancienne vigueur et la nouvelle civilité qui trouve dans l’idéal
de l’honnête homme son expression la plus complète, ces auteurs
promeuvent une nouvelle vision de la générosité qui va
la faire évoluer vers son sens altruiste plus moderne. Descartes interviendra
lui aussi à l’intérieur de ce débat : pour lui la
générosité est la vertu volontaire par excellence et elle
implique la pleine maîtrise des volontés. Vers 1650 la générosité
n’est que la noblesse de l’âme et le généreux
est celui qui possède la raison en un souverain degré et qui a
le contrôle de ses passions.
Les œuvres et les personnages des Scudéry sont de très clairs
exemples de ce tournant décisif dans les mœurs et dans la culture
de l’époque : ils témoignent donc du passage de l’ère
seigneuriale et héroïque à une période plus libérale.
Les dictionnaires de l’époque et les exemples qu’ils présentent enregistrent cet usage et témoignent de l’évolution qu’on vient de retracer:
Dictionnaire françois par P.Richelet (1680) (3):
Générosité : Grandeur d’âme.
Dictionnaire universel par A. Furetière (1690) (4):
Généreux/euse : qui a l’âme grande et noble, et qui
préfère l’honneur à tout autre intérêt.
Auguste fit une action généreuse en pardonnant à ses ennemis.
Signifie aussi brave, vaillant, courageux. Alexandre était un Prince
généreux qui affrontait hardiment les plus grands périls.
Signifie aussi libéral. Mecenas était un seigneur généreux
qui faisait de grands biens aux gens de lettres.
Se dit aussi de quelques animaux belliqueux, ou qui vivent de proie : comme
un cheval, un lion, une aigle, &c. sont des animaux généreux.
Est aussi un épithète qu’on donne particulièrement
à l’aimant , quand il est excellent et fort vif pour faire une
forte attraction.
Générosité : Grandeur d’âme, de courage, magnanimité,
bravoure, libéralité, et toute autre qualité qui fait le
généreux.
Le dictionnaire de l’Académie françoise (1694) (5):
Généreux/euse : magnanime, de naturel noble.
Quelquefois signifie particulièrement vaillant, hardi dans les combats.
Il signifie aussi libéral.
Il signifie aussi libéral.
Générosité : magnanimité, grandeur d’âme.
1.Le XVIIe siècle, une révolution de la condition humaine, Paris, Seuil, 2002.
3.Dictionnaire françois, Genève, J.H.Widerhold, 1680. Il est consultable à l’adresse http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF37252284.htm
4.Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A.et R.Leers, 1690. (Paris, SNL, Le Robert, 1978),http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF37234801.htm
5. Le dictionnaire de l’Académie françoise, tome premier (A-L), Paris, chez la veuve de Jean Baptiste Coignard, 1694,http://colet, uchicago.edu/cgi-bin/dico1look.pl ?strippedhw=g%E9n%E9reux (généreux) ;
http://colet, uchicago.edu/cgi-bin/dico1look.pl ?strippedhw=g%E9n%E9rosit%E9 (générosité).