Lexique

Voici des fiches sur des notions-clé du XVIIème siècle

LES BIENSÉANCES par Chiara Rolla

 

La bonne éducation et l’étiquette dans les conventions mondaines étaient des préoccupations présentes déjà dans quelques œuvres du début du siècle. Les bergers de d’Urfé(1) sont extrêmement courtois et aimables et les « civilités » du premier théâtre de Corneille relèvent de ce domaine.

Pour ce qui est de l’étiquette, il faut noter l’importance des règles de la « préséance », c’est-à-dire le rang qui revenait à chacun et qui déterminait les positions à occuper par rapport au roi ou plus généralement aux nobles. Dans les salons et encore plus à la Cour se posait en effet le problème des « sièges », donc de l’assignation aux hôtes de la place adéquate à leur rang. On publia, au cours du siècle une série de manuels inspirés par le Galateo de Giovanni della Casa (1550 - 1555), qui dictent les règles de la conversation et de l’art de vivre dans les salons et à la Cour.

Dans une conversation (2) consacrée à la politesse Madeleine de Scudéry distingue cette qualité de la galanterie: la politesse est quelque chose de plus solide, de plus essentiel et de plus nécessaire, affirme l’auteur qui ajoute une liste des choses à ne pas faire si l’on veut être poli.

Les bienséances, telles qu’elles se définissent au cours du siècle, sont strictement liées à l’idée de politesse. Le domaine où s’expriment le mieux leurs contraintes est celui du langage (règles de la conversation) et par conséquent celui de la littérature (poésie, théâtre, roman). Pour être bienséant on devait parler d’une façon délicate, raffinée et pudique. L’emploi de l’euphémisme et de la litote, dans le théâtre de Corneille par exemple, témoigne de cette nécessité.

Cet usage était évidemment une réaction contre la vulgarité des mœurs et le goût pour la cruauté, aussi bien dans la représentation scénique que dans les intrigues, typiques d’une certaine littérature du début du XVIIe siècle, époque qui avait vu naître et se développer une tendance manifeste pour le langage "grivois" , voire obscène. Si l’on analyse la production littéraire de quelques auteurs des premières décennies du siècle on rencontre dans les pastorales de Rotrou l’emploi de termes plutôt crus ; Tristan, d’Assoucy, Sorel, et Scarron, parmi beaucoup d’autres, frisent l’obscénité.

Cette tendance à la trivialité avait des opposants bien avant la préciosité :chez d’Urfé, malgré les baisers assez fréquents qu’ échangent les personnages, on relève une attention constante à éviter un langage ou la description de situations qui auraient pu faire rougir les lectrices ou leur faire baisser les yeux.

Les mêmes canons s’imposent au théâtre - les scènes cruelles disparaissent pour laisser aux messagers la tâche de raconter les événements les plus cruels et les moins bienséants (3) - et dans le domaine de l’art narratif. Le problème des bienséances est ici comme ailleurs strictement lié à la règle de la vraisemblance : fallait-il, pour respecter l’Histoire, narrer les choses telles qu’elles étaient arrivées, ou bien était-il nécessaire d’épurer l’Histoire ? André Mareschal, parmi beaucoup d’autres romanciers de la première moitié du XVIIe siècle, dans la préface à La Chrysolite (4)se range en faveur d’une tendance à l’épuration : le romancier a donc le droit d’intervenir là où la vérité historique pourrait choquer la sensibilité du public (5).

Dans la même période où il rédige et publie les Femmes illustres, Georges de Scudéry dans la préface à Ibrahim (1641), véritable manifeste ante-litteram de l’art romanesque, affirme :

"Vous y verrez Lecteur […] la bienséance des choses et des conditions assez exactement observée. Et je n’ay rien mis en mon livre que les Dames ne puissent lire sans baisser les yeux et sans rougir. Que si vous ne voyez pas mon héros persécuté d’amour par des femmes, ce n’est pas qu’il ne fut aimable et qu’il ne put être aimé. Mais c’est pour ne choquer point la bienséance en la personne des Dames et la vraisemblance en celle des hommes qui rarement font les cruels et qui n’y ont pas bonne grâce."(6)

 Les bienséances, que déjà Nicot en 1606 définissait comme « convenientia rerum, decentia»(7), et les restrictions que leur respect impose sont un leitmotiv du siècle. Les dictionnaires, à la lumière du débat poétique qui avait animé la littérature depuis les premières décennies, synthétisent et donnent peut-être les définitions les plus exhaustives :

 Pierre Richelet (1680) :

« Bienséance : Action qui cadre au temps, au lieu et aux personnes. Egard qu’on a au temps, au lieu et aux personnes .»

 Antoine Furetière (1690) :

« Bienséance :Ce qui convient à une chose, qui lui donne de la grâce, de l’agrément. Il est de la bienséance de se tenir découvert et en une posture honnête devant les Grands et les dames. La bienséance exige de nous plusieurs devoirs et civilités. »

 Académie (1694) :

« Bienséance : Convenance de ce qui se dit, de ce qui se fait par rapport aux personnes, à l'âge, au sexe, aux temps, aux lieux. »

 

(1). Il s’agit des bergers du roman pastoral par antonomase, L’Astrée, publié en cinq parties entre 1607 et1628. C’est une œuvre qui par les idées exprimées, par la profondeur psychologique des personnages et par le cadre bucolique dans lequel l’action se déroule marqua profondément le XVIIe siècle et en particulier l’art narratif à la recherche des canons de sa poétique dans ces premières décennies du siècle.
(2). Madeleine de Scudéry, Conversations sur divers sujets, Paris, Claude Barbin, 1680.
(3). Il suffit de penser aux critiques que le théâtre de Corneille, à partir de la querelle du Cid, avait subi, dont témoignent aussi les corrections que l’auteur apporte à ses œuvres dans l’édition de 1660.
(4). Paris, T.du Bray, 1627.
(5). “Ie ne me suis servy de l’Antiquité que pour donner une couleur estrangere au bien ou au mal de nostre temps [...] Comme i’ay voulu rapporter le tout à nos mœurs et à nostre temps, i’ay accomodé plusieurs antiquitez de la Grece à des choses de nostre siecle, et leur ay donné la grace des mots françois.” (A.Mareschal, Préface à La Chrysolite ou le secret des romans).
(6). G. de Scudéry, Préface à Ibrahim ou l'illustre Bassa, Paris, A. de Sommaville, 1641-1644.
(7). J.Nicot, Thresor de la langue françoise tant ancienne que moderne, Paris, D.Douceur, 1606. Paris, éd. A. et J. Picard, 1960.
(8). Dictionnaire françois, Genève, J.H.Widerhold, 1680. Il est consultable à l’adresse http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF37252284.htm
(9). Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, A.et R.Leers, 1690. (Paris, SNL, Le Robert, 1978),http://gallica.bnf.fr/Catalogue/noticesInd/FRBNF37234801.htm
(10). Le dictionnaire de l’Académie françoise, tome premier (A-L), Paris, chez la veuve de Jean Baptiste Coignard, 1694, http://colet.uchicago.edu/cgi-bin/dico1look.pl ?strippedhw=honneur.

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