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Octavie à Auguste

DIX-HUITIÈME HARANGUE -

ARGUMENT -

Comme les choses s’aigrissaient toujours entre Auguste et Marc Antoine et que l’un et l’autre se préparaient à recommencer la guerre, ce premier voulut obliger Octavie, sa sœur, à sortir de la maison d’un mari dont elle était trop indignement traitée. Mais cette vertueuse femme, qui ne pouvait approuver ce conseil, s’y opposa de toutes ses forces et parla à peu près en ces termes, à cet illustre et cher frère.

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Ô qu’elle fut constante et belle!
Qu’elle fut charmante et fidèle!
Que son esprit eut de douceur!
Ô qu’elle mit d’obstacle à cette guerre injuste!
Et qu’elle se fit voir et d’Antoine et d’Auguste,
Et digne femme et digne sœur!

Octavie à Auguste


De grâce Seigneur, ne me commandez point de quitter la maison d’Antoine et ne me mettez pas en la nécessité de vous désobéir. La vertu dont je fais profession ne me permet pas de faire cette faute et l’excès de l’amitié que vous avez pour moi est sans doute ce qui vous a porté à me la conseiller. Il est vrai qu’Antoine me dérobe son cœur et son affection pour donner l’un et l’autre à Cléopâtre; mais, Seigneur, serait-il à propos que si l’amour de cette reine fait commettre une faute à Antoine, que la jalousie d‘Octavie vous portât à en faire une autre? non, il ne serait pas juste: considérez donc s’il vous plaît l’intérêt Public et non pas le mien et pensez encore une fois qu’il serait également honteux à César et à Antoine de commencer la guerre, et de détruire l’Empire, pour l’amour d’une femme et pour la jalousie d’une autre. Que si toutefois vous ne pouviez en être également blâmé, j’ose dire, sans perdre le respect que je vous dois, que vous en seriez plus justement accusé qu’Antoine puisqu’il n’est plus en état d’écouter ni de connaître la raison et que la vôtre ne peut être troublée qu’en ma considération seulement. L’amour de Cléopâtre a de telle sorte obscurci son jugement qu’il est aveugle en ses propres intérêts; il n’a pas songé qu’il me faisait un outrage, lorsqu’il a reçu les présents que je lui ai faits et, qu’au lieu de me permettre de le voir, il est retourné dans Alexandrie. Il n’a, dis-je, pas eu dessein de fâcher Octavie, mais de plaire à Cléopâtre. Il a eu peur que ma vue ne lui donnât d’autres sentiments et il a sans doute connu qu’il m’aimait encore assez pour ne pouvoir souffrir ma présence sans confusion et sans repentir. Enfin, Seigneur, il faut avoir pitié de sa faiblesse et de son aveuglement et ne l’imiter pas dans sa faute. La passion que l’on veut que je suive est bien encore plus dangereuse, que celle qui possède Antoine et, si elle passait de mon cœur dans le vôtre, vous agiriez sans doute avec plus de violence et plus d’injustice qu’il ne fait puisqu’il est certain qu’elle vous communiquerait, une partie de cette fureur, qui l’accompagne toujours. Cette injure, que j’ai reçue ne demande point de sang de Romains pour l’effacer: ce ne serait pas le moyen de me redonner l’affection d’Antoine que de lui déclarer la guerre en ma considération. Au contraire, ce serait autoriser sa faute et son inconstance puisqu’il est certain que je mériterais le traitement que je reçois si, parce qu’il m’a chassée de son cœur, je me bannissais de sa maison et me rangeais du parti de ses ennemis. Je sais que je suis Romaine et que j’ai l’honneur d’être votre sœur; mais je sais aussi que je suis femme d’Antoine; que ses intérêts doivent être les miens; et qu’encore qu’il n’ait pas pour moi toute l’affection qu’il est obligé d’avoir, ma propre vertu ne me permet pas de me dispenser de celle que je lui dois et, si je usais d’une autre sorte, ce serait reconnaître Cléopâtre pour femme légitime d’Antoine et lui céder volontairement une qualité qu’elle ne me saurait ôter. Laissez moi donc renfermer ma douleur et mes larmes dans la maison de mon mari de peur que, si elles étaient vues, elles ne me fissent de nouveaux ennemis. Laissez-moi, Seigneur, cacher mon affliction et mon ressentiment et, s’il est vrai que mes intérêts vous soient chers, comme vous me l’avez toujours témoigné, aidez-moi à excuser Antoine envers le Sénat. Dites-lui que cette amour est trop violente pour durer encore longtemps et que, comme le grand Jules César eut assez de force pour dissiper les charmes de cette belle Egyptienne qui l’avaient surpris, Antoine, ayant la même faiblesse, aura ensuite assez de cœur pour rompre cet enchantement aussi bien que lui. Mais enfin, Seigneur, faites que cette amour ne soit pas les commencement de la guerre; souvenez vous de cette glorieuse journée où mes larmes firent tomber les armes des mains aux deux plus grands empereurs qui furent jamais. Vous étiez alors environné de vos Légions; votre armée s’apprêtait déjà à combattre; les trois cents voiles qu’Antoine conduisait étaient à la vue de vos troupes; on voyait déjà en tous les deux partis cette ardeur que la vue des ennemis donne en semblable rencontre; le désir de vaincre était dans le cœur de tous les soldats; ils songeaient déjà à la richesse du butin; on voyait les aigles contre les aigles; les Romains contre les Romains; les citoyens contre les citoyens; les amis contre les parents et, pour tout dire enfin, la bataille de Pharsale n’avait rien fait voir de plus effroyable que ce que mes yeux virent en cette occasion. Cependant, quoi qu’Antoine parût l’agresseur, puisqu’il venait vous attaquer mes larmes, mes raisons et mes prières, surmontèrent votre ressentiment. Vous embrassâtes Antoine au lieu de nous combattre; vous le reçûtes comme le mari de votre sœur et non pas comme votre ennemi et ces deux puissantes armées, que vous aviez levées pour vous détruire, ne servirent que pour vous donner des marques réciproques d’une parfaite intelligence. Car vous n’avez pas oublié qu’Antoine vous donna cent galères et vingt brigantins; que vous lui donnâtes aussi deux légions et qu’outre cela, vous m’accordâtes encore pour lui mille de vos meilleurs Soldats. Pensez-vous, Seigneur, que cette première victoire, ne m’en fasse pas espérer une seconde? vous m’aimez autant aujourd’hui que vous m’aimiez en ce temps-là: la vue de votre ennemi n’aigrit point votre ressentiment; vous n’avez point de légions à l’entour de vous qui vous pressent de donner une nouvelle matière à leur courage; vous êtes seul, vous êtes désarmé, je suis malheureuse et affligée et mes larmes, mes raisons et mes prières doivent être encore plus puissantes auprès de vous, qu’elles ne le furent en cette journée, puisqu’il ne s’agit que de mon intérêt. Au reste, il est plus aisé d’empecher de prendre les armes que de les quitter et il vous devait alors être plus difficile de faire la paix avec Antoine qu’il ne vous le sera maintenant de ne commencer point la guerre. C’est la passion d’Antoine qu’il faut combattre et non pas sa personne et pour cet effet je dois souffrir son inconstance sans m’en plaindre; je dois lui conserver mon cœur quoiqu’il me dérobe le sien; je dois avoir de la compassion de sa faiblesse; je dois avoir du respect pour lui quoiqu’il n’ait que du mépris pour moi; je dois demeurer dans sa maison tant qu’il me fera la grâce de m’y souffrir et, pour tout dire, je dois m’opposer à vous toutes les fois que vous voudrez m’obliger à faire des choses, qui me pourraient être honteuses. Si Antoine voulait me porter au dessein de vous nuire je m’opposerais à lui comme je m’oppose à vous et, des mêmes armes dont je vous combats maintenant, je combattrais son injustice et son obstination. Oui, Seigneur, je serais toujours sœur de César et femme d’Antoine et, quoi que la fortune fasse, je ne ferai jamais rien indigne de ces deux glorieuses qualités. Pardonnez-moi donc si je vous dis hardiment que je ne sortirais point de la maison de mon mari, qu’il ne me le commande et, s’il arrive même que l’amour de Cléopâtre le porte jusqu’à un tel dérèglement, qu’il m’ordonne de la quitter, je l’abandonnerai en versant le moins de larmes qu’il me sera possible, de peur que la compassion qu’on aurait de moi n’augmentât la haine qu’on aurait pour lui. Voilà Seigneur, quels sont les sentiments d’Octavie, et quels ils seront toujours. Et puis, à parler raisonnablement, Antoine n’est pas un homme ordinaire; les grandes qualités qui sont en lui, méritent qu’on excuse sa faiblesse. Et les belles choses qu’il a faites à la guerre, doivent sans doute obtenir de l’équité de tous les hommes, quelque indulgence pour celles que l’amour lui fait faire. L’affection qu’il eut toujours pour le Grand Jules César vous doit obliger à ne le condamner pas légèrement, puisque étant son fils d’adoption et son légitime successeur il semble que vous devez hériter de ses sentiments et de ses amis aussi bien que de ses richesses. Lorsqu’Antoine a combattu pour Jules César, il a combattu pour vous: vous le devez récompenser, de tout ce qu’il a fait pour lui, car enfin, de toutes les dettes de César les plus justes et les plus glorieuses à payer sont sans doute les bons offices que ses amis lui avaient rendus. Souvenez-vous donc de ce qu’Antoine a fait pour cet excellent homme: ce fut lui qui s’opposa généreusement à la faction de Pompée lorsqu’elle voulait que César mit les armes bas, et que son ennemi ne les y mit point. Il parla avec ardeur en cette rencontre et ne craignit point de s’exposer à recevoir un outrage; comme en effet, il fut traité indignement à cette considération: et fut contraint de se déguiser en esclave pour aller chercher un asile, dans le camp de celui qu’il avait protégé. Mais ce qu’il fit en cette occasion il l’a fait encore en cent autres aussi importantes: il a payé de son sang, et de sa personne, l’amitié que César lui portait. On l’a vu plus d’une fois rallier ses troupes, les ramener au combat et les rendre victorieuses, lorsqu’elles étaient prêtes d’être vaincues. On l’a vu à la bataille de Pharsale commander la pointe droite de l‘armée de César, combattre pour sa gloire et exposer sa vie pour assurer entre ses mains la souveraine Puissance qui enfin a passé dans les vôtres. Au reste, s’il a combattu pour César durant sa vie, il a fait vaincre César après sa mort: son Éloquence a fait, ce que la valeur d’aucun autre n’aurait pu faire, car, comme vous ne l’ignorez pas, sans ce zèle ardent qui le fit parler le peuple Romain n’aurait osé témoigner combien il était touché du sang de César. Il se serait contenté de répandre des larmes et n’aurait point porté le feu, jusque dans la maison de ses meurtriers. Vous voyez donc bien, Seigneur, qu’en quelque façon, Antoine a élevé le premier degré par lequel vous êtes arrivé à la puissance où vous êtes. Que si après ce qu’il a fait pour César il est permis de mettre en compte ce qu’il a fait pour la cause commune et contre Cassie et contre Brutus, vous trouverez qu’il a toujours été leur vainqueur et qu’en quelques rencontres, où vous n’étiez pas en état de combattre, il vous a été avantageux qu’il fût de vos amis, puisque sans sa valeur ils eussent sans doute remporté une victoire qui peut-être les a mis en état de ne pouvoir plus être vaincus. Je sais bien Seigneur, que depuis cela, vous n’avez pas toujours été également bien ensemble et que cette noble jalousie, qui suit inséparablement ceux qui sont amoureux de la gloire et qui aspirent aux grandes choses, a altéré votre amitié; mais, si je ne me trompe, cette sorte de haine ne doit point passer jusqu’à la personne. Il faut surmonter son ennemi en grandeur de courage et en générosité; il faut s’opposer à lui quand il entreprend de nous détruire, mais il ne faut jamais pour des causes particulières troubler le repos public, ni pour des raisons fort légères, commencer une guerre dont le succès est toujours douteux. La haine est une passion des particuliers et s’il est permis d’en avoir aux personne qui ont la suprême puissance, ce doit être la haine du vice, de l’esclavage et de l’infamie. Autrement, s’ils ne combattaient pas cette passion et qu’ils s’y laissassent emporter, ils seraient sans doute capables de toutes sortes d’injustices. Pour venger leurs propres injures, ils ne feraient point de difficulté de violer le droit des gens, d’oublier l’équité naturelle, d’enfreindre les lois les plus justes, de détruire leur Patrie et de mépriser les pouvoir des dieux. Voilà seigneur, le dérèglement que la haine peut causer quelquefois dans l’âme la plus ferme et, pour vous empêcher de tomber dans un semblable malheur, considérez un peu ce qu’un excès d’amour fait faire à l’infortuné Antoine. Pensez-vous seigneur, que la haine vous donnât de plus justes sentiments? Et que la jalousie, si j’en étais capable, me permit d’agir avec moins de violence? Non seigneur, ces trois passions étant opposées, comme elles le seraient en cette rencontre, seraient capables de détruire toute la terre. Ne vous engagez donc point dans un si mauvais dessein, que si toutefois vous voulez vous venger d’Antoine abandonnez-le à son propre sens et aux charmes de Cléopâtre. Laissez-le en repos conserver cette belle conquête et ne craignez pas, qu’il entreprenne de s’opposer aux vôtres, si vous le laissez jouir paisiblement de celle-là. Mais, songez seigneur, que si vous l’irritez il pourra peut-être vous donner beaucoup de peine: la première valeur d’Antoine n’est pas morte elle n’est qu’assoupie; il pourra peut-être s’éveiller en fureur et sans quitter la passion qui règne en son âme il s’opposera à vos desseins avec toute l’ardeur que peut avoir un homme qui combat pour se défendre, pour se venger, pour sa propre gloire et pour conserver sa maîtresse. Ne vous faites donc point un ennemi redoutable d’un ami infortuné: faites, je vous en conjure, que je ne vous voie jamais entreprendre de guerre où il ne me soit permis de pouvoir souhaiter que vous remportiez la victoire. Considérez, de grâce, en quel état se trouverait mon âme si je vous voyais encore une fois prêts d’en venir aux mains; mais avec cette cruelle différence qu’à la première ce n’était que pour l’amour de vous, et qu’en celle-ci ce serait pour l’amour de moi. Non, non, ne vengez point l’injure qu’on me fait et ne cherchez pas un remède pire que le mal. La seule pensée de voir mon frère et mon mari prêts de se donner la mort à ma considération me fait transir d’effroi. Je ne sais presque plus ce que je dis et, dans un trouble si grand, je suis prête de donner mon sang et ma vie pour conserver la vôtre et celle d’ Antoine. Mais, comme vous ne voudrez sans doute accepter ni mon sang ni ma vie, voyez mes larmes avec compassion, écoutez du moins mes prières et mes soupirs; et puisque par votre commandement, je suis femme d’Antoine, ne me commandez pas ensuite, de quitter da maison, comme celle de mon ennemi. Songez que je suis mère des enfants d’ Antoine et qu’en cette qualité je ne dois ni les abandonner ni les faire sortir de la maison paternelle. Ce serait presque dire qu’ils n’en seraient pas les légitimes successeurs si je les en faisais partir et ce serait moi-même donner des armes pour me détruire à tous les flatteurs d’Antoine et aux esclaves de Cléopâtre. Aussi suis-je bien résolue de n’en user pas ainsi: ma patience durera plus que l’amour d’Antoine et, à quelque excès que puisse aller le mépris qu’il fait de moi, ma vertu ira encore plus loin. Oui seigneur, quand son affection n’aura point de retour pour moi, qu'il vivra et mourra entre les bras de Cléopâtre, je verserai des larmes pour sa perte; sa mémoire me sera chère; les enfants de Fulvia et de Cléopâtre même deviendront les miens; je prendrai soin de leur conduite et de leur fortune; et tant qu’Octavie sera vivante elle ne se lassera jamais de donner de nouvelles preuves de sa constance. Puisque je suis d’un sexe à qui la valeur est défendue, il faut du moins que la patience me soit permise et que cette vertu me tienne lieu de courage. Il y a quelquefois autant de générosité à savoir souffrir le malheur qu’à savoir combattre ses ennemis. Ne vous opposez donc point à la victoire que je veux remporter sur moi-même et, pour la rendre plus glorieuse, faites que je vous surmonte aussi bien que moi. Ne vous exposez point à pouvoir être vaincu par Antoine et laissez vous vaincre par Octavie. Mais, comme je ne vois pas dans vos yeux, que vous soyez encore en état de vous rendre à mes larmes et à mes prières, souffrez, seigneur, que j’aille attendre votre résolution dans la maison de mon mari, puisque c’est le seul lieu où je puis demeurer avec gloire tant qu’Antoine me le permettra. Je vous assure toutefois que comme je ne fais point de vœux contre Antoine lorsque je suis dans votre Palais, je ne ferai point contre César lorsque je serai dans la maison d’Antoine.


EFFET DE CETTE HARANGUE



Cette belle et vertueuse personne obtint de l’amitié d’Auguste tout ce qu’elle demandait et il lui permit de demeurer dans la maison de son mari tant qu’elle le pourrait en bienséance. Elle n’y fut pourtant pas longtemps car Antoine eut tant d’injustice pour elle et tant de complaisance pour Cléopâtre qu’il lui envoya commander d’en sortir. Elle le fit avec cette même modestie qu’elle avait toujours témoignée et dans toutes les disgrâces, qui accablèrent après cet infortuné et durant sa vie, et après sa mort, elle fut toujours ce qu’elle avait été jusqu’alors: je veux dire un illustre et rare exemple de l’amitié conjugale.


 

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